Parler et écouter [Terminé - Intrigue I]

Je vais accueillir un invité des plus particuliers : Oswald Cobblepot. Officiellement, il est le propriétaire de l’Iceberg Lounge. Officieusement, il n’est ni plus, ni moins que le Maire caché de Gotham City. L’homme agit exactement comme la Cour aime le faire, c’est-à-dire diriger dans l’ombre, sans s’encombrer de toutes les problématiques liées à la visibilité, à la responsabilité ou à l’image publique. Celui qu’on surnomme le Penguin serait un parfait pantin, voire un inestimable collaborateur s’il est prêt à se soumettre à nos lois et exigences. Car oui, bénéficier des avantages de la Cour a son prix … Ce soir, je pourrais très bien avoir ma réponse.

Les ordres sont donnés à cette poignée de domestiques, que je connais depuis quelques années maintenant, pour que la maison soit impeccable pour accueillir cette importante personnalité de l’ombre. Si j’avais offert un repas des plus copieux et intimistes à Bruce Wayne, j’avais opté pour une autre approche avec ce cher Oswald. Il sera installé à mon bureau, avec une boisson de son choix, et quelques crackers mis à disposition. J’espère qu’il n’aurait pas l’idée de réduire cette soirée à la tentative misérable d’une brunette de le rendre soûl ! Oh non, je le sais trop intelligent pour tomber dans un piège aussi banal ! Non, non, mes intentions sont tout autre et des plus simples : lui parler, l’écouter.

Je profite d’un semblant d’accalmie pour vérifier les derniers éléments. Je me regarde dans le miroir.  Ma robe bleu nuit, à dos ouvert cette fois-ci, souligne bien ma silhouette. Mes éternels talons me rehaussent, apportant davantage à ma stature. Enfin, je m’assure que mon maquillage n’a pas quelques ratés. J’en profite pour m’humidifier les yeux, cligner à quelques reprises, et vérifier encore que mes lentilles de contact sont à leur place. Il serait vraiment dommage que je voie flou, un tel soir ! Satisfaite, je repasse à mon bureau et jette un coup d’œil à la massive table. Je ne vois qu’un bloc note de feuilles vierges avec l’entête de Vanaver Corporation, un stylo aligné avec ce bloc, et deux fauteuils tournés parfaitement l’un vers l’autre. L’ambiance pue le vieux mobilier, passés d’une génération à l’autre. Pour autant, ni le style, ni cette odeur si propre au passé ne me rebutent. J’ai appris à les aimer et à y trouver même un certain confort.

Mon appel watch clignote. J’ai reçu un message. On m’avertit que la voiture du Penguin vient de passer le portail. Il sera là dans trois minutes. Je me dépêche de me rendre à la porte d’entrée, avec de petits pas mais rapide. Une bonne hôtesse doit toujours être prête à accueillir ses invités. J’arrive à temps, sans grand mal. Comparé à ses voisins, le manoir de la famille Vanaver est modeste. Mes ancêtres ont préféré mettre l’accent sur le jardin, qui est immense par contre, et les multiples annexes visibles – ou invisibles, en sous-sol. Leur but était de forcer un ennemi à travers un large parcelle de terrain, et offrir du temps aux habitants du domaine à fuir grâce à des couloirs secrets ou à se cacher dans quelques recoins discrets et trompe-œil.

- Monsieur Cobblepot, je suis extrêmement ravie que vous avez accepté mon invitation, et que vous avez pu libérer du temps. Je sais que vous êtes un homme très occupé, je vous remercie beaucoup, le flattais-je, tendant ma main pour le saluer. Je suis Samantha Vanaver. Nous nous sommes rencontrés à quelques reprises dans quelques soirées mondaines, sur ces dernières années. Avez-vous pu trouver facilement le manoir ?

Je n’esquisse aucune grimace, lorsque monsieur le Maire prend ses aises, ou opte pour une discussion franche. Je dirais même qu’un sourire se dessine sur mes lèvres. L’homme se croit chez lui. Si tout va bien, lui aussi va bientôt tomber dans notre piège et n’être qu’un jouet, ou un membre loyal à notre cause.

Je ne comprends pas comment certains Gothamites pensent que la ville leur appartient, dès qu’ils ont une paire de bras costauds ou quantité d’argents dans leurs coffres-forts. Malgré l’influence constante de la Cour, quoique fluctuante et variable à certaines périodes ou générations, je ne me considère pas – et ne me considérerai jamais – comme la propriétaire. Je suis une mère. Aimante, je protège mon enfant lorsqu’elle en a gros besoin. Stricte, je sais l’abandonner à sa bêtise, pour qu’elle en recueille les fruits amers des conséquences de ses folies.

