/!\ ATTENTION CONTENU VIOLENT /!\
Les « plocs plocs » étaient insupportables. Cet égouttement était tout bonnement dégoûtant. Tout autant que les bruits de fornication, allègrement surjoué par la personne de sexe féminin. A moins qu’elle prenait vraiment son pied ? Alyssa pouvait avoir des envies sexuelles inavouables, mais de là à aimer ce genre de…
«
Ton tour ! »
L’ordre claqua à son oreille. Ce n’était qu’un murmure, mais un murmure qu’elle ne connaissait que trop bien depuis qu’elle était ici, enfermée dans cette cage. Au début, elle avait refusé, malgré l’envie irrépressible, irrésistible. Au début, elle en avait pleuré de honte. Au début, elle s’était détestée. Aujourd’hui, elle n’était qu’un reflet brisé d'elle-même, un reflet qui avait appris qu’il y avait encore pire que ce qu’elle s’apprêtait à faire.
Alors elle se relâcha. De toute façon, son corps entier tremblait à l’idée de se retenir. Depuis le début de la journée, elle était gavée d’eau comme on gaverait une oie avec de l’orge, et elle crevait d’envie de pisser, mais si elle le faisait avant l’ordre, elle risquait gros. Oh, elle l’avait déjà fait, au début, quand elle n’était pas encore totalement soumise à sa geôle, à son calvaire, à ses détritus de l’humanité. Qui était-elle au fond ? Quand on était la propriété d’un déchet, que restait-il de nous ? Elle préférait ne pas y penser tandis qu’elle serrait les barreaux de fer de sa cage suspendue au-dessus du couple et qu’elle s’accroupissait. Les jointures de ses doigts, blanchies par l’effort, la soutenait tant bien que mal, bien qu’elle ne pesât plus bien lourd. Elle sentait l’acier sous la pulpe de ses doigts, étrange réconfort du métal qui était aujourd’hui sa prison.
Après sa « petite golden shower » dégueulasse qui avait conduit le couple dans les affres d’un orgasme chaud et doré, elle avait été ramenée dans le camp de base. Le camp de base des moins que rien.
Un jour, elle leur ferait comprendre ce qui se passerait quand elle aurait les mains libres. Moralement, car physiquement, elle les avait. Mais tant qu’ils le tenaient… Elle ne pouvait rien faire réellement sans subir la pire des meurtrissures dans sa chair.
Les châtiments physiques, les viols à répétition, les punitions humiliantes comme celle qu’elle venait de vivre, tout cela elle s’en était accommodée, comme si son esprit s’était déconnecté de son corps pour se fixer à une toute autre réalité. C’était soit ça, soit la folie.
A moins que ce soit ça… la folie.
Andrew Davis était un homme mort. En sursis. Il ne le savait pas encore, mais ses jours étaient comptés. C’était une promesse qu’elle se faisait, dans cette réalité loin de son corps. Elle ruminait sa vengeance, passait en revue toutes les façons possibles de tuer un homme dans d’atroces souffrances. La femme de loi qu’elle était censée être il y a fort longtemps, quand elle était un procureur en devenir, avait bien luttée quelques jours contre ses différents plans moins légaux, mais désormais, la justice, elle la rendrait elle-même. Andrew Davis serait son exception qui confirmerait sa règle.
Andrew Davis était un homme… mort.
«
Mort… mort…», se répétait Alyssa en se mordant la lèvre.
Andrew Davis, c’était le gars qui l’avait charmée. C’était le gars qu’elle avait eu dans la peau. C’était le gars qui devait lui donner un beau mariage et un bel enfant. C’était son mec, son chéri, sa flamme, sa moitié, sa raison de vivre, son espoir du matin, son excitation du soir, sa fébrilité amoureuse. C’était son
Golden Boy.
