Mortelle Maria

Mortelle Maria
N'a pas sa sa magie dans sa poche
(De mauvaise humeur? Jamais de la vie)
Mortelle Maria
Allez, poussez-vous les moches
(Et pas de pitié pour les gentils)

Je chantonne tout en me trémoussant dans la voiture. Si les Américains étaient connus pour manquer d’une sérieuse curiosité culturelle ou géographique par-delà leur pays, j’avais eu la chance de faire le tour du monde dans ma bulle alternative. Il faut dire que Daddy ne me laissait pas vraiment tranquille, me pourchassant inlassablement, au point de rendre la Terre trop étroite en termes de cachette !

Elle a bien des admirateurs
Comme le petit doc Jonathan qui la kiffe un max
(Il veut m'offrir son cœur mais craint le bistouri, cette andouille)
Maria adore les expériences
Au grand désespoir du petit chat Ajax
(J'ai tout essayé, le cyanure, la poubelle, la chute libre, le pitbull)

De temps en temps, j’essaye de communiquer cette joie et cette bonne humeur à mon coéquipier du jour. Malheureusement, il ne semblait pas partager tous mes goûts musicaux. Soit ! Ce n’était pas bien grave s’il existait quelques désaccords ou divergences d’opinion entre nous deux. Je dirais même que ces différences sont nécessaires pour une relation stable, et solide.

Y a Jonathan (c'est mon ami)
Une sorcière (c'est ma Zatanna)
Le petit Midnite (c'est mon grigri)
Et puis John (oh non, pas lui)
Il y a Saul (c'est mon zombie)
Et Enchantress (Euh, non merci)
Il y a maman (et son papa)
Jade, Miranda (des grosses dindes, ces filles)

Les paroles étaient autres, mais j’aimais les adapter dans ma petite tête. J’avais un peu plus du mal à trouver des équivalents pour Jade et Miranda. Je ne connais pas beaucoup de dindes encore vivantes, dans mon entourage. Je devrais peut-être demander à Jo-jo s’il n’avait pas quelques noms à donner. Je lui lance un regard, et je me tais aussitôt. Il semblait réfléchir. Je finis par abandonner mes écouteurs, et engager la conversation avec lui.

- Alors, alors ? Tu as bien aimé mes récents échantillons ? Cette fois-ci j’ai bien fait attention de faire une prise de sang avant et après administration de ton médicament, et de noter l’heure de chacune de mes interventions ! En plus, bonne élève, j’ai acheté une Go Pro pour les filmer tout au long, afin que tu puisses toi-même constater des effets de tes dernières découvertes, glissais-je, attendant une quelconque réaction.

Nous avions un accord, depuis quelques mois. Il acceptait de me fournir en produits hallucinogènes, testés ou non – selon mes commandes, et mes besoins – à prix cassé. En échange, je devais lui amener des cobayes selon ses critères – drogués, prostitués, mère, gamine, vieux, jeune, solide, malade etc …. Si j’étais dans l’incapacité de les lui amener – ou qu’il ne pouvait pas les recevoir ou les observer – , j’avais à jouer les infirmières. Bref, j’étais son larbin, son assistante, son âme damnée … quel que ce soit mon titre. Nous y avons trouvé notre compte.

Cependant, aujourd’hui, j’étais la commanditaire et il était mon petit jouet ! J’appréciais ce semblant d’ascendant que j’avais enfin sur lui ! Car oui, après de nombreuses semaines à gambader dans de multiples villes pour lui trouver ses rats de laboratoires, j’avais enfin droit à ma grande récompense : son assistance pour semer le Chaos sur Bludhaven. Oh, la ville était déjà en proie à la pire vermine qu’il soit possible, mais elle était encore bien calme en comparaison des Enfers. Or, je voulais les amener sur cette ville.

Elle allait être ma première expérimentation.

