An unexpected kind of charming prince [Intrigue III - Terrminé]

Je me réveillai paniquée, le cœur battant à tout rompre.
Il me fallut quelques instants pour retrouver mes repères. Les murs familiers de mon salon à Gotham, le bruit d’un klaxon… Je me redressai, observant autour de moi pour m’ancrer dans le présent. Je m’étais assoupie, l’après-midi touchait à sa fin.

Je poussai un soupir, me levai et fis quelques pas.

“Respire, XXVI”, m’intimai-je. “Tu es en sécurité”.

Ce genre de cauchemars rythmaient ma vie. Des résurgences de mon passé, des souvenirs, ou parfois des fictions inspirées d’événements traumatiques, déformation de la réalité. Mon sommeil était chaotique, par chance (ou peut-être en conséquence directe) je me contentai de peu d’heures de repos.

Mon regard se porta sur les poids qui trainaient dans un coin. Parfait pour me défouler !
Je consacrai l’heure suivante à faire de l’exercice, avant de faire un saut sous la douche. J’avais du travail qui m’attendait. Des dossiers à examiner, des archives à passer en revu… Je courais après une chimère et j’avais souvent l’impression de perdre mon temps. Mais j’étais acharnée et passablement obsessionnelle.

J’enfilai quelques vêtements, passai un coup de brosse et de maquillage. Pouvait-on à la fois se sentir en sécurité quand on était seul et détester la solitude ? Le bruit permanent, l’écho des voix, les voitures… L’environnement de la ville me donnait l’impression d’être vivante, entourée… J’aimais me cacher dans mon appartement, m’isoler… Puis j’émergeais d’un cauchemar et j’accourais dehors pour me rassurer… Le monde continuait de tourner, je n'étais pas revenue au Centre… Les habitants de Gotham vivaient leur vie, ma liberté m’étais acquise.

Pour l’instant.

Je soupirai. J’allais continuer mon travail à l’extérieur, j’avais besoin d’un bain de foule. J’adorais la ville, les gens ne vous regardaient jamais dans les yeux et traçaient leur route comme s’ils ne vous voyaient pas. Il était si facile de se fondre dans la masse, de devenir invisible… Le son de Lucy qui se mettait en marche m’arracha un sourire. Que j’aimais ma moto ! Elle m’amenait partout où j’avais besoin d’elle.

Mes pas me conduisirent vers un bar que j’avais repéré il y a quelque temps. J’aimais changer d’air, découvrir de nouvelles choses… Il était assez tôt dans la soirée lorsque je m’y installai. Les lieux étaient encore calmes et j’eus le loisir de choisir ma table : orientée de sorte à voir la salle, et les ouvertures dans mon champ de vision afin de ne jamais pouvoir être prise par surprise.

Un cocktail plus tard, j’avais allumé ma tablette et épluchai scrupuleusement la documentation que j’avais photographiée aux archives municipales. Une mezzanine surplombait la salle, elle servait à stocker du matériel. Je voyais un serveur s’y rendre de temps à autre pour ramener des choses au bar : alcool, apéritifs… Mes yeux balayaient l’environnement de temps à autre quand ils détectaient un mouvement, avant de se replonger dans le travail. J’avais compris il y a un moment déjà que les fondations de cette ville avaient été érigées sur de lourds et sanglants secrets. En remontant la généalogie de certaines illustres familles de Gotham, j’espérais mieux comprendre les jeux de pouvoirs actuels, cachés ou évidents. J’avais prévu de siroter quelques cocktails en me documentant. J’aimais me plonger dans le bruit et les ambiances festives, même si cela signifiait aussi refuser de temps en temps le verre gracieusement offert par un jeune homme qui voyait en la demoiselle isolée que j’étais la chance de faire une rencontre. Ça aurait dû être une soirée tranquille…

Mais évidemment, les choses ne se passaient jamais comme prévu.

Je demandai au serveur qui débarassait mon verre de m’apporter un mojito et de quoi grignoter. Le temps passait et je commençai à avoir faim. Il revint quelques minutes plus tard avec la boisson, le reste arriverait sous peu.

