Something in the Way [Intrigue III - Terminé]

Après avoir progressé le long des tunnels ingénieusement aménagés, la Fille du Démon se posta face à une porte entièrement peinte de rouge. Plusieurs hommes, et femmes, étaient assis plus loin, sur des chaises ou à même le sol, en grande discussion. Certains d'entre eux, en retrait, envoyaient des regards curieux - voire interrogateurs - aux deux nouveaux arrivants. Talia fit signe à l'un de ses assassins de s'approcher.

« Balance-le dans la chambre 12 et fais-moi signe quand il sera réveillé. »

Elle désigna le captif d'un signe du menton et son sbire l'emporta. Bruce maintenant déchargé de sa mission de mule, la Fille du Démon posa une main sur la porte qui se trouvait juste derrière elle puis la poussa. Elle ne s'encombra pas d'explications. Elle n'était pas ici pour jouer la guide touristique. Sa chambre était plutôt rudimentaire : un lit, un placard, un tapis, un bureau et, dessus, un plan et un ordinateur portable. Elle n'avait pas besoin de plus.

« Je me change, annonça-t-elle sans s’assurer au préalable que cela ne dérangerait pas Bruce. Tu peux jeter un coup d’œil à la carte devant toi, j’ai mis des croix pour les endroits où se trouvent certains problèmes. Des hommes, très souvent. Comme toujours. »

Elle ne comptait plus le nombre de fois où son allié l’avait vue nue. Ils avaient passé tant de moments charnels et passionnés ensemble ! Et puis, Talia n’avait jamais été très habillée. Si elle avait eu le choix, et si elle n’avait pas travaillé aux côtés de son père, la tueuse aurait passé toute son existence jusqu’à ce jour sans la moindre bout de tissu sur le dos. Débarrassée de ses cuissardes, elle s’attaqua à sa combinaison d’un noir si profond que l’on peinait à voir les centaines de gouttes de sang qui l’immaculaient. Elle termina rapidement sans rien, à l’exception de ses sous-vêtements foncés, et rejoignit Bruce devant la table. Elle le provoquait volontairement  - plus pour le gêner, voire l’irriter, que pour lui rappeler ses compétences fabuleuses au lit. Ou pas.

« Il y a quelques résistants ici. Des fidèles de mon père, et maintenant de Nyssa, déclara-t-elle en posant son doigt sur une croix à quelques centimètres de leur lieu de repli. Je sais qu’ils fomentent un plan pour s’en prendre à nous. Certains disent même que ce sont eux qui sont rentrés en contact avec Bane. »

Elle s’adossa à la table, en petite culotte, et détacha ses cheveux. Talia était aussi dangereuse qu’un scorpion. Et aussi à l’aise dénudée qu’une succube d’Ishtar.

« J’ai d’autres informations. Quelles sont les vôtres, Maître ? »

De l’amusement teintait sa question. Elle était plus que ravie que Bruce soit maintenant Ra’s. Elle n'avait pas oeuvré dans l'ombre, puis défié son père, pour rien. Ensemble, ils étaient voués à accomplir de grandes choses ; et l'une d'entre elles consistait à faire un enfant. L'homme qui se tenait à ses côtés l'ignorait encore - ou pas. Ra's Al Ghul l'avait-il mis dans la confidence ?

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Fesses contre table, Talia, dont les mains étaient posées derrière elle sur la surface en pierre, leva les yeux au ciel à l’évocation de Green Arrow. Digérerait-elle seulement un jour la souffrance et l’humiliation qu’il lui avait fait subir par le passé ? Tout semblait encore si présent. Depuis qu’elle avait échappé à la mort, elle n’était plus elle-même ; et c’était définitif. Elle n’avait pas toujours, pour ainsi dire presque jamais, le contrôle sur les émotions trop fortes qui la submergeaient. Colère ou désir, elle succombait dès lors qu’elle ne parvenait plus à respirer correctement. Et elle devait ce manque de discipline, ou plutôt de résistance, à son petit plongeon dans le Puit de Lazare. Et donc, par extension, à cet enfoiré. Entendre Ra’s évoquer un partenariat la fit frissonner et elle feignit d’avoir un haut-le-cœur. Néanmoins, cette raclure serait un allié de poids dans leur combat contre la branche pourrie de la Ligue et Talia ne pouvait le nier. Elle devait penser à l’avenir de son héritage avant tout le reste. Et elle devait absolument rester en bons termes avec son ancien amant pour espérer accomplir ses desseins. La Fille du Démon appuya nonchalamment sa joue sur sa propre épaule en regardant Bruce, le défiant officieusement d’encore parler de son ennemi et, officiellement, de trouver des solutions pour régler leurs problèmes.

