La Malédiction de la Terre, de l'Eau, du Feu et de l'Air [Terminé - Intrigue I]

Le contrat avait spécifié une mort discrète, et intraçable. Mon commanditaire ne m’avait pas imposé un temps. Dès lors, je considérais donc que j’étais libre d’agir à ma guise, c’est-à-dire en finir rapidement avec un poison discret ou un prétendu accident, ou profiter pour travailler tranquillement quelques rituels. La seconde option s’est imposée naturellement : la magie complexe, et à grande échelle, m’avait manqué ! Je m’y attelle aussitôt.

La première étape est la malédiction de la Terre.

J’use et j’abuse de mes dons pour me créer un petit tunnel sous terre, jusqu’aux fondations de la demeure de ma cible – un beau manoir en périphérie de la ville de Metropolis. En compagnie des verres, des taupes et des cafards, je marmonne quelques formules apprises de ma mère et de mon grand-père, tout en répondant un produit âcre et puant sur le sol. Aussitôt une odeur fétide s’élève, s’engouffrant dans chaque poche d’air que la Mère Nourricière abritait.

Je quitte ce petit cocon empoisonné pour retrouver l’air frais.

Un humain lambda serait mort, ou alors serait très malade, d’avoir respiré cette chose. Un simple mage n’aurait pas pu mener à terme ce premier rituel. J’avais la chance d’avoir une constitution particulière, et surtout d’avoir côtoyé les Enfers durant une année. J’étais plus résistante que ces petits vers peuplant et grouillant ce monde.

Je répète l’opération durant 7 jours et 8 nuits. Malgré que je sois très solide, le rituel était assez puissant et pouvait être dangereux pour moi. J’avais à disséminer cette horreur en suspension à petite dose.

En moins d’une semaine, la terre était devenue infertile et empoisonnée. L’herbe se desséchait, les oiseaux crevaient des graines qu’ils avalaient et même les rats mourraient d’asphyxie de ce gaz discret – indicible, pour un humain. Le jardinier tentait désespérément d’enrayer le phénomène, mais peine perdue. Entre temps, les hommes de main de ma cible commençaient à faiblir et à tomber malade. Oh, si seulement ils savaient à quel point ce qu’ils foulaient sous leurs pieds pouvaient les impacter si elle était elle-même malade.

Mère Nature est précieuse : il faut l’apprendre, petit humain.

La seconde étape n’était nulle autre que la Malédiction de l’Eau. Par contre, pour celle-ci, je devais mettre la main sur la principale source d’alimentation en eau du domaine. Elle devait sûrement se trouver à l’intérieur. Il me fallait donc une excuse pour y entrer, sans attirer l’attention ! Devrais-je tuer cette femme de ménage, et emprunter son apparence pour gambader dans les couloirs ? Au contraire, devrais-je faire créer volontairement un incident et me présenter comme le dépanneur ? Je pouvais tout autant creuser un nouveau tunnel, jusqu’à la cave. Les propositions étaient nombreuses, mais toutes avaient un défaut et allaient à l’encontre de la commande faite. Je devais opter pour la méthode la moins suspecte, si jamais un policier zélé étudié de fond en comble chaque élément matériel et humain lié à ce meurtre – une femme de ménage morte, ou un tunnel dans la cave ne faisaient pas bon genre.

Je réfléchis toujours, à la lisière de cette forêt qui entoure le manoir dépérissant.

- Oh, un nouveau adepte des costumes moulants. Je parie tu as opté pour le noir pour souligner ton coté Bad Boy. Tu n’as clairement aucun complexe, rien à faire paraître plus mince qu’il ne l’est en vrai, me moquais-je tout en gloussant.

Avais-je été surprise par cette présence ? Un petit peu. Suis-je envahie par la terreur ou la crainte, à la simple idée d’être tombée sur un potentiel super-héros, ou super-vilains ? Aucunement, j’avais vu bien plus effrayant qu’un tas de muscles moulés au latex ! Sa présence n’était pas surprenante, à bien réfléchir. Comme il l’avait souligné plus ou moins implicitement, la Magie attirait ceux qui y sont sensibles. La Magie Noire met mal à l’aise les adeptes de la Magie Blanche et vice-versa.

