New allies or old allies ? [Terminé - Intrigue III]

Green Arrow et Batman ont raison : je ne peux pas décider seul. Je dois travailler en équipe avec la Justice League, ou ce qu’il en reste. Je dois être honnête et franc avec ses membres : ils le méritent chacun. J’essaye de les contacter tour à tour.

Bruce a indiqué qu’il n’était pas dans le pays, ne développant pas davantage les raisons de son absence. Je ne m’offusque pas. Il nous avait appelé et réuni dès notre retour, mais nous avons manqué d’énergie, de volonté et de combativité. Lui, il a continué ses combats, il est allé chercher ses solutions. Vers qui, vers ou et vers quoi s’est-il tourné ? Je n’en ai aucune idée.

Oliver a indiqué qu’il est prêt à me contacter, même si je sens une certaine tension – ou fatigue- dans sa voix. Il se bat également, mais plus discrètement. Contrairement à Bruce ou à moi, je sens qu’Oliver a plus d’espoir ou de volonté que nous.  L’avenir de notre association va donc reposer davantage sur ses épaules.

J’attends encore des réponses de Diana, Arthur, Barry ou Victor. Si je pensais connaitre l’Amazone, les récents événements m’ont convaincu du contraire. Cette absence, ou plutôt cet emprisonnement, dans les univers alternatifs nous ont changé. Je ne l’ai plus vu depuis notre dernier entretien, ni personnellement, ni ou que ce soit.

Sommes-nous toujours unis ? Une question qui me taraude et qui m’inquiète, ravivant des peurs et des craintes profondes et encore trop récentes.

J’arrive au lieu de rencontre bien avant l’heure, profitant de cet instant de solitude et de calme pour plonger mon regard dans l’observation du ciel étoilé. Sous cette épaisse couche de pollution, de simples yeux d’humain ne voient pas la beauté de l’espace. Je les plains, quelque part, de ne pouvoir admirer toutes ces lumières qu’à travers des photos.

Il arrive. Je le salue, sourire rassurant aux lèvres mais regard assurément sérieux. Je me décide à prendre la parole.

- Merci d’être venu, Oliver. Je sais que tu es occupé, et que notre dernière discussion n’a pas été agréable, commençais-je calmement. J’ai pris le temps de réfléchir sur tous ces derniers événements. Toi, Bruce et Loïs avaient apporté un point de vue différent dont j’ai grandement manqué, et ma récente confrontation avec Dru-Zod m’a également rappelé à l’ordre, continuais-je. J’avais signalé à chacun que le Kryptonien était de retour, suite à ma confrontation. Enchantress et Black Adam semblent faire alliance, Zod s’est échappé de la zone fantôme soit par ses propres moyens, soit soutenu par quelqu’un sur Terre, les ennemis de Batman sont toujours plus audacieux et plus dangereux. Face à ces dangers, il est temps que nous décidons si la Justice League va agir, ou non. Je me tais quelques secondes, avant de reprendre. Je refuse d’agir sans faire quelques aveux, et savoir si j’ai encore ma place, ou non, à tes côtés en tant qu’ami.

Je me tais à nouveau, subitement gêné et incertain. Il a été plus aisé d’en parler avec Loïs. Là, je suis bloqué encore.

- J’ai vu plusieurs mondes. Certains sans Superman, certains avec Superman. As-tu rencontré ton propre alter-égo dans l’un de ces mondes, Oliver ?

Je n’ose pas aller plus loin immédiatement.

- Je n’ai pas changé d’avis, Oliver. Je ne suis pas naif au point de croire que la Terre ne serait plus en danger : j’espérais avoir suffisamment de temps pour former la nouvelle génération, ou pour développer suffisamment d’engins pour faire face à ce type de menace. Je repousse son échéance simplement, et elle dépendra grandement de la décision commune de la Justice League. Entre temps, je vais continuer à recruter et à former et, surtout, à trouver des moyens de restreindre ou de faire face à des dangers comme … des Kryptoniens ou entités de même acabit. Je suis prêt à tout, incluant partager avec vous des informations kryptoniennes, répondis-je avec lassitude.