C’était une rencontre banale, à la machine à café du tribunal, en pleine interruption de cession. Une rencontre banale qui se solda par un rencard, puis d’autres. Cet enfoiré avait construit son piège de la pire des façons : en la faisant tomber amoureuse de lui. Fiançailles, mariage, la naissance d’un enfant, et puis… Ça.
Il avait transformé sa vie deux fois, d’abord en un paradis, puis en un enfer. Un enfer doré, son
Golden Hell.
Il l’avait détruite sentimentalement, humainement. Elle revoyait ce jour terrible où ils s’étaient donnés rendez-vous dans un motel sordide en sortie d’une voie rapide. D’autres auraient pu sentir le coup venir, pas elle. Pas elle, parce que ce n’était pas la première fois qu’ils se lançaient dans des sortes de jeu de rôle érotique. Le scénario était placé, ficelé. Femme de pouvoir dans la vie, elle aimait l’être un peu moins dans la sphère de l’intimité. Elle retrouvait donc Andrew dans cet endroit, comme une fille de joie, pour vivre le frisson de la décadence. Il l’avait bien chauffée, avant de l’attacher au lit avec des menottes. Puis, il s’était levé, s’était rhabillé, et il était sorti, la laissant nue sur le lit. Au début, le vertige était là, cohabitant avec l’envie, le désir, la pression qui monte.
Il était revenu avec trois loubards, et son enfant. Un poupon emmailloté chaudement, qu’il tenait contre lui en gazouillant. La présence de son enfant alors qu’elle était nue sur un lit, exposée comme au premier jour, lui fit plus mal que les trois inconnus.
Andrew ne lui avait pas répondu, il avait simplement pris la main du poupin pour lui faire au revoir, affirmant qu’il ne reverrait plus maman. Le seul réconfort fut les pleurs du petit alors qu’Andrew quittait la pièce et qu’elle hurlait, la laissant aux bons soins des trois hommes.
Comment pouvait-on faire ça à quelqu’un qu’on aime ? Était-il sincère au début avant de connaître ses pouvoirs ? Ou bien était-il bien renseigné et s'était-il simplement servi d’elle ? De sa faiblesse…
«
Non de mon humanité et de ma capacité à aimer…» murmura-t-elle, amère. C’était le plus difficile à encaisser. L’humiliation était là, pas dans ce qui avait suivi. Ou bien était-elle partout… ?
Et puis, ces types tenaient son fils, et ils n'étaient pas les derniers pour lui rappeler qu'ils pouvaient lui faire tout et n'importe quoi.
«
Maman va te sortir de là mon chéri. » Elle ne pouvait que se raccrocher à ça pour ne pas sombrer. Accepter l’inacceptable parce qu’il avait une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Elle le protégeait, dans le but qu’il vive certes, mais aussi dans le but de le retrouver.
«
Nan pas encore maman, papa va jouir ! » répondit l’autre totalement hors du contexte, mais pas hors d’elle.
C’en était trop. Ce pauvre type n’y était sûrement pour rien. Il se cachait sans doute derrière son petit doigt (et sa petite bite) pour ne pas voir que les services et les sévices qui étaient proposés ici n’étaient pas légaux. Il payait certainement une belle somme pour en jouir, mais il allait payer pour les autres. Il pensait que son argent achetait tout, même de pauvres êtres humains prêt à tout faire pour le satisfaire, et cela lui semblait certainement normal, mais il allait se rendre compte d’une chose : son argent ne protégeait pas vraiment sa vie. Il allait mourir, encore plus riche qu’il ne l’était il y a cinq minutes.
Que lui vaudrait cette incartade spontanée ? En ce qui la concernait ? Probablement rien. Ils avaient besoin d’elle pour fabriquer de l’or. Car au-delà de rapporter de l’argent en la prostituant comme une esclave, ses géôliers se servaient d’Alyssa pour transformer des métaux en or. Ils gagnaient bien plus de cette façon, mais pourquoi se contenter de la laisser de côté alors qu’ils avaient une activité à faire tourner ? Elle était leur poule aux œufs d’or, elle pondait de l’or, et elle faisait la poule.