Car cette ville dénature la nature humaine. Il fut un temps, j’ai cru naïvement que le sol devait être empoisonné. J’ai commandé de multiples analyses, mais mes efforts ont été vains. Le sol, l’air ou l’eau ne sont pas plus pollués ou plus clairs que ceux de Metropolis ou d’une autre ville américaine. Dès lors, il ne reste plus qu’une explication, quasiment spirituel : la ville est vivante. Et la ville est joueuse. Elle offre les plus beaux idéaux aux plus grands rêveurs, et les plus grands cauchemars aux plus tordus. Il n’y a pas de demi-mesure. Je le dis, alors que je défends avec ardeur toute notion d’équilibre … Une cause bien difficile, en toute franchise. Pour cet idéal, je dois commettre les actes les plus nobles et les plus atroces.

- En tant que citoyenne inquiète et extrêmement impliquée dans l’économie de la ville, je souhaite m’enquérir auprès de vous sur un sujet épineux. Vous savez, comme le reste de la ville, que Batman est de retour. Et il est revenu avec panache, si je puis dire. Le Joker a senti son retour et a fait des siennes, commençais-je. Qu’est-ce que le Maire de la Ville va faire, avant que la situation ne dégénère à nouveau entre le Clown et la Chauve-Souris ? De souvenir, avant la disparition de cette dernière, les bâtiments avaient tendance à exploser, incluant les vôtres … je crois bien.

A mon tour de prendre mes aises, posant mes coudes sur mon fauteuil, et dardant mon invité d’un regard perçant.

- Et je vous prie de ne pas me dire que vous n’en savez rien. Je sais que vous êtes le Maire de cette Ville, même si vous n’en portez pas le titre officiellement. L’affaire est trop urgente, pour que j’accepte de me prêter à une quelconque comédie, et faire passer la demande à votre pantin.

A nouveau, je me tais. J’espère sincèrement qu’il allait me prendre au sérieux. S’il ose se moquer, ou m’ignorer, il risque d’en payer très cher le prix. Il n’est pas question d’orgueil. Par contre, c’est la sécurité de ma ville qui est en jeu, et je ne tolère pas la moindre légèreté. Enfin, et plus important, nous parlons du retour de l’un des rares hommes à avoir pu échapper entre nos griffes. Il est dangereux pour la Cour, et pour nos projets à venir.

Lui ou le Joker. Ils sont une même maladie, un même virus.
L’un doit être éradiqué, pour que l’autre a sa place au sein de Gotham.

Je ne réponds pas immédiatement à sa dernière question, laissant un long silence s’installer entre nous. Calme, stoïque même, je suis à peine impressionnée par l’homme. Combien de fois ai-je frôlé la mort, par le passé ? Je ne saurais plus compter ! La Faucheuse est devenue ma compagne, me visitant intempestivement puis se hâtant de partir pour honorer des rendez-vous. Vais-je mourir ce soir, de la main de ce Penguin ? Il se peut que oui, comme il se peut que non.

- Comment vous payez-vous ces cigares, exactement ? demandais-je, abandonnant mon mutisme. A son sourire jauni légèrement, j’offre le mien – éclatant, et blanc. Grâce à nos impôts, pardi ! Mais également grâce à toutes les taxes que vos sbires prélèvent sur nos marchandises à l’entrée et à la sortie de la ville, voire de quartiers, répondis-je, le ton emprunt d’une fausse gaieté. Et je ne suis pas la seule grande entreprise de Gotham qui subit ces vols, à répétition.

Je ne porte plus de masque d’apparat, révélant des traits durs et menaçants. L’homme est chez moi, et sur ma demande. Je refuse de me laisser autant écraser sous mon propre toit, et il est temps qu’il le comprenne. Je me mets à son niveau, plongeant mon regard étincelant et brillant dans le sien. Voyait-il mes lentilles transparentes ? Qu’importe !

- Nous acceptons ces stupides levées financières, nous supportons le manque de main d’œuvres, mais nous refusons de subir de lourdes pertes comme la destruction de nos bâtiments.

Comprend-t-il, enfin, où je veux en venir ? Il n’est pas question de mon petit cul, mais celui de nombreuses personnes – qu’importe qu’elles fassent partie, ou non, de la Cour. La haute est secouée par la dernière apparition de Batman. Certains tremblent, en repensant à tout leur projet tombé à l’eau – qu’importe que l’assurance paie ou non. D’autres s’excitent, cherchant déjà à investir dans les domaines lucratifs – tout ce qui touche à la reconstruction principalement. Bref. Ce rouage économique s’emballe, et je n’aime pas ça.

Les plans de la Cour sont en périls.

- Le Joker et le Batman ne doivent pas être en liberté, dans la même ville. L’un est le briquet, l’autre est la dynamite : Gotham ne peut pas supporter une nouvelle explosion. En tant que Maire, vous avez le pouvoir d’arrêter l’un, ou l’autre : la police et la loi sont vos instruments. Et vous devez y recourir maintenant, dis-je, le ton tranchant. Vous, et moi, allons tout perdre dans cette nouvelle confrontation. Le Joker va se déchainer, et le Batman va y répondre avec autant de forces. Agissez avant qu’il ne soit trop tard. Agissez avant que l’un, ou l’autre, ne vous coupe de vos cigares.

