Goddess and Black Crusader

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Je retrouvais doucement mes marques à mesure que je réactivais mes réseaux. Je n’avais pas arrêté d’être en mouvement depuis que j’avais quitté Themyscira : Métropolis, Gotham et alentours, Amnesty Bay, Starcity, Boston et autres… J’enchainais les heures de vol et les rencontres, renouant avec des connaissances héroïques mais aussi des proches intimes que j’avais laissé trop longtemps dans l’incertitude de mon retour… Sans jamais m’attarder à un même endroit, les visages défilaient, les retrouvailles faisaient chaud au coeur et les au revoir me faisait énormément de peine. Je n’avais pas le temps… J’aurais aimé le prendre pourtant, pour profiter pleinement. Deux ans pour eux au minimum, un siècle pour moi.

Je m’étais arrachée à l’étreinte réconfortante de ma famille de coeur de Boston pour retourner à Métropolis. J’avais du travail pour réhabiliter mon identité civile… Administratif, mails, courriers en pagaille… Ces deux ans me coutaient cher en temps, je devais justifier d’une longue absence et toute cette paperasse “non urgente” que j’avais mis de côté depuis mon retour s’accumulait.

Mais me rapprocher de Métropolis me rappelait forcément Gotham…

Passée la journée à faire de la paperasse, je finis par prendre une pause et mon regard dévia vers une série d’articles qui traitaient de la hausse de l’activité méta-humaine à Métropolis, puis des récentes exactions de Batman. Un autre article s’interrogeait sur l’intégrité de la Ligue des Justiciers et sur son avenir.

“Oui”, me dis-je dans un soupir. Moi aussi, je m’interrogeais. Dès l’instant où je convoquerai la presse pour annoncer officiellement mon retour ou la reformation de la Justice League, que je contacterai la gouvernement américain pour recréer un pont entre lui et nous… Je savais que je serai attendue au tournant par les journalistes. Nous le serions tous. Ils voudraient savoir si nous cautionnions la récente montée en violence de Batman et si ce dernier était toujours l’un des nôtres. Et je n’aurai d’autre choix que de lui tourner le dos… Officiellement du moins.

Je soupirai. J’étais fatiguée. Vraiment fatiguée. Mes nuits n’étaient pas assez reposantes et malgré ma vitalité hors du commun, je peinais à récupérer correctement. Mon esprit était continuellement en réflexion, tiraillé par trop de préoccupations. Les changements qui n’allaient pas manquer de s’opérer dans la Ligue des Justiciers, la campagne de recrutement que nous allions lancer, la recherche de financement, notre communication externe, notre position face au gouvernement, la menace atlante, the Darkness et plus particulièrement Enchanteresse, Zod, le cas de Bruce et de sa Ligue, le silence des dieux que les amazones ne comprenaient pas et qui m'obsédait, et ces rêves étranges que je faisais depuis quelques temps…

“Recentre toi, Diana”, aurait dit ma mère.

Oui… Je devais me recentrer. Mon regard se figea sur une photo de l’homme chauve-souris qui illustratait un article. Quand nous étions vu pour la dernière fois ? Environ trois semaines.

Nouveau soupir. Le temps avait défilé beaucoup trop vite. Et à trop chercher de réponses, j’avais fini par perdre de vue l’essentiel et je n’étais pas allée rendre visite à Bruce.
Mes yeux se posèrent sur l’heure affichée sur mon ordinateur. Il était tard… Il serait encore plus tard quand j’arriverai à Gotham. Mais Bruce était un oiseau de nuit, j’avais peut-être une chance de le trouver éveillé. La question était de savoir s’il serait entouré de ses minions ou non… Bah ! Qu’importe.

J’enfilai un manteau long, saisis mon sac dans lequel je fourrai le lasso dont je ne me séparais jamais et me mis en route.

Et j’arrivais finalement à proximité d’un hôtel de luxe. Appartenait-il à Bruce ? me demandai-je avec curiosité. Un coup d’oeil à ma montre m’indiqua l’horaire. Trop tard pour me manifester à l’accueil… J’allais devoir faire en sorte d’esquiver les regards et les caméras environnantes… Une routine, bien que potentiellement délicate dans un quartier tel que celui-là. Je le fis néanmoins, capuche rabattue sur le visage autant pour éviter d’être identifiée que pour me protéger de la pluie.

Et je m'introduis dans la chambre…

L’obscurité… Soupir intérieur. J’avais joué et raté mon pari… Il dormait. Tant pis pour moi, j’allais repartir discrètement sans l’éveiller, ses heures de sommeil devaient être trop chères pour les lui voler. Il était là, à quelques pas de moi… Mon coeur se serra en pensant à la distance qu’il avait mise entre nous. Si proche et pourtant si loin… Il me manquait.

Un bruit.
Il était réveillé. Je constatai que son radar à lui aussi était toujours fonctionnel… Una nous avait fait développer une sorte de sixième sens. Toutes ces années à ne dormir que d’une oreille par peur qu’un monstre nous surprenne dans notre sommeil...

Mais je n’étais pas un monstre.

-Je sais que c’est important pour toi.

De cela je ne pouvais pas douter. J’abaissai ma capuche… Il pleuvait dru, dehors, mon manteau était trempé.

-Clark ne te connaît pas comme je te connais. Il aurait su autrement qu’il est plus facile d’éteindre un volcan avec un verre d’eau que de te faire dévier de tes objectifs une fois ta décision prise.

Amusante comparaison pour moi qui aimait le surnommer du nom d’une chaîne de montagnes volcaniques…

Ça ne signifiait pas que je cautionnais ses crimes. Bruce et ses soldats avaient torturé, mutilés et kidnappés des personnes, et je ne pouvais qu’imaginer le sort qu’on leur avait fait subir. Qu'elles soient innocentes ou non, c’était mal. Pour autant, je ne pouvais me résoudre à considérer mon frère d’arme comme un ennemi, pas plus que je n’avais les moyens de m’investir autant qu’il l’aurait fallut pour lui… C’était triste à dire, mais je n’avais tout simplement pas le temps pour faire de la Ligue des Ombres ma priorité. D’autres menaces beaucoup plus graves et dangereuses pesaient actuellement sur cette planète. Enchanteresse et Zod étaient devenus mes priorités. En outre, je savais que je ne ferai jamais plier Bruce par l'approche frontale. Il avait le crâne aussi dur que de la pierre… J’avais mis en place une autre stratégie détournée, je tentais de placer mes propres billes dans le jeu...

-La réception ne m’aurait pas laissé passé à cette heure et quelqu’un aurait pu tout aussi bien me reconnaître. Je n’évolue pas avec un masque, comme toi, et la presse va à nouveau entendre parler de moi prochainement...

Je réfléchi un instant, avant de me corriger.

-Elle parle déjà de moi ici.

Je balayai l’air de la main en un geste souple. Inutile de s’attarder sur le sujet. Je savais être discrète. Lui aussi. Si ça le tracassait je trouverai une autre porte de sortie.

-Je suis désolée de t’avoir réveillé… Je passais à proximité, je voulais m’assurer que tu allais bien.

Je fis quelques pas vers lui, observant son état général, ses ecchymoses, bandages apparents… Ses postures qui trahissaient certaines douleurs ou faiblesses. Je connaissais bien mon ami, il pouvait donner le change aux autres mais pas à moi. J’avais veillé trop de fois sur lui alors qu’il affrontait des fièvres qui auraient emporté la plupart des humains, pansé trop souvent ses blessures… Je connaissais son corps. Je le connaissais même très bien. Trop, peut-être…

Je m’étais attachée à cet homme au-delà du raisonnable.

Ma main vint se poser délicatement sur sa joue, sous la pommette égratignée. Bruce avait été durement touché…

Il était reparti en croisade.

Una ne l’avait pas tué, mais j’en venais soudain à redouter que la Terre n’achève ce que la planète alien avait commencé.

Je me forçai à taire l’inquiétude vive que je ressentais pour enfiler le masque de la guerrière.

Pragmatique.

-As-tu besoin d’aide pour panser tes blessures ou te remettre une articulation en place ?

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Silencieuse, je suivis des yeux l’homme qui s’éclipsait dans une pièce voisine pour allumer l’eau.

Je ne relevai pas sa réponse. Je m’étais efforcée de ne pas émettre de jugement pour ne pas le braquer, je demeurai factuelle… Je savais que Bruce était déterminé à avancer sur la voie qu’il avait choisi d’emprunter, j’avais acquis suffisamment d’informations pour mieux appréhender les choses dans leur ensemble… Ce que j’avais lu dans les médias, ce que m’avait rapporté le lieutenant Lockwood, les exactions de Batman et de son armée de l’ombre me donnaient des frissons. Je n’aimais pas ça. Et pourtant. Pourtant je savais que Bruce avait le crâne plus dur que de la pierre et qu’on ne pouvait le manoeuvrer de manière frontale. C’était au contraire un coup à l’enfoncer encore plus dans son obstination… Il se convaincrait qu’il faisait ce qui était nécessaire pour le bien commun, qu’il était le seul à avoir conscience de ce qui devait être fait et qu’il se sacrifiait bien volontiers pour les autres comme le ferait un martyr.
Et là où il se persuadait de son altruisme et de son dévouement à la ville, sa famille, ses proches, toutes les personnes qui tenaient à lui et qu’il avait volontairement écarté de sa vie pour mener ses projets à terme le traitaient d’égoïste.

Un paradoxe.

Mais à quoi bon l'accabler ? Je le savais désespéré et en souffrance. J’étais mieux placée que n’importe qui sur cette planète pour le comprendre. La rage qui le consumait, sa violence, tout cela n’était qu’une suite logique à donner à dix ans passés en enfer. Et ce qui l’avait gardé en vie tout ce temps, l’espoir de retrouver son paradis… Tout ça avait été brisé en morceaux à son retour par le deuil et la trahison.

Voilà ce qu’était le Batman. Un homme brisé et désespéré qui noyait sa souffrance sous un masque de pragmatisme et un besoin désespéré d’action. Il avait choisi ses ennemis, décidé qu’il leur ferait payer le mal qu’il portait en lui… Et il frappait.