Le Doc affiche un sourire au coin. Je comprends que c’est principalement dû à notre discussion sur les cobayes et sur l’amélioration de ma prise de note. Fière de lui avoir arraché une précieuse expression, je bombe mon torse et élargit ce sourire à mes lèvres. En effet, Jonathan n’est pas un homme facile à satisfaire. Sa plus grande passion est la Peur, sous toutes ses formes. Cet amour démesuré pour une émotion ne laisse plus beaucoup de place pour d’autres plaisirs. Aujourd’hui, si je souhaite lui faire plaisir, mes chances sont plus élevées en lui faisant des offrandes humaines. Les packs de bière, les bouteilles de vin raffiné ou une promesse d’une nuit de folie sont des promesses aux résultats très aléatoires – potentiellement désastreuses. Or, j’ai besoin du Doc, de sa bonne humeur et, surtout, de sa collaboration. Il serait dommage que je lui force la main.

Malheureusement, l’amour de la peur est notre seul point commun. J’aime le sang et le chaos, mais je doute sincèrement que Jonathan accepterait de partager un bain horrifique avec moi. Pour autant, je ne perds pas espoir de trouver en lui – ou un autre – un partenaire pour plonger dans une baignoire remplie du sang de quelques innocents ! Oh, Bathory, tu as dû te sentir bien seule et incomprise ! Fort dommage que tu sois née trop tôt, ou que j’ai été conçu trop tardivement : nous nous serions entendues !

- Je souhaite que Bludhaven se renomme Bloodbath, ou BloodyHeaven, après notre passage !, répondis-je, guillerette.

La ville est entre les mains d’organisation mafieuse. Malheureusement, un statu quo règne, et les fusillades sont plutôt épisodiques et entre des groupuscules bien définies. Il n’est pas question d’un bordel si grand que même le citoyen lambda se traine avec un flingue, prêt à tirer ! Ces organisations humaines sont si décevantes : aucune n’a assez de tripes pour aller au fond des choses ! Il faut y remédier, et redorer la réputation sinistre de la ville ! A ce rythme, elle va devenir le nouveau quartier résidentiel de petits bourgeois fuyant Gotham City, capitale du crime ! Non, non, il faut mettre la main à la pâte avant qu’il ne soit trop tard ! Et puis, le Doc pourrait enfin se lâcher un peu plus, au lieu de tester encore et encore dans son laboratoire dans l’espoir d’atteindre la perfection. C’est qu’elle n’existe pas, la perfection !

- Je sais que beaucoup de scientifiques ne croit pas aux arts occultes, mais ils existent bel et bien ! Et je suis une fervente pratiquante ! rappelais-je, avec un ton plus sérieux. J’ai besoin de beaucoup, beaucoup …. Beaucoup de sang pour un rituel particulier. Et c’est là que tu entres en jeu, Doc, dis-je, ne pouvant pas m’empêcher de lui couler un regard plein de tendresse. Tu vas m’aider à répandre la peur et la paranoïa parmi tous les habitants de cette ville. Il faut que chacun soit prêt à tuer son voisin, ou son parent, pour un regard de travers ! , annonçais-je, attendant avec impatience sa réaction.

Nous arrivons, enfin.

- Nous allons utiliser le réseau de distribution d’eau de la ville pour couler nos poisons respectifs : toi et tes médicaments miraculeux, et moi et mes malédictions tragiques ! Puis, du haut d’un immeuble, nous assisterons au spectacle. Et nous admirerons les fruits d’un effort commun. Qu’en dis-tu ? demandais-je, m’étant déjà glissée à ses côtés comme un petit chaton.

Je lui avais présenté mon petit projet. Reste à voir s’il est toujours motivé, ou s’il va faire quelques chichis.

- Ce rituel va me permettre d’invoquer quelques amis … glissais-je, un sourire bien mauvais aux lèvres.

Je suis bien consciente que les fioles de Crane sont insuffisantes pour empoisonner tout le réseau de distribution d’eau de la ville. Je ne suis pas surprise. Au contraire ! Je commence à le connaître. Il est avant tout un savant fou considérant ses recherches comme le Saint Graal. Il ne duplique pas ses formules dans le large et imposante cuve industrielle, il traite des quantités un brin plus modestes. Pourtant, ce détail ne me gêne nullement. La magie n’a de limite que l’imagination ! Si son produit est insuffisant par rapport au volume d’eau à empoisonner, il suffit que je le multiplie grâce à quelques formules magiques !