- Fort dommage que tu n’es pas de ces gentils brebis. Un bon combat à mort en bonne et due forme me manque, exprimais-je, m’étirant tranquillement.

Ce monde est un brin plus calme que le mien. Après, c’est bien normal. Ici, Maria Carnis n’est qu’une anonyme, et non une demi-démone pourchassée par une horde de magiciens et d’occultistes pour de nombreux crimes – et catastrophes naturelles. Les pluies de sang, les rivières pleines de grenouilles, les champs bouffés côtoyaient des crimes plus traditionnels comme l’homicide de quelques individus, la destruction de quelques quartiers ou la suggestion d’un génocide bien placé. Oh ce temps me manquait ! Malheureusement, Saul avait été clair : je devais faire profil bas, et me contentais de mon job de mercenaire pour laisser libre cours à quelques vilaines envies.

Cette attente est barbante.

- Oui, je tente un rituel maudit ! Par contre, j’ai été trop ambitieuse. Seule, il est difficile d’empoisonner la terre, l’eau, l’air et le feu en moins d'une semaine. La Pleine Lune est là dans Sept jours exactement, et je n’en suis qu’à la première étape, me plaignis-je.

J’étais bien consciente que je disais beaucoup. D’une part, je le testais pleinement pour m’assurer que je ne suis pas tombée sur une mijaurée. D’autre part, s’il était ce qu’il prétendait être, je ne cracherai pas sur son coup de main !

- Oh, avant que j’oublie. La difficulté est qu’on ne peut pas tuer ces personnes directement. Les accidents, ou les morts naturelles sont possibles, mais le meurtre sacrificiel n’est pas une option. Disons que j’ai … passé un accord avec quelques personnes, précisais-je.

Oh, concrètement, la Bathory pourrait cracher sur les clauses de ce contrat, quitte à ne pas empocher le chèque. Cependant, mes frères avaient été catégories : je devais apporter ma part dans les finances « communes ». Car oui, pour financer ces rituels ou ces complots contre Daddy et ses copains, il nous fallait des billets verts ! Je devrais souffler l’idée du braquage de la banque de Gotham City au Joker, ou à sa petite catin, Punchline !

- Bon, tu vas te contenter d’admirer, ou tu vas m’aider ? demandais-je, de but en blanc.

- Je cherche des combattants avec des pouvoirs magiques, et non des sacrifices humains. Les mortels sont faibles et misérables. Je m’ennuie avec, dis-je le ton agacé. Le vrai problème est le manque de magiciens, d’occultistes et de sorciers dans ce monde. On raconte qu’une certaine Enchantress en serait la cause.

Je traîne dans les petites fêtes organisées par le grand ami de Daddy, et j’ai vite vent des dernières rumeurs au sein de la communauté magique. La mort subite d’un groupuscule d’être sensibles à la magie de la main d’une seule et même personne ne passe pas inaperçue : on jase, on commente, on parle ! Personnellement, j’admire l’audace, le talent et surtout la puissance de l’entité maléfique ! Que ne donnerais-je pas pour la rencontrer, et échanger avec !

- J’ai un contrat : je veux bien empocher l’argent. Tu comprends ?

J’espère bien qu’il comprend ! Sinon, tous mes efforts auront été vains ! Il serait sincèrement dommage que je passe à cause d’un joli pactole à cause d’une lubie. En effet, malgré que mes méthodes radicales laissant souvent mes cibles dans un état lamentable, je respecte une certaine routine professionnelle : j’évite de faire une entorse, pour ne pas me compliquer la tâche ou m’attirer inutilement quelques ennuis. Malheureusement, esprit erratique et hyperactif, j’ai un mal fou à me tenir à cette résolution bien longtemps. Quand l’envie d’un petit tour de magie est trop forte, je cède aisément ! Je dois vraiment trouver une solution à ces actes quasiment compulsifs, et incontrôlables.