Le raisonner ne servait à rien. Ce n’était pas sa logique qu’il fallait toucher mais son âme… Ce coeur qu’il avait lourdement blindé, caché derrière des boucliers de métal et des ravins infranchissables… Quant à moi, c’était le petit chemin dérobé que je cherchais. Celui qu’il ne surveillait pas et qui me permettrait de le toucher. C’était peut-être prétentieux de ma part de croire que j’avais une chance de l’aider, mais l’idée d’abandonner mon frère d’arme sans même essayer était inacceptable.

-Non…

Un rire silencieux m’échappa en réponse à la question qu’il me posait.

-Ce n’était pas moi. Un idéaliste a volé mes traits pour effrayer d’éminentes figures de la mafia et les pousser aux aveux. Il cherchait une porte dérobée pour lutter contre la corruption du système judiciaire à Gotham City…

Il ne réalisait pas qu’avec le pouvoir et la légende, venaient souvent des adversaires plus dangereux et des ripostes plus violentes… J’avais sauvé le lieutenant d’un guet-apens qui se serait probablement très mal terminé pour lui.

-Enfin… Si. Le braquage c’était bien moi.

Si tout le reste avait été une succession de rumeurs dans la presse, cette intervention-là avait été filmée par des civils et diffusée.

-J’ai été témoin de la scène, je ne pouvais pas ne pas intervenir…

Puisque mon imitateur m’avait fait, de toute façon, sortir de l’ombre bien malgré moi… J’avais fait le choix volontaire de retarder ma réapparition au retour du multivers. Un consensus validé par les membres de la Ligue des Justiciers pour nous permettre de mieux nous organiser contre nos ennemis… Mais il était de toute façon temps de changer de fusil d’épaule, comme le disait le dicton. J’allais reprendre mon rôle de porte-parole, ce n’était qu’une question de temps. Le monde entier saurait bientôt que Wonder Woman était de retour, et avec elle la Ligue des Justiciers qui reprenait sérieusement son activité et qui allait recruter de nouveaux membres.

Ma main quitta la joue de Bruce et je me détournai de lui pour rejoindre la fenêtre. CLAC, j’appuyai sur la commande pour fermer les volets et sceller les lieux aux regards extérieurs. J’étais presque surprise qu’il accepte ma présence et qu’il ne me jette pas dehors…

-Allume la lumière et assieds toi, je vais regarder, lui dis-je avec douceur en retirant mon manteau mouillé pour le déposer sur une chaise.

Ma robe bleue et blanche était humide, à l’instar de mes cheveux tressés et enroulés en gros chignon, mais pas trempée. Je portais un fin serre-tête ouvragé et floqué de l’étoile de la royauté themyscirane, ainsi que mes bracelets. J’avais ramené de nombreux vêtements de l'île et je les portais de plus en plus souvent. Contrecoup de mon long exil dans le multivers, je ressentais ce besoin brutal de réaffirmer ma culture d’amazone.

Je le laissai choisir sa place, voir s’il était capable ou non de retirer son t-shirt pour que je puisse évaluer l'étendue des dégâts…
La lumière tamisée mis en évidence des choses que je suspectais dans l’obscurité. La peau avait changé de couleurs, les multiples contusions et autres blessures…

-Le combat a dû être rude…

Je posais délicatement ma main sur sa peau, palpai en douceur à la manière d’un kiné pour essayer de mieux appréhender les dégâts cachés… C’était là l’avantage d’avoir grandi dans un peuple de guerrières… Les soins devaient être régulièrement prodigués et nous avions toutes appris les bases. En outre, j’avais lu tout ce qu’il y avait à étudier sur l’école d’Asclepios. Un savoir certes désuet au regard de la médecine moderne, mais qui avait bien servi jusque là.

-Je ne le fais pas. Si c’est là ta question, je ne peux cautionner les enlèvements, la mutilation et la torture… répondis-je d’une voix neutre, sans agressivité. Et encore moins les dommages collatéraux des innocents pris entre deux feux que tu as provoqué.

“Je suis au courant de beaucoup de choses, oui…”

Ces agents de sécurité à la mairie étaient-ils tous corrompus ? Les coups de couteau et les os brisés avaient plu ce soir-là… Certaines de ces personnes ne pourraient peut-être jamais reprendre leur travail à cause de leur invalidité, certaines souffriraient peut-être toute leur vie des conséquences de cette nuit. Pour atteindre un seul homme, il avait en piétiné beaucoup d’autres.

C’était au moins là l’avantage d’être en contact avec un lieutenant de police qui vous était redevable, il faisait une source d’information plus fiable que la presse.

-Je ne t’aide pas à continuer, “Ra’s”... soupirai-je tristement. Je veille sur mon frère d’arme comme je le lui ai promis. Parce qu’en dépit de ce que cette bourrique s’est mis en tête, elle n’est ni seule ni abandonnée… Je suis là et je ne vais nulle part.

Mes mains s’agitaient en douceur autour de l’épaule et ne tardèrent pas à confirmer ce que Bruce pensait.

-Elle n’est pas démise. En revanche, je sens des points de tensions et des blocages qui doivent te faire souffrir…

Et au vue de son nouveau mode de vie, j’étais prête à parier qu’il en avait partout. Était-il seulement suivi correctement par des professionnels de la santé ? Probablement pas. Comment leur justifier l’état dans lequel il devait revenir si souvent ?

-Je peux faire un travail dessus, ça devrait te déraidir un peu, lui proposai-je. Si tu n’es pas trop endoloris pour être manipulé.

Et s’il était prêt à sacrifier un peu de son sommeil… Mais j’étais là après tout, quitte à discuter, autant mettre mes compétences à profit.

J’avais vaguement l’impression de revenir à l’époque où nous ne pouvions compter que l’un sur l’autre pour ce genre de chose… A défaut de médecin sur Una, il n’y avait que nous et nos compétences. Combien de fois avais-je ainsi manipulé Bruce pour le soulager ?

Mes yeux descendirent vers sa cuisse. J’y posais délicatement la main sans arrière-pensée, désireuse d'ausculter l’homme. Je lui fis plier doucement le genoux et remontai sa jambe, analysant la source de douleur…

-Ton sommeil est réparateur ?

Je relevai les yeux pour le sonder du regard, soucieuse.

-Au vu de tes cernes… soufflai-je peinée.

Je devinais la réponse.

-Est-ce que tu fais des cauchemars ?

Moi j’en faisais… Mes rêves avaient évolué depuis notre retour, ils me préoccupaient.

-Comment vas-tu, Bruce ?


Ce n'était pas son état physique que j'interrogeais cette fois...

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Je ne répondis pas à propos du métamorphe. Bruce n’avait pas à connaître l’identité du lieutenant, pas alors que je peinais encore à cerner les nouvelles limites morales du justicier et que j’interrogeais la confiance que je pouvais désormais lui accorder. Il fut un temps, pas si lointain, où je lui aurais tout dit… Mais le Batman avait instauré de nouvelles règles entre nous et Aleck Lockwood était une pièce de mon jeu que je ne souhaitais pas sacrifier pour le moment.

-Comme tu préfères, répondis-je peu contrariante.

Dans le noir, je n’avais pas pu disciner correctement la chose… Les fenêtres étaient peut-être sans teint. Ce serait le minimum pour une suite de cet hôtel de luxe qui avait dû coûter un prix exorbitant… Le minimum pour préserver la vie privée des célébrités résidentes. Ou pas, au vu de la réaction du locataire. Je jetai un bref regard vers la salle de bains de laquelle j’entendais toujours l’eau s’écouler… Bruce prenait toutes les précautions possibles, craignait-il d’avoir été mis sur écoute ? Son identité civile était-elle compromise ?

-Les hommes riches ne baissent donc jamais les volets pour se protéger de la lumière du soleil au matin ? plaisantai-je.

Je me rapprochai pour manipuler doucement son épaule, l’air concentrée. Sa main posée sur la mienne me figea dans mon mouvement et je baissai les yeux vers lui, sourire aux lèvres.

-Et bien… Que veux-tu ? Je suis quelqu’un de paradoxal.

Je me rappelai de notre rencontre et de ses quelques mots alors qu’il me jugeai promptement avec son air sévère et agacé : “Je connais des tas de femmes comme vous”. Il semblait avoir quelque peu revisité son jugement, depuis.

-Je n’ai jamais été très douée pour suivre les règles ou me contenter du chemin que l’on voulait tracer pour moi, au grand damne de ma mère, expliquai-je d’une voix tranquille.

Cela dit, j’étais quelqu’un d'honnête et de franc. C’était sur cette franchise que nous avions construit notre relation, et je n’avais pas l’intention de changer de voie. Il savait que je ne cautionnerai pas aveuglément ses égarements, il savait aussi maintenant que j’étais là pour veiller sur lui… De quelle manière, cela il l’ignorait encore. Mais qu’importait au fond ? J’étais encore là alors même qu’il avait tenté d’éloigner tous ceux qu’il aimait et qu’il y était plutôt bien arrivé. S’il avait cru mettre un terme à notre amitié et me pousser à lui tourner le dos, c’est qu’il ne me connaissait pas aussi bien qu’il le croyait. Peut-être qu’un jour je serai forcée de lui tirer les oreilles. Probablement. Mieux valait que je sois près de lui pour voir venir les choses, le cas échéant, plutôt que d’attendre que les choses prennent des proportions dramatiques et que j’arrive trop tard.

Je tirai un tabouret pour m’installer et palper cette cuisse qui le faisait souffrir, m’efforçant de ne pas m’attarder sur les courbes de ses abdos ou de ce que je devinais à travers le tissu de ses sous-vêtements... Un appel certes tentant…

Mais je n’étais pas venue pour le reconquérir. Voilà un moment déjà que j’avais compris qu’il n’y aurait pas d’avenir pour nous. Parce qu’il me préférait Sélina, ou sa vendetta… Il y aurait toujours quelque chose, en fin de compte. J’avais pensé qu’il m’ouvrirait peut-être son coeur ce soir là, au lac, lorsqu’il m’avait parlé de la fin de sa relation avec Cat et moi de la mienne avec Steve… Mais j’avais vite compris qu’il m’avait enterré avec le reste de ses relations quand il avait choisi de vivre dans le passé pour venger ses morts, plutôt que dans le futur aux côtés de ceux qu’il chérissait…

En fin de compte, notre histoire s’était éteinte à l’instant où nous avions posé les pieds sur Terre et c’était peut-être pour le mieux au vu de la situation. Je ne pouvais cependant nier l’attraction qu’il exerçait encore sur moi.