Le ton montait quelques tables plus loin. Je levai les yeux et vit distinctement un type entre deux âges agiter une baguette vers un autre gars, qui pointaint deux bâtons décorés en direction d’une fille effrayée et de l’autre type. J‘arquai un sourcil. C’était qui ces clowns encore ? J’avais bien entendu le mot “cadavre” ?

Et voilà qu’un autre type se ramenait et pointait une autre baguette sur la fille, dans son dos. C’était soirée regroupement de fans d’Harry Potter, ou bien ? Me demandai-je perplexe. Mes yeux balayèrent les environs… Pas de caméra cachée.

Je saisis tranquillement mon verre mojito et avalai une gorgée tout en évaluant les forces en présence. La fille était seule, isolée. Le jeune avait un allié, face à deux autres types. Ils se menaçaient clairement… Avec des baguettes. C’était quoi encore ce délire ?

Les gens commençaient à paniquer et à sortir. Dans une autre ville, ce genre de scène aurait peut-être suscité la rigolade, mais on était à Gotham ici… Pour ce que j’en savais, les types pouvaient avoir planqué des explosifs dans leurs sceptres ou je ne sais quelle connerie. Cette rue n’était pas sous l’influence directe d’un gang à ma connaissance… Avais-je affaire à des indépendants ?

Deuxième gorgée de mojito.

“Sorcellerie”.

J’avais saisi un mot clé et je n’aimais pas vraiment ça. Soit ces types s’étaient tous donnés le mot pour faire un remake d’Harry Potter, soit il y avait une histoire d’ésotérisme dans l’air. La magie n’était pas mon domaine. C’était une histoire de planqués sectaires, et je n’appréciais guère les religions… Je savais que certains pratiquaient et j’avais eu vent de rumeur à propos de résultats probants. Suffisamment pour me faire dire que ces types étaient peut-être sérieux.

Bon… Je faisais quoi ? Je remballais et je me tirai aussi ?

Le barman sortit un fusil et leur gueula de sortir. Bravo Roger, allez, fais les dégager illico presto, que je puisse reprendre ma lecture…

Troisième gorgée de mojito. Je sentais que ma planche de tapas allait m’arriver froide… Je soupirai.

D’autres menaces. Le barman mit en joue l’un des guignols en réaction à la provocation et je sentis qu’il était prêt à faire feu. La fille me lançait des regards désespérés. Quoi, elle ne croyait quand même pas que j’allais me mêler de leurs conneries ?

Je glissai ma tablette dans mon sac et me levai doucement. Il y avait une porte à l’arrière conduisant à un patio. De là, je pourrai escalader le mur et me tirer de ce foutoir sans me faire remarquer…

Le ton monta, de la provocation, des menaces pour que Roger, Bob ou Alfred baisse son arme… Et puis soudain, je sentis une vague de chaleur déferler. Une boule de feu percuta le bar et fit exploser une table. Je me jetai au sol pour esquiver le projectile, abasourdie.

Mais putain !
Ma tablette était explosée en morceaux, le passage pour rejoindre le patio était obstrué… J’allais les démolir.

Je me redressai, alors qu’un grognement retentissait de l’autre côté du bar raisonna et attira l’attention du sorcier en herbe qui avait fait feu. Je m’élançai.

Un grand coup dans son genou. CRAC. Il hurla. Dans l'intervalle, je tordis son poignet, saisit sa baguette et lui fit une clé de bras. Ma jambe se tandis sous l’élan, alla frapper un second type dans les parties. Et, gardant mon prisonnier entre les apprentis sorciers et moi-même pour qu’il me serve de bouclier, je pointai un autre type avec la baguette et criai :

-Avada Kedavra !

Silence. On me lança un regard ahuri.

-Faites vous rembourser les gars, c’est de la camelote ! lançai-je sur un ton très sérieux.

Ironie comme toujours. La vie était une vaste blague, mieux valait en rire qu'en pleurer... Et par chance, j'adorais rire !

Du coin de l’oeil, je vis le barman se relever, la main en sang… Ou plutôt brûlée… Il leva son fusil et tira, quasi en aveugle.

Let’s funny !

Avec un courage exemplaire, la fille cogna le type qui se tordait déjà de douleur. Je ne pouvais qu’approuver la démarche, c’était toujours plus que ce qu’elle avait fait jusqu’à présent. Elle faisait partie du groupe, de fait, je crus que quelque chose allait se produire lorsqu’elle saisit la baguette et la pointa vers ses adversaires en criant sa formule…

Rien ne se passa.