Mes muscles se tendent, malgré moi. L’heure de quelques vérités approche, et je crains que ma volonté ne fléchisse. J’aurais aimé avoir mes alliés en face de moi pour régler la question une bonne fois pour toute. Malheureusement, je n’ai pas réussi à les réunir. Certains sont loin, d’autres sont cachés et enfin, quelques rares, refusent tout bonnement de me répondre.

- Tu as bien fait de te tenir à l’écart de ton alter-égo, Oliver. Je n’ai pas eu cette sagesse, surtout dans ce dernier univers, soufflais-je, me murant à nouveau dans le silence.

Je sens que la déconfiture gagne mes traits, que mes épaules s’affaissent et que mes traits se tordent. Vais-je réussir à dire quoi que ce soit ? Vais-je avouer le tout ? Où ai-je trouvé l’aplomb et l’assurance de me confier à Loïs ? Qu’en est-il de cet instant-ci ? Là, je le sens que tout pourrait me glisser entre les doigts en l’espace de quelques secondes.

- L’amitié et la confiance vont de pair. Ils sont indissociables. Nous avons combattu bien des dangers ensemble, en restant fidèles à nos principes et à nos idéaux, en tout temps et en tout lieu, commençais-je. J’ai bien des qualités et des défauts, mais j’aime croire que j’ai toujours été honnête et franc avec chacun, que j’ai toujours fait au mieux pour être à la hauteur de nos idéaux, de nos combats et surtout de ce signe que je porte constamment. Vous ne m’avez pas accepté parmi vous simplement parce que je suis fort, mais parce que je suis ainsi, continuais-je, sentant mon rythme cardiaque s’accélérer. Je peux continuer notre combat encore et encore. Je ne suis pas las, et je ne le serais jamais, face aux dangers.

Je ne mens pas. N’ai-je pas donné ma vie, une fois, pour sauver la Terre ? N’est-ce pas une preuve suffisante de ma loyauté envers ma terre d’adoption ?

- Je ne me sens plus en droit de porter ce symbole, ou de me battre à vos côtés, Oliver. J’ai perdu ce droit dans un univers alternatif, où j’ai eu à prendre des décisions aux conséquences lourdes. Il n’est pas question d’accidents inévitables ou à l’échelle d’un village, d’une ville ou d’une région, mais de décisions concrètes ayant coutées à toute une planète, susurrais-je, la voix tremblante. Peux-tu me rappeler les valeurs prônées par la Justice League, Oliver ? Est-ce qu'elles nous donnent le droit de vie ou de mort sur une quelconque vie, incluant sur celui d'un Tyran ? Que préconisent ces valeurs, lorsque ce Tyran n'est personne d'autre que son propre alter-égo, ayant détruit toute kryptonite sur terre et scellé la zone fantôme hermétiquement ?

Je me tais, inspirant profondément.
J’attends sa première réaction.
Je joue carte sur table, ce soir.

Si la colère et la honte me submergent à de multiples occasions, je n’interromps pas Oliver. Si j’ai imposé ma décision à lui, à Bruce, à Loïs, voire même à Wonder Woman – et par extension, à la Terre entière –, il a tous les droits pour exprimer ses désillusions, ses déceptions, ses colères et bien d’autres émotions. Quelque part, je n’en reste pas moins circonspect. Les événements ne datent pas autant, mais ils me semblent si éloignés – comme faisant part d’une autre époque. Comment me suis-je exprimé pour que tous et toutes croient que j’abandonne par fatigue, par oisiveté ou par caprice. J’ai sacrifié jusqu’à ma vie pour chaque habitant de cette planète, et je le ferais encore et encore. Là, aujourd’hui, j’opte pour un nouveau sacrifice.

Ou du moins, je le crois.

