Rebirth from Ashes

Ai-je déjà mis pied au sein du Manoir Wayne ?
Non.

Evidemment, le lieu n'a jamais été inconnu pour la Ligue. Nous avons tenté d'infiltrer les lieux tantôt en trainant des espions à des postes anodins - femme de ménage, par exemple -, tantôt en piratant les systèmes que nous pouvions capter. Evidemment, toutes nos tentatives se sont soldées par un cuisant échec et, de temps en temps, une réponse plus ou moins sévère du Chevalier Noir.

Jadis, je ne comprenais pas la raison, persuadée que nous détenions des moyens illimités, des hommes et des femmes à foison et de toutes compétences et intelligences. Aujourd'hui, à force de côtoyer Bruce, je devine plus ou moins la raison de notre incapacité à déjouer le beau système construit par deux hommes - dont l'un repose dix pieds sous terre, maintenant. Nous, la Ligue, étions devenues obsolètes. Nous avons été trainé hors de notre idéal par un homme empoisonné par Lazare, nos méthodes n'ont jamais été questionnées et repensées, et nos recrues sont formés pour obéir et se sacrifier et non pour remettre en cause les supérieurs ou pour réfléchir à de nouvelles innovations.

Je ne sais pas encore quels sont les véritables plans de Bruce et encore la façon dont il va tenter de démembrer ma Ligue chérie. Toujours est-il qu'il m'a ouvert les yeux sur un univers des possibles extrêmement immenses et riches. Alors, si la Ligue se consume sur ses propres fondements, Elle renaîtra que plus forte sous mon contrôle absolu. Et si elle survit, Elle continuera son existence avec sa nouvelle Tête de Démon et sans mon influence. Je serais Léviathan, créature de ma propre destinée, grande décideuse de celles des autres. Car je survivrai. Car Bruce ne peut pas me détruire - sa morale comme notre histoire l'en empêcheront - comme je ne peux pas le faire - mon amour et ladite histoire me freineront.

Je déambule entre ces couloirs, m'attardant sur des millions de petits détails ayant pu survivre aux pillages successifs de Bane et Joker puis de squatteurs de moindre envergure. Là, la peinture défraichie prouve qu'il y avait un grand tableau imposant. Là, le meuble insolite indique qu'il portait un bel objet. Là, les restes d'un papier peint déchiré prouve que le couloirs n'a pas été rénové depuis trois décennies. Allez, petits yeux, ne vois-tu pas un indice - même infime - sur l'entrée de la fameuse Bat-cave ?

Je m'arrête aussitôt face à une peinture, celle d'un petit garçon entouré de parents aimants. Quelque chose me chiffonne presqu'aussitôt dans cette représentation. Le rêve d'une vie passée - et tuée par Lazare - ressurgit avec force et se fracasse contre la vile réalité d'un présent plein d'hypocrisie et incertitude. Nous ne vivons pas dans un monde qui permette un tel projet d'avenir. Nos tentatives respectives nous ont confortés dans cette idée : Bruce a été abandonné à l'autel, j'ai été abandonné sur une montagne.

Pourtant, cette petite vie doit surgir d'une façon ou d'une autre. Car elle est la réponse à la crise interne qui secoue et divise la Ligue - à défaut de reconnaître véritablement la légitimité de Bruce, beaucoup reconnaîtront celle du petit enfant de Ra's Al Ghul père. Car elle est la garantie de la survie de la Ligue - car Bruce n'osera plus détruire la force d'un fils, mais sera toujours ce chaperon de l'Ombre avec ses réformes et ses idéaux. Bougonne, agacée et étrangement gênée, je m'éloigne de cette chose qu'est l'image d'une famille.

Malheureusement, on m'interrompt dans mon excursion. Des hommes habillés bien joliment m'invitent à me diriger vers la pièce principale. Le maitre des lieux est arrivé et souhaite faire une petite annonce. Je me saisis d'une coupe nonchalamment, me mêle à la foule, glisse un regard à des lieux stratégiques où sont positionnées des visages connus. Les assassins sont là, tantôt serveurs, tantôt invités, tantôt hommes de la sécurité, tantôt chef ... Ils guettent qu'il n'y a pas de dangers, ils s'assurent que les clowns ne seront pas de la partie. Après tout, nous sommes sur leur territoire.