J’échangeai un regard perplexe avec elle. “Tu ne sers vraiment à rien…”. Je soupirai, réévaluant la situation. Quatre types armés jusqu’aux dents avec des capacités que je ne pouvais mesurer et anticiper, un barman cinglé qui tirait au piffe, et une fille qui se demandait encore ce qu’elle foutait là et me lançait des regards suppliants. J’aurais pu mettre ça sur le compte de l’alcool si j’avais siroté quelques mojitos de plus, mais c’était rapé. Ce qui se passait ici était bien réel et, si je ne comprenais pas exactement contre quoi je me battais ni en la faveur de qui, j’étais parfaitement capable de mesurer le danger.

Mais ils avaient quoi avec le feu, bordel ?! C’était du délire de faire ça dans un bar, avec les vapeurs et l’alcool liquide qui se trouvait partout, on allait finir carbonisés !

Et ni une ni deux, voilà que la fille cognait le gars à qui j’avais cassé le bras et que je maintenais en bouclier. Décidément, c’était une manie chez elle de frapper les personnes déjà neutralisées…

Deux gars se tenaient entre la sortie et moi et ils étaient plus occupés à se disputer qu’à regarder dans notre direction… Je coincai rapidement la baguette que je tenais dans mon dos, entre mon pantalon et ma peau, histoire de ne pas donner une arme de plus à l’ennemi… D’un geste, je poussai la fille qui s’accrochait à mon bras comme si j’étais le messie, lâchai mon otage et bondit en avant. Mon poing heurta une mâchoire, tandis que je m’esquivai sur le côté pour tenter de me glisser dans son dos et le mettre au sol… Du coin de l’oeil, je vis son ami esquisser un geste et n’eus pas le temps de réagir. J’eus l’impression qu’un bloc de granit invisible venait de me percuter de plein fouet. Le choc m’envoya quelques mètres plus loin, sans aucun contrôle sur ma trajectoire… Je sentis une table céder sous mon poids, ma tête taper quelque chose… En quelques instants, je me retrouvai affalée au sol, grimaçant de douleur et le souffle court. C’était quoi CE TRUC ?! Leur baguette balançait aussi des boulets de canon ? Ca faisait un mal de chien ! Et au vu de la douleur et du point d’impact, je devais bien avoir quelques côtes cassées…

Il me fallut bien quelques secondes pour parvenir à me redresser péniblement. L’air se frayait difficilement un passage jusqu’à mes poumons et la fumée qui commençait à se répandre n’arrangeait rien. Le feu s’étendait autour du bar, commençait à grignoter un pan de mur…

La rage me pris aux tripes. J’allais les démolir tous autant qu’ils étaient en commençant par celui qui m’avait fait ça. Je me relevai en tâtonnant, prenant appui sur la table renversée, les yeux larmoyant à cause de l’épaisse fumée qui commençait à envahir les lieux… Je toussai, vis que la fille avait à nouveau accaparé l’attention de ceux qui n’étaient pas en train de fuir les lieux. Mais qu’est-ce qu’ils lui voulaient à la fin ?!

Nouvelle quinte de toux. Je mobilisai toute ma concentration pour appeler à moi l’une de mes créations… Un petit couteau sa matérialisa dans ma main. Je me positionnai brièvement et le lançai d’un coup sec. Il se planta dans le corps du sorcier, juste sous la clavicule.

-Pour le vol plané, connard !

Un tableau en feu dégringola du mur et percuta une table avec un bruit sourd. J’aurais voulu rester pour tous les massacrer, mais les environs devenaient un peu trop chaleureux… Et je n’avais jamais eu de tendances suicidaires.

-Allez ! criai-je à la fille en lui pointant la porte du menton.

Qu’elle suive ou non, pour ma part je filai jusqu’à la sortie un bras devant ma bouche et mon nez pour me protéger de la fumée. L’air frais me cueilli de plein fouet… J’aperçu quelques badauds qui commençaient à s'agglutiner autour du bar en pointant du doigt le feu, d’autres suspendu au téléphone, sûrement pour prévenir leurs amis ou les pompiers… Je n’en savais rien, je m’en fichais. Je mis mon bras devant mon visage pour me cacher en apercevant un jeune qui brandissait son smartphone pour filmer, n’accordai aucune attention à la personne qui s’approchait pour demander si j’avais besoin d’aide… Je devais filer d’ici avant que les forces de l’ordre n’arrivent.