- Je vais maudire l’eau, alors ! Pendant ce temps, tu peux t’occuper du feu et de l’air ! L’idée est de capturer la chaleur, et la fumée …

Si chaque personne a sa façon de jeter une malédiction, il y a les actes « basiques » auxquels personne ne peut échapper. Même dans le monde des arts occultes, il existe des règles auxquelles tout le monde doit conformer. Dans le cas des rituels liés aux éléments, il faut tout bonnement capturer leurs forces principales.

- Tant que tu es là, je vais en profiter pour réunir les différents éléments dans un même flacon ! Une petite malédiction à portée de main ne fait jamais de mal !

Aussitôt dit, aussitôt fait ! Je me dirige d’abord vers ma petite voiture pour récupérer deux petites fioles bien propres que le Doc m’avait donné pour que je prenne des échantillons de sang. Tant pis, elles vont servir autrement, pour un projet plus personnel ! Les deux tubes en main, je me mêle aux ombres et me glisse discrètement jusqu’à l’arrivée principale de l’eau. Après m’être assurée qu’il n’y a pas de caméra, je me lance dans l’incantation. Celle-ci dure quasiment toute la nuit, me pompant une énergie folle. Je ne me ménage pas, prenant le risque de croire que l’inconnu va respecter la promesse faite. Par moment, il faut savoir faire le saut de la Foi, et accepter de faire confiance à l’autre.

Au petit matin, je reviens vers le colosse, complètement épuisée. Je me sens chancelante. Pourtant, je ne me départis pas de mon sourire.

- Je n’ai que de bonnes nouvelles ! L’eau va faire de véritables miracles dans un ou deux jours. Qu’en est-il de toi ? demandais-je, relevant les deux fioles pour les observer à la lumière du jour. La première est composée d’une eau limpide. La seconde est pleine de terre.

- Nous avons fait le plus gros du travail en récupérant l’essence des quatre éléments maudits. Il ne me reste plus qu’à les mélanger, avec quelques petites formules magiques, répondis-je, le ton guilleret.

Ma joie est telle que l’on croirait que je fredonne. Mon attention se tourne vers ces boules d’énergie crépitantes, et m’empresse d’approcher les fioles pour que cet inconnu fasse le transfert. Qu’importe que je mélange deux éléments maintenant, et le reste un peu plus tard. Une fois les essences capturées, je suis libre de les combiner et les unifier comme je le souhaite. En somme, nul besoin de confondre précipitation et nécessité. Il vaut mieux se reposer pour manipuler au mieux ces quatre ingrédients récupérés après maints efforts et surtout beaucoup de patiences !

- Qu’est-ce que tu veux donc savoir, à mon sujet ?, lui demandais-je sans aucune férocité. Je glisse regard mêlant soupçon et curiosité. Dans le milieu des mercenaires, on m’appelle la Bathory. Mes spécialités sont les bombes, et les arts occultes.

Les bombes sont davantage des accessoires amusants dans le cadre de quelques missions de grandes envergures, ou nécessitant un brin de bling-bling. J’adore particulièrement ces quelques secondes avant explosion, où les plus crédules se figent de peur et où les plus téméraires courent vers une quelconque sortie. Leurs expressions, leurs gesticulations, le désespoir sur leurs traits … Un pur plaisir !

- Et je n’ai pas de domicile fixe ! Je vais là où il y a des contrats ! J’aime particulièrement ceux qui promettent un bain de sang … Ce sont mes favoris ! Je ne suis pas spécialement fan des assassinats d’une seule et unique personne dans la plus grande discrétion, dis-je en haussant les épaules d’un air las et agacé.

Ce type d’assassina a toujours été à la mode. Il semble que même les criminels craignent un brin les forces de l’ordre, ou refusent d’assumer trop de mort aux regards de leur entourage ! Bande de chochottes ! A quelques reprises, j’ai été tenté à me convertir en mercenaire dans une zone de guerre. Malheureusement, le devoir m’appelle ici. Je ne peux pas ouvrir les portes de l’Enfer sans le soutien de mes frères, ou de magiciens aux talents et à la force équivalente. Je ne risque pas de les retrouver au fin fond d’un pays plongé dans le chaos et la guerre …

- A ton tour ! T’as un petit nom, ou un pseudo ?