Voilà sa vie.Le seul qui pouvait payer était en liberté dehors. Mais là, après tant d’années, après tant de retenue, elle n’en pouvait plus.
Elle mobilisait son pouvoir. Elle le sentait emplir ses poumons, ses reins, ses doigts picotaient, sa tête bourdonnait. Il enflait comme une bête furieuse trop longtemps persécutée. Elle ne se contrôlait pas, elle ne se contrôlait plus.
«
Aureum tenaci.»
Un « bang » silencieux s’opéra. Elle utilisait les chairs du malheureux pour le transformer en statue d’or. La structure métabolique de sa peau était modifiée, carbonisée, puis altérée. Il serait vivant le temps de s’étouffer, à moins que la douleur ne fasse lâcher son cœur rapidement. Le temps que la transmutation alchimique s’étende à sa tête, le type hurla. D’autres cris se firent entendre, dans l’ensemble de la salle «
de la besogne » comme elle appelait ça. Les autres clients devaient être horrifiés de voir un homme se changer en statue d’or, si l’on pouvait être horrifié dans le monde actuel. Une statue figée pour l’éternité, le braquemart en porte étendard, une expression de profonde douleur sculptée sur le visage. C’était sa première victime, et certainement pas la dernière. Une statuette d’or, son «
Golden Oscar ».
La transmutation d'un humain était interdite. Elle connaissait ce précepte fondateur de son art, mais pas les effets d’une transgression. Alyssa joignit sa voix aux hurlements de panique et de douleur qu'elle pouvait entendre. C'était plus fort qu'elle. La douleur qu'elle ressentait surpassait sa résolution de ne pas crier. Le pire dans tout ça, c'était le plaisir malsain qu'elle ressentait en même temps. Jusqu'à ce qu'elle constate de fines stries dorées remonter le long de ses doigts, cristalliser sa peau. C'était élégant, très charmant, mais c'était de là que venait cette douleur perverse qui irradiait son cerveau et son entrejambe.
«
Alyssa. »
«
Mamie ? »
Elle lâcha sa victime alors que cet écho lointain s’estompait. Sa mamie était morte depuis longtemps maintenant, ce ne pouvait pas être-elle. Et pourtant… Sans ce tour de son esprit, sans cette intervention inexplicable, sans ce prénom murmuré, elle se serait changée en or, elle aussi. Elle savait que la magie de l’alchimie ne faisait pas de différence. Elle transformait de la chair… Elle-même en était faite, alors le pouvoir se transmettait dans son bras puis dans son corps. Heureusement, elle avait lâché à temps.
Alyssa tourna de l’œil, et plongea dans un sommeil qui n’en était pas un. Elle se souvenait des leçons de sa grand-mère, cette
Golden Mamie comme elle aimait à l’appeler. Sa mamie d’or, sa mamie alchimiste qui lui avait appris les rudiments, puis les fondements, puis les bases, puis les notions plus complexes de l’ensemble de son art. Une magie familiale héritée des contes et légendes autour de la pierre philosophale, à moins que ces contes et légendes étaient hérités des mystères autour des aïeuls d’Alyssa. Flamel par exemple, qui était considéré par beaucoup aujourd’hui comme un alchimiste ayant trouvé ou fabriqué la Pierre… Ce n’était pas tout à fait la réalité, car sa fortune venait pour beaucoup de placement immobilier, qu’il dilapidait à coup de petites rénovations autour des églises de son quartier parisien, rénovations dont les dessins pouvaient laisser penser à des rites païens de ce genre qui alimentèrent les spéculations qui lui sont désormais connues. Ceci dit, la réalité n’était pas loin non plus, car pour ce qui était de l’alchimie qui lui était associée, elle trouvait sa source en Pernelle, sa femme, l’ancêtre d’Alyssa.