Je soupirai intérieurement. Je lui en voulais, au fond, d’avoir mis ce mur entre nous, d’avoir simplement cessé de m’accorder sa confiance pour le soutenir dans ses épreuves et de m’avoir tourné le dos quand j’avais besoin d’un ami à qui parler. Nous avions été des confidents, des frères et soeurs d’armes… Pendant longtemps, Bruce avait été la seule personne en qui j’avais nourri une confiance aveugle. Mais je savais aussi qu’il était porté par sa souffrance et que lui reprocher tout cela n’avait que peu de sens. Il n’entendrait pas car il était devenu sourd…

“Etais-ce une bonne idée ?”

De quoi ? De l’aider à guérir ? De lui témoigner de l’intérêt et de la compassion ? Je n’étais pas bien sûre de sa question. En revanche, je notai quelque chose de nouveau par rapport à la dernière fois… C’était comme s’il me laissait une porte entrouverte là où il me l’avait claqué au nez l’autre fois. Je ne savais pas à quoi était dû ce revirement de sa part, mais j’en ressentis un peu de soulagement…

Et de l’espoir.

-Bruce… soufflai-je en le regardant droit dans les yeux.

Je l’interrogeai alors d’une voix douce :

-Pourquoi ais-je fait le choix de demeurer dans le monde des Hommes lorsqu’Arès et ses apôtres eurent été vaincus ? Pourquoi ais-je défendu les unagrs que tu condamnais avec tant de virulence ? Pourquoi ais-je fait le choix de quitter une nouvelle fois ma patrie pour revenir aux Etats-Unis ? Et pourquoi suis-je ici, maintenant ? Réfléchis et donne moi ton avis, j’aimerai connaitre ta vision des choses.

Il prétendait aller bien, lui l’homme disloqué et pétris d’hématomes et de blessures, lui qui avait l’air désespérément épuisé et au bord du gouffre… Nous savions qu’il mentait.

Je ne relevais pas.

Tout comme Bruce avait remis son masque en regagnant notre planète natale, j’endossais également le mien. Clark était bien trop obsédé par son propre vécut pour s’interroger sur mon ressenti, Bruce avait ses combats à gérer, les autres… Nous n’étions pas suffisamment proches. Etonnament, de tous les initiés aux côtés desquels je combattais, c’était Zatanna qui s’était montrée le plus empathique  à mon retour aux Etats-Unis, cette jeune femme que je connaissais si peu… Elle se révélait pleine de surprise.  Cela dit, il n’était plus question de compter sur qui que ce soit pour me porter désormais, j’étais celle qui devait inspirer les autres et qui ne pouvait se permettre d’afficher ses doutes. Je les garderai pour moi, enfouis et je continuerai à aller de l’avant et à mener la mission que les dieux m’avaient confiée. Mes compagnons avaient besoin de soutiens et d'encouragements, pas d’une immortelle en perte de vitesse.

Je n’allais pas si mal, en réalité. Mieux que lorsque j’avais quitté mon île natale, en tout cas. Les interrogations se bousculaient dans ma tête et Una avait quelque peu saccagé ma confiance en moi, mais s’il me restait bien une certitude, c’était que je ferai tout ce qui était en mon pouvoir pour protéger ce monde et ses habitants. De The Darkness, de Zod, des dieux maléfiques… de toutes les invasions possibles. C’était ce qui me faisait avancer et qui me poussait à reprendre les armes sitôt. J’avais perdu Una et enterré tant d’êtres chers… Je ne perdrai pas la Terre.

-J’avance également…

Factuelle.

Les fronts se multipliaient, les problèmes avec. Je ne savais plus que quel pied danser et j’étais obligée de prioriser par urgence, allant jusqu’à délaisser mon propre peuple qui avait besoin de moi car une sorcière toute puissante et un extraterrestre menaçaient sérieusement la vie sur cette planète. Dans tout ça, je ne trouvais pas ou presque pas de temps pour moi, pour capitaliser sur tout ce qui m’était arrivé et profiter de mes retrouvailles avec mes proches, mortels et immortels. Mais c’était peut-être ce dont j’avais besoin, me noyer dans le travail… Je pensais moins quand j’étais dans l’action, j’avançais simplement et je me laissai porter par mon instinct.

-D’un côté Enchanteresse et son associé méta-humain qui se sont alliés avec le général Dru-Zod mystérieusement échappé de la zone fantôme, de l’autre les atlantes qui envisagent de déferler sur la terre ferme… Au milieu, la diplomatie et la recherche d’alliés et de financements.

Je reposai doucement la jambe de Bruce. Les dégâts étaient internes. Si déchirure il y avait, seul le repos pourrait le soigner.

-Nous essayons de rassembler une équipe suffisamment puissante pour défaire la sorcière et son acolyte. J’ai espoir que le lasso puisse arracher son âme du corps de June et sauver cette pauvre enfant.

Si tant est que je survive à la confrontation… La sorcière était une magicienne de très haut niveau et je n’étais pas préparée à affronter son pouvoir. J’avais frôlé la mort en m’opposant à Arès et je n’avais dû la vie qu’à l’intervention miraculeuse des dieux. Au vu des circonstances, je n’étais pas certaine qu’ils interviendraient cette fois… Cela n’affaiblissait en rien ma résolution… Enchanteresse devait être arrêtée. Si les Moires décidaient de me rappeler dans l’Erèbe… soit. Je rejoindrai mes sœurs aux Champs Elysées la tête haute.

-Mais pour la piéger, il faut d’abord idéalement la localiser… Zod, Black Adam, ou Enchanteresse. En trouver un, c’est potentiellement trouver les deux autres. Ton réseau pourrait peut-être aider ? La ligue a des yeux un peu partout dans le monde, non ? Si tu donnais des portraits robots à tes agents…

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-C’est une drôle d’espèce que ces oiseaux-là, plaisantai-je à propos des riches en sachant que j’en avais un en face de moi.

Je n’allais pas débattre plus en avant de la pertinence de fermer ces volets ou non. La semi-pénombre me suffisait de toute façon, j’y voyais assez clair. Mes autres sens m’informaient de ce que je ratais. Le touché, pour la manipulation du corps de Bruce, l’ouïe, pour les mouvements et tout ce qui se passait à l’intérieur et autour de la chambre d’hôtel.

-”A coup de coeur”… C’est poétique, dis-je avec un sourire appréciateur. C’est vrai, les Moires tissent pour nous les fils du destin et seuls les dieux peuvent nous en révéler la nature. Il est des moments clés de nos vies auxquels on ne peut échapper… Mais il y a des milliers de manières de parcourir la route entre chacun de ces moments. Nous ne sommes pas dénués de libre arbitre.

Et nous étions en partie responsable de nos choix, du chemin que nous empruntions… En partie, seulement. Bruce ne saisissait pas le message que je voulais lui faire passer.

-Je suis l’émissaire des dieux, je porte leur vœu de voir une humanité unie et pacifiée. Tu as raison, je me suis dévouée à cette cause. C’était cependant ma volonté de quitter ma mère-patrie une seconde fois après l’échec d’Arès, pas celle de ma reine ni des olympiens. Mais je n’aime pas cette façon de réduire un individu à un devoir, la vie est beaucoup plus complexe que ça.

Même si je savais que c’était là le crédo de Bruce, ce qui le portrait et justifiait chacun de ses actes… Surtout en ce moment.  
Bruce savait par quels égarements j’étais passée après que le dieu de la guerre se soit retiré du jeu, l’effondrement de mon monde en réalisant que les mortels n’étaient pas bons par nature et à quels points ils étaient pervertis, même sans influence divine… Et les conclusions que j’en avais tiré sur la balance entre la lumière et l’obscurité qu’ils portaient en eux.

-Une personne fait toujours ce qu’elle pense être le mieux à un moment donné. On ne peut comprendre réellement ses actes qu’en observant les éléments dans leur ensemble. Le vécu, le contexte, l’environnement… Je me suis cachée parmi les mortels parce que je voulais les comprendre. J’ai défendu les unagrs parce que je savais que leur cruauté était un symptôme, une réaction à un éco-système défaillant et beaucoup trop violent pour que leur espèce puisse se développer dans de bonnes conditions. J’ai quitté Themyscira parce j’ai perdu Una et que je ne supporterai pas que mon désengagement me coûte aussi la Terre et ceux que j’aime…

Il m’arrivait d’être égoïste, moi aussi…

Punir les criminels permettrait peut-être de cacher les symptômes pendant quelque temps, mais les problèmes reviendraient tôt ou tard. C’était en traitant le mal à sa source que j’avais espéré offrir un avenir pérenne aux unagrs…

Et je savais que c’était aussi ce que Bruce essayait de faire ici, d’une certaine façon… Je savais aussi que ses motivations étaient sincères, qu’il croyait de toute son âme en ce qu’il faisait… Qu’il s’était récemment convaincu que traiter le mal par le mal était l’unique moyen. Nos philosophies étaient trop différentes.

-Je suis ici, Bruce, parce que je crois encore en toi. Je n’adhère pas à tes méthodes, mais ta cause est juste. Gotham a besoin d’aide, il est nécessaire d’intervenir.

Je connaissais sa réponse sur le fait qu’il s’en sortait très bien sans nous. N’avait-il pas essayé de me chasser, il y a trois semaines ? Ce qui me surprenait en revanche, c’est qu’il ne l’ait pas fait cette fois. Qu’est-ce qui avait changé ? L’absence du lasso peut-être qui le poussait moins à l'honnêteté et plus à la retenue ? Souhaitait-il au fond de lui mon départ ? Cette pensée m’attrista.

-Et je fais mon possible pour te comprendre, avouai-je. Tu ne me facilite pas la tâche avec tes efforts pour me sortir de ta vie, dis-je avec une moue, sourcils froncés.

En toute franchise…

Je finis par répondre à moitié à sa question puisqu’il me retournait l’interrogation. Je lui dépeins un très bref portrait de mes préoccupations du moment, factuellement.
Je reposai la jambe de Bruce, me relevai et saisis le bras non douloureux de l’homme pour le courber et le positionner en hauteur.