J’ai bien accepté de révéler partiellement mon identité, et les compétences qu’on attribuait à ce pseudo. La bienséance entre vilains exige qu’il en fasse de même, qu’il donne quelques petits éléments sur sa personne – des événements marquants, une allégeance à un groupe connu ou secret, des pouvoirs colossaux etc ... En gros, il doit prouver qu’il n’est pas une crotte de nez, mais un type qui mérite respect, voire obéissance.

Je ne le prends pas mal, lorsqu’il compare les mercenaires à des chairs à canon à sacrifier ! Il ne dit que la vérité, la Tête Luisante ! Pour autant, je ne suis pas mécontente de mon travail. Il arrive que j’ai droit à quelques contrats juteux où il est question de véritables bains de sang ou de drames digne d’une série HBO ! Par contre, je fronce les sourcils lorsqu’il me pose une question.

- L’éthique et la moralité dans mon job sont pour les faibles, ou pour les tordus. J’ai choisi mercenaire parce que j’aime ça. Le sang. Les cris. Les drames. Les larmes. La misère humaine, dans toute sa splendeur. Ma spécialité première est la magie … parce que ça coule dans mes veines. Pourquoi m’en priver, si je peux ? dis-je en haussant les épaules nonchalamment. Ma seconde spécialité est un choix plus personnel. Les dégâts sont un brin plus important et surtout … spectaculaires. Et ça fait du bien de ne pas s’épuiser en sort, constamment, conclus-je en grimaçant exagérément pour illustrer mes propos.

La magie, ça bouffe de l’énergie. Enormément. Dans l’univers confectionné par maman, il n’était pas rare que je m’écroule suite à un gros sort. Ici, je me contente de quelques tours discrets. Ayant beaucoup appris de mes erreurs passées dans ce monde illusoire, je sais que je dois me tenir un tantinet à carreau jusqu’à ce que mon plan se peaufine. Par ailleurs, quand je le mettrai à exécution, on va déjà suffisamment me coller aux fesses pour m’envoyer droit en enfer ou alors m’enfermer dans quelques cellules stupides dans l’espoir insensé que je me calmerai. Pire, que je me repentirai ! Cette simple pensée me donne la nausée.

- Conclusion : je prends tout. Faut juste me montrer une bonne oseille, selon la complexité ou la folie du job. Et faut pas trop me doubler. Alors je serais obligée de renvoyer la balle très, très, très violemment.

Certains commanditaires ne prennent pas au sérieux mes menaces, pensant qu’une petite nana ne pourra pas les atteindre. Oh, les pauvres fous ! La magie offre tellement de possibilités ! Je vois subitement les premiers mouvements du type … mais je ne laisse rien paraître. Faut réserver un tout peu de surprise aux autres, et surtout préserver un petit jardin secret ! Comme ça, il est plus adorable d’écraser la tronche aux mauvais payeurs. Avec talents et imaginations, toujours.

- Bah … tu veux ma petite carte ? Avec toi, ça sera plus simple

Je profite qu’il soit près de moi pour apposer ma main sur son avant-bras et susurrer quelques mots, créant une petite connexion éphémère. Les téléphones, les mails ou les sites internets sont surfaits, avec un gros risque d’être piraté on-ne-sait-par-qui ! Alors, quand je peux me le permettre, j’opte la voie magique ! Comment ça fonctionne ? Oh, très simple ! Je viens d’instiller un peu de mon énergie en lui – et j’ai récupéré du sien. Il pourra communiquer avec moi, où qu’il soit – ou où que je sois. Et évidemment, à condition que je veuille accueillir son énergie. C’est chiant, les types qui s’invitent dans votre tête sans prendre les gants ! Et j’suis pas trop portée sur le viol mentale.

- Bon, c’était marrant mais il se fait tard, il faut que je rentre à la maison. J’ai hâte de voir la maison de qui ça va être ! Une bonne douche. Un petit repos. Et idéalement un pantin humain pour un massage. J’aime quand on m’enduit d’huile … dis-je, en m’étirant comme un chat.