Les propos de Loïs, la présence de Zod, mes échanges passés avec quelques membres de la Justice League ont éveillé des doutes. Est-ce que je prends la bonne décision ? Est-ce qu’elle me permettra d’alléger ce fardeau dans mon cœur et pouvoir porter à nouveau ce symbole ? Au contraire, il se peut que je trompe complètement et que je condamne un nouvel univers à un destin funeste. Bien avant notre voyage dans ces dimensions, je n’ai jamais été indécis. J’ai toujours su quoi faire. Pourquoi est-ce que tout a changé ? Pourquoi est-ce que je suis incapable de me ranger dans une quelconque catégorie – bon, mauvais, sauveur, tyran et j’en passe ?

Oliver a raison : je ne suis pas ce tyran. Je sais le chemin qu’il a emprunté bon gré, mal gré, les obstacles qu’il a surmonté – ou face auxquels il a échoué – et surtout les différents facteurs qui ont influencé toutes ses décisions. Pour autant, je ne suis pas en paix. Si l’alter-égo disposait de son libre-arbitre, il en était de même pour moi. J’ai repoussé cet inéluctable fin par idéalisme et malgré tous ces morts qui se cumulaient, et j’ai franchi volontairement et consciemment cette limite que l’on s’était tous fixé – et surtout moi. Je ne suis pas revenu de là-bas aussi blanc comme linge …

Les dernières paroles de l’Archer Vert m’arrachent à mes pensées brutalement. Je ne réponds pas immédiatement, me contentant de le fixer avec un regard surpris – à moins que ce ne soit un air ahuri. Bien vite, mes sourcils se froncent, signe que je réfléchis intensément à toutes les implications d’une telle situation. Pourquoi ? Les réponses ne sont que des mots-clés : danger, urgence, vengeance, impatiente, plan, complexité, solitude et folie. Est-ce que Bruce est conscient qu’il se lance dans un projet dangereux, jouant avec ses propres limites morales ? Combien de temps est-ce que les assassins de la Ligue se plieront à sa volonté et, sûrement, à son code de moral contre-nature ?

Quelque part, je me sens responsable. Est-ce qu’il aurait pris une telle décision si je n’avais pas exprimé ma volonté de raccrocher le costume ? Est-ce que j’aurais pu l’arrêter si j’avais été plus présent et davantage à l’écoute ? Est-il encore possible de le sauver de ce destin funeste auquel il se condamne, inconsciemment ou consciemment ? Je ferme les yeux, inspire et expire. Lorsque je rouvre les yeux, je plante mon regard dans celui d’Oliver. Si je ne suis pas le plus grand détective du monde, je ne suis pas non plus le plus grand des idiots.

- Comment l’as-tu appris et, surtout, qu’en penses-tu ? demandais-je d’un ton inquisiteur. Je n’assume rien, hormis qu’Oliver a dû découvrir lors de ses recherches sur la Ligue des Ombres ou suite à des circonstances particulières aux côtés de Bruce. Bruce n’a jamais voulu être un Leader, malgré qu’il en a toutes les capacités. Aucun membre de la Justice League ne désire être un leader. Nous nous sommes rassemblés pour des idéaux, et non pour une hiérarchie, dis-je, d’avantage pour moi que pour lui.

Je me tais et réfléchis longuement aux paroles à dire.

- Nos ennemis se sont rassemblés, et agissent dorénavant en cohésion. Le monde a changé, effectivement, et nous avons à changer avec. Il faut accepter l’idée que la Justice League n’est plus suffisante. Elle ne doit pas être détruite, mais se métamorphoser et se renouveler. Je suppose que Bruce est également arrivé à cette conclusion et a fait appel à cet ordre ancien. Je pense sincèrement qu'il se trompe sur la méthode. Il se tourne vers le passé, au lieu de regarder vers l'avenir.

Je le plains plus que je ne le critique. Je n'ai pas le cœur à lui jeter la pierre. D'une certaine façon, les circonstances l'y ont poussé. Pour autant, est-ce que je cautionne entièrement son choix ? Nullement. Il va le regretter amèrement, tôt ou tard. Et il n'y aura pas de demi-tour possible.

