When a shadow meets The Darkness. [Terminé - Intrigue II]

Je me demande si je fais bien de me rendre à ce rendez-vous. Concrètement, je n’en ai pas besoin. Financièrement parlant. J’ai beaucoup travaillé, ces derniers mois. Les contrats se sont enchaînés dans la plus sanglante des indifférences, seuls comptaient espèces sonnantes et trébuchantes et le danger auquel je me retrouvais opposé. Dans tous les cas, je sais que je prends un risque de rencontrer un nouveau client potentiel. Même s’il est recommandé par Rouge… Ce qui, au fond, ne veut pas dire grand-chose. Je suis poussé par la curiosité, malgré tout. Je dois bien le reconnaître. Cette folle furieuse de Rouge est une surprise. Qu’elle connaisse des gens qui ont besoin d’éliminer des adversaires ou concurrents ne m’étonne pas, mais qu’elle me recommande me laisse un peu plus circonspect. Pourquoi moi ?


Je ne suis jamais qu’un ancien Béret Vert, un membre de forces spéciales comme il en existe quantité d’autres dans ce pays, et dont les vétérans désoeuvrés ne manquent pas.


Beaucoup ont en sus bien plus de santé mentale que votre serviteur. Et je ne peux pas assumer compenser ce déficit par mon expérience, qui certes est importante… Mais elle continue de me desservir. Cette forme de…. De je ne sais pas. Une malédiction ? Une forme de cancer qui me ronge ? Cette folie qui continue de me hanter et de me ronger la stabilité de mon esprit et mon sens commun de l’intérieur. Des années plus tôt, j’ai travaillé à pas mal de solutions pour maintenir le sens commun et des réalités de mes hommes. J’ai même lu des thèses de psychologie criminelle, dont les travaux d’Harleen Quinzel sur la perte de la compassion par des ressorts chimiques, qui rendent l’esprit incapable de produire ce qu’il faut pour ressentir cette émotion. Est-ce ça qui m’est arrivé ? Est-ce que ça a toujours été en moi ? Est-ce que ce sont ces missions qui ont tout changé ? Tuer un ennemi, face à face, n’importe qui peut le faire. Tuer un gus en filant la pétoche à son millier de copains, c’est plus difficile.


Du haut de la grue qui me sert de point d’observations, je contemple mes mains gantées. Combien de gorges ont-elles serrées ? Combien de ventres surinés ?


Je peine à tous me les rappeler, encore moins dans l’ordre. Pourtant ils viennent me visiter, en rêve.


Quand je me suis assuré de la situation, de là-haut, je redescends. Lentement, en me glissant dans les ténèbres. Visage peint de noir de camouflage, j’enfile mon masque à miroir aux reflets atténués, je passe mon fusil en bandoulière, à la grenadière, et je vérifie holster et fourreaux de cuisses. La tenue tactique noire me permet de me glisser dans les ténèbres… Même si celui que je viens voir n’est pas né de la dernière pluie.


| Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? |


La voix est étouffée par le masque. Dure et grave.

L’homme est direct, sans détour. Il est assez clair qu’il sait ce qu’il veut et j’apprécie. Un assassin discret et efficace, donc. Ce n’est pas pour rien que Rouge a transmis mon contact alors, c’est évident. Elle doit déjà se faire une certaine idée de mes compétences… Ce qui ne peut que me plaire. Pas par égo, mais parce que l’actrice a très clairement de la suite dans les idées. Elle dispose des meilleurs contacts du fait de son travail, qui lui fait fréquenter les plus hautes sphères, et il est clair aussi qu’elle-même ne manque ni d’ennemis ni de moyens. Je ne sais trop comment elle a pu rencontrer quelqu’un comme le type que j’ai sous les yeux. Fondamentalement parlant, je ne veux pas vraiment le savoir non plus, pour être honnête. Avec elle tout est possible. J’écoute ce que l’homme a à me dire. Sur ce qu’il recherche, et son désintérêt temporaire pour notre identité à chacun. Je ne peux pas le contredire, je n’ai pas forcément vocation à en savoir plus que nécessaire pour l’accomplissement de mes missions.


| Je n’ai pas de cahier des charges. En théorie, tout est possible. Donnez-moi les paramètres des missions que vous souhaitez me voir accomplir et je vous dirais si ça colle au cadre que je me fixe. Rien de compliqué. La moitié du paiement en avance, toujours. L’autre moitié après la réalisation. Je ne fais pas de témoins, s’il y en a, ils disparaissent. Pour le reste, je ne fais pas la fine bouche. Je ne m’en prends pas à des familles entières, ni à des enfants, sauf si ça contredit le premier point que je vous ai donné. Je donne plutôt dans les armes de choc ; tir ou corps à corps, je peux utiliser des pièges, dont des explosifs, mais il faut payer les préparations supplémentaires. Je peux agir seul, ou en équipe. |


Je ne pense à rien d’autre, là tout de suite. Bien sûr, selon les paramètres de sa mission… Je ne peux pas dire que je n’ai pas déjà parfois un peu attiré l’attention. Rien de grave, mais il faut quand même bien l’avouer. Ce n’est pas toujours simple de passer systématiquement inaperçu, car il y a des gens qui ne sont simplement pas capables de se planquer ou d’aller voir ailleurs si j’y suis au bon moment…


| Tout dépend des circonstances. Parfois, il est impossible de passer totalement inaperçu, ou d’agir dans la journée. En général, disposer de quelques jours de préparation permet de pouvoir agir sereinement et de maximiser la bonne réussite de l’opération. |


Je reste concentré, à essayer de mieux distinguer ses traits malgré la pénombre, mais je fais attention aux bruits et jeux de lumière qui m’entourent au cas où.