Rassurée de l'absence d'un signal d'alerte, je profite du début du discours pour humer le champagne du soir et fronce les sourcils. Je connais très bien la cave sélectionnée et j'ai déjà gouté à son bouquet par le passé - et à plusieurs reprises. Or, je suis certaine qu'il n'y a jamais eu cette odeur rance, qui m'arrache presqu'un haut le cœur. Le malaise grandit, encore, en moi. Quelque chose ne va, échappe à mon contrôle, me joue des tours. Je dépose la coupe sur le plateau d'un serveur qui passe.

Fonds de Solidarité pour Gotham. Soutiens politiques, économiques, sociaux. Elections. Soutenir les plus faibles. Combattre le chaos et la folie. Ensemble. Ensemble. Ensemble.

Le message est bien trop beau, mais il a un bel effet. Bruce Wayne sait capturer l'attention des foules, l'empathie des antipathiques et des avares, l'admiration des influençables et des idéalistes, l'amour des solitaires et des trahis, l'approbation des déchus et des solitaires. Je devine qu'il veut m'approcher mais la Tête de Démon est trop sous les feux de projecteur pour que je le laisse venir à moi. Alors, je m'adonne au jeu du chat et de la souris, le fuyant dès qu'il se dirige vers moi, me glissant dans les lieux les plus éloignés, les plus bondés ou les plus moins fréquentés.

Enfin, l'homme s'extirpe des flashs et des attentions, se mêle aux ombres et aux discrets. Nous sommes enfin seuls, libre de nous exprimer, libre d'être nous-même. Tigresse méfiante, je le laisse venir à moi.

- Gotham City a toujours été ton premier amour, mon bien-aimé. Tu l'aimes toujours, en dépit de toute la souffrance qu'elle t'inflige jour après jour. Tu auras toujours de l'énergie pour Elle, et tu seras prêt à sacrifier la Ligue, le monde ou toi-même pour Elle. Toute femme qui souhaite partager ta vie doit l'accepter comme une encombrante maîtresse. Je l'ai toujours su. Et je t'ai accepté en dépit de cet amour dangereux pour cette âme en peine, cette âme qui se traine, cette âme souillée par le Joker, Bane et tant d'autres.

Perruque noire coupe plongeante sur la tête, robe verte en soie sur ce corps, je ne cache nulle arme. Pour autant, je ne suis pas venue sans. Elles sont dissimulées auprès de mes assassins, chacun portant une arme en plus pour mon usage propre. J'hausse l'épaule nue, avec une nonchalance feinte. Quelque chose me tracasse en ces lieux, me met les nerfs à vif.

- Est-ce qu'Alfred me détestait ? J'ai la sensation que les fantômes qui trainent leurs guenilles au sein de ce manoir ne m'apprécient pas.  

Je ne me fais pas d'illusions. Il a dû voir ma nervosité, il a déjà dû s'interroger. Autant lui donner une réponse sous forme de question.

- A moins que ce ne sont pas les fantômes mais le futur qui m'inquiète. Qu'est-ce que la renaissance du Manoir Wayne signifie pour nous, exactement ? J'entends là toi et moi, mais aussi toi et la Ligue.  

Codage par Magma.

Nos déboires passées étaient principalement dues aux machinations de mon père. L’homme n’avait de cesse à torturer et à malmener Bruce, ou Oliver. Évidemment, j’étais sa marionnette, celle qui obéissait bon gré et mal gré. J’étais aussi son arme et son bouclier, celle que Bruce hésitait – jadis – à abattre, celle qui avait droit au bénéfice du doute. Aujourd’hui, cette faiblesse n’existe plus dans le cœur du Chevalier Noir. Elle est morte il y a bien longtemps, soit à l’autel où il a été abandonné par sa bien-aimée, soit dans ce saut multivers où il a découvert une autre destinée – ou possibilité. Qu’il est étonnant que l’homme reste homme, que le mythe n’est que mythe. Il est comme tout le monde. Les personnes qui le marquent le plus ne sont pas celles qui le brisent à coup de blagues, de rires et de folies, mais qui martèlent son cœur encore et encore et plus ou moins avec douceurs. Elles sentent le danger, elles ont des griffes ou elles sont divines.