Le pouvoir sautait une génération sur deux, et il ne se manifestait qu’au travers des femmes de la lignée. Aussi, son fils était démuni de ce pouvoir, mais s’il intéressait ces gens, si Andrew Davis le gardait en bonne santé et lui donnait une bonne éducation, c’était dans l’espoir qu’il leur donne une fille le jour où il serait en mesure de se reproduire. C’était ignoble. Comme toute cette affaire.
Son incartade lui avait valu un avertissement et des représailles, qui allaient s’avérer générales. Sans verser une larme, comme si elle n’en était plus capable, elle racontait d’une voix monocorde, lointaine, d’un air platonique de celle qui a définitivement l’esprit brisé et qui ne peut plus être atteinte, même par la souffrance d’autrui, quand bien même cet autrui serait la chair de sa chair. Elle avait son auditoire. Tantôt c’était elle qui écoutait, tantôt c’était un autre. Ils étaient plusieurs dans cette galère, une certaine Leslie, un certain Victor, et une Samantha. Ces trois personnes s’étaient naturellement rapprochées dans cet enfer, se soutenant moralement, et parfois physiquement, dans la limite de leur maigre moyen. Bien entendu, ils y en avaient d’autres, mais comme partout où l’humain apporte sa misère, les miséreux fabriquent un système similaire juste histoire d’avoir un semblant de contrôle. Aussi, des groupes s’étaient formés, un rapport de force était né parmi les esclaves, et une certaine forme de hiérarchie s’était installée. Alyssa et ses « amis » n’étaient pas épargnés par ces petites guerres intestines, comme si ce qu’ils subissaient toutes et tous ne suffisaient pas à alimenter toute la misère du monde.
Qui plus est, son statut de « favorite », qui ne tenait qu’au fait qu’elle était souvent emmenée seule pour exercer sa profession d’alchimiste, avait tendance à rendre les autres plus agressifs encore envers elle.
Pour l’heure, ils étaient dans leur coin, et elle racontait mécaniquement :
«
Ils m’ont montré une vidéo. Mon fils, il doit avoir sept ans maintenant, a été tabassé par des petits de son âge. Il a un bras et le nez cassé, selon ce qu’ils m’ont dit, les médecins pensent qu’il ne retrouvera pas la vue du côté droit, son œil est très abîmé… »
Alyssa haussa des épaules.
«
Je… je ne me sens même plus coupable… C’est un étranger. Ça fait plus de six ans que je ne l’ai pas vu… »
Elle devait se sentir horrible de ressentir cela, mais rien ne venait. Elle essayait de pleurer, elle essayait d’arracher les arabesques dorées sur sa peau pour faire venir les larmes, elle essayait de se convaincre qu’elle était une mauvaise mère, mais rien. Rien. Le néant. L’abandon. Le décrochage. La volonté d’en finir.
La porte de la salle commune s’ouvrit. Un type avec un masque de lapin entra. Toujours le même type, encadré par deux molosses avec des masques de pitbull. Il pointa de son pistolet la plèbe de malheureux qui leur servait d’esclaves :
«
Alyssa a été une vilaine fille. Tu sais chérie… dit-il en tournant les orifices de son masque vers elle,
Ta petite statue va être exposée. Travail magnifique, mais regrettable. Nous en ferons une force, du style : ici vous aurez un orgasme en or, quelque chose comme ça. Ou bien un porte manteau avec son…. » Il mima le phallus érigé avec son avant bras et son poing serré.
Mais il n’empêche qu’on n’attaque pas les clients. Etait-ce parce qu’elle le regardait avec des yeux de bulot qu’il ajouta à l’attention des autres personnes présentes ?