L’homme parle sans détour. Il me donne un nom. Je sais bien que je n’ai pas à être surpris, mais je le suis quand même un tout petit peu. Rares sont les criminels à accorder suffisamment d’importance aux officiels et personnels de justice pour vouloir marquer le coup à ce point. Bien sûr, je ne suis pas dans la tête de toutes ces têtes pensantes du crime, loin de là. Ce que je sais, c’est qu’un message passe toujours mieux quand il est écrit en lettres de sang, que quand il l’est à l’encre habituelle. Les gens sont toujours plus attentifs aux messages qui donnent dans le sonore et le dégueulasse. J’enregistre les premiers paramètres de mission que me donne le grand chauve qui ressemble à The Rock.


| D’accord. C’est plus cher et plus long à mettre en place, pour une élimination de ce genre de personnel. Les risques ne sont pas les mêmes. Ils sont protégés, ou au moins mis sous surveillance policière quand ils n’ont pas de garde du corps. Je vais avoir besoin d’au moins une semaine de préparation, et sans doute de frais annexes en équipements, et en dispositions qui peuvent servir à camoufler mon implication -et par extension, la vôtre-. |


Ce n’est pas une menace, même si ça peut sembler en être une. Ce n’est que du bon sens. Si je suis pris, qu’il s’agisse de flics ou de ceux qui surveillent ou protègent la cible -qui peuvent être bien différents de policiers de la ville, loyaux ou non-, alors il y a toujours un risque pour que les preuves me relient au meurtre ou à mon commanditaire. D’où les frais supplémentaires, pour s’assurer le cas échéant que ce ne soit qu’un coup d’épee dans l’eau. Je réfléchis sous le masque, parfaitement immobile, aux autres questions qui me sont posées.


| Un million de fixe pour ce genre de cible. On rajoute deux cent mille pour le matériel et tout ce dont j’aurais besoin. Si ce prix vous convient, la mission me convient. |


Je fronce les sourcils.


| Dois-je envoyer un message, une piste, quelque chose, ou juste abandonner son corps en public? |


Certains commanditaires aimant bien lancer quelques avertissements à leurs adversaires, ou brouiller les pistes sur leur implication.

Le nom tombe comme un couperet. Je ne sais pas très bien si je pourrais aller au bout des choses. Je ne sais pas non plus si je pourrais accomplir cette mission sans perte ni fracas. Un homme de ce rang, ce n’est clairement pas quelque chose d’anodin et il est clair que je risque d’y laisser des plumes.[/i]


| Reçu. |


Que dire d’autre ? Je ne suis pas le témoin de moralité de quiconque. Je suis même plutôt l’inverse de cela si on tient compte de la majeure partie de mes actions dans l’existence. La moralité consiste à faire la différence entre des actions de bien et d’autres de mal, à opérer une forme de tri. Dont je suis pourtant bien étranger, à tous points de vue… Je note mentalement le reste des paramètres de mission qui me sont donnés. Il s’en fiche au final, ce mystérieux commanditaire, de comment mourra l’homme qu’il m’a désigné comme ma cible. Il n’y a qu’une information qui lui importe ; que la nouvelle de la mort puisse se répandre. Fondamentalement, c’est bien plus difficile qu’il n’y paraît. Car trainer un corps en public, peu importe l’endroit, implique une prise de risques supplémentaire au niveau des traces que l’on pourrait laisser. Je repense à un détail, toutefois.


| Le corps sera retrouvé. Mais il y aura peut être un temps de latence. Plus le temps est long entre le décès et la découverte d’un corps, moins les signes et indices laissés sur le corps sont en bon état. |


Je sais que je dois faire vite, mais si je veux me garder ce temps de latence, ça veut dire que je dois mettre les bouchées doubles sur la date de mise à mort, et peut être passer à l’action sans un plan millimétré. Ce n’est pas un drame en soi. Mais il faut juste que j’en ai conscience au moment de passer à l’action. Quoiqu’il en soit, il ne reste que des détails à régler, désormais.


| Cash. La totalité à la fin. |


La moitié avant n’est pas si intéressante que ça pour instaurer une relation de confiance ; c’est aussi inutile alors que le type a sans doute des pouvoirs bien supérieurs aux miens et que je suis aussi capable de l’abattre d’une balle dans la nuque si je le retrouve. Il n’y a de travail qui ne mérite salaire que s’il est d’abord accompli, première leçon du paternel jadis. Pour le reste…


| Vous me ferez savoir via notre amie en commun. Elle s’occupera du transfert d’argent. |


L’homme se casse après m’avoir salué et je ne demande pas mon reste, saluant de l’index sur le bord haut de mon masque.