Je tournai à l’angle de la rue et m’engouffrai dans une ruelle sans me soucier que la fille me suive ou non, toussant à en cracher mes poumons. J’avais besoin de m’éloigner de tous ces curieux… Et surtout de trouver un endroit calme où me poser pour retrouver mon souffle et mes esprits.

J’avais mal. Mes côtes me faisaient un mal de chien à chacun de mes pas, mon dos me lançait et j’étais certaine que l’applique murale que j’avais percuté allait s’y imprimer, ma tête qui avait cogné un coin allait exploser, mes poumons en feu, d’avoir inhalé trop de fumée tentaient de sortir à grand renfort de toux…

Tout allait bien en somme. Une chouette soirée à siroter des mojitos tout en lisant les archives.

Je marchais d’un pas rapide pour m’éloigner des badauds et finit par m’arrêter lorsque je jaugeai que j’avais pris assez de distance afin que personne ne débarque pour me passer les menottes. Je m’aggripai au barreau de clôture du parc pour maintenir mon corps debout, le temps de faire passer la crise. La fille m’avait suivi, elle n’était pas discrète avec ses talons qui claquaient, impossible de la louper… Bon… Ce n’était peut-être pas plus mal, j’aurais peut-être des réponses à mes questions et l’impression de ne pas m’être fait démolie pour rien.

Ma tablette ? Ah oui… Ma tablette. C’est vrai qu’elle avait fini complètement défoncée par l’explosion. Tant pis… J’en rachèterai une autre, songeai-je dans un soupir intérieur. Je levai un regard blasé en direction de pretty woman qui initiait un contact physique. Pourquoi est-ce qu’elle me touchait tout d’un coup ? Elle pouvait jouer le jolie cœur autant qu’elle voulait, j’étais dans cet état parce qu’elle n’avait pas été foutue de se défendre toute seule.

-C’était qui, ces gars ? lui demandai-je sans préambule.

J’allais bien. J’avais déjà eu mille fois plus mal qu’à cet instant, j’avais juste besoin de reprendre mon souffle. Ce n’était jamais que quelques côtes cassées et une migraine, rien de terrible… Rien, si on omettait que je venais de me manger un boulet de canon invisible dans le bide. Une journée normale à Gotham City…

-C’était de la magie, non ? Pourquoi ils en avaient après toi ?

En parlant de magie, j’avais volé une de leurs baguettes… Elle se trouvait toujours à sa place, coincée dans mon dos. Je me demandais si je pourrais en tirer quelque chose au marché noir…

-Explique-moi, s’il te plait… J’ai besoin de comprendre pourquoi des mangemorts ont fait exploser mon mojito, dis-je, la voix rauque à cause de l’inhalation de la fumée.

Oui bon… J’avais juste mal mais mon cynisme légendaire ne m’avait pas quitté, lui. Ma gorge me brûlait. Fais chier !

-Est-ce que je dois m’attendre à ce que ces types reviennent ?

A quel point la voulaient-ils ? Est-ce que je devais me préparer à un nouveau round ?

Ohhh mais c’est qu’elle s’énervait la petite demoiselle ! Elle était bien bonne celle-là! C’est moi qui avait toutes les raisons d’être agressive, présentement. J’avais dégusté pour des prunes, parce que je me tenais au mauvais moment au mauvais endroit et que j’avais été prise dans une mêlée avec des inconnus. J’avais pris pour deux en plus, elle n’avait pas l’air blessée.


-Des professionnels stupides alors… marmonnai-je avec une petite moue.

Jeter des boules de feu dans un bar, c’était un niveau de connerie difficilement concurrençable. Avec un peu de chance, il y en aurait bien un qui se serait intoxiqué à la fumée et aurait rendu l’âme ? Je n’y croyais pas une seule minute.

-Ok, ok, doucement… Un problème après l’autre.Tu prenais tranquillement un verre avec un homme qui voulait… te capturer ?