« Très bien, lâcha-t-elle seulement. Nous ferons les déplacements nécessaires. »

Il était rare qu’elle parle si peu mais, maintenant que Batman était le nouveau Maître de la Ligue, elle ne pouvait constamment discuter les ordres. Elle se devait de lui laisser de la place si elle souhaitait qu’il puisse prendre son nouveau rôle à cœur et s’y investisse le plus sérieusement possible. Lorsqu’il évoqua une histoire d’expériences génétiques à partir de la chimiothérapie, Talia fronça les sourcils. Combien diable son père avait-il eu de projets  dont elle ignorait l'existence ? Nyssa le savait-elle ?

« Il me surprendra toujours, même mort, dit-elle avec une froideur quasiment incompréhensible. Qui d’autre est au courant ? Et toi, comment l’as-tu su ? »

Elle s'interrogeait sur la fiabilité des informations fournies. La brunette croisa les jambes puis se mit à les balancer distraitement. La chaleur de la pièce était désagréable. Pas étouffante pour une femme quasiment nue mais, néanmoins, Talia préférait l’aridité du désert à l’air brûlant stocké entre quatre murs.

« Elle tente de rallier des assassins, voire des gens extérieurs, à sa cause. Elle est désespérée. Je m’attends à ce qu’elle tente de manipuler des personnes puissantes qui ont une dent contre nous. Après tout, c’est du pain béni qu’on lui offre. »

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Son père avait toujours poussé ses hommes jusqu’à l’épuisement pour qu’ils se révèlent, mais Talia n’avait pas imagé qu’il puisse aller jusqu’à faire des expériences pour les transformer en mutants. Comment rendre le monde meilleur quand on se lançait dans la création de monstres ? Comment s’assurer de leur fidélité alors qu’ils étaient peut-être trop modifiés pour conserver la bonne part de leur humanité ? Pourquoi de tels sbires quand il avait déjà pléthore d’excellents assassins à son service ? Ils n’étaient pas meilleurs qu’elle ou que Batman, mais ils n’en étaient pas moins des adversaires redoutables. Cependant, à bien y penser, cela était intéressant : pensait-il être capable de les abrutir ou de les intimider pour les garder sous sa coupe comme d’obéissants petits agneaux ? Perdue dans ses pensées, la Fille du Démon continuait de balancer ses jambes tout en fixant la carte sur laquelle s’étaient multipliées les croix au fil des mois. Batman soupirait comme s’il avait tout le poids du monde sur les épaules. Il n’en était pas encore là, mais pas bien loin.

« Des méta-humains… il devait se sentir menacé, souffla-t-elle pour elle-même, ou alors il avait juste très envie de te casser la gueule. »

Elle releva ses prunelles aussi noires qu’une nuit sans étoile. Il était difficile de savoir si elle plaisantait ou si elle était terriblement sérieuse. La colère semblait s’être évaporée, ne laissant qu’un voile d’impassibilité sur le ravissant minois de la tueuse. Elle avait trahi son père, sa sœur, ses hommes, pour laisser l’ennemi numéro 1 de sa famille s’emparer d’une place qu’il n’avait pourtant jamais souhaité avoir. Mais c’était la prophétie, l’incontournable prophétie, et Talia avait désiré s’y tenir coûte que coûte. Sûrement parce qu’elle était encore trop nostalgique à chaque fois qu’elle pensait à sa mère.

« Je pensais être au courant de presque tout ce qui se passait dans la Ligue quand mon père en était encore à la tête. Je constate que ce n’est pas le cas. Je me demande combien de surprises nous allons encore avoir, Bruce. »

Elle glissa la pointe de son pied contre le mollet de son camarade et se mit à le remonter avec lenteur le long de sa cuisse. Elle se lançait toujours dans des jeux dangereux. Davantage encore quand Bruce Wayne en était l’un des joueurs. Elle n’ignorait pas sa relation ridicule avec la marâtre du club, ni même qu’il feignait constamment d’être trop occupé, ou trop sensible, pour avoir le temps de baiser, mais elle n’avait pas peur de se brûler les doigts.