Comme elle ne semble pas percuter, privez là de ses « amis ». »
Les regards se tournèrent sans comprendre vers leur groupe, avant de se reporter sur leurs géôliers. Personne ne bougeait, jusqu’à ce qu’un type maigrelet à la voix nasillarde demande :
«
Comment ? »
«
Comment ça comment ? Tuez-les. Sauf Alyssa, mais vous pouvez faire ce que vous voulez avec tant qu’elle vit, pour un temps vous serez les maîtres. »
«
Mais… »
La tête du curieux qui ne semblait pas comprendre explosa en même temps que la détonation fut perceptible du pistolet. Tout le monde sursauta en hurlant :
«
Voilà un exemple de comment tuer quelqu’un ! Maintenant exécution !! Qui fait du mal à un client fait du mal à la communauté ! Vous mangez vos croquettes grâce à eux ! » gueula le lapin.
En fait, si elle ne pensait plus rien ressentir, Alyssa se trompait lourdement. Elle était terrifiée, mais pour la première fois depuis six ans, elle était aussi extrêmement en colère. Tellement que son gamin était passé en arrière-plan. Elle allait penser à elle maintenant. Hors de question que les soutiens qu’elle avait ici paient pour son dérapage. Hors de question de rester plus longtemps dans cet endroit. Hors de question d’attendre un quelconque jugement divin venu des super-héros de ce monde qui ne semblaient pas avoir repéré cet endroit dès plus sordide. Hors de question d’attendre une aide extérieure qui ne venait pas, hors de question de laisser son calvaire durer une minute de plus.
Passé le choc du tir, il semblait évident que les autres voulaient sauver leur peau, et cela passait par le fait de prendre la leur. Enfin… Celle de ses amis. Dieu seul savait ce qu’ils feraient d’elle ensuite. Tant qu’elle était vivante pour transmuter des métaux en or… A moins qu’ils ne voulussent plus d’elle, peut-être avaient-ils assez d’or ? Non, le schéma classique des criminels résidait dans le conventionnel : Toujours plus, toujours. Jusqu’à se faire prendre.
Tant pis, la justice ferait son travail de police en même temps. Elle serait juge et bourreau. Peut-être qu’elle comprenait un peu Dent maintenant. Peut-être.
Ce fut le pugilat. Le début de ce qu’elle qualifierait ensuite comme sa
Golden Escape. Ils se défendirent à quatre contre la horde démunie. Elle ne se rappelle plus de grand-chose, à part que ce fut un bain de sang. Elle transmuta des draps en acier qui leur servirent de masse improvisée et avec l’énergie du désespoir, les esclaves se battirent comme des chiffonniers. La situation se renversa quand l’effet de groupe se mua en rage contre leurs ravisseurs. Et tous se retournèrent contre les masqués. Mort pour mort, ils allèrent à l’assaut de ces types armés.
Quand elle posa ses mains sur le masque de lapin, il vivait toujours. Elle ne voulait pas voir son visage, elle voulait juste sentir la douleur en lui. Il était sur le dos. Sa respiration était difficile. Autour, ça se battait encore. Leslie gisait un peu plus loin. Elle s’étouffait dans son sang, une balle avait sans doute traversée son poumon. Mais Alyssa était hermétique au reste du monde.
«
Comme je regrette de ne pas avoir fait ça plus tôt… » murmura-t-elle en callant ses cuisses de chaque côté du torse.
«
Tu aimes ce pouvoir de vie et de mort que tu as sur moi... Nous ne sommes pas bien différent... »
«
C'est vrai. »
«
Mais, ton fils, tu viens de le condamner. » susurra difficilement l’homme.
«
Vous me l’avez pris il y a si longtemps. »
«
Tu ne le reverras jamais. »
«
L’or façonne pour l’éternité. »
«
Si tu… »
Elle ne le laissa pas finir sa phrase. Le masque chauffa avant de se mouler thermiquement à la peau de son propriétaire qui hurla à la mort. Il tenta bien de se débattre, de porter ses mains à son visage pour le retirer, mais elle le tenait fermement de ses cuisses. Ce fut une lutte atroce où elle retrouva, dans une moindre mesure, le désir pervers qui l’avait animé. Sentir ce corps se débattre sous elle, sentir cette souffrance en émaner, se sentir toute puissante, d’avoir ce droit de vie et de mort sur autrui… elle était grisée. Grisée.
