Papa Midnite n’était pas à la casa. Apparemment, il avait eu des envies de glauques et de sang, et avait bougé à Gotham City ! Cette nouvelle allait enchanter petit Adam. Le pauvre garçon commençait sérieusement à manquer de jouets. Il semblerait que la communauté magique avait subi un génocide de tailles. Les plus puissants étaient enterrés dix pieds sous terre, incluant la fameuse et célèbre Raven, et il ne restait plus que le menu fretin. Daddy et sa Zatachatte étaient des pépites d’or, dans un composte de fumiers.

Daddy, Daddy. Je ne l’avais pas vu depuis deux ans, quasiment. Sa bouille dépressive, ses paroles d’ivrogne ou son addiction à l’alcool et à la cigarette me manquaient sérieusement. Qui aurait pu croire que le pire père du monde allait manquer à sa fausse progéniture ? Il semblerait que la Solitude vous force à reconsidérer toutes vos relations, et à faire preuve de clémence et de bonté. Certes, j’avais mes deux frères et nous partagions plus qu’un lien de sang – une même soif de sang, et de vengeance. Cependant, je n’avais pas grandi avec eux, mais avec lui, ce brun à la figure aussi pâle que la mort elle-même.

Daddy, Daddy. Tu dors avec ta fidèle bouteille de whisky. J’aurais dû le savoir. Je finis par ouvrir ma propre bouteille et à renverser une partie à même le sol. J’en profite pour faire appel à mes pouvoirs, et me métamorphoser en une petite brunette de la vingtaine, au teint aussi blanc que celui de John. Je pousse le vice jusqu’à adopter la même forme pour mes yeux. Lorsque je constate que l’effet est des plus satisfaisant avec un petit miroir de poche, je quitte l’abri des ombres des arbres et m’expose sous la lumière d’un lampadaire solitaire.

Je feins de passer à ses côtés, en y jetant qu’un regard rapide. Je m’arrête presqu’aussitôt, et lui présente ma bouteille à moitié vide.

- On a les mêmes goûts, on dirait bien. Ça vous dérangerait de finir la bouteille ensemble ? demandais-je, me glissant déjà à ses côtés sans attendre une réponse.

Je croise aussitôt mes jambes, révélant deux jolies gambettes. Je ne cherchais pas à le séduire : je savais qu’il était vain. Il avait bien des défauts, mais il était loin de loucher sur une gamine de vingt ans quand une certaine brunette trainassait dans sa vie. Mes frères et moi connaissions bien le bougre. Il avait bien des qualités, sous cette masse de défauts.

-- Un sandwich se mange chaud, non ? dis-je, me saisissant du repas froid pour le réchauffer entre mes mains. Lorsque je le lui tends, il était chaud – presque brûlant. Pourquoi est-ce que je faisais démonstration de mes pouvoirs ? Pour la simple raison que John Constantine ne s’intéresse à rien d’autre qu’à l’occulte. Et je voulais qu’il me voie, qu’il prenne intérêt à moi, qu’importe que nous partagions ou non un lien de sang. -On peut trinquer, maintenant ? conclus-je, soulevant la bouteille au niveau de son torse, attendant sa réponse.

Oh Daddy, si tu savais seulement tout ce que je peux faire ! Tu me courrais derrière, dans mon univers factice fait de de toute pièce par Maman. Tu débutais constamment ta course avec l’espoir de me ramener sur le droit chemin. Et tu la terminais avec mille et une interrogation sur ta fibre paternelle, t’enfonçant davantage dans l’enfer de l’alcool. Ton alter-ego a tenu bon, malgré tous ces morts et toutes ces catastrophes ! Les cordes vocales se sont montrées aussi résistants, fonctionnant à merveille malgré tout ces cris de rage et de désespoir !

J’en ai encore de petits frissons ! Rien ne vaut ce sentiment d’impuissance que l’on peut lire dans le regard des parents, lorsqu’ils perdent leurs enfants – soit parce qu’ils sont morts, soit parce qu’ils deviennent cons ou mauvais. Encore aujourd’hui, j’aime me mêler discrètement à des familles lambda dans l’unique but de semer la discorde, et me nourrir de leurs peines, de leurs violences, et de leurs malheurs ! Rien ne vaut la famille, dit-on ! Ces gens ont bien raison ! Je préfère largement ce groupuscule d’humains liés par le sang, ou non, qu’à de petits amants ou amoureux.