Je ne suis pas jalouse de la proximité de ces femmes avec Bruce, mais plutôt de cette place qu’elles ont su occuper – voire conserver. La mienne a toujours eu ce goût du conditionnel, agrémentée de crainte comme de méfiance. Je le ressens à chaque échange, quel que soit le sujet ! Nous pouvons être proche physiquement, mais nous sommes encore à bien des années lumières de l’un et de l’autre. Il vise l’inconnu, je vise le monde. Quoi qu’il arrive, nos chemins se croiseront encore et encore, soit jusqu’à l’acceptation, soit la destruction. À cette pensée, je ne peux pas m’empêcher de passer une main sur sa crinière noire, puis la descendre jusqu’à sa puissante mâchoire.

- Tu es déjà au cœur du territoire de l’un de tes ennemis, mon bien-aimé. Le clown va être ravi de te tourmenter davantage.

Je l’attire doucement vers moi, mais sans le coller.

- Tu attaques l’épicentre du pouvoir d’un autre ennemi. Le Pinguin ne va pas rester les bras croisés.  

Je plonge le regard, maintiens encore cette courte distance.

- Je ne peux pas te laisser seul, entre ces murs, alors que tu secoues toute la fourmilière. Accepte la présence de quelques hommes loyaux, des vétérans qui ont prouvé leur valeurs. Ils sauront protéger Bruce Wayne, et Ra’s Al Ghul.

Je brise ce contact visuel, me détourne de lui et cherche quelque chose au travers de la fenêtre. Est-ce que cette fameuse tour de l’Horloge est visible ? Est-ce que je vais voir le reflet de quelques fantômes ? Rien. Il n’y a que les ténèbres, lui et moi.

Nous sommes bien beaux et forts.
Nous sommes bien parfaits l’un pour l’autre.
Et pourtant …

- Dès demain, nous nous mettrons au travail. Tu me diras si tu as une préférence particulière sur une configuration, ou un aménagement. Même si, j’avoue, j’aurais préféré ailleurs.

Gotham est le domaine de Bruce.
Gotham est la résidence de Selina.

Et Ra’s Al Ghul a décrété que la ville est sienne, et non notre, et surtout que Catwoman est une sainte personnalité. Si je tue ou blesse Selina, Bruce aura ma peau – je le sais. Mais qu’en est-il de l’inverse, ou d’un cas de légitime défense ? La voleuse est bien plus vindicative que je ne le suis. Nous nous sommes déjà croisés à une ou deux reprises, nous ne nous apprécions pas tout bonnement.

En somme, la ville est davantage un guêpier explosif qu’une opportunité pour la Ligue. J’ai à prendre mon mal à patience, et avancer mes propres pions délicatement et discrètement.

Je m’ébroue, je m’étire, je m’évade dans ces couloirs. Je sais que je n’ai pas à demander à ce cher homme de me suivre : il le fera. Comme il l’a si souligné, il est chez lui, et je suis davantage un parasite délicieux qu’une présence chaleureuse. Si ce n’est pas la curiosité qui guidera ses pas, sa méfiance l’y poussera assurément.

Entre temps, je me délaisse des talons négligemment et les déposent sur un socle vide, jadis un support élégant pour un vase sûrement hors de prix.  

- J’ai vu ton portrait. Ton regard n’a pas changé depuis que tu es enfant. Je me demande bien si les rêves de ce garçon sont les mêmes que celui de l’homme d’aujourd’hui.

Je suis revenue devant ce tableau. La preuve irréfutable que, quoique je fasse, mes efforts sont bien vains. Il ne changera pas en dépit de tous mes efforts et vice-versa. Oui, nous sommes bel et bien dans une impasse.