- La ville est entièrement sous la coupe de différentes organisations mafieuses. Ici, il n’y a pas de Batman, de Jim Gordon, de Robin et j’en passe pour réguler tous les trafics et les règlements de compte, et les politiciens sont quasiment tous corrompus.

J’en profite pour couler mon bras sous le sien, me saisir de ses sacoches de l’autre main, puis l’entrainer dans les ruelles de ce coupe-gorge. Je suis à peine inquiétée. Ces pauvres âmes ne le savent pas encore, mais je suis actuellement celle au sommet de la chaine alimentaire. En prime, je suis accompagnée d’un des esprits les plus brillants de notre génération …

- Nous avons donc, déjà, une niche où règne la peur, la violence et l’horreur. Et pourtant, je considère que la ville est encore trop calme, soumise à une organisation décidée par quelques types qui aiment jouer avec les flingues. Je crève d’envie de voir ce qu’il advient de ces blocs de ciments et de bétons, lorsque les moutons apeurés sortent de leurs bergeries et s’attaquent férocement aux loups … Qui va avoir peur ? Qui va avoir la rage de vivre ?

Certains sont paralysés par une peur intense, là où d’autres attaquent aveuglément. Cette émotion est révélatrice, comme la colère, de ce monstre – ou de cette proie – qui sommeille dans le cœur de ces humains. Dans mon petit monde factice crée de toutes pièces par maman, je me suis amusée à ce jeu à de très nombreuses reprises ; tantôt dans des arènes sanglantes, tantôt en malmenant les plus grands politiciens.

Un frisson d’excitation me parcourt l’échine : nous allions tant nous amuser !

- Cependant, avant de nous rendre sur notre futur lieu de crime, nous allons d’abord nous reposer dans notre chambre d’hôtel, et en profiter pour discuter de mon plan ! Tu es libre de critiquer et d’apporter tes commentaires, ou me féliciter et m’adorer !, le tannais-je.

Et nous nous dirigeons, bras dessus, bras dessous – bon gré, ou mal gré, je ne le lâche pas. Les sens aux aguets, je suis presque à sauter à la gorge du premier crétin qui pense que mon compagnon et moi sommes de pauvres petites cibles !

Je sais que j’intrigue le Doc. A ce jour, le pauvre petit humain n’a toujours pas réussi à me causer quelques frayeurs. Il faut dire que l’affaire est ardue. Fille de démone, j’ai grandi dans une bulle temporelle où j’ai déjà affronté et dominé mes plus grandes peurs. Et, enfin, j’ai eu droit à quelques apprentissages dans les tréfonds de l’Enfer durant une bonne année, me mettant devant toutes les horreurs que l’Humanité peut produire – comme ce que tous ces démons peuvent imaginer pour punir les mortels. Dès lors, s’il ne peut pas obtenir ce qu’il veut de ma personne, pourquoi est-ce qu’il me suit exactement ? Est-ce pour une affaire d’éthique professionnelle ? Est-ce la curiosité scientifique vis-à-vis de mon esprit parfaitement étrange et dérangé ? A moins que ce ne soit pour toutes les possibilités que je lui fais miroiter constamment.

Nous ne tardons pas à arriver dans la chambre d’hôtel. Aussitôt, je m’affaire à dérouler des papiers et à sortir une tablette. Nous n’avons pas le temps à jouer à un remix tordu et étrange de Roméo & Juliette. Nous sommes là pour un grand plan ! Rien de plus, rien de moins, que tenter d’ouvrir les portes des Enfers – enfin, plus précisément, l’une des portes. Bludhaven sera une première tentative. Si l’expérience est satisfaisante, je n’aurais qu’à créer trois fissures dans trois villes importantes – Metropolis, Gotham, Star City et Belle Reve, une prison avec de hauts potentiels en termes d’âmes puissantes – pour définitivement faire déchainer toutes les créatures infernales sur Terre.