« J’irai à Moscou, puis je reviendrai pour parler à l’une de mes plus fidèles lames. Je l’ai formée moi-même et elle ne me tournera pas le dos. Elle devrait néanmoins savoir que nous travaillons ensemble maintenant, précisa-t-elle. Je suis certaine que Nyssa et ses nouveaux copains chercheront à recruter le moindre rat pestiféré. »

Elle se pencha davantage en arrière pour permettre à son pied de progresser plus loin avant que, inévitablement, Bruce ne songe à l’arrêter.

« Mis à part Green Arrow, Nyssa et tous nos autres petits problèmes, est-ce que je peux pimenter notre relation ou tu comptes prétendre être trop usé par la vie pour être capable de bander ? Ah, et je ne place aucune crédibilité dans une justification impliquant mon physique ou ma santé mentale, ajouta-t-elle en arborant un large sourire qui égaya son visage. Me parler de ton amour pour une ex rendrait la situation plus dramatique mais épargne-moi cette écœurante possibilité. »

Talia se redressa en position assise puis harponna la cuisse de son ancien amant pour le tirer jusqu’à elle. Il retrouva sa place initiale entre ses jambes – celle qui avait longtemps gardée avant de tourner le dos à Ra’s Al Ghul.

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Trouver des survivants, les recruter ? Talia écoutait Bruce avec l’attention d’une collégienne en plein cours d’histoire. Elle était à la fois intéressée et terriblement lasse. N’avaient-ils pas plus important à faire pour l’heure que de chercher des erreurs de la nature ? Elle ignorait les pouvoirs dont ces dernières étaient dotées ou même si elles possédaient encore une once d’humanité, mais anéantir des traitres – de son point de vue biaisé – lui semblait plus urgent. Elle pouvait le suggérer à Ra’s ; mais elle n’était pas convaincue qu’il accepterait après ce qu’il avait vu dans la villa de Don Ibanez. La Fille du Démon n’était pas du genre à faire des prisonniers. Elle essayait, elle faisait les choses avec de bonnes intentions, puis une parole de travers la faisait vriller. Qu’y pouvait-elle, après tout ? Green Arrow était le premier à blâmer. Et Batman le deuxième ! L’un comme l’autre l’avaient abandonnée puis poignardée. Oliver Queen lui avait tiré des flèches dessus, la blessant mortellement. Bruce l’avait quittée puis il avait brûlé son temple. Il avait aussi demandé de l’aide à ce type alors qu’il n’ignorait pas leur passif.

Il commenca à parler de lui, de ce qu’il était devenu. La brune referma ses jambes autour de lui et tendit l’oreille. Rien de ce qu’il disait ne l’intéressait réellement. Talia était insensible aux discours intimistes. Les mains larges et puissantes de Bruce remontèrent le long de ses cuisses jusqu’à ses hanches. Impossible de réprimer le frisson qui dévala son dos. Ses prunelles noires et chaudes restaient fixées sur lui. Elle avait tout d’un serpent attendant l’épuisement de sa victime. Elle connaissait suffisamment le nouveau Ra’s pour savoir qu’il n'allait rien faire. L’homme qu’elle avait connu n’aurait pas pipé mot ; il l’aurait sauvagement embrassée. N’éprouvait-il plus rien pour elle, plus rien du tout ?

« Partie du package ? Quelle vision grossière de la femme qui t’a rendu la fortune qu’une autre t’avait dérobée, ricana-t-elle en insistant sur le mot pour souligner son amusement tandis qu’il posait sa main sur son cœur. Maîtresse, compagne, que de mots compliqués pour une simple session de sexe improvisée ! »

Elle pressa ses lèvres l’une contre l’autre comme une gamine chagrinée à cause d’un amoureux auquel elle aurait offert une boîte de biscuits. Son interlocuteur était en train de s’épancher. Lui qui n’était pas du genre à parler de ses sentiments était soudain conteur professionnel. Devait-elle sortir un violon ou directement faire appel à un orchestre ?