- Je maintiens cette certitude que nous devons inspirer, former et armer une nouvelle génération. Elle s’appuiera sur nos connaissances, elle apprendra de nos erreurs et elle apportera un nouveau souffle. Nous abattrons nos vieux ennemis, ils rivaliseront avec les nouveaux. Aquaman n’est pas le seul atlante, Wonder Woman n’est pas la seule Amazone, toi et Bruce n’êtes pas les seuls humains déterminés, Cyborg et moi sommes peut-être unique aujourd’hui mais rien ne nous le garantis dans quelques années. Je ne sais pas comment nous allons évoluer lui et moi, quelle est notre longévité, quelles sont les limites de nos pouvoirs. Nous n’avons aucun comparatif, et aucun réel archive, avouais-je. Certes, le vaisseau de mes parents a bien des informations sur Krypton et ses habitants mais il n’est jamais question d’un Kryptonien ayant grandi avec un Soleil jaune et jeune. Je vais me battre jusqu’à ce que cette nouvelle génération soit prête. Alors, seulement après, je me soumettrai au jugement de la Justice League originelle, soit Bruce, toi, Diana, Arthur, Barry et Victor, dis-je, maintenant mon souffle. J’ai posé une question à Bruce, lors de notre dernière rencontre. Je vais également la poser à toi. Ta réponse déterminera si je pourrais porter le S jusqu’à mon dernier souffle, ou non. Est-ce qu’une action est un crime lorsqu’elle est acclamée dans un univers, mais condamnée dans le nôtre ?

Les informations sont nombreuses. Je fais au mieux pour tout suivre, comprendre, analyser et compiler. Est-ce que tous ses événements découlent de mes propres indécisions ? J’en doute fortement. J’ai peut-être poussé ou apporté la cerise sur le gâteau, mais n’est nullement la raison principale de ce méli-mélo des loyautés et d’associations. Bruce, Oliver, Barry, Arthur, Victor ou Diana n’ont pas besoin de moi pour avancer, se battre et décider.

- La Justice League n’a jamais décidé pour aucun de ses membres. Je ne te donne donc qu’un avis. Une guerre civile ou un conflit interne au sein d’une organisation ne sont jamais anodins et sans conséquences. C’est un pari dangereux, jouant sur les limites de nos codes. Enfin, Bruce peut être le leader mais il sera entouré. J’ai un doute considérable sur la moralité, les intentions ou les volontés de ceux qui acceptent d’être dans la Ligue et conseiller son leader. Il y aura des morts, et beaucoup de morts. C’est un chemin chaotique. Peut-être que tu seras son garde-fou, peut-être que non. Je ne sais pas. Quoi qu’il arrive, je ne me mêlerais pas à un tel conflit, sauf si elle menace la sécurité de la Terre. .

Je ne condamne pas. Si je peux comprendre, je n’adhère pas.

- Barry est une jeune recrue au sein de la Justice League et il est la raison même de notre retour. Il est exceptionnel mais il l’est devenu davantage avec notre aide et les multiples missions qu’on lui a confié. Bruce est devenu ce qu’il est aujourd’hui à la suite des épreuves qu’il a traversé. Toi-même, tu n’es plus le jeune homme que tu as été avant d’échouer dans cette ile. Vous êtes tombés, mais vous vous êtes relevés, vous vous êtes battus et vous êtes devenus un symbole pour vos proches, vos ennemis et vos villes. Refuser d’accorder du temps à une nouvelle génération ou la protéger des peines, des défaites et des déceptions revient à la condamner.

Finalement, il répond à ma dernière question. Il avoue qu’il peut tuer, si la nécessité fait loi. Cette confession me gêne et me perturbe. J’ai ce sentiment que mon crime n’est pas véritablement un aux yeux de ce monde. Pourtant, cette action me ronge au quotidien et empoisonne mes nuits. C’est un rat se faufilant entre les murs de mon âme, mordant et griffant les parois invisibles, émettant constamment ce couinement impossible.