-Sais-tu que je me suis demandée ce qui aurait pu arriver si je t’avais suivi, lorsque tu as quitté abruptement la Ligue. J’ai imaginé bien des scénarios. J’ai enfin ma réponse.

Ma voix est pensive, mon regard dans le vague.

Codage par Magma.

- Avec moi à tes côtés, tu peux prendre tous les risques du monde. N’aie pas peur de lâcher ta propre folie avec mon aide, d’exprimer ce que tu n’oses pas pour que je l’accomplisse et en récolte ton blâme. Laisse-moi être le bouclier de ton âme.

Mon contact ne le dégoute plus, ou plutôt, ne le gêne plus. Il ne me fuit pas, ne me repousse pas et ne me menace pas. J’ai cette intime conviction qu’il s’est habitué à ma présence. Elle n’est plus un mal pour un bien – ou un mal nécessaire. Cependant, je n’ai pas l’audace de croire que j’ai gagné un quelconque droit ou rôle dans son monde bien obscure. Seules les naïves peuvent espérer éclipser l’ombre du chat de gouttière. Cette entente où désir, chair, cordialité et bestialité se mêle me suffit pour le moment. Elle trompe la solitude de l’homme, elle m’octroie quelques avantages, elle nous offre une illusion d’entente et de cohésion.

- Je ne vois pas un enfant au visage fermé et au regard triste. Attentif, il l’est, effectivement.

Il est assez étonnant d’observer les changements morphologiques d’une personne au fil des années. Certaines personnes aiment souligner l’immuabilité au temps de certaines caractéristiques physiques comme le regard. Je fais partie de ceux qui assurent que tout change, absolument tout. Le regard est le reflet de l’âme et ce dernier s’use et se cabosse au fil des ans et des épreuves. Alors, si l’âme – ou le regard – est le même depuis notre premier souffle, il a tout autant vieilli que nous et exprime une belle histoire. Celle de Bruce est emprunte de souffrance, de violence, de solitude et d’espoirs brisés.

- Aujourd’hui, je vois un grand rêveur, mais d’un monde bien différent, ni éclatant, ni sombre.

Je saisis sa tête délicatement, le force à me fixer tout droit dans les yeux et l’observe très longuement. Je ne brise pas la distance avec un baiser ou ce silence avec un mot. Je laisse les minutes s’écouler lentement et profite de ce laps de temps pour me balader sur sa tempe, ses joues, sa mâchoire et ses lèvres. Je pose finalement un index sur ses lippes, ordre silencieux qu’il ne prononce plus un mot.

- Je me demande bien ce que tu souhaites accomplir avec toutes les ressources, ou presque, de la Ligue à ta disposition et, surtout, à travers toute cette violence. A quel point t’es-tu éloigné de tes idéaux et de tes rêves lumineux.

Je n’espère pas une réponse.
Au mieux, il va simplement se taire et orienter la conversation au gré de mes caprices.
Au pire, il va me raconter une bien jolie histoire ou me faire taire de ses lèvres et corps.
Je cherche donc toute seule.

- Est-ce que tu veux vraiment connaître ma réponse ?  

Il a enterré le passé, il fixe le futur et il ne s’attarde pas aux opportunités fantômes. Sauf pour quelques rares personnes. Et je sais que je n’en fais pas partie. Dans tous les cas, est-ce que ce détail change véritablement notre histoire ? Nos caractères et ambitions respectifs sont établis et forts. Nous nous serions aimés d’une passion sans borne, mais nous nous serions détruits également – par bêtise, ou par intérêt.  

- Mais quel que soit le scénario et nos décisions respectives, je nous vois nous embrasser et partager des nuits de passion.

Je le libère de cet index, j’enroule mes bras autour de sa nuque et offre un baiser. Mes mains se baladent sur sa chemise, que je déboutonne à moitié. A bout de souffle, je reste toujours collée à lui. Alors, je lui susurre de nouveaux mots.