« Oui, Ra’s. Satisfaisons tes désirs et oublions ceux des autres, n’est-ce pas là le principal ? répondit-elle alors qu’il venait tout juste de la repousser. »

Il venait de lui rappeler son rôle principal : l’assister. En quoi cela les empêchait-il de s’envoyer en l’air ? Y avait-il une clause précisant qu’un orgasme pourrait ruiner leur contrat et leur avenir ? Talia descendit de la table et dégagea sa longue crinière brune en arrière. Elle pencha ensuite la tête sur le côté comme pour mieux entendre son discours ennuyeux.

« Ah, oui, la morale. Je l’attendais même si j’ai du mal à saisir pourquoi tu me la fais maintenant. Est-ce que te proposer de coucher avec moi était une vilaine façon de prendre du pouvoir sur toi ? Je me souviens d’un homme qui adorait que je lui donne des ordres, précisa-t-elle en faufilant sa main directement entre les cuisses de son interlocuteur. Encore un peu de provocation et tu me colles un procès au cul pour harcèlement sexuel ? »

Tout dans sa voix était délicieux. La succube savait parfaitement ce qu’elle faisait.

« Tu es le seul à parler d’amour. Je ne t’aime plus non plus. »

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Talia, même si elle avait gardé un œil sur Bruce pendant toutes ces années, n’était pas certaine de le connaître autant qu’elle l’aurait souhaité. Lui aussi avait changé. Il avait vécu des évènements dont elle ignorait les retombées physiques et psychologiques, et elle ignorait l’existence d’autres. L’homme qu’elle avait entraîné, l’homme pour qui elle s’était emballée, l’homme avec qui elle avait tant de fois rêvé son avenir n’était plus si proche du portrait qu’elle avait peint une décennie plus tôt. La peinture s’était écaillée par endroits, obscurcie à d’autres. Elle devait rapprendre à le connaître, parvenir à l’apprivoiser. La Fille du Démon laissa tomber les mains le long de son corps en se relevant. Cette nouvelle affaire lui prendrait du temps – et elle n’était pas du tout patiente.

« Qui sait ? Sans doute ? »

Elle posa les questions plus pour elle-même que pour répondre à Bruce, un air absent sur le visage. Ra’s, dont la voix se faisait maintenant sévère, était déterminé à prendre son rôle au sérieux. En y pensant bien, Batman avait toujours eu cette manie de longuement réfléchir pour, ensuite, prendre une décision sur laquelle il ne revenait – quasiment – jamais. En outre, il avait pris celle de la repousser et d’assombrir son expression. Elle se rappela le feu, l’odeur puissante de la fumée et la peine de leur précédente rupture. Celle qu’elle n’avait jamais totalement acceptée.

Talia attrapa un jean noir et un t-shirt couleur sable qu’elle enfila sans piper mot tandis que son nouveau maître lui rappelait le but de leur alliance.

« Bien, abdiqua-t-elle en défroissant le tissu qui lui faisait penser à la mer brûlante du désert. Je partirai à Moscou dans trois jours. Est-ce que je dois accomplir autre chose entre temps ? »

Elle attrapa une brosse et se mit à peigner ses cheveux en observant Bruce à travers le miroir mordoré qui lui faisait face. Elle n’avait pas obtenu l’accomplissement de ses moindres petits désirs impulsifs et lubriques, mais elle savait que Batman devait affronter la ville dans laquelle il avait grandi. Celle qui l’avait vu devenir le justicier attendu de tous. Comment virait-il ses nouvelles responsabilités ? Faiblirait-il face aux ennemis, face à ses anciens alliés ? Talia pencha la tête sur le côté, pensive. C’était le moment de se rapprocher de lui. De se montrer loyale, croyante.

« Liam, appela-t-elle. »

Un homme à la carrure imposante passa sa tête dans l’embouchure de la porte.

« Réserve-moi un billet pour Moscou, dans trois jours. J’ai à faire. Je compte sur vous pour obéir à Ra’s pendant mon absence. Il faudrait également garder un œil sur certains endroits stratégiques que je suspecte d’être tenus par des alliés de Nyssa. Cette sale petite garce risque de nous retarder dans nos projets. »

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