Quand il arrêta de hurler et de gesticuler, elle se leva chancelante, pour s’écrouler près de Leslie. Victor était là aussi. Il ne semblait plus conscient. Samantha se laissa tomber contre le mur. Ils étaient tous les quatre gravement blessés. Leur fin était proche. Sam eut un rictus de douleur avant d’articuler doucement :
_
L’or façonne pour l’éternité… _
Je n’ai pas trouvé mieux… _
J’aime beaucoup, souffla-t-elle en posant ses doigts sur les marques dorées du bras d’Alyssa.
_
Economise tes forces. _
On a toujours dit qu’on sortirait d’ici ensemble. _
Je crois qu’on va y parvenir mais les pieds devant. Leslie et Victor… Sans soins, ils sont foutus… Toi aussi… Je vais essayer de... »
_
Chut, garde tes forces toi aussi, tu en auras besoin. Pour nous. »
Samantha fit un pâle sourire en prenant la main de la procureur déchue. Ses doigts caressèrent les parties métalliques de sa peau. Les filaments d’or s’étiraient de ses doigts vers sa poitrine. Ils convergeaient vers son cœur en suivant le tracé de ses veines. Alyssa y trouvait une certaine esthétique même si elle savait que quand son cœur serait atteint, ça en serait finit d’elle. De ce qu’elle savait, cet état était provisoire, et fort heureusement, parce qu’elle ressentait une certaine gêne dans ses mouvements, notamment pour ce qui était de ses doigts, là où les articulations étaient les plus rapprochées. Si elle persistait à utiliser l’alchimie sur du vivant, viendrait un moment où le provisoire serait définitif.
Mais de toute façon, c’était fini. Ils allaient mourir ici. Elle espérait néanmoins que certains parviendraient à s’échapper, que tout cela ne fut pas vain.
Une lumière vive s’échappa, aveuglante. Était-ce la mort qui venait ? Était-ce si beau ? Elle perdit connaissance dans ce halo de lumière. Oui, c’était la mort. Elle en avait l’odeur. L’odeur d’égout, de putréfaction…
Une grande bouffée d’air la ramena à la vie. Ou à la réalité. Elle avait mal de partout, mais elle était vivante. Elle était dans un charnier, un charnier à ciel ouvert. Autour d’elle, les corps des esclaves. Certains étaient dans un état de décomposition avancée, d’autres étaient tout frais. Les victimes de leur rébellion et d’autres qui étaient là depuis un ou deux jours. Un haut le cœur lui fit vomir toutes ses tripes quand elle prit conscience de sa situation. Un tremblement suivit du bruit sourd d’une machine qu’on mettait en route l’alerta, et à raison. Avec une horreur qui n’avait rien à envier au reste des circonstances, elle vit les parois métalliques se mettre en mouvement. Un putain de compacteur…
Paniquée, l’adrénaline coulant à flot dans ses veines, elle essaya bien de s’extirper, mais la valse des corps qui se rapprochaient l’entrainait inexorablement vers le fond de ce mélimélo humain qui n’allait pas tarder à se transformer en pâte visqueuse et informe. Elle eut, dans sa peur panique, la satisfaction de voir que le
Golden Rabbit était parmi les victimes. Le maître avait rejoint la plèbe dans la mort et bientôt, tous ne ferait plus qu’un. En touchant le fond métallique du compacteur, un éclair de lucidité lui permit de trouver une échappatoire : passer au travers.
D’une formule et de ses paumes appliquées sur la surface, elle se créa une ouverture dans l’acier, tombant comme une merde sous l’important engin industriel. Elle ne fut pas la seule à glisser forcément, et elle fut rapidement enseveli sous un monceau de cadavres. Bon an mal an, elle s’en extirpa en rampant alors que différents fluides commençaient à couler de la masse informe qui se faisait compresser au-dessus d’elle dans des bruits atroces qui la hanteraient certainement toute sa vie.