C’était difficile à croire. Cette fille battait des cils pour ce type avant que tout parte en sucette et elle voulait me faire avaler qu’il voulait la kidnapper ?

-T’avais l’air vachement consentante, pourtant. Il avait l’air de te plaire.

Quoi, je donnais l’impression de ne pas m’intéresser à mon environnement pendant que j’avais le nez plongé dans ma tablette ? Faux archi faux, j’avais toujours un oeil sur ce qui se passait autour de moi. J’étais constamment sur mes gardes, à l'affût d’une attaque surprise.

-Et les autres, c’était qui ? Il y avait plusieurs factions, et tu étais au milieu. Pourquoi il ou “ils” en ont après toi ? Pourquoi il voulait te ramener dans sa… euh “cabale” ?

Le pâté de maisons n’aurait pas survécu ? A cause d’eux ?

Ou bien d’elle ? Et ça aussi, j’étais censée l’avaler ? Tout ce qu’elle avait fait pendant la mêlée avait été de distribuer des coups de pieds aux gars que j’avais déjà neutralisés et elle détiendrait une telle force de frappe ? Mais pourquoi ne l’avait-elle pas employée pour se sauver le cas échéant?

Je posai les yeux sur l’anneau qu’elle me montrait avec une série de mimiques qui me donnaient l’impression qu’elle tentait de me faire passer un message évident… Le souci étant que je ne pipais pas un mot du sous-entendu, quel qu'il soit.

-Et bien ? Qu’est-ce qu’elle a ta bague ? Elle est magique elle aussi ?

-Ah… Il t’a manipulé pour t’attirer à ce rendez-vous dans l’espoir de te ramener gentiment chez lui, mais les autres ont débarqué, c’est ça ?

Les pièces du puzzle commençaient à s’assembler et je comprenais un peu mieux le schéma.

-Tu as eu une chance folle qu’ils débarquent, en fait, compris-je. Ça a forcé l’autre à se révéler.

Cette nana pouvait jouer au loto, elle remporterait sûrement la mise. Entre la baston générale, ma propre présence qui lui avait sûrement sauvé les miches et le fait qu’elle sorte de tout ça sans blessure…

Et je l’écoutai m’expliquer en détail son histoire de bague. Mon regard la sonda à tour de rôle, elle et l’anneau, partagée entre la perplexité et le doute. Le pire c’est que j’y croyais, à son histoire. Cette fille avait l’air complètement dépassée par les événements, paumée. Son angoisse n’était pas feinte, elle avait l’air vraiment de croire à tout ça. Et je ne pouvais pas nier l’existence de ces sorciers puisque j’avais été témoin de leurs pouvoirs.

-Attends quoi… Des démons ?!

Autant j’avais suivi toute l’histoire de la magie car j’avais déjà eu vent de l’existence de ce genre de choses au cours de mes voyages, autant ça… Ça relevait du mysticisme religieux, je n’avais jamais approché quoi que ce soit qui ressemblait de près ou de loin à un démon, un ange ou autre connerie biblique du genre.

-Ouais ouais… dis-je en essayant d’assimiler le reste.

Ma tablette pulvérisée était le dernier de mes soucis présentement.

-Je résume. On te met quelque part, on te retire cette bague, et tu deviens une bombe à retardement capable d’anéantir un pâté de maison.

Jusque là je suivais. Il existait de vraies bizarreries dans ce monde, alors pourquoi pas une Hermione Granger radioactive ? Je n’avais pratiquement aucune connaissance du monde magique et n’avait pas réellement cherché à en savoir plus… Le mysticisme se teintait trop souvent de fabulations religieuses et les religions de manière générale avaient tendance à m’agacer.

-Et une organisation de connards immoraux veut te mettre le grappin dessus…

J’eus une petite moue. Ça puait son histoire… Je savais bien ce que ça faisait d’être traqué par des gens plus puissants que soi, mais ce qui m’inquiétait le plus était que cette fille n’avait pas l’air très dégourdie… Et qu’elle pouvait vraisemblablement péter à la gueule de n’importe qui n’importe quand si on lui piquait sa bague. Et quand ça arriverait, je n’avais aucune envie d’être dans le coin ! Un psykokwak. Ou elle me faisant penser à un psykokwak. Stressée, fragile en apparence, mais capable de tout dégommer sans aucune maîtrise de son pouvoir.