-Un rassemblement de deux supers-criminels en même temps et dans un même lieu, c’est beaucoup trop gros pour être une coïncidence.

Je me rapprochai de Bruce, poitrine contre poitrine, un bras contre le sien pour le guider, l’autre passé dans son dos pour faire un point de pression.

-Une coopération d’opportunité me paraît l’hypothèse la plus crédible. Je ne crois pas qu’ils collaborent réellement ensemble, leurs objectifs sont trop différents. L’un veut anéantir l’humanité, l’autre veut la soumettre. En revanche, s’allier une fois pour écraser leurs adversaires communs… Respire…

Enchanteresse n’avait pas tué Zatanna, son égo était beaucoup trop surdimensionné pour envisager l’idée qu’il valait mieux se débarrasser maintenant d’une puissante magicienne au risque qu’elle s’oppose à elle dans le futur. L’entité avait voulu faire passer un message : elle ne nous craignait pas.

-Et s’ils l’ont fait une fois… Ils peuvent recommencer. Souffle.

J’appuyais d’un coup ferme, mais en douceur pour ne pas le blesser, jusqu’à entendre le claquement que j’attendais. Je libérais ensuite le bras de l’homme pour soutenir son regard après sa prise de parole pour le moins… Solennelle. Allait-il négocier pour obtenir un paiement ? La survie de cette planète n’était-elle pas un prix suffisant ?

Je pris quelques instants de silence pour méditer sur ce que l’homme venait de dire. La question se posait et méritait la réflexion.

-J’entends, pour les méthodes… Un peu moins pour le mysticisme. Ce n’est pas la première fois que tu y fais mention. Dis m’en plus sur ces prophéties et malédictions, et sur ceux qui les ont proférées.

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Je secouai doucement la tête, soupirant. Inutile de débattre sur les notions de bien et de mal, sur les raisons qui pouvaient pousser des individus à agir… La science moderne montrait que les troubles mentaux résultaient d’un contexte, généralement de sévices physiques ou mentale, ou de malformation physiologiques. J’ignorais où se trouvait la part de libre arbitre dans tout cela. A quel point un Homme était-il conditionné à agir au travers de son vécu et de ses dégénérescences mentales, par les limites de son propre corps qui pouvaient, dès l’enfance, l’orienter sur une pente plus raide que les autres ? Où s’arrêtait la responsabilité d’une personne ? Je n’avais pas de réponses à ces questions, mais le sujet me fascinait. Les sciences humaines et l’étude du vivant m’avaient aidé à mieux comprendre le monde des Hommes. Depuis quelques décennies, elles avaient fait un large bond en avant. Qui sait où elles nous mènerait dans un siècle ou deux ?

J’avais voulu faire comprendre à Bruce pourquoi j’étais toujours là… Je ne savais pas s’il avait saisi le message… J’aurais essayé.

Alors que je le manipulais en douceur, j’entendis soudain son coeur s’affoler. Je retins un sourire, heureuse de réaliser que sous ses airs de dur à cuire j’arrivais encore à le toucher. Il voulait s’isoler et pourtant… Son être le trahissait alors même que je lui annonçais ma volonté de faire des efforts pour le comprendre.

Quel personnage paradoxal !

Cela me confortait au moins dans mes convictions. Bruce ne s’était pas complètement fermé à nous, il avait juste besoin que l’on croit en lui.  
Quant à savoir combien de temps je pourrai encore me tenir à ses côtés et le soutenir… Je redoutais qu’il s’enfonce trop profondément dans les ténèbres jusqu’à atteindre un point de non retour. Je n'étais pas toute puissance, je ne pouvais sauver les gens d’eux-même s’ils n’en avaient pas la volonté… Je n’avais pu sauver Cheetah.

Je plantai mes yeux dans les siens, lui posant une question qui pesait sur mon âme depuis notre dernière rencontre.

-As-tu toujours confiance en moi ?

Une incompatibilité avec une vie sociale ? Ce n’était pas ses mots, sous l’emprise du lasso. Il avait pris ses distances car il redoutait que je ne l’éloigne de son objectif, de sa vengeance.

-Suis-je trop morale pour toi, Bruce ?

CRAC. Je relâchais la pression. Je n’étais pas sûre que continuer à le manipuler soit une bonne idée dans son état… Il était trop endoloris. Il vaudrait mieux attendre qu’il se soit remis de ses blessures pour ne pas le brusquer. Une séance lui ferait du bien, cela dit… Je sentais ses tensions et ses raideurs.

-As-tu cessé de voir en moi ta sœur d'armes ? Nos années passées sur Una ne t’ont-elles pas prouvé mon amitié et ma loyauté ?

Je gardais mon calme mais c’était mon cœur, cette fois, qui battait à un rythme plus soutenu. Il savait pertinemment qu’il m’avait blessé, j’avais besoin d’éclaircir ces zones d’ombres avec lui pour ne pas risquer de sombrer dans la surinterprétation.

“Je t’en foutrai des “pas compatible avec une vie sociale !””.

-Tu nous a enterrés et tu tournes la page sur notre passé comme s’il n’avait aucune valeur. J’étais là pour te veiller nuits et jours pendant tes fièvres, j’étais là pour te protéger des chimères ou te défendre contre les tribus qui voyaient en toi un croque-mitaine. Je…

Je baissai les yeux, me mordis la lèvre.

-J’ai fais l’erreur de partir trop longtemps pour combattre mes propres démons… J’aurais dû rester avec toi pour te soutenir.

Et je comprenais qu’il me le fasse payer, d’une certaine manière… J’étais en partie responsable de ça. Mes actes entrainaient des conséquences. J’avais pensé agir pour le mieux en m’écartant pour laisser Bruce retrouver Cat, malgré les signes évidents que les choses allaient être compliquées pour eux… Nous avions pris nos distances d’un commun accord. Mais je m’étais absentée trop loin trop longtemps. Paradoxalement, cet isolement avait été salvateur pour moi… Retrouver ma famille m’avait ramené de loin.

-Mais je suis revenue, maintenant. Et toute Enchanteresse ou Zod soient-ils, qu’ils menacent la Terre entière ou non, je peux dégager du temps pour toi, et pour Gotham. Ta Ligue n’est pas ta seule alliée, Bruce. Je suis un atout dans ta manche. Je n’assassine pas, je ne torture pas, mais mon nom et mon visage font trembler les criminels.

Et à nouveau il mentionnait ses prophéties et autres sorcelleries tout en refusant d’expliciter quoi que ce soit. C’était comme agiter un gros steack sous le nez d’un affamé puis le lui retirer quand il s’apprêtait à mordre dedans. Réalisait-il à quel point c’était agaçant ?

-C’est très alarmant, ce que tu me dis. Bruce, n’accepte jamais, au grand jamais, de conclure un pacte avec une Puissance sans avoir très clairement défini chaque point avec elle au préalable. Rien n’est jamais gratuit avec les immortels et beaucoup seront trop heureux de jouer avec les flous pour te prendre plus que ce que tu voulais leur offrir…

Et soudain prise d’une terrible inquiétude, je posai mes deux mains sur les épaules de l’homme pour le braquer du regard.

-Tu n’as pas vendu ton âme, n’est-ce pas ?

Je ne pourrai pas lui venir en aide pour déposséder une Entité de ce qui lui revenait de droit si Bruce avait conclu un accord avec elle…

Goddess and Black Crusader

Il se montrait diplomate, cherchant à se montrer rassurant à sa manière comme il avait toujours su si bien le faire. Ses mots glissaient sur moi pourtant, ne m’accordant qu’un maigre réconfort. Ils m’évoquaient une discussion que nous avions eu il y a plusieurs semaines de cela et je constatai que Bruce n’avait pas changé son fusil d’épaule. Le Golden Perfect en moins pour lui imposer une forme de vérité brute, la délicatesse en plus. J’aurais préféré qu’il accepte la main que je lui tendais, j’aurais pu ainsi garder un oeil sur lui, même de loin, et sur ses activités. J’aurais pu l’accompagner dans sa démarche, le protéger et offrir les pouvoirs d’une demi-déesse et du Golden Perfect à ce mortel qui rêvait de protéger sa ville natale.  

Rien n’avait changé, au final.

Ou peut-être que si. Je ne savais pas trop.

Je comprenais au moins que je représentais une gêne pour ses plans futurs. J’ignorais s’il voulait m’en écarter pour me préserver moi, ou pour éviter que je devienne une épine dans son pied. Les deux, probablement. Et je savais que j’aurais à faire des choix dans un futur proche, entre m’interposer et faire front contre sa nouvelle armée ou rester passive et observer cette escalade de violence et ces pratiques barbares se généraliser.

Quelque soit ma décision, je sentais qu’elle serait déchirante pour moi. Mon inaction me rendrait complice des exactions de la Ligue, moi qui avait le pouvoir de localiser et d’arrêter son leader avec aisance et qui n’en faisait rien… Et mon intervention contre Ra's Al Ghul coûterait peut-être plus encore à Gotham sur la durée, et mettrait un terme à la confiance et l’amitié d’un homme pour lequel je nourrissais une profonde affection.

N’étais-ce pas trop facile de me cacher derrière l’argument d’une menace plus urgente, de focaliser mes pensées sur the Darkness et Dru-Zod ? J’étais une hypocrite et une lâche, et je savais que je repartirai sans contraindre le Batman aujourd’hui. J’allais lui laisser le bénéfice du doute et guetter le point de non-retour… L’instant où il dépasserait une limite qui serait inacceptable à mes yeux… J’avais cependant conscience qu’il me cachait intentionnellement ses activités et que ce n’était pas de ce dont la presse parlait dont je devais m’inquiéter mais de tout ce qui n'était pas dit…

Plus je grattais pour mieux appréhender ce qu’était cette Ligue, plus Bruce refusait de répondre à mes questions, et plus mes inquiétudes grandissaient.

-Tu l’a donné à titre métaphorique, n’est-ce pas ? C’est ta manière de me dire que tu es dévoué pleinement à ta cause.