Il faisait nuit et l’air était frais, pour ne pas dire glacial. Vêtue simplement de ses habits de détention, c’est-à-dire d’une culotte en tissu, d’un pantalon en toile et d’un chemisier à manche courte, elle était transie de froid. L’humidité des différentes humeurs corporelles dont elle était imbibée n’arrangeait pas du tout sa situation thermique. Mais elle était dehors ! L’air frais, elle ne l’avait pas sentie depuis des années ! Il lui semblait désormais impératif de se tirer de là au plus vite, avant qu’on ne remarque le trou et la bouillie qui s’échappait. Elle courut vers le grillage, utilisa la même méthode et s’exfiltra de… De quoi ? Quand elle se retourna pour observer le bâtiment qui se détachait dans la nuit noire avec son éclairage extérieur, elle vit un logo sur la façade : Un chien tenant une cuillère qui tire la langue de gourmandise devant une boite de conserve de pâtée.
«
Putain... » murmura-t-elle.
Alyssa tourna le dos à ce charnier. Les halos d’une ville lointaine brillaient au loin dans la vallée.
Pour le moment, elle était en vie ; pour le moment elle avait survécu ; et elle savait précisément où elle devait aller. C’était une certitude qu’elle n’interrogeait pas. C’était une certitude qu’elle ne questionnait pas. C’était une certitude qui ne lui appartenait pas. Mais elle y allait. Elle allait vers son destin. Commun.
Elle n’était plus qu’un fragment de morceaux qui étaient difficilement assemblés, elle était une jarre brisée, elle était un assemblage, une multitude de pépites d’or incrustées dans un morceau de granit.
Car ce qu’Alyssa ne savait pas, c’était que cette certitude, cette sensation d’assemblage, de miroir cassé, de pépites assemblées, n’étaient pas anodines. A l’article de la mort, Samantha avait sacrifié sa vie pour sceller dans le corps de l’ex-femme de loi les âmes, les constructs de ses trois compères d’infortune, Victor, Leslie et Samantha. Elle avait tenu sa promesse : Ils étaient sortis tous ensemble. Ils étaient incrustés dans l’or qui s’était propagé sur ses propres chairs, au niveau de sa nuque. Quand l’effet provisoire s’estomperait de sa peau, il ne resterait que trois lettres gravées en or à la base de sa chevelure : S V L.
L’or façonne pour l’éternité.
Alyssa n’en avait aucune idée. Cet imbroglio de personnalité s’assemblait en elle sans qu’elle n’en prenne encore conscience. C’était frais, c’était récent… Pour le moment, elle était libre. Et libre, elle se dirigea vers son destin. Elle allait retrouver son enfant, Andrew Davis, et cette organisation, et si elle apprendrait à en aimer un des trois, elle n'avait plus aucun apprentissage à avoir pour détester les deux autres.
*Son destin loin de cette organisation qui s’était construite autour d’elle et de la manne financière, pour ne pas dire providentielle, qu’elle était. Ces criminels avaient saisi l’occasion de se faire de l’argent à moindre frais au départ, l’utilisant sous la contrainte pour générer de l’or à partir de métaux moins nobles. Le temps passant, il fallait brasser du cash, et le groupe s’était diversifié, tout en essayant de rester sous les radars. Ainsi était né les « Goldfish ». Jeu de mot douteux pour personnages douteux, ils avançaient à tâtons pour développer un business de traite d’humain à des fins récréatives pour le plaisir et le divertissement de ceux qui en avaient les moyens.
Son destin l’avait conduite à retrouver Gotham, ravagée. Bien plus ravagée qu’elle ne l’était quand elle faisait encore partie de sa vie, de son existence, avant son errance de six années. Ce décompte, elle le retrouva en consultant un journal. Le monde avait tourbillonné. Six ans. Si elle en avait eu un ordre d’idée, cette confirmation pragmatique et irréfutable lui avait mis un coup.