-Tu sais ce qu’ils comptent faire de toi ?

Ça sentait l’attentat terroriste à plein nez… Viseraient-ils Gotham ?
Je soupirai.

-Explique-moi un truc… Si tu es si puissante, pourquoi tu n’as pas été capable de lancer un sort tout à l’heure ? C’est à cause de la bague ?

-Tu me charrie avec cette histoire de démons, hein ?

Ca faisait deux fois qu’elle revenait dessus… Ça me titillait un peu, l’air de rien. J’étais ouverte d’esprit et possédais une faculté d’adaptation hors du commun. Ce ne serait pas la première fois que mon monde s’effondrerait et que je devrais revoir ma vision dogmatique des choses. Mais quand même… Des démons ? Alors quoi, le bon dieu existait aussi ? Le jugement des âmes, tout ça ?

Putain de merde ! J’étais foutue.

Une source de magie ? Bon, ok… Au moins prenait-elle le temps de m’expliquer ce que c’était, un bon point pour elle. Ou pour moi ? Parce que, admettons le, je sortais complètement de ma zone de confort là. J’étais complètement perdue.

Je réprimai une nouvelle quinte de toux. La fumée m’avait sérieusement intoxiqué les poumons et provoqué une forte migraine, le boulet de canon m'avait enfoncé quelques côtes… J’en avais pour quelques heures de souffrance au minimum, des jours peut-être avant que les choses ne rentrent dans l’ordre.

-Mais ils ne pourraient rien te faire si tu l’enlève, si ? Tu viens de me dire que tu altérais les choses quand tu perdais le contrôle et que ça détruisait tout autour de toi.

Je poussai un soupir franc, lança un regard vers le lampadaire qui grésillait. Le bruit commençait à me taper sur le système.

-Viens, on marche un peu… Il ne faut pas rester statique quand on est traqué par des sales types.

Je lui fis un signe et pris sur moi pour lâcher la grille à laquelle je me tenais et faire quelques pas, une main sur mon abdomen. J’allais peut-être rentrer en uber ce soir…

-J’imagine que les cabales peuvent canaliser la magie qui irradie de toi et s’en servir pour lancer des sorts plus puissants ?

C’était la seule explication que j’avais pour justifier un tel intérêt de leur part. Qui voudrait s’emparer d’une bombe vivante, autrement ?

… Oui bon, probablement tous les terroristes du monde. Très mauvaise question.

-C’est à ça que leur sert les baguettes et leurs bâtons ? C’est comme… Des mini sources ?

Oui bon, elle pardonnerait ma méconnaissance du sujet… J’étais néophyte mais je venais de lui sauver les fesses, ça méritait bien un peu de patience à mon égard.

-Ton mentor ne t’as pas appris à te protéger de ceux qui te convoitaient ? Mais à quoi sert il alors ? demandai-je.

Nouveau soupir. Je posai une main sur ma tête. Connerie de migraine qui m’empêchait de réfléchir correctement !

-Ces hommes sont repartis vivants du bar, donc ils savent que tu es à Gotham. Tu as l’intention de rester ici ou tu vas quitter la ville ? Tu as dit à ton date dans quel quartier tu vivais ?

Des sortes de supers menottes à absorption magique… Je hochai doucement la tête en visualisant bien la chose. Je n’avais aucune idée de si une telle chose pouvait exister ni de comment en concevoir, mais si la pseudo magicienne en parlait et puisqu’elle possédait déjà un objet du genre… Il n’y avait pas de raison qu’un autre objet identique dans sa fonction ne puisse exister.

-Est-ce que n’importe qui peut faire de la magie avec une baguette ?

Fallait-il naître avec des pouvoirs ? Avais-je dérobé un objet rare ou de valeur aux sorciers ? Je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire de cette baguette, mais j’étais curieuse d’en apprendre plus sur l’objet. Je pouvais peut-être apprendre à m’en servir, ou, à défaut, l’utiliser pour approcher des magiciens, la revendre au marché noir… Bref, je lui trouverai bien une utilité.