J’appuie sur un bouton sous mon bureau. Quelques secondes plus tard, la porte s’entrouvre et Dan apparaît. Vêtu d’une tenue de majordome, mon Ergot apporte deux verres propres, les pose devant nous et les remplit assez rapidement d’un liquide ambré. Il est difficile de deviner qu’un Ergot se cache sous ces traits juvéniles. Pourtant, un regard attentif pourrait aisément discerner ses muscles ou remarquer sa posture – prêt à agir, immédiatement.

- Je vous le demande car, durant ces deux dernières années, vous avez su maintenir un semblant d’équilibre entre les différentes forces en place. Nous nous sommes adaptés. Un changement, si tôt, n’est pas encore la bienvenue. Vous devez la préserver.

J’attends, quelques minutes, avant de reprendre. J’en profite pour lever le verre et le tendre vers lui, prête à trinquer.

- Allez-vous agir, Monsieur Cobblepot ? A moins que nous décidons de voter pour une nouvelle personne, évinçant votre pantin ?

J’en profite pour pousser, du bout de la main, le cigare. Il ne tarde pas à finir dans une petite corbeille métallique, au pied du bureau.

D’abord, il se moque de ma nièce et de son entreprise. Il est persuadé que la jeunesse est incapable de détrôner les vieilles carcasses de ce monde. Quelle folie ! Si l’expérience joue en la faveur des ainés, les défauts, les qualités et les habitudes de ces vieilles canailles sont connues : ils sont prévisibles.

Puis, il menace le nom Vanaver. Je ne cille pas lorsqu’il sous-entend que ma tendre nièce pourrait connaître une fin atroce. Je ne flanche pas lorsqu’il jure qu’il ne ferait qu’une bouchée de mon entreprise, de ma famille, ou de mon nom. Il ne dit rien au sujet de la Cour, car il n’en sait rien. Il ignore tout bonnement mon arme la plus secrète, et surtout la plus létale pour lui et pour ses affaires. Quelle bêtise que de menacer sans connaitre son ennemi …

Enfin, l’insulte est lancé. Du coin de l’œil, je vois que Dan se crispe, prêt à bondir sur l’imprudent. D’un regard glacial, je lui intimide de ne pas agir. Le but n’a jamais été de convaincre, ou d’attaquer Oswald. Oh non ! L’objectif de cette soirée est tout autre, et j’espère les avoir atteint sans avoir éveillé les soupçons du renard rusé.

- Je comprends qu’une collaboration est exclue entre vous et moi. L’avenir nous révélera bien vite si vous avez eu tort de refuser cette main tendue ou, au contraire, si j’ai bien fait de vous confronter là où tout le monde se cache. Je vous souhaite également une excellente soirée, Monsieur Cobblepot.

Je le laisse sortir du bureau pour aussitôt donner mes ordres. Tranquillement, j’enlève mes lentilles de contact servant de caméra et les tends vers Dan. Le jeune homme les range aussitôt dans un étui, puis se balade dans la pièce pour récupérer deux ou trois choses comme ce stylo micro que j’ai tourné vers le Penguin ou encore cet autre micro caché sous le fauteuil où l’homme s’est asssis. Il y a bien d’autres petits gadgets. En parallèle, on se saisit attentivement du verre de mon invité avec des gants, en évitant les zones où ses doigts poisseux se sont posés, ainsi que son cigare écrasé. Tant d’éléments qui vont être transmis à un petit génie de l’informatique, qui les analyser et les compiler.

Je n’ai plus que besoin des éléments de la détective Nalavia Greeden, et potentiellement une petite aide supplémentaire de nouveaux ou futurs collaborateurs, pour piéger totalement et entièrement ce mafieux. Si mon entreprise est un succès, soit je vais en faire un nouveau membre de la Cour, soit je vais me contenter de jouer avec comme un pion … Fort dommage que le labyrinthe soit obsolète. J’aurais bien aimé le voir glapir, pleurer, chier et supplier entre les couloirs immaculés de l’histoire de la Cour…

- Faites moi savoir si nous avons toutes les informations. Nous ne sommes jamais à l’abri d’imprévus d’ordre technique. Ou des ruses d’un homme aussi paranoïaque qu’Oswald Cobblepot.

Les ordres donnés, je me retrouve bien vite seule dans ce bureau d’un temps passé. Je ne m’octroie qu’une dizaine de minutes de répit avant de reprendre mon ordinateur pour travailler. Nul repos pour les braves et, surtout, les Hiboux travaillent davantage de nuit que de jour. C’est bien connu.

PS : les différents éléments d’écoute ou espionnages avaient été validé avant le RP , via la carte génie du crime Sa réussite sera sûrement testée (soumis au staff) étant donné que le Penguin a intelligence tactique.