- Je ne suis pas comme toi, ou Bruce. Tu peux te permettre de prendre des décisions radicales car tes pairs t’arrêteront ou te rappelleront des limites bon gré, contre gré. Enfin, tu n’es pas un danger à l’échelle planétaire, Oliver, lui rappelais-je cette évidence. Je n’ai pas cette possibilité. A l’instant ou je considère que la mort est un acte nécessaire, alors je deviens ce dieu tyran qui décide de la vie et de la mort des uns et des autres. Personne ne pourra véritablement me stopper si je viens à prendre une décision folle, soufflais-je. Dans un univers, mon alter-égo s’est octroyé ce rôle. Je n’ai pas pu fermer les yeux et j’ai tenté de le raisonner. Il ne m’a pas écouté. Il m’a combattu. J’ai répondu, j’ai résisté. Cependant, le monde s’est également divisé entre ceux qui soutenaient le tyran et ceux qui me soutenaient. Si nous ne détruisons pas une ville ou un pays avec nos forces, les bombes et les armées s’en chargeaient. J’ai mis à mort ce tyran, Oliver, persuadé que je n’avais pas d’autre choix. Mais est-ce véritablement le cas ? Ai-je envisagé toutes les options ? , finis-je par dire, les mâchoires crispées, le corps tendu.

Je ne dis rien, tentant de retrouver une respiration régulière.

- Face à Zod, j’ai hésité. Est-ce que je dois l’abattre là et immédiatement, pour épargner la Terre ? Si je décide d’un tel acte et aussi arbitrairement, qu’est-ce qui va m’empêcher de ne pas réitérer encore et encore avec d’autres ennemis ? Si j’engage ce combat, comment puis-je éviter de détruire une ville, un pays, voire un monde … à nouveau ? Si je le laisse gambader librement, il va assurément tout détruire, avouais-je. Je ne compte pas abandonner cette Terre, mais je ne peux pas me permettre de réitérer les erreurs passées ici, ou ailleurs. Je refuse de diriger des guerres, de condamner des populations entières sous le titre de « dommages collatéraux » ou d’avoir à décider qui doit vivre ou mourir. Ce monde doit savoir se défendre contre des forces conséquentes sans un Superman. Je peux avoir une certaine longévité mais je peux t’assurer que je ne suis pas éternel. Les Kryptoniens vieillissent et meurent également.

J’inspire profondément et expire tranquillement.
Le cœur est plus léger à la suite de cette confession, mais la tension reste.
Que va décider Oliver ?

- Nous ne pouvons plus nous battre comme avant, car nous avons tous changé. Plus que jamais, je sais que je peux être un danger. J’ai besoin d’une assurance que je peux être arrêté s’il est nécessaire et être détenu sans finir dans une suicide squad ou que sais-je. C’est la raison pour laquelle je t’ai demandé une prison, ou un équivalent, pour des êtres comme moi.

Je déballe, petit à petit, tout.

- Je confesse tout ce qui s’est passé dans cet autre univers, parce qu’il me semble incorrect ou déloyal de cacher de tels événements à ceux qui ont combattu tant d’années avec moi. Le temps venu, s’il est nécessaire de me juger, je me plierai.

Je suis prêt, quoi qu’il arrive.

- Je refuse que ce monde repose uniquement sur nous. Je veux l’aider à grandir et à s’armer convenablement, malgré les difficultés et les dangers.

Nous ne pouvons pas protéger tout le monde.
Je l’ai compris, à grande peine et douloureusement.

- Que décides-tu de faire, alors ?

Je lui pose simplement la question.