Nous marchâmes. Péniblement, je devais l’admettre, mais je tenais bon. De fait, j’étais habituée à oublier ma douleur et à faire semblant que tout allait bien. Traquée depuis plus de dix ans, je savais que le mouvement était largement préférable à l’arrêt. Cette fille avait de sacrées emmerdes… Et je me demandais ce que je foutais encore là à parler avec elle. J’aurais du la planter et partir, oublier cette histoire…

-Bien…

Au moins la fille n'avait pas donné son adresse ou son quartier à son crush psychopathe. C’était peut-être la première bonne nouvelle de la soirée.

-Parce que c’est bien d’avoir une maison sécurisée, mais à moins de vouloir tenir un siège… Il faudra bien que tu sortes faire tes courses un jour. Et sinon, tu n’as pas de famille qui pourrait t’apprendre à maîtriser ton art ? Enfin… Je dis ça mais j’en ai aucune idée en fait, la magie c’est héréditaire ?

Un peu comme les mutations qui avaient plus de probabilités d'apparaître chez les rejetons de méta-humains…

- Autrement, pourquoi tu ne te mets pas sous la protection d’une cabale ?

Je pouvais comprendre le désir d’indépendance, ça avait également été mon choix. J’aurais pu offrir mes services à un puissant (n’importe qui de censé se serait arraché mes pouvoirs) en échange d’une protection permanente, mais j’avais décidé d'œuvrer seule car l’idée de me soumettre à nouveau à un tiers et de perdre ma liberté si durement acquise me rendait malade. Mais il y avait une différence de taille entre cette demoiselle et moi… Moi je savais me battre. J’étais prête à tout pour m’en sortir, y compris à tuer. Je l’avais déjà fait.

Je me figeai soudain les yeux écarquillés. Une pique de douleur particulièrement intense me frappa aux côtes et me fit grimacer.

-Tu n'es pas sérieuse ? Il y a des cours de self défense à tous les coins de rue. Pourquoi moi ?

Elle m’avait bien regardé ? Est-ce qu’il y avait écrit “altruiste” sur mon front ? J’étais sûrement l’une des femmes les plus égoïstes du pays. Le monde pouvait bien brûler pourvu que je reste en sécurité… Et elle me demandait ça à moi ?

Si elle savait où j’avais appris à me battre, comment j’avais été formée…

J’exécrai les gens faibles, je les trouvais pitoyables. J’avais en horreur ces individus dépendants des autres pour s’en sortir. Je n’arrivais pas à comprendre comment on pouvait se laisser vaincre sans se battre jusqu’au bout. Jadis on m’avait piétiné et enjoins de me relever. Encore. Et encore. Et à chaque instant, j’avais su que si je me couchais pour de bon on m’infligerait encore plus de souffrance. Alors j’avais appris à éclipser la douleur et à continuer de cogner jusqu’à tomber KO. Mieux valait crever de douleur en essayant de s’en sortir que de se faire fracasser en renonçant trop tôt.

Le Centre nous avait piétiné, traité comme des moins que rien. Ce qu’il nous avait fait était impardonnable, mais je devais admettre que j’avais appris la persévérance là-bas. C’était devenu une philosophie de vie, un principe tellement enraciné en moi que je peinais aujourd’hui à comprendre comment certains pouvaient se laisser victimiser sans réagir.

Je levai les yeux vers ma voisine.

Je détestais les faibles. Pourtant, quelque chose chez cette fille faisait écho à mon propre vécu. Victime de son potentiel, traquée, dépassée… Et surtout… Elle demandait à apprendre et à s’en sortir par elle-même.

“Peut-être pas si faible que ça, finalement…”, songeai-je.

Elle valait peut-être mieux que ce que j’avais imaginé de prime abord…
Mais de là à m’impliquer pour elle ? De prendre le risque d'ajouter ses ennemis à la liste du trop grand nombre de personnes qui voulaient ma peau ?

-Il n’y aura pas de rythme de croisière avec moi. Tu regretteras d’être venue au monde, mais je te garantie que tu deviendras plus forte. Je ne suis ni tendre ni gentille, je te ferais souffrir. Ton corps ne se renforcera pas sans efforts. Jusqu’où es-tu prête à aller pour apprendre à protéger ta vie ?

Je plantai mes yeux dans ceux de la jeune femme pour la sonder du regard. Je voulais mesurer sa détermination… Je n’allais pas gâcher mon temps avec quelