Je ne suis pas un justicier, je suis un type révolté qui vit sa révolte. [Terminé Intrigue II]

Quelle soirée ! Les ennemis de Bruce n’ont pas tardé à frapper, faisant preuve d’une curieuse impatiente. Pourquoi est-ce que mon très cher partenaire commercial attise-t-il autant de passions destructrices autour de lui ?  Pourquoi est-ce ses adversaires font-ils preuve d’autant d’impatience ? Qu’est-ce que le Prodige de Gotham inspire-t-il aux fous et aux déséquilibrés ? Est-ce la peur, la jalousie ou l’envie ? Tant de questions qui s’évanouissent dès qu’un masque d’oxygène se pose sur mon visage fatigué, presque boursouflé.  

Hébétée et hagarde, je me réveille dans un environnement aussi austère que cliché. Les courbatures, mes lèvres gercées – dont une belle entaille sur le côté droit – et le froid ambiant m’arrachent une belle grimace et des gémissements de mécontentement et de douleurs. Je soupire. Elle est loin l’époque ou j’ai eu à affronter les épreuves de la Cour des Hiboux, ou encore à faire face à quelques seigneurs de guerre dans quelques pays reculés ou sous dictateurs. A cet instant, je me rends compte que je me suis laissé couler dans un quotidien bien calme et confortable.

Bon gré, mal gré, je me saisis du pain moisi et le trempe dans l’eau saumâtre. Ravalant au mieux ce haut-cœur, je m’échine à macher lentement et à m’habituer à cet exécrable gout. Est-ce que je n’ai pas peur de mourir empoisonnée ou droguée ? Je suis dans une chambre froide, aux mains de terroriste. Une mort rapide est une miséricorde et je doute sincèrement que Bane est un enfant de cœur ou un homme de principe. Est-ce que le repas n’est pas déroutant, horrible à souhait ? Oui, mais je dois regagner des forces et, surtout, retrouver mes forces. La tâche est rude, le ventre vide.

Je ne finis pas mon repas, préférant l’économiser et savoir à quelle sauce je serais mangée.

Bientôt, la lourde porte de la chambre froide s’ouvre. J’en profite pour me relever, et lui faire face avec autant d’assurance que ma situation le permet. Certains pensent que mon attitude vient de tous ces accessoires et fastes dont je m’entoure. Nullement. La confiance est une affaire de mental. Il faut être persuadée de l’avoir pour l’inspirer aux autres. Certains seront admiratifs, d’autres se sentiront menacés. La perception change d’un homme à un autre.

Je ne réponds pas à ses moqueries. D’une part, je ne veux pas m’abaisser à ce jeu. D’autre part, je veux connaitre son tempérament. Son ton devient plu sérieux, attaquant le vif du sujet. Un sourire carnassier s’étire sur mes lèvres humidifiées légèrement par cette eau d’origine douteuse. Mes doutes se vérifient. Bane ne s’est jamais intéressée à ma petite personne. Il est obnubilé par l’Orphelin. L’affaire est intrigante, et je me promets de la creuser si je sors d’ici vivante.

- Bruce Wayne n’a jamais aimé les soirées mondaines. Il a prétexté un rendez-vous important avec un partenaire d’Asie pour fuir à une apparition publique. Pourtant, je m’interroge maintenant. Est-ce qu’il a deviné qu’il attirera l’attention d’hommes comme vous, et a cherché à m’éviter des désagréments en étant absent ?

Bane n’est pas né de la dernière pluie : il saura deviner mes petits pièges. Le but n’est pas d’obtenir une véritable réponse mais, simplement, sonder son âme et découvrir ses faiblesses. Alors, je pourrais lui arracher quelques vérités. Evidemment, sous condition que je vis d’ici là.

- Vous avez pillé et détruit son manoir. Et maintenant, vous tentez de saboter son retour dans le monde des affaires. Vous semblez le haïr particulièrement, alors qu’il est le plus philanthrope de tout Gotham. C’est curieux.

- Bruce n’est pas idiot. Il sait qu’il risque gros en faisant de moi un paratonnerre. Contrairement à lui, je ne suis pas une enfant de cœur et je n’hésite pas à être impitoyable tant en affaire que sur le plan personnel, dis-je, le ton calme mais menaçant.

Il n’y a que deux seuls et uniques issus à ceux qui se jouent de moi cruellement – jusqu’à oser envisager mon sacrifice, ou celui de mon entreprise. Soit ils plient et se soumettent à ma volonté parce que j’aurais réduit à néant leur empire, soit ils crèvent au fond de quelques caniveaux sous couvert d’accident, de suicide ou d’ententes louches avec les criminels. Il est si aisé de ruiner une étoile montante de la finance : aussi diva, et aussi dramaqueen, qu’une actrice en manque d’attention.

Je l’écoute énoncer son plan, confirmant mes doutes. Il veut Bruce : il s’en fiche de moi. Ma seule utilité est de servir d’appât, de renflouer ses caisses ou d’armer ses gueux et misérables. Bien. Je lui sers davantage vivante, que morte. Je vais donc vivre au-delà de cet entretien, pendant quelques jours, voire semaines – selon la rapidité avec laquelle on me sauvera, ou on cèdera aux caprices du révolutionnaire. Profitons de ce laps de temps précieux, et de l’assurance de puissance de cet homme, pour glaner davantage d’information.

- Supposons que vous avez entièrement raison, et que j’ai totalement faux vis-à-vis de Bruce Wayne, alors explorons ensemble ce qu’il peut être, commençais-je tranquillement. Je le vois philanthrope, aidant la veuve et l’orphelin, rêvant d’un Gotham grand, puissant et surtout en paix. Qu’est-ce l’inverse ? Un misanthrope égoïste qui désire construire son règne, épuré de ses criminels et de ses fous. Est-ce ainsi que vous le voyez, ou que vous le connaissez ? , glissais-je, guettant ses réactions. Un ancien playboy, dilapidant son argent en achetant les biens de tous ceux qui le contrarient. Qu’est-ce que l’inverse ? Un romantique solitaire en soif d’amour, un gamin qui confond justice et caprice. Suis-je sur la bonne route ?

Je me tais, quelques instants.

- Mais nous parlons du passé, Monsieur Bane. Nous parlons d’un homme qui avait encore une maison, une famille, une puissance, une richesse. Aujourd’hui, il est un homme brisé capable du meilleur comme du pire pour retrouver ses forces. Il est … ce que vous avez façonné en lui arrachant tout, absolument tout. Alors, je vous retourne la question, pourquoi est-ce que vous détestez autant Bruce Wayne ? Qu’a-t-il de plus que vous n’avez pas ? Une ombre abandonnée parmi les ombres … Hm. Bruce est la lumière chérie parmi les milles lueurs de Gotham. Un déchet dont l’existence même était niée par l’élite. Bruce a été adoré, protégé, supporté et même lorsqu’on a désiré se jouer de lui, il a toujours su s’extraire. Vous, vous n’avez pas eu cette chance. Vous avez été malmené, isolé, contraint.

Je me tais, à nouveau.

- Vous êtes jaloux.

Le verdict est tombé, à mes risques et à mes périls.
Voyons voir si ma valeur est suffisamment importante pour ne pas m’écraser là, tout de suite.

Il ne répond à aucune de mes remarques ou questions, me confortant dans l’idée que je ne suis pas loin de la vérité. Bane et Bruce partagent un lien fort et solide, quoique peu avantageux pour l’un et pour l’autre. La question est de savoir quand ce fil s’est tissé entre les deux et, surtout, à quelle occasion. Une nouvelle pièce au mystérieux puzzle qu’est l’Enfant Prodige échoue entre mes mains. Je me promets de creuser davantage cette piste lorsque je me serais extraite de cette position fort peu agréable.

- Vous rejetez le capitalisme, lui rappelais-je. Là où je vis dans une tour d’ivoire, vous vivez dans les sous-sols de Gotham, me permis-je de lui dire, faisant fi de ce poing menaçant.

Il a des informations sur Bruce, certes. Malheureusement, il n’est pas le seul en position de force dans cette affaire. Il a besoin de moi pour piéger et pour traquer sa cible principale. Je vaux plus vivante que morte ! Par contre, je ne suis pas bête, et je sais que vivante ne veut pas dire intacte. Il pourrait me torturer jusqu’à ce que je lâche la vérité sur la Cour, ou me frapper jusqu’à me crever un œil – ou me détruire définitivement un membre. Je vais souffrir, évidemment. Mais je vivrais toujours. La véritable question est de savoir si je vais pouvoir sortir de ce trou à rat avec un cœur battant et une cervelle fonctionnelle. De retour à la maison, je pourrais me guérir, en payant de nouveaux organes ou des organes artificiels.

L’argent achète tout, jusqu’à la vie humaine.

- Critiquez Bruce autant que vous le désirez, mais l’homme sait négocier contrairement à vous. Il m’offre intérêt et capital à plusieurs chiffres. Vous, qu’avez-vous à m’offrir exactement ? Vous avez des informations à me donner sur mon partenaire, mais vous refusez de me les glisser. Comment voulez-vous que j’accepte de vendre la peau de l’ours, quand vous refusez de collaborer proprement ?

Je ne peux pas trahir aussi facilement Bruce. Je ne suis pas seule dans ces affaires. J’ai déjà forcé les membres éminents de la Cour à fermer des filiales et usines au sein de Metropolis, sans qu’il n’y ait un retour financier sur cet effort. Si, en prime, je les prive des bénéfices à retirer de l’entente avec Bruce Wayne, ce sont les Hiboux qui m’arracheront ma Couronne et qui me condamneront. Pour que je lâche un quelconque morceau, l’Anarchiste doit m’offrir bien plus que ce que Bruce m’offre … Oui, l’argent achète tout, jusqu’à ma propre vie.

- Donnez-moi l’information la plus précieuse ou la plus utile que vous jugez sur ce garçon. J’aviserai de sa valeur, et je vous apporterai une aide équivalente. Avons-nous un accord ?

Les dés sont jetés. Soit il va collaborer, soit il va refuser.
Dans le premier cas, j'ai un gain dans l'affaire. Dans le second cas, je ne donne pas chère de ma peau.

Lorsque Bane me déroche son poing au niveau de mon foie, je ne me contente pas de grogner de douleurs, je tombe à même le sol. Mon souffle est saccadé, mes traits tirés et le corps en feu. Les événements de la veille sont encore trop frais, et je n’ai pas eu le temps de m’en remettre convenablement. Malgré moi, un filet de bave carmin se glisse entre mes lèvres et échoue sur ce sol froid et rude.

Il se rapproche, il s’abaisse à mon niveau. Je me contente de le darder d’un regard noir. Si seulement il savait à qui il s’en prenait et, surtout, à qui il causait autant de tort ! Si je dirige la Cour d’une main de fer, Elle ne pardonne pas pour autant la moindre faiblesse. Si je ne reprends pas ma place très rapidement, et avec les résultats escomptés, ils ne tarderont pas à me remplacer pour une nouvelle tête pensante. Bane, Bruce, Darkness … tant de noms qui passeront à la caisse, bon gré, mal gré.

Je tente de reprendre mon souffle, mais avec bien des difficultés.

- Vous avez besoin de … moi … vivante, dis-je entre deux sifflements. Moi, morte … je deviens … une martyre. Une martyre capitaliste … ironique, dis-je, pleurant autant que je ricane. J’ai mal, j’ai si mal ! Moi, morte … Bruce ne viendra pas. Personne ne veut … d’un … cadavre, finis-je par dire avec grande peine. Mon téléphone. Un numéro. Celui de Bruce. Appelez. Demandez … une rançon.

Je ne dis plus rien, atteignant mes limites.

Si mon téléphone est entre les mains des anarchistes et s’ils l’activent, un signal discret sera envoyé presqu’aussitôt à la Cour. Je dois fuir avant que la situation dégénère complètement ! Je refuse d’être un dommage collatéral comme ce cher Alfred dans un conflit qui me dépasse concrètement et, surtout, qui ne me concerne pas ! Je ne connais pas assez Bruce pour savoir s’il va agir rapidement, ou s’il va chercher quelques aides auprès d’autorités incompétentes. Je ne peux décidément pas confier ma vie à un enfant de cœur au passé aussi trouble que ses relations !

- Il me faut … un nom. Il a eu … beaucoup .. de femmes.

J’ai naturellement enquêté sur ces dames au fur et à mesure des années, mais aucune n’est sortie véritablement du lot. A moins que la perle rare cache extrêmement bien son jeu et nécessite des moyens plus développés et plus radicaux pour lui faire cracher le morceau. Je n’ai aucun de mal à faire cracher le morceau aux gens : il suffit d’avoir les bons outils.

Si seulement ce fichu colosse était sous mon pouvoir, dans notre Labyrinthe réaménagé. Il aurait tout révélé sous la folie, sous la douleur, sous la peine même ! La Cour sait juger, et la Cour jugera l’impertinence de cet homme ! Il n’a pas seulement malmené la tête pensante de la Cour, il a également porté atteinte aux intérêts de ses membres distingués.

Bane est condamné.
Que je vive, ou que je meurs.