Il pouvait jouer le mystérieux, mais pas à ce sujet. J’avais trop d’expérience, trop de vécut passé à chasser les artefacts maudits et à combattre créatures, dieux et humains qui avaient sombré à cause de l’occulte pour ne pas me sentir alarmée par les propos que me tenaient Bruce. C’était une chose de le savoir combattre des humains - certes fous à lier et très dangereux, mais humains - et une autre de le voir fricoter avec la sorcellerie et les arts mystiques alors qu’il n’était pas suffisamment formé ni préparé. Son désir de vengeance n’avait pu appeler à lui de divinité bienfaisante et je redoutais de découvrir avec quoi il était en train de frayer… Allais-je devoir dégainer mon épée contre un dieu potentiellement maléfique pour protéger l’esprit et l’âme de ce mortel qu’il était si facile d’attirer dans les ténèbres au vu de sa fragilité émotionnelle ? N’avais-je pas déjà assez à faire avec Enchanteresse ? Je soupirai intérieurement. Je me sentais las de ces combats et de ces problèmes qui n’en finissaient jamais…

-Clark ?

Je lui jetai un regard désabusé.

-Bien sûr qu’il a besoin de moi.

Je reposai mes mains pour reprendre place sur mon tabouret tout en me retenant de me lever pour faire les quatre cents pas.

-Et je lui apporte mon soutien inconditionnel depuis le jour où j’ai reposé le pied sur le sol américain. Pourquoi devrais-je choisir entre vous deux ?

Je levai les yeux au ciel tant l’idée me paraissait stupide.

-Tu utilises les mêmes stratégies d’évitement que l’autre jour. Fais preuve de sincérité et arrête de me trouver un tas de missions pour justifier que je ne puisse pas marcher à tes côtés. Tu rejettes une aide que j’estime être en capacité de te fournir, point.

Et il avait ses raisons… Qu’il ne me donnerait pas. Bruce cultivait les secrets plus habilement que le meilleur des jardiniers.

La question était close. Par deux fois je lui avais fait connaitre ma disponibilité, par deux fois il avait rejeté mon offre. Je ne pouvais convaincre une tête de mule, j’allais devoir continuer à réfléchir pour trouver des moyens détournés de le soutenir. Il n’avait pas idée du temps qu’il me ferait économiser en acceptant de m’associer à quelques uns de ses projets, mais je comprenais aisément pourquoi il voulait me tenir loin de sa Ligue… Tout comme j’étais convaincue encore plus durement après notre conversation de la nécessité de poursuivre l’enquête sur elle. Plus il faisait de mystère et plus il attisait ma curiosité et mon inquiétude…

-Pour en revenir à ta question de tout à l’heure, la réponse est non. Si collaborer avec ta société secrète requiert de s’engager sur des voies occultes que tu refuses de me révéler, j’y pose d’office mon véto.

Signer un contrat à l’aveugle avec des Puissances inconnues ? Fallait-il être stupide pour s’engager sur cette voie quand on avait un tant soi peu de bon sens !

-Tout comme le fait que tes agents torturent et tuent en mon nom. Si c’est là leur seul moyen d’agir…

Je secouai doucement la tête.

-Tu cautionnes vraiment ça, Bruce ?

Evidemment, il cautionnait la torture. Il y avait eu des disparitions, à Gotham… La Ligue des Ombres n’enlevait pas des criminels pour leur proposer un thé et des sucreries…

Mais le meurtre ?!

-Tu l’ordonnerai ?

Je changeai finalement de sujet. Si je ne pouvais compter sur les forces de Bruce, je devais trouver un plan B. Le gouvernement américain, peut-être… Amanda Waller allait devoir prendre ses responsabilités vis-à-vis d’Enchanteresse.

-La Ligue des Justiciers se rassemble le 13. Si tu te sens encore concerné, tu y es le bienvenue…

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Je fronçai les sourcils sans réellement comprendre où il voulait en venir. Il ne pouvait trahir les secrets de son organisation en me parlant des légendes et autres phénomènes occultes qui entouraient la question mais il me proposait d’aller en parler avec quelqu’un d’autre ? Etais-ce un moyen détourné de me donner accès à des informations sans briser son serment ? Et pourquoi Zatanna savait ce genre de chose, au juste ?

-Quels liens a Zatanna avec la Ligue des Ombres ?

Allais-je devoir me méfier d’elle aussi, à l’avenir ? J’étais peut-être trop fatiguée pour réfléchir avec assez de recul, j’y verrai plus clair avec quelques heures de sommeil et un retrait émotionnel. J’avais l’impression que Bruce frayait avec des forces occultes qu’il ne comprenait pas vraiment. Peut-être ne pouvait-il pas m’en parler parce qu’il ne savait tout simplement pas me répondre… Encore qu’il détenait des informations. Ces malédictions, ces prophéties dont il refusait encore et encore de me parler. Il savait des choses. Peut-être pas tout, mais il avait eu vent de choses qui le confortaient dans ses résolutions.

Je soupirai intérieurement. Je ne le ferai pas plier.
Zatanna… Soit.

-Tuer. Pour des informations ?

Avais-je une vision faussée du colosse de Gotham ? Cet homme qui avait jadis fuit Nanda Parbat parce qu’il refusait de tuer un criminel ? Ce justicier, certe borderline, mais qui prétendait avoir des limites qu’il refusait de franchir ?

Ce justicier là, tuait maintenant non plus en ultime recours, pour défendre sa vie, celles de proches ou d’innocents, mais pour obtenir des informations ?

Je ne tombais pas de si haut que ça… Peut-être au fond que je m’étais doutée de ces choses-là, peut-être que j’espérais juste que mon vieil ami ne se soit pas déjà enfoncé si loin dans ses ténèbres… Qu’il considérait encore la vie comme quelque chose de sacrée qu’il fallait respecter. Mais il avait choisi de commander une armée d’assassins après tout, cela devait être tentant de céder à la facilité quand ses propres soldats n’avaient aucune limite morale. Plus facile que de les tenir en laisse pour leur apprendre précisément à travailler d’une manière plus éthique…

Son air triste n’apportait aucune consolation à ce qu’il me disait. Il pouvait regretter ce qu’il faisait, cela prouvait qu’il avait encore une once de morale en lui… Mais cela ne changeait rien au fait qu’il le fasse délibérément.

Je secouai doucement la tête.

-Le chemin que tu parcoures est aussi important que la résolution de ton objectif. C’est lui qui fait de toi ce que tu es. Ne te perds pas en route, Bruce.

Je soupirai.

-Les méthodes de ces adversaires ne sont pas plus terribles que celles des précédents, ils profitent juste de notre faiblesse. Nous sommes revenus fragilisés du multivers, souffrants, désunis…

J’en avais traqué des entités depuis mes premiers pas dans le monde des Hommes. Arès et ses séides qui avaient infiltrés plusieurs armées du monde, fait monter les tensions et déclenché une guerre planétaire, tous ces métas-humains, magiciens, sorciers, qui complotaient à petite ou grande échelle, ces humains qui tentaient de s’approprier d’antiques artefacts divins maudits en contournant les lois… J’avais moi-même évolué dans l’ombre jusqu’à il y a peu, en termes d’années terrestre. Je connaissais les rouages. Pas aussi bien que Bruce qui était capable de rentrer dans la tête des criminels et de comprendre leur manière de penser mieux que personne, mais néanmoins…

Je poussai un soupir alors qu’il tentait de me faire passer un message. Dans sa posture, son ton, ce contact physique qu’il initiait entre nous…

Il avait raison, je le savais. Et ça me faisait mal de l’admettre…
Je répondis avec mon coeur, sincère et parfaitement transparente, comme j’avais fini par prendre l’habitude de le faire jadis alors qu’il n’y avait plus que lui et moi au monde et que notre avenir était sans espoir.

-J’ai trop perdu là-bas… Je ne supporterai pas de voir un autre de mes proches tomber. Pas alors que nous venons de rentrer chez nous...

Je fermai les yeux quelques instants, tête baissée pour me déconnecter de mon voisin et reprendre contenance. J’arrivais à me blinder avec les autres, mais c’était plus difficile avec lui… Parce qu’il me connaissait bien, il savait voir au-delà des apparences, parce que nous avions un lien fort et que nous avions jadis l’habitude de nous porter l’un-l’autre et de craquer à tour de rôle…  

-J’ai un plan contre Enchanteresse, je détiens une arme qui pourrait nous donner la victoire sans faire de mal à son hôtesse. Mais ce plan implique de créer une connexion entre nous, une faille dans laquelle elle pourrait s’engouffrer. C’est son domaine, la magie qui affecte la psyché…

Ma main vint rejoindre les siennes pour les recouvrir à mon tour. Je relevai les yeux vers lui et énonçai les faits, pragmatique.

-J’ignore dans quel état je ressortirai de cet affrontement. J’avance sans filet de sécurité, il n’y aura pas de dieux pour me sauver si j’agonise, cette fois.

J’irai sans la moindre once d’hésitation pourtant. Pour l’avenir de cette planète, pour l’humanité que je chérissais et que je ne pouvais me résoudre à voir soumise à cette entité antédiluvienne. Je me battrais pour offrir un avenir aux Hommes, ce même avenir que je n’avais pu garantir aux Unagrs… Pour protéger ma mère et mes soeurs qui seraient peut-être prises pour cible un jour.

Je ne serai pas seule dans ce combat, mais Enchanteresse ne le serai pas non plus.

Je n’avais pas peur de me sacrifier. Je serai peut-être déjà morte si Barry n’était pas venu à nous, il y a quelques mois de cela. Ce n’était qu’une continuité de notre enfer, après tout…

-S’il m’arrive quelque chose, Thyr’a, ce sera à toi de veiller à ce que Clark garde le cap. J’espère que tu sauras être disponible pour lui, même si… tu n’as pas vraiment le temps pour entretenir une vie sociale.

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-Nanda Parbat est la source de la Puissance que tu sers ?

Une discussion avec Zatanna allait bel et bien s’imposer. Un nouvel élément était entré en jeu, un que je ne pouvais ignorer. J’avais jadis dévoué ma vie à protéger le monde des Hommes de cet univers ésotérique qui pouvait ébranler et détruire une paix qui peinait à s’instaurer, doucement, à la fois fragile et solide. Les dieux s’étaient retirés avec la foi qui s’était en partie tarie, pour la plupart trop affaiblis pour demeurer de manière persistante dans notre dimension. Ils avaient cependant laissé derrière eux des traces, des lieux marqués par leur pouvoir, des portes menant à des endroits mystérieux, des artefacts regorgeant de pouvoir qui pouvaient rendre fou un mortel non préparé…

Je connaissais à minima une personne qui savait où se trouvait Nanda Parbat. Deux peut-être, avec Zatanna. Il n’était pas impossible que j’aille jeter un coup d’oeil là-bas pour jauger le danger. Pour Bruce, pour sa ligue, mais surtout pour l’humanité. Dès que je trouverai le temps… Une denrée trop rare et précieuse en ce moment.