- Ce soir doit être mémorable, Bruce. Ce soir, tu es de retour chez toi. Ce soir est nuit de fête. Nul besoin de Batman et sa croisade, de Bruce et son masque, de Ra’s Al Ghul et son autorité. Et je ne serais pas la Fille du Démon, Myriade ou Léviathan. Et Lazare est loin. Trop loin. Il n’y a que toi et moi. Comme cette première nuit.

Car il y avait de la sincérité dans cette nuit. Et ce soir, j’ai peut-être envie d’un nouveau souvenir. Un dernier souvenir d’un long chapitre, ou le premier d’un nouvel et long acte ? Je ne saurais pas dire. Je l’embrasse à nouveau. Je suis à bout de souffle encore.

Codage par Magma.

Gotham est petit. Gotham asphyxie. Gotham est un huis-clos. Père avait bien raison de considérer cette ville comme la décadente Babylone. Les jardins suspendus sont des gratte-ciels, les temples sont les établissements de divertissement et les hauts lieux du pouvoir sont envahis par la vermine. Dans un tel environnement, nulle belle âme ne peut survivre : elle se brise, se déchire, se meurt.

Comme Bruce Wayne.

Le monde peut attribuer sa folie à son exil forcé ou encore à l’influence néfaste de la Ligue des Ombres, mais la vérité est tout autre. Il a toujours eu cette noirceur en lui, se disputant furieusement sa propre place sous la lumière des projecteurs. C’est lui qui décide de son destin. Il en a toujours été ainsi. Catwoman, Wonder Woman, la Ligue ou moi-même ne pouvons rien changer. Au mieux, nous sommes ses égaux et compagnons. Au pire, nous sommes ses outils. Dès lors, où est-ce que je me situe ?

Le maitre des lieux se présente : il a encore besoin de moi.

Poupée à l’apparence docile, je me laisse guider par sa propre volonté. Mon dos rencontre le verre froid de la vitre, avant de se décoller et d’être parcouru par des mains chaudes, quoique rudes de surface. Sa bouche ne reste pas passive, s’activant à parcourir cette peau qu’elle ne connaît que trop bien. Nous ne sommes plus étrangers l’un à l’autre : nous connaissons nos corps que ce soit à force de combats, d’entraînements ou d’amours. Je mentirai si je dis que je n’apprécie pas plus ou moins qu’un autre.

Au contraire ! Il est agréable qu’un autre connaisse notre corps aussi bien que nous, voire davantage. Il n’y a pas à penser sur la façon de guider de façon appropriée l’autre, à exiger ou à ordonner et à briser par la même occasion toute langueur ou lascivité ou encore à maîtriser ses propres défauts pour ne pas effrayer la pauvre chose – ou la tuer. Je peux véritablement me laisser aller entre ses mains ou encore véritablement dévoiler celle que je suis – toutes mes forces, mes faiblesses et mes folies.

Mais je ne suis pas une amante égoïste, qui se contente de son seul et unique plaisir au détriment de l’autre. Alors, lorsque je sens que ma matrice est suffisamment flattée par ses soins, je l’interromps en croisant mes jambes, relevant sa tête jusqu’à mon niveau et le couvrant à mon tour de baisers. J’inverse les positions, l’invite à se poser au bord de la fenêtre. Mains sur l’arrière de sa tête, je l’embrasse longuement, jusqu’à nous priver de souffle.

Je m’écarte, cale sa bouche contre un sein et lui susurre ces quelques mots.

- Un homme avec toi, de ton choix, de la Ligue ou non. Sinon, je risque de m’établir à Gotham, dans ce manoir même. Et t’étouffer de ma présence.

Ton moqueur évidemment, mais un fond de menace peut s’entendre. Quels que soient ses objectifs, il est – pour le moment – Ra’s Al Ghul et toute attaque contre lui est une attaque contre la Ligue des Ombres. Une situation qui peut changer à tout instant, à moins que le changement a déjà eu lieu et à mon insu. Si tel est le cas, je maudis autant mon manque de précaution que ce destin hasardeux. Rien, absolument rien, ne peut être laissé au hasard concernant l’avenir du futur Ra’s Al Ghul, l’héritier qui portera le sang de mon père à travers le mien mais aussi celui de cet homme parfait en bien des points et poursuivra l’œuvre de deux à trois générations.