Les lacunes cette disparition, elle les combla au fil des jours qui passèrent, entre survie, déambulation sans but dans les rues, querelles de sans domicile fixe, soustractions aux crimes en tout genre, aux dépravations et aux tentations criminelles qui pouvaient attirer les gens dans le besoin comme elle. Son passé lui sauta à la figure, dans une ruelle, quand elle se retrouva avec une coupure délavée et presque illisible dans les mains, dont elle allait se servir pour s’essuyer après s’être soulagée. Là, dans les colonnes secondaires, un petit encart sur la disparition d’une vice procureur, envolée depuis des jours sans que personne n’ait de nouvelles. La photo de Davis en en-tête pour appuyer son témoignage et ses appels pour retrouver sa femme. La haine la submergea de nouveau. Ce type lui avait vraiment tout pris.
Comment la petite fille pleine d’ambition qui avait grandi dans un relatif confort financier, qui avait suivi des études de droit sans jamais faire de vagues, modèle à suivre et confiante dans le système judiciaire de son pays, en était arrivée là ? Où est-ce que ça avait merdé entre son enfance entourée de parents aimant, et son mariage ? Quand avait-elle baissé sa garde ? Comment s’était-elle faite avoir de la sorte ? Comment avait-elle perdue sa situation, son métier, sa vie ?
Errant de foyer d’accueil en foyer d’accueil, Alyssa montait en pression. Ce qu’elle voyait autour d’elle n’était pas tolérable. Gotham était en lambeau. L’absence de deux ans de la Justice League avait conduit les criminels de la pire espèce à prendre le pouvoir, à s’installer plus durablement, et maintenant qu’ils étaient là, accrochés comme des moules à leur rocher, il semblait manifeste que l’état de droit était dépassé. Le chevalier noir semblait l’avoir compris à son retour et si elle le détesta pour ça, pour cette faiblesse de faire passer un « bien » supérieur qui s’apparentait au mal, elle se dirigeait doucement mais surement vers cette voie. Comment pouvait-elle le blâmer de marquer un mari violent quand elle savait ce qu’elle ferait subir à son propre mari ?
Ainsi, Alyssa se prit en main. Elle fut un temps femme de justice, il était temps de la rendre de nouveau. Elle serait juge et partie, elle serait décisionnaire de peine et exécutrice de sentence. Elle serait victime et bourreau. L’alchimiste se façonna un masque d’or, et elle commença à rendre une petite justice dans le milieu des sans domiciles fixes. Qui du voleur de couette ; qui du violeur ; qui de l’alcoolique violent ; qui du petit dealer ; elle jugeait et elle condamnait. Si elle ne tuait pas, elle pouvait mutiler. A défaut d’emprisonner, ses peines étaient des châtiments corporels. Violeurs et violeuses étaient pourvus d’une ceinture de chasteté en métal, voleurs de mains en plomb, la seule limite était son imagination et sa manipulation des métaux.
Petit à petit, elle se ferait un nom dans les rues, en commençant chez les plus démunis. Tôt ou tard, elle allait devoir se frotter à ses organisations plus importantes qui venaient ponctionner dans la plèbe de nouveaux membres prédisposés ou pas à les suivre dans leur volonté de faire le mal. Et le jour venu, les « Goldfish » allaient boire la tasse. Elle n’avait pas vocation à changer Gotham ou le monde. Elle laissait ça aux plus « grands », même si finalement, ils n’avaient jamais été là pour elle. Finalement, Alyssa ne pouvait compter que sur elle, et sur son alter ego, en morceau, l’alchimiste en morceau qu’elle n'avait jamais laissé sortir jusqu’à présent. Maintenant, elle l’assumait. Alyssa Ward laisserait la place au Golden Nugget le temps de rendre justice.
Les justiciers étaient revenus dans un monde différent. Ils l’étaient eux aussi. Elle revenait elle aussi après un long périple, et elle était radicalement changée.