Je levai un doigt pour esquisser les contours d’un hématome sur le haut de son torse, près de l’épaule. Presque inconsciemment, mon esprit tenta de reconstituer la scène… La taille du combattant qui avait frappé, sa position, la puissance de l’impact. Je l’imaginai et je projettai sans m’émouvoir, avec l’expérience d’une guerrière qui avait fêté son troisième millénaire il y a bien longtemps.

-Tes proches… Ta morale… Ton existence… Ta vie peut-être, énumérai-je dans un murmure les yeux rivés sur son torse comme hypnotisée par ces blessures.

Il sacrifierait tout sans hésiter. Je l’avais compris maintenant, avec le temps et nos conversations, je voyais sa détermination et sa volonté de fer. Je savais qu’il ne vivait plus qu’à travers son but, que tout le reste n’était qu’une distraction, à mettre au second plan. Les émotions des personnes qui gravitaient autour de lui n’avaient que peu d’importance si elles ne servaient pas ses objectifs, aussi nébuleux soit-il. Nettoyer Gotham ? Non, pas que. Se venger de toutes les personnes qui lui avaient fait du mal, Bane y compris dont il venait de citer le nom. Et après ? Continuerait-il dans sa lancée. Sa Ligue des ombres évoluait dans le monde entier, voudrait-il poursuivre ailleurs, se sentant investi d’une mission divine de vouloir nettoyer le monde du mal ? Le pouvoir donnait parfois des ambitions démesurées aux gens… Avec lui venait l’arrogance et la disparition de la compassion.

Et j’en venais à me poser soudain une question. A lui, qui était fermement résolu à vivre dans la vengeance, qui avait été prêt à vendre son âme au diable pour obtenir ce qu’il voulait et qui était doucement en train de glisser dans les ténèbres… A cet homme là, si déterminé dans sa quête, dont je venais maintenant à douter du sens moral... Irait-il jusqu’à sacrifier un jour nos vies si cela pouvait lui donner l’opportunité de gagner du terrain et de remporter sa croisade ? Deviendrions-nous des pions sur un vaste échiquier ?

Un frisson glacé se répandit sur ma peau. J’avais déjà connu la trahison. J’avais déjà perdu, sacrifié des amitiés sur l’autel de leurs ambitions et des arts mystiques. Cheetah, pour ne citer qu’elle. J’avais souffert de ces trahisons mais ce ne serait rien à côté de celle de Bruce. J’avais nourri une confiance aveugle en lui pendant de longues années, douter de lui me faisait mal.

Mon esprit me ramena vers l’enfer que nous avions quitté. A sa main qui me tirait vers le haut à chaque fois que mes jambes ployaient, à son humour et à sa force intérieure incroyable. C’était douloureux d’imaginer que nous pourrions devenir des ennemis. Trouverai-je un jour la force de pointer mon épée vers lui s’il venait à dépasser les limites avec sa Ligue ?

Je devais être prête à tous les scénarios. Penser au meilleur et au pire. Faire comme lui en somme… Devenir un monstre de pragmatisme.

Mes mains qu’il serrait, ces déclarations faites sur son attachement pour moi…

Il ne m’aidait pas à prendre du recul.

Je ne pouvais pas.

Je n’étais pas Bruce. Je n’étais pas capable de me couper des liens, de mes proches, de mes propres émotions. Je m’étais toujours laissée guider par mes intuitions, par cette force en moi qui me poussait à aller toujours plus loin.

Mes émotions me portaient.

Et la foi. La foi inébranlable en mes dieux, en la possibilité de construire un monde meilleur. La foi en ceux que j’aimais et en l’humanité…

-Sans pression ! dis-je avec l’ombre d’un sourire.

J’ignorais si Bruce me trahirai un jour, mais je notai à quel point il m’estimait indispensable à ce monde pour l’heure. Ses discours interminables et répétitifs sur le fait que je devais me focaliser sur les menaces majeures telles que The Darkness et les kryptoniens me faisaient comprendre à quel point il avait peur de ces entités. A juste titre, il y avait de quoi trembler. Il n’avait pas besoin de me rappeler mon devoir ni l’utilité que j’avais, je savais ce que j’avais à faire. Je savais à quel point mon intervention pouvait faire pencher la balance. C’était par sens du devoir que j’avais quitté l’étreinte réconfortante de Themyscira pour retourner sur un front que j’aurais préféré abandonner. J’étais las de me battre, j’avais besoin de me reconstruire loin de tout ça.

-Si je disparais, d’autres se lèveront. C’est dans les ténèbres les plus noires et les situations les plus désespérées que la lumière brille le plus fort, dis-je sans l’ombre d’une hésitation.

J’avais foi. Des ressources insoupçonnées apparaissaient parfois à des moments critiques pour surmonter les pires épreuves. N’en étions-nous pas la preuve ? Nous nous étions révélés les uns aux autres et soudés uniquement après l’invasion kryptonienne, puis l’éveil de la créature de Luthor.

Sa pression sur mes mains, je sentais qu’il essayait de me faire passer un message, que ça lui tenait à coeur. Et comme toujours, cette voix égale, détachée. Le combat entre ses émotions et son pragmatisme. Sa maîtrise de lui-même m’avait toujours impressionnée. Je l’entendais battre, son coeur. De temps à autre il s’affolait, puis revenait au calme…

-Nous avons tous un rôle à jouer en ce bas monde… dis-je pensivement. Tu as pensé à tout, dans les moindres détails, du début à la fin, dis-je avec l’ombre d’un sourire.

Je le reconnaissais bien là.

Je me redressai pour venir m’appuyer sur les accoudoirs de sa chaise et lui chuchoter à l’oreille :

-Je vais te laisser faire sans m’interposer pour le moment. Mais comprends bien que plus tu me tiendras à l’écart de tes intrigues et plus j’aurais les yeux braqués sur toi et sur tes séides. Tu étais habitué à combattre des fous déshumanisés mais tu étais entouré de personnes morales pour t’aider à garder pied.

Je reculai légèrement pour pouvoir voir ses yeux et poursuivit à voix basse.

-Qui va t'empêcher de sombrer, maintenant ?

“Qui t’empêchera de devenir comme ces hommes et ces femmes que tu haïs ?”

Je réfrénai mon envie de le serrer contre moi, comme si j’avais les moyens de le protéger de l’avenir qu’il s’était tracé. J’avais beaucoup de pouvoirs, mais pas celui-là.

Goddess and Black Crusader

Je l’agace avec mes questions, je le sens. Ça n'a pas d’importance, il ne peut pas s’attendre à faire un tel revirement sans susciter des interrogations. Il sait que je suis quelqu’un de droit. Il sait aussi que je suis loyale et que sa sécurité m’importe presque plus que la mienne. Malgré tout, il a choisi une voie qui l’éloigne de moi… Tout ce que je peux faire est de m’assurer qu’il ne fonce pas droit vers un précipice.

Je sens sa peau gelée sous mes doigts alors qu’il plaque ma main contre sa poitrine. Ses mots sont plus froids encore… Et à nouveau, l’inquiétude. Je sais pourtant que je dois cesser. Je n’ai plus de contrôle sur sa vie, je ne suis plus en mesure de l’influencer de quelque manière que ce soit. J’ai semble t-il perdu ce pouvoir le jour où je suis rentrée sur Terre. Et pourtant, il a encore ces petits gestes affectueux à mon égard.

Je le laisse se lever, le voyant se diriger vers sa penderie. Mon regard se tourne vers la fenêtre. Il pleut drue, dehors. Mes oreilles se tendent vers le son tranquille de l’averse, je tente de calquer les battements de mon coeur sur ce bruit pour chercher l’apaisement…

Et puis soudain un coup de tonnerre.

Les dieux sont-ils en colère ?

Je baisse la tête, le poing serré contre ma poitrine. Ils n’ont pas répondu, à Themyscira. Leurs enfants ont besoin d’aide et ils demeurent silencieux…
Avons-nous perdu leurs faveurs ?
M’en veulent-ils d’avoir abandonné ce monde pour me perdre dans une lointaine dimension ? Me font-ils payer mon culot pour avoir osé revendiquer le titre de déesse ?

J’ignore si je dois me sentir profondément triste ou en colère, moi aussi. Le retour sur Terre aurait dû être notre paradis retrouvé, la fin d’un calvaire. Alors pourquoi j’ai l’impression de perdre un peu plus chaque jour ?

J’ai mal, je lutte contre cette douleur immense en moi depuis si longtemps. J’ai l’impression de me débattre dans un océan de glue, m’épuisant sans avancer d’un pas.

Je me demande si Bruce ressent la même chose. Si comme moi, il se dit que rien n’est à sa place. Comme si on avait secoué le jeu en notre absence et replacé les pions au mauvais endroit. Comme si les pièces du puzzle avaient été rassemblées de la mauvaise manière. S’il voit le monde tel qu’il ne devrait pas être et s’il se dit que son sacrifice n’est pas si grave tant que cela permet de remettre les choses à leur place.

Comme moi.

Dans deux jours, je pars pour le monde des morts. J’y serai déjà s’il n’y avait pas la réunion avec les membres de la Ligue des Justiciers. Je n’ai pas hésité une seule seconde à prendre cette décision. Je n’en ai pas parlé à ma reine ou elle me l’aurait interdit... Je risque tout en allant là-bas, je le sais, Hadès pourrait ne jamais me laisser repartir. Ça n'a pas d’importance, je dois le faire.
Et de fait, je sais aussi que c’est peut-être la dernière fois que je le vois… Je me tourne pour aller à la rencontre de Bruce.

| Je compte sur toi pour être là, en dernier recours. |

Cette pièce là non plus n’est pas à sa place. Mon rôle devrait être de veiller sur lui, pas de devenir son ennemie.

| Et m'arrêter, si ça devient nécessaire. |

Ma main vient se poser sur son bras, interrompant son geste alors qu’il boutonne ses manches.