- Ce n’est pas très agréable de dormir sur un banc. T’es plutôt mignon, t’as de quoi embobiner des nanas pour s’inviter dans leur couette ou l’arrière de leur voiture, dis-je, le ton faussement insouciant. J’suis juste une nana qui veut finir sa bouteille avec quelqu’un qui a du goût, mentis-je.

Je pourrais continuer ce petit jeu encore longtemps. Pourtant, une terrible et stupide idée me vient à l’esprit ! J’en ris d’avance !

- Ah, tu ne me reconnais pas ? , commençais-je. Je suis … Maria Constantine, ta fille, dis-je, m’amusant déjà de l’air d’ahuri qu’il allait afficher. Nan mais je déconne. T’es pas assez vieux pour être mon père. On m’a juste dit de venir te voir, si je veux apprendre des trucs sur les démons et tout.

J’avale une grande lampée de ma bouteille.

- On dit que t’es le meilleur exorciste des environs. C’est que … j’ai une copine très, très, très folle. Elle fait tous ces trucs dans les films de fantôme. La voix qui change, des cernes sous les yeux, le corps qui se convulse etc …

Je mens comme je respire.

Heureusement, la possession prend mille et une forme. Certains démons se trouvent des hôtes extrêmement résistants ou sensibles – et c’est partie pour un bras de fer entre les deux entités pour le contrôle du corps – et ou dociles, voire volontaires – et c’est le saint Graal démoniaque ! Je n’ai jamais eu ce souci, grâce à mon sang mêlé. Je suis née avec un corps humain, me donnant d’office accès au monde des Hommes sans peine ou difficulté. Or, les autres entités démoniaques ont besoin d’avoir suffisamment de force pour traverser un portail, puis encore des ressources pour s’emparer et garder un corps. En somme, c’est un parcours du champion que de s’installer dans les parages, pour les démons !

Oh Daddy, oh ! Que tu es mignon, à t’étrangler à moitié à la simple idée que tu puisses être papa ! Je conçois ta surprise ! Ce n’est pas facile de draguer des minettes avec une haleine de chacals et le teint de Voldemort ! En prime, si tu préfères dormir sur un banc, à la belle étoile, au lieu d’aller farfouiller dans le lit de Zatachatte, tu ne risques définitivement pas d’apporter un nouveau frère – ou une nouvelle sœur – à Saul, Adam et moi-même ! Il y a toute une éducation à refaire ! Heureusement pour lui, nous sommes arrivés !

- Mon prénom est bien Maria, fanfaronnais-je. Et c’est … ce type avec son fichu bar « neutre » qui m’a conseillé de venir te voir.

Il dit qu’il ne prend pas d’apprentis. Je le crois sur parole ! Déjà dans mon univers originel, il n’a pas été une figure paternelle extrêmement patiente ou pédagogique. J’ai dû apprendre par mes propres moyens, et en m’exerçant sur des clochards. Les expériences sur les animaux sont trop surfaites, et manquent de challenges ! Si les bêtes ont un sixième sens, elles l’utilisent davantage pour fuir face à un plus gros prédateur ! A l’inverse, les humains sont cons. Beaucoup reste, croyant naïvement qu’ils pourraient battre une demoiselle frêle.

- Ca se sent que vous êtes pas fan d’être un maître de stage ! Quand on est trop bon, on se fait vite chier avec les débutants. Je ne peux que comprendre, dis-je.

Il me demande de parler de cette copine imaginaire. Que devrais-je dire ? M’amuserais-je si je m’inspire de mon existence ? A moins qu’il serait plus intéressant que j’opte pour un copier/coller de l’existence de sa brunette chérie ? Comment puis-je le tourner en bourrique au possible ? Et subitement, j’ai l’idée de génie !