- Je ne connais pas la Ligue des Ombres autant que toi ou Bruce, mais je sais qu’elle est très ancienne et gargantuesque. Je te crois lorsque tu dis qu’il est impossible de révolutionner cette société et, je suppose aussi, qu’il est inenvisageable qu’elle s’effondre sur ses propres fondations. Est-ce que Bruce s’en rend compte ? Je ne sais pas. De toute façon, il n’écoutera rien, si nous tentons de le raisonner …

Ces derniers mots restent en suspens, ne tardant pas à faire écho aux propres propos d’Oliver à mon sujet. Les paroles de l’Archer Vert me gênent, car elles me forcent à me questionner et à remettre en question bien de mes décisions passées. Instinctivement, je me remémore mes derniers échanges avec mes amis ou ma famille. Je me rends compte que le même schéma se répète. Je parle – clairement, ou d’une façon cryptique –, et j’impose.

Le doute me submerge, à nouveau. Ai-je raison ? Ai-je tort ? Est-ce que je protège ce monde chéri ? Au contraire, est-ce que je la soumets à davantage de dangers ? Suis-je apte à me contrôler ? Suis-je tout, sauf ce tyran ? Comment est-ce que je peux le savoir, exactement ? En fuyant une situation, est-ce que je nous condamne à pire ? En restant, est-ce que je serais véritablement le bouclier de l’Humanité contre une menace extra-terrestre ?

- Je veux continuer à me battre et à protéger ces gens, Oliver. Mais, je veux également me racheter pour toutes ces vies sacrifiées, là-bas. Par ma faute. Par mes indécisions. Par ma faiblesse. Mais, est-ce possible ? Est-ce qu’une vie sauvée suffit à racheter une autre ? Est-ce que tu as cette réponse ?

Qu’il a indiqué qu’il a quitté la ligue n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Cette organisation n’est pas dirigée par des tendres, et il en est de même pour les membres. Qu’est-ce qu’Oliver a bien pu voir, entendre ou faire durant cette période-ci ? A-t-il fait face à des dilemmes moraux parmi ces agents de l’ombre ? A-t-il déjà commis l’impensable, acceptable au moment de l’acte, détestable au lendemain du même acte ? Si oui, comment a-t-il fait sa paix avec la Justice et la Morale ? Est-ce qu’il a pu réussir cet exploit, par ailleurs, ou est-il encore en quête de pardon et de rédemption ?

A cet instant-ci, je me rends compte que je ne connais pas suffisamment Green Arrow, ou Oliver Queen. Que ce soit son parcours, son entourage, ses difficultés, ses doutes, ses joies, ses peines, ses principes… Je ne sais rien de lui à part qu’il est un excellent archer quoique solitaire de nuit et un homme d’affaires consciencieux de jour. Il aime sa ville, son entreprise et ses proches.

- J’ai besoin d’aide. De Loïs. De la Justice League. De mes amis. Non pas pour savoir quoi faire, mais pour aller au bout des choses. Ou pour m’arrêter, si nécessaire, finis-je par avouer.

La nuance est subtile, mais belle et bien présente. Je révèle là, plus qu’à quiconque. Cet aveu me coûte chèrement, mais il me semble bien nécessaire. J’ai l’impression, à cet instant-ci, que je peux me confier davantage à lui qu’à d’autres, qu’il pourrait saisir le fil sur lequel je joue le funambule depuis de longs mois.

Je sais que je dois combattre Dru-Zod, mais de dures décisions devront être prises s’il n’est plus possible de l’enfermer dans la zone fantôme et avant qu’il ne condamne la terre – ou que notre combat s’en charge. Je sais, aussi, que je dois poursuivre Enchantress, et accepter l’idée que June ne pourra pas être sauvée. Au même titre que le Kryptonien criminel, je ne peux pas sacrifier plusieurs vies pour préserver une seule vie. Au moment opportun, quelqu’un – ou quelque chose – doit me rappeler à la raison.

Que je prenne la retraite aujourd’hui, ou demain, je reviendrais encore et toujours jusqu’à ce que je tombe définitivement – ou que je vrille. Quel que soit la situation, je ne peux pas la gérer seul …

- Je fais preuve de naïveté et de candeur, peut-être, mais j’ai confiance en Bruce. Il ne se retournera pas contre ceux qui veulent faire le bien et rétablir la justice. Je vais essayer de le rencontrer et de discuter avec lui. Il ne changera pas d’avis, nous le connaissons assez, mais je pourrais peut-être mieux saisir son plan ou ses idées.