Je suis fatiguée de faire semblant que tout va bien. Rien ne va. Lui non plus ne va pas bien, et il se dissimule.
C’est peut-être la dernière fois que je le vois et il n’en a pas conscience. Je ne lui ai rien dit jusque là. Est-ce que je fais bien ?

J’enchaine les erreurs depuis mon retour. A trop prendre sur moi, je l’ai laissé s'éloigner.

Ca n’a aucun sens.

Rien n’a de sens.

-Bruce…

La main qui ne tient pas son bras se pose sur son cœur, suit les tracés de sa chemise et remonte. Mon pouce effleure sa mâchoire, mes doigts glissent contre sa joue, viennent se poser sur sa nuque. Je m’accorde ce que je refusais de m’offrir jusque là. Par bon sens peut-être ou par fierté. Mais qu’est-ce que la fierté quand on s’apprête à braver la mort en personne ? Je dois moins réfléchir et juste me laisser porter.

Demain sera un autre jour. Demain, je pourrai oublier cette soirée et me concentrer sur la survie de l’humanité.
Cette nuit, je veux juste oublier que le jeu est sans dessus-dessous.

Mes lèvres sur les siennes en une caresse douce.
J’ignore comment il va réagir à ce contact.
Peu importe. Je recule à peine.

-Dans deux jours, je pars pour le monde des morts… Les dieux n’ont pas répondu à l’appel des amazones, alors je m’en vais solliciter une audience en personne auprès d’Hadès. Si les Moires le veulent, je reviendrai avec le droit d’ouvrir les portes du Tartare pour y bannir l’âme de notre ennemie.

Je me demande alors… Si je disparais, qui sera là pour s’assurer qu’il ne sombre pas complètement ? Qui lui offrira sa lumière ? D’autres champions se lèveront peut-être pour la Terre, mais qui se lèvera pour le protéger lui ?
Je dois revenir. Coûte que coûte.

Mes lèvres se posent à la commissure des siennes. S’il ne recule pas, je savoure sa chaleur, son odeur… J’ai besoin de réconfort alors qu’il est peut-être la dernière personne à vouloir m'en offrir.

Je suis terrifiée.
Je suis perdue. Je doute comme jamais je n’ai douté. Et pourtant, je suis fermement résolue.
Je dois aller au bout de mon voyage, pour protéger tous ceux qui me sont chers. J’ai perdu Una, personne ne me prendra la Terre. Se rendre aux Enfers est une idée stupide, mais c’est la seule qu’il me reste pour luter contre une entité antédiluvienne qui peut survivre sans corps et se réincarner comme elle l’entend.

-Fais moi oublier un moment, tu veux ?


Je ne veux pas penser à demain.

Goddess and Black Crusader

J’entends son cœur battre. A moins que ce ne soit le mien ?

Je sens son souffle irrégulier qui chatouille mon visage. J’ignore si ces réactions physiologique viennent de la révélation que je viens de lui faire ou si c’est dû à notre rapprochement physique.

S’inquiète t-il pour moi ?
Oui, j’en ai l’impression. J'ai parfois du mal à lire en lui. Souvent. Il est comme une langue étrangère qui me résiste, qu’il m’est difficile à déchiffrer. Nous sommes très différents l’un et l’autre. Différents… et parfois très semblables. Un même souffle nous anime : nous avons à coeur de protéger le monde des Hommes de la corruption qui l’anime. Nous voulons la paix et nous nous battons pour l’obtenir. Certains y verraient un sacrifice, j’y vois un devoir moral. La culture des amazones m’a faite ainsi : “le bien de la collectivité avant celui de l’individu”. Nombre de mes soeurs jadis ce sont portées volontaires pour raccompagner le survivant naufragé dans son pays, quand bien même cela pouvait signifier un exil définitif. Quand bien même elles ne nourissaient guère d’intérêt voire même de l’hostilité envers les mortels et leur monde… Le sens du devoir. J’ai remporté les jeux et j’ai été désignée comme championne. Si la providence m’a finalement permis de revoir ma patrie, je pensais entamer un voyage sans retour.

Ce n’est pas si différent aujourd’hui. Les dieux guident mes pas. Tout a un sens en ce bas monde… Il n’est pas toujours aisé d’interpréter les signes, parfois le dessin n’a de sens qu’une fois achevé.

Aujourd’hui, mes pas m’ont conduits à Bruce. Que ce soit notre dernier soir ou non, j’ai décidé de me laisser porter. Cela fait trop longtemps que je lutte à contre-courant, je suis trop fatiguée. Il est peut-être temps que je renoue avec mon instinct et que je raisonne un peu moins avec ma tête. Arriverai-je à me retrouver, ainsi ? Pleine et entière, comme avant ?

-Je vais revenir.

Je m’exprime dans un souffle en y mettant toute l’assurance dont je suis capable.

-Il le faut.

Je pose une main sur sa taille, elle glisse doucement dans son dos et je me love un peu plus contre lui. J’ai besoin de sa chaleur. C’est peut-être la dernière fois que je la ressens. Même si je reviens du royaume des morts, j’ignore s’il y aura d’autres moments comme celui-ci. Bruce est résolu à avancer et à commettre l’irréparable. J’ignore si je pourrai fermer les yeux, si mon sens de la justice me permettra de faire comme si de rien était. Les Moires tissent leurs fils, nos routes s’entremêlent et se séparent. J’ignore de quoi le futur sera fait, je ne souhaite pas me projeter.

Demain n’est pas là.
Je vis l’instant présent.

Nos lèvres se touchent. Mon coeur cogne plus fort dans ma poitrine.
Ça fait du bien de le retrouver.

-Ce n’est pas un adieu.

Je cherche ses lèvres à mon tour, une main dans ses cheveux. Sensuelle.

-J’emporte un peu de lumière avec moi dans un royaume sans astre.

Ma bouche se pose sur son cou, je l’embrasse en douceur, fais glisser mes lèvres sur sa peau.

-Je prends un peu de chaleur et de courage pour ne pas oublier que je suis vivante et que je dois le rester.

Je viens chatouiller le creux de son oreille de mon souffle, recule légèrement.

-J’arrête de penser à demain et je vis l’instant.

Et je l’embrasse sans retenue. Mes lèvres sur les siennes à la recherche de sa langue, je me perds volontiers dans ces sensations et dans le bien-être que cela me procure. J’ai envie de plus. J’ai besoin de plus. D’évacuer des mois de déperdition émotionnelle, de frustrations et de douleur. Des mois ? Non, des années. De très nombreuses années accumulées qui, bout à bout, pèsent sur mon âme.
Je me refrène. Je ne veux pas faire de mal à Bruce, je pourrai le briser si je ne fais pas attention.

Me désire-t-il comme je le désire en cet instant ?

Goddess and Black Crusader

-Serai-je devenue un vampire sans le savoir ? m’étonnai-je du choix de mots de Bruce.

Pourquoi mon étreinte lui déroberait-elle son courage ? Le contact me donnait du courage et apaisait mon esprit qui avait cruellement de distraction, même éphémère.

« Vous ne faites jamais baisser la pression ? », m’avait demandé le lieutenant Lockwood trois semaines plus tôt.

“Je ne peux pas”, lui avais-je répondu. Comment le pourrai-je ? Me retirer du jeu pour me reconstruire, c’était donner un avantage certain à nos ennemis. J’avais sillonné le pays pour rencontrer chacun de mes camarades et les exhorter à reprendre les armes, pour renouer avec ceux qui pourraient devenir une nouvelle force sur l’échiquier. Je n’avais eu de cesse de m’interroger sur ce qui serait le mieux pour les Hommes : me cacher de leur regard ou réapparaitre et devenir à nouveau ce symbole que j’étais jadis au risque d’attirer des ennemis plus redoutables encore ?  

Des questions, toujours plus de questions… Et pas de bonnes solutions. J’avais finis par prendre des décisions, cependant, dussai-je m’en mordre les doigts plus tard. La passivité n’était pas un choix acceptable.

J’entendais son coeur battre, je voyais tous les signes physiques qui le trahissaient. Et pourtant…

"Ce non, toujours ce non"… pensai-je frustrée alors que mon propre corps s’enflammait aussi à son contact…

Il en crevait d’envie pourtant. Il se battait contre lui-même, contre ses pulsions propres.
Je soupirai intérieurement. Bruce et moi étions si opposés que je peinais souvent à le comprendre… Moi guidée le plus souvent par mes émotions et mes croyances, lui par un froid pragmatisme.

“Ce ne sera peut-être jamais plus le moment”

Je me retins d’énoncer une vérité dont nous avons tous les deux conscience. J’ignorais ce que l’avenir nous réservait. A vrai dire, je n’étais pas sûre d’être assez solide pour supporter la vision de ce futur, ce serait comme le figer définitivement.

-Nous aurons toujours des missions, lui fis-je remarquer calmement. C’est ainsi que nous vivons, c’est ce que nous sommes.

Allais-je m’enraciner à lui si je l’aimais cette nuit ? Je ne savais pas… Je n’étais plus sûre de rien, le concernant. Il était comme du sable, filant entre mes doigts sans que je puisse le retenir. Je sentais sa chaleur, je savais qu’il était là, mais je ne pouvais pas le garder près de moi. Je le savais, je l’avais compris. Ça faisait un peu mal, peut-être… J’aurais aimé pouvoir l’entourer d’amour et lui offrir un peu de répit dans son quotidien, détourner ses yeux de sa souffrance. J’aurais fait tout mon possible pour guérir son âme et continuer à veiller sur lui comme il avait jadis veillé sur moi… Ilulwane avait pris le pas sur Thyr’a et je savais maintenant que je ne pouvais pas m’opposer à cela. C’était ce qu’il voulait et rien ne le ferait changer d’avis…

-Ce n’est pas une demande en mariage.

Une étreinte éphémère, étais-ce trop ?
Mais il avait raison, peut-être.

| Je ne veux pas d'adieux. |

Je m’interrogeais soudainement, troublée.
Etais-ce que j’avais cherché à faire inconsciemment ? Dire au revoir à Thyr’a, l’enterrer comme lui-même avait renoncé à nos identités sur Una il y a quelques semaines ? Une union pour accepter enfin le deuil de nos existences et de ce lien unique que nous avions partagé ?