- Je ne suis pas sérieuse. Gotham est trop petit pour un Léviathan.

Codage par Magma.

- Que vaut l'avis des moutons, pour des lions et seigneurs ?

Il y a bien plus important, actuellement. Bruce refuse la protection : il s’entête. Croit-il qu’il va pouvoir invoquer sa toute puissance Ra’s Al Ghul, son identité publique Bruce Wayne ou ses vieilles amitiés contrariées avec quelques hommes et femmes en collant pour m’empêcher de le protéger ? Qu’il peut être amusant et naïf à quelques occasions !

- Les agents obéiront. Mais nous pouvons également placer un agent à nous, à la tête de Gotham. Un agent qui obéira à tes ordres, qui fera de Gotham exactement ce que tu souhaites.

Je susurre, démone des tentations, démone de la folie. Un bon homme aime l'idée de garder les pouvoirs séparés, car il sait que la nature humaine est faible et cède à bien des tentations. Or, un homme puissant est celui qui a sacrifié bonté et humanité pour ses propres ambitions. Et je suis certaine que Bruce tient plus du puissant que du bon. Il a déjà du y penser, mais jamais oser s'y risquer. Aujourd'hui, il le peut que davantage ... et je veux l'y pousser dans cette voie. Il y a là, peut-être, une opportunité pour moi.  

Il prend de nouvelles précautions pour s’éviter de fâcheuses conséquences. Jadis, ses mesures m’auraient arraché un rire, voire auraient titillé mon sens du défi et du challenge. Aujourd’hui, je suis bien plus hésitante, m’interroger sur ces derniers événements et surtout sur ces troubles que je ressens au plus profond de mon corps. Est-ce simplement mon imagination, ou est-ce la conséquence qu’il ne désirait pas mais que je comptais façonner par la science, en temps et en heure ? Dans tous les cas, c’est une conséquence malvenue en temps – il y a trop à accomplir – et en moyen – il n’y a pas pire hasard que Mère Nature. Décidément, une conséquence indésirable autant pour lui que pour moi. Certes, j’aviserai le temps venu, lorsque j’aurais une réponse claire à mes interrogations.

Il s’éloigne, prêt à récolter nos vêtements. Je fais volte-face, suintante de son désir passé, me colle à lui ou plutôt à son dos et enroule mes bras autour de son ventre. Je ne reste pas inactive pour autant. Je presse ma généreuse poitrine, balade mes mains sur son torse puis son bas ventre et couvre de baisers ce que je peux à ma propre hauteur.

- Je suis agacée que je suis incapable d’apporter une réponse à ta douleur, mon bien-aimé. N’ai-je pas prouvé à bien des reprises que je t’aime qui que tu sois et quoi que tu fasses ? N’ai-je pas essayé de suivre ta voie, même quand elle m’agaçait ? Qu’est-ce qui t’empêches de me dire ce dont tu as besoin ? As-tu encore un doute sur ma loyauté ? Ce soir est ta fête. Ce soir, tu as droit d’être capricieux et égoïste. Penser à toi, uniquement à toi, quitte à blesser autrui.

Codage par Magma.

L’homme est extrêmement confiant de sa future victoire sur la ville de Gotham City. Il y a de fortes chances qu’il arrive cette prouesse-ci, mais en payant un prix lourd. Son silence est assurément nécessaire à la bonne poursuite de ses plans, mais il sème autant le doute que le désastre dans les rangs de ses ennemis et de ses alliés. Sur un sale coup du destin, il peut autant tout rafler que tout perdre. Est-ce un jeu d’équilibre, ou un jeu de bluff ? Telle est la question.

S’il n’est pas dans sa nature d’être égoïste, il est bien triste de constater à quel point ses décisions sont prises assez égoïstement. Il décide de l’avenir d’une ville, il impose ses conditions à toute relation, il prend unilatéralement ses distances … Il peut ne pas être égoïste, mais il est sacrément inflexible et entêté. Mais à quoi bon souligner l’évidence ? Il doit déjà être très bien au courant de ses grands défauts.