- En vérité, elle vient d’une grande famille de magicienne. Sa mère est morte en couche, et son père a disparu récemment. Il se serait porté volontaire pour un grand projet d’exorcisme et il se serait fait couic, dans le process !, commençais-je, mimant un type à la tête coupée. Sa fille a essayé de le contacter, et elle s’est faite possédée. Voilàààà !

Je me lève aussitôt, et prends déjà la direction d’une destination que je suis la seule à connaître.

- Tu me suis, ou quoi ?

Que le jeu du chat et de la souris débute pleinement. Où je suis la prédatrice et lui, la proie. Je dois lui montrer qu’il n’est plus à l’abri, maintenant que je suis là.

La direction de Maria ! :

- Je vois. Tu es le chat noir de l’espérance de vie des magiciens et des exorcistes en herbe. Il y a de quoi se bourrer et s’allonger sur un banc de New York, me moquais-je, sans aucun scrupule.

J’ai moi-même causé quelques terribles et horribles morts aux apprentis de faux papa dans l’univers factice. Un frisson d’excitation me parcourt naturellement, en même temps que la nostalgie me prend à la gorge même. Oh, toute cette course poursuite me manque ! Cependant, Saul a bien raison. Je dois faire attention de ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Je dois, avant tout, apprivoiser cette nouvelle réalité – et m’assurer de la force de John Constantine et de ses alliés – avant de me révéler convenablement.

- Oh, tu sais. Le deuil et toutes ces conneries, ça fait faire quelques bêtises aux gens. Ils en oublient l’essentiel, bien souvent ! Si ce que tu dis est vrai, tu as dû souffrir et être suffisamment en deuil pour le comprendre, n’est-ce pas ? , rajoutais-je, enfonçant un peu plus cette lame sadique dans son esprit, son âme et son cœur trop tendre et moelleux.

Oh, j’ai vu tant de souffrances et de folies durant cette période charnière. Combien de fois est-ce que ce brun a sombré dans le plus profond désespoir ? Combien de fois l’ai-je mis pied au mur, pieds et poings liés, prêt à accomplir les actes les plus abjects pour m’avoir ? Si, souvent, il est sauvé par quelques amis, ces derniers finissent toujours en agneaux sacrificiels. Lorsque la bulle alternative a éclaté, j’étais à deux doigts de briser cet homme et de le retourner contre tous ses principes – et ses promesses. Je dois admettre que j’ai été considérablement frustrée. C’est le travail d’une vie factice qui a été gâché !

Je ne réponds pas à sa dernière question, et poursuis ma route. Il pourrait retenter et m’interroger sur cette fameuse destination : je ne quitterai pas pour autant ce silence que je m’impose. Il pourrait, aussi, user de la magie pour me faire parler. Qu’il ose donc ! Je suis largement parée pour y répondre avec la même force, si ce n’est plus ! Entre temps, je farfouille à l’intérieur de ma poche et mets la main sur une petite pomme – ou plutôt, un objet imitant parfaitement une belle pomme rouge. Un sourire mesquin s’étire sur mes lèvres. Je remets la petite chose en poche, et continue mon chemin allègrement.

- Et nous sommes arrivés à destination, black cat! , dis-je.

Nous sommes devant les appartements de Daddy. Je me retourne vers lui et le fixe avec un sourire bien mauvais aux lèvres. Comprend-t-il, enfin, qu’il a été mené en barque ? Allez, espérons que l’alcool n’a pas détruit ses derniers neurones.

- Je te connais plus que tu ne le crois, figures-toi. J’étais curieuse de savoir ce que tu devenais, dans ce monde. Et, sans surprise, tu es toujours aussi minable Daddy ! Toujours aussi désespérant. Il va être bien drôle de briser tes copains et tes copines, surtout la petite Zat-chatouille ! , dis-je. On va se revoir très bientôt, je te l’assure.

La fausse pomme en main, je le lui balance. Celle-ci s’activera bien vite, se révélant être une bombe fumigène. Je gagnerai quelques précieuses secondes pour fuir. Certes, j’ai désobéi à mes frérots en allant à sa rencontre mais tant pis ! Cette brève rencontre m’a suffi pour ranimer cette flamme – et envie – de reprendre le jeu du chat et de la souris.