Je partais pour l’Hadès en sachant que mon retour marquerait peut-être une nouvelle étape ? La renaissance de la Ligue des Justiciers, la continuité de la quête de Bruce et sa radicalisation… Je le savais trop engagé dans ses projets, incapable de bifurquer. Je savais aussi que le futur pourrait faire de nous des adversaires… Je priais pour qu’il ne nous dresse pas en ennemi.

C’était triste de penser à tout cela alors que je me tenais présentement dans ses bras.
Je n’avais pas envie de rompre ce contact. J’avais besoin de sa chaleur… Cruelle ironie que de chercher du réconfort dans l’étreinte de celui qui participait à me briser le coeur.

-Peut-être que tu as raison… murmurai-je. Faire du tri…

Je secouai doucement la tête.

-Je ne sais plus où j’en suis, Bruce. Je suis incapable de me projeter, tout est trop… Trop. Je dois vivre au jour le jour parce que je suis incapable de voir au delà de la semaine qui arrive… Il y a juste trop d’inconnues dans l’équation pour le moment.

Et il en représentait une de taille, il devait bien le savoir.

-Je gère les situations à mesure qu'elles se présentent. 


Je saisis délicatement sa main pour la porter à mes lèvres et l’embrasser avec tendresse.

-Moi aussi je dois mettre de l’ordre… J’essaie de déblayer à mesure, mais il y a tellement de ruines…

Je devais aussi l’accepter, j’étais en train de le faire en douceur… Admettre que je n’étais plus la femme de jadis, que Wonder Woman, l’idéal américain que le peuple avait baptisé, n’agirait peut-être plus jamais comme avant. Le changement serait probablement critiqué, mes dieux me désavouaient peut-être… Un siècle d’errance et de deuil s’était imprimé en moi. Je crois que j’enviais un peu Bruce, finalement… Qu’importe nos divergences, j’admettais bien volontiers le courage dont il faisait preuve pour assumer pleinement qui il était désormais.

Et moi dans tout ça ? Qui étais-je ? Que voulais-je ?

J’avais cherché à m’accrocher désespérément au seul et unique repère qu’il me restait, comme à une bouée de sauvetage. Celui qui m’avait porté ces huit dernières années… Était-ce de l’amour que je ressentais pour lui ? Je n’en savais rien. Je ne pouvais nier la profonde affection qui me liait à l’homme, j’assumais tout autant l’attirance que j’avais pour lui… Mais tout cela était-il un vestige d’Una ou une nouvelle vérité que je devais assumer au milieu de toutes les autres ? Quid de Steven dont les retrouvailles m’avaient bouleversés et duquel j’avais préféré me tenir loin ces derniers mois, désireuse de le protéger de moi-même ? De Djarta, dont le fantôme pesait sur mon âme et m’écrasait ? Le collier qu’elle m’avait fabriqué n’avait jamais quitté mon cou depuis la chute des Champs Elysées, j’avais fait renforcer les lanières de cuir avec du métal themysciran pour l’empêcher de se briser…

-Nous le savons tous les deux, Bruce… Tu ne m'attendras pas et je ne le ferai pas non plus. La vie ne nous laissera pas le temps de nous reconstruire en douceur. Les épreuves ont déjà commencé, il y en aura encore d’autres ensuite. Bien que tu sembles tout avoir calculé dans les moindres détails…

Je lui souris tristement.
Les Moires continuaient de tisser inextricablement les fils du destin.

-Je me laisse porter. Je sais qu’il y aura toujours des imprévus et qu'il nous faudra composer avec. Puisse la lumière d’Apollon nous guider…

J’étais presque étonnée qu’il me propose de dormir avec lui. Lui qui, un peu plus tôt, s’inquiétait à l’idée que l’on surprenne ma silhouette à travers une fenêtre, que quelqu’un perçoive nos mots… Et l’eau qui continuait à couler dans la salle de bains…

Dormir côte à côte dans un lit alors que nous étions encore fébriles…
Vraiment, j’admirais son mental d’acier.

-Quelques heures de sommeil, oui… J’imagine que cela ne peut nous faire de mal. Il faut bien admettre une chose de notre planète : elle a ses défauts, mais la literie y est incroyable, plaisantai-je pour dédramatiser.

Goddess and Black Crusader

Il faut parfois savoir se retirer sans insister. Les américains ont un terme pour ça, dans leurs jeux de cartes : “se coucher”.
J’allais me coucher, parce que je sentais que Bruce n'était pas prêt. Il était obnubilé par d’autres objectifs, présentement. Il avait peut-être du mal à oublier la femme qui l’avait trahie et qu’il avait attendu dix ans de sa vie. Je ne savais pas si je serai disponible le jour où il viendra vers moi, si tant est qu’il vienne un jour. Ce que je disais je le pensais. Je savais qu’il n'hésiterait pas à faire ce qu’il y avait de mieux pour lui, que je sois dans l’équation ou non. Et c’est parce que je connaissais Bruce, peut-être mieux que quiconque aujourd’hui, que je savais que je devais moi aussi aller de l’avant sans espérer de changement significatif de sa part. J’étais prévenue. Il avait choisi d’emprunter un chemin dangereux que je ne pouvais encourager, je ne pouvais m’y engager avec lui. Il ne le voulait pas et je le refusais également. Je restais convaincue qu’il y avait d’autres manières de faire pour sauver Gotham, qu’il n’aurait pas dû se fermer au soutien de notre groupe de justicier dont il était le fondateur… La vie et l’expérience m’avaient cependant appris que l’on ne pouvait faire changer d’avis une personne quand elle était fermement convaincue d’avoir raison.

On ne changeait pas quelqu’un qui n’en avait pas le désir.

J’avais vu des personnes se détruire ainsi, des amis. J’avais assisté impuissante à leur transformation.

Cette soirée n’avais pas été inutile cependant, j’avais pu renouer le contact avec lui, en apprendre un peu plus… et surtout lui faire comprendre que je n’allais pas accepter qu’il se détourne de moi si aisément. Ce que je ressentais, ou croyais ressentir pour lui au travers de cet immense brouillard qu’étaient mes émotions, m'appartenait. Je n’avais pas à lui faire porter le poids de mon affection. En revanche, je n’accepterai pas qu’il refuse mon soutien au cours des mois ou des années à venir. Pas après ce que nous avions vécu ensemble. Il était, et resterait toujours, quelqu’un de cher à mon cœur. La loyauté était un principe profondément ancré dans mon éducation.

Si j’avais espéré me détendre dans des bras affectueux cette nuit pour me vider la tête, c’était raté. Dans moins de deux jours, je quitterai la Terre pour m’aventurer dans le monde des morts… Un voyage qui, à l’instar de notre aventure dans le multivers, s’avérait incertain et particulièrement dangereux. J’aurais aimé me changer les idées et me défouler à l’image de cette nuit dans les sources chaudes. J’allais devoir me contenter de partager son lit sans le toucher. Frustrant, au vu des baisers que nous venions d’échanger...

“Tout ou rien, hein ?”

-Tu es un grand romantique dans l’âme, soufflai-je. Et une vraie source de frustration.



Je n’allais pas mentir, mon corps s’était embrasé et, si je respectais trop mon frère d’arme pour insister après son refus, il allait me falloir un moment pour apaiser mes sens. Peut-être que j’avais intérêt à me glisser sous ce jet d’eau que j’entendais cracher dans la salle de bains depuis mon arrivée.

-Tes nouvelles allégeances ne sont pas le seul obstacle, n’est-ce pas ? Un jour peut-être, tu réussiras à te libérer de tout ça et tu chercheras enfin la paix que tu mérites tant...

N’étais-ce pas tout ce qu’il désirait dans le multivers ? Ce qu’il fantasmait jadis d’obtenir une fois de retour sur Terre… Une retraite bien méritée aux côtés de la femme de sa vie, Sélina.

-Mais moi, je n’arrêterai pas. Je continuerai à protéger ce monde. Après ces “missions”, Zod et The Darkness, il y en aura d’autres. La Terre n’a jamais été aussi agitée depuis l’ère des dieux. Les mutations, le retour en force de la magie et les réapparitions de dieux, les extraterrestres… Ce monde aura besoin de moi tant que les mortels n’auront pas développé le moyen de se protéger par eux-même. Penses-y sérieusement, Bruce… Si tu reviens vers moi un jour, si nous décidons de nous donner une chance… Je serai toujours Diana de Themyscira, le princesse des amazones et l’envoyée des dieux.

Je n’étais pas la seule à devoir accepter l’autre dans son entièreté, avec tout ce que cela supposait de conséquences.

-Je ne vieillierai pas en même temps que toi, mais ça n’a pas d’importance pour moi.

Ça en avait peut-être pour lui, néanmoins. Vieillir à deux, ensemble… C’était dans l’ordre des choses. Mais quelle importance au final ? L’un des deux mourraient toujours le premier, cela ne changeait rien en fin de compte.

-L’affection n’a pas d’âge.

J’avais vu de nombreux proches vieillir et fâner avant de s’envoler pour le royaume d’Hadès. Tel était la nature des Hommes, ce n’était pas facile mais j’avais appris à accepter le deuil et à le surmonter.

J’accepte sa main et je la saisis délicatement avant de m’approcher pour déposer un baiser sur son front.

-Tu seras toujours mon frère d'armes. Quoi qu’il arrive, quels que soient les chemins que nous prendront…

Amis, oui. Je saurai m’en contenter.

Je posai une main sur mon épaule pour défaire ma robe humide par réflexe, avant de me raviser. Dormir nue dans ces circonstances ne me paraissait pas des plus respectueux… Je me contenterai donc de mes vêtements malgré l’inconfort. Ce n’était que l’affaire de quelques heures de toute façon, et j’avais dormi dans des conditions autrement plus terribles sur Una. Je n’allais quand même pas me plaindre du matelas d’un hôtel de luxe américain !

Et comme promis, je me glissai sous les couvertures pour me lover près de Bruce, cherchant sa chaleur rassurante de la manière la plus chaste possible.

Et pour une fois, une très rare fois, je glissai dans un sommeil sans cauchemars…