- Je vais sciemment causer un disfonctionnement du système. Ensuite, nous infiltrerons le centre en nous faisant passer pour de nouveaux employés dans la section des réparations et dépannages. Enfin, tu te feras passer pour un nouvel employé. Moi, j’emprunterai l’apparence de quelqu’un. Ensuite, nous en profiterons pour empoisonner l’eau et, surtout, bousiller les différents systèmes pour qu’ils ne détectent rien, immédiatement.

Il n’est pas question que le poison reste indétectable ad vitaem, juste suffisamment pour planter les premières graines d’une peur intense, insensée et folle. Entre temps, j’en profiterai pour occasionner une petite guerre de gang. Alors, il y aura assez de sang pour tenter une première brèche. Qui sait ! Peut-être que le haut maître des Enfers pourrait me récompenser, en m’offrant un brin de puissance ou des soutiens inespérés !

Naturellement, le plan présente quelques incertitudes. Malheureusement, il n’existe pas de crimes parfaits – sinon, il y a bien longtemps que tout le monde se serait jeté dans le dark side, comme les jeunes aiment dire. Il y a toujours ce risque que les forces de l’ordre, ou un type déguisé en collant, viennent te mettre une belle raclée et te condamner à Blackgate ou à quelques hôpitaux psychiatriques.

J'attends l'avis de mon compère.

Tout allait bien pour le meilleur du monde, jusqu’à ce que l’alarme se déclenche ! Et merde ! Je sens que je vais entendre le doc pendant longtemps ! Quoi qu’on en dise, il n’en reste pas moins le petit geek de laboratoire, préférant le confort de ses calculs, analyses et cobayes, que la réalité brutale, violente et surtout physique du terrain ! J’avoue, je ne suis pas extrêmement à l’aise de mettre mon rat de bibliothèque en danger ! Certes, nous avons un tantinet échoué dans cette affaire, mais rien ne nous empêche de retenter l’expérience !

Alors, je fais appel à tous mes talents dans le domaine de l’occulte pour nous sortir de cette infrastructure sains et saufs. Pour autant, je ne m’avoue pas si facilement vaincue et je balance quelques bombes tantôt sur les installations principales à vue, tantôt sur cette bande de malotrus qui pense pouvoir m’avoir quelques pauvres balles. Nous ne nous arrêtons pas jusqu’à ce que nous arrivions à nous extraire de cette situation explosive – au sens littéral du terme. Lorsque nous quittons enfin les environs, un soupire s’échappe d’entre mes lèvres.

- Pour des types de la sécurité, ils sont plutôt réactifs. Enfin, nous partons avant que toute la police non corrompue de Bludhaven ne nous colle aux fesses ! J’aurais bien voulu rester mais … Je ne peux pas te faire courir un risque. J’ai besoin de tes doigts, yeux, cerveau et tous ces organes qui te permettent de confectionner ces petites formules efficaces et drôles !

En peu de temps, nous sommes revenus dans cette chambre d’hôtel, puant et poisseux.

- Nous ferons un debrief demain. Il y a, peut-être, encore un moyen de propager massivement tes produits.

L’être humain reste un animal sociable. S’il ne cherche pas ses pairs autour des points d’eau, il va sûrement se rassembler ailleurs, autour d’un autre point commun ou un besoin vital. Il me faut une nouvelle idée et, pour cela, j’ai besoin de conduire quelques études d’anthropologie. Il faut que je me plonge dans le quotidien de ces gens et que je découvre leurs activités favorites, ou non, qui les obligent à se rassembler. Je dois également connaître, en détail, les rapports de force qui régissent cette ville et en jouer pour créer un chaos à l’égal de celui que je comptais faire en apportant un grain de terreur à tous ces habitants.

- Entre temps, il vaut mieux se reposer ! Preums’ à la douche !

Et sans un regard derrière moi, je me faufile dans la salle de bain.

Nul espoir que je l’embête ou que je flirt avec. Certes, je reste confidente que je transformerai Bludhaven en cimetière mais l’échec est toujours bien difficile à avaler à chaud. Dans ces situations-là, j’apprécie davantage un bon bain de sang, quelques joyeuses tortures ou une longue nuit de réflexion sur les mille et une façon de réduire à néant une jolie ville comme Gotham, Metropolis ou Star City !

En somme, j’ai besoin du temps pour moi et uniquement moi.