- Lorsque je deviendrais Léviathan, que je façonnerai le destin de bien des hommes et des femmes, dis-moi donc comment souhaites-tu que je façonne la tienne ?

Codage par Magma.

Gotham a toujours été à moi, assure-t-il. Quel égo ! Cette ville malade n’appartient à personne, car elle ne veut appartenir à personne. Elle contamine les bons, elle rend fou les mauvais. J'ai compris que la purification de cette ville nécessite plus qu'une révolution dans le cœur et l'esprit des gens. Ces derniers sont davantage des victimes, incluant le Joker, que les bourreaux. Il faut détruire complètement la ville : démonter chaque pierre, brûler les terres poisseuses, raser tout autre élément qui ose survivre dans cet air vicié ... Peut-être qu’avec des méthodes aussi radicales, un meilleur empire peut espérer voir le jour en ces lieux maudits.

Quelle belle idée.

Lazare se délecte de cette image de destruction, jamais envisagée jusqu'à maintenant, et se complaît déjà des sacrifices tant humains que matériels à venir. Si Saint Petersbourg l'a rassasié convenablement, la bête ne tarde jamais à réclamer davantage. Elle a toujours soif, toujours faim. Je ne cherche plus à la combattre : le combat est perdu d'avance. La chose est trop profondément ancrée en moi. Là où Bruce n'a gouté qu'à quelques gorgées, j'ai été plongée entièrement et totalement dans ces eaux putrides. Je n'ai pas fait face à l'ange de la Mort, dans cet état de demi-mort, mais Lazare lui-même. Et il ne m'a pas demandé si j'étais consentante à ce maudit pack : il a signé pour nous deux. Dorénavant, je temporise.

- Si tu détruis la Ligue, mon amour, il n’y aura plus rien à prendre. Il y aura tout à reconstruire. Si tu ne me hais pas, comme tu l’assumes, alors tu me laisserais la reconstruire.

Mais je n’insiste pas plus. L’homme est têtu, nos lois sont claires. Je suis pieds et poings liés. En prime, les lèvres de Bruce sur les miennes réduisent cette voix mesquine au silence pour quelques précieuses minutes.

- Mais si tu détruis la Ligue des Ombres alors que tu portes encore le titre de Ra's Al Ghul, alors tu vas être pris dans cette destruction aussi. Tu le sais déjà, n'est-ce-pas ?

Il me pousse en arrière, mais sans briser ce corps-à-corps. Qu'il est étrange de sentir un corps aussi prêt du sien et, pourtant, sentir un gouffre monumental entre nos cœurs ou âmes. Il dit qu'il m'a offert tout, et ce n'est pas un mensonge effectivement, mais il omet de souligner le conditionnel de cet abandon. La petite horloge me rappelle constamment que le temps passe inexorablement et que Bruce va bientôt tout lâcher - en m'incluant - et rétablir nos relations de jadis - ennemis. Enfin, il y a aussi cette petite voleuse, qui l'accapare corps et âme. J'aimerai bien qu'elle meurt d'un terrible accident - mais je doute, les chats ont neuf vies - ou qu'elle commette l'irréparable - un acte que cet idéaliste de Bruce ne pourra jamais pardonner. Ai-je à attendre, ou puis-je la pousser discrètement dans cette direction ? Voilà une bonne question ...

Peut-elle trahir encore ses amis et amants pour quelques chiffres et billets verts ?

- Mais tu es Gotham, comme tu le dis, comme je l'accepte. Ce choix sera tiens.

J'enroule mes bras autour de ses épaules et lui susurre ces quelques mots.

- Aime-moi ce soir comme si c'est le dernier soir pour toi et moi. Aime-moi comme un homme ivre d'être de retour chez lui. Et dis moi comment tu veux que je t'aime.

Nous ne sommes jamais certains des lendemains, surtout pour des gens comme Bruce et moi.

Codage par Magma.