Je veux m’assurer, entre autres, qu’il n’entame cette descente aux enfers avec pour destination la faucheuse. Il est mon ami, avant tout. Il est mon garde-fou, également.

- Gotham et Starcity pourraient donc devenir le théâtre d’une guerre civile entre les forces fidèles à Talia et à Bruce d’une part, et à Nyssa d’autre part. La Ligue des Ombres a toujours été un adversaire de taille, unie. Maintenant qu’elle est divisée, elle va changer de figure et de méthodes. Elle pourrait être meurtrière …

Comment est-ce que l’Archer Vert va gérer une telle situation ? Est-ce qu’il va profiter de cette division pour anéantir une faction, notamment celle de Nyssa ? A moins qu’il ne veuille se tenir à l’écart, et laisser les lions et les rapaces se bouffer entre eux. Cette image me désole profondément. Deux coéquipiers, une connaissance et un ami se retrouvent pris dans un engrenage incontrôlable, potentiellement fatal.

Je soupire, malgré moi.

Au milieu de ce miasme de mauvaises nouvelles et perspectives, Oliver me surprend. L’homme révèle une facette un peu plus amicale, voire positive, à travers une tape et un sourire. En dépit de toutes ces sombres pensées, le naturel revient vite au galop. Je lui rends également un sourire. C’est agréable, presque réconfortant. Tous ces petits instants et gestes m’ont cruellement manqué, et je m’en rends compte à chaque nouvelle rencontre, discussion et échange…

- Nous ne pouvons pas empêcher toutes les catastrophes, mais nous pouvons tenter de les prévenir plutôt que de les guérir. Chaque membre de la Justice League sera au courant de ce que j’ai fait, là-bas. Et chaque membre donnera son propre jugement sur mes actes. C’est dans l’ignorance que nous commettons les pires erreurs.

Cette décision a été prise à l’instant où j’avais tout révélé à Loïs. Je ne peux plus me battre auprès de mes vieux compères en leur cachant tous ces troubles qui m’agitent, toutes ces morts qui me hantent et toutes ces hésitations qui me lient – ou me poussent à des extrêmes.

- Je suis là jusqu’à ce qu’une relève digne de ce nom se présente. Je suis tout autant là contre des menaces comme Enchantress et Dru-Zod. Je suis là, tant qu’on m’acceptera, tant qu’on ne me jugera pas coupable, répondis-je simplement.

Il y a du conditionnel, certes, mais la promesse est faite.

Je suis et je serais toujours présent pour les plus grandes menaces de ce monde. Quoi que je fasse, quoi que je m’impose, je ne serais pas sourd ou aveugle à des dangers planétaires. Je répondrais présent au front, en tout temps, en toute heure, et tant que j’ai un souffle de vie.

Je n’abandonne pas et je n’abandonnerais pas ce projet de former une nouvelle génération. Le multivers ne m’a pas prouvé simplement ma faiblesse de caractère, mais aussi de corps. Un jour, un peu lointain sur une échelle humaine, je vais être trop vieux pour être Superman.

Je suis et je serais toujours respectueux de la Justice et de la Loi. Si, un jour, la Justice League considère que je suis un criminel et non un justicier, alors je me plierai à son jugement. Je ne fuirais pas, quelle que soit la punition.

- Je ne peux pas parler au nom des autres. Nous allons nous réunir, nous allons décider tout ensemble. Et durant la réunion, chacun indiquera sa position vis-à-vis de la Justice League. Chacun est libre de rester, de partir, ou d’imposer ses conditions.

Alors, je plante un regard dans le sien.

- Il est temps d’avancer. Et, si besoin, de réinventer la Justice League selon les besoins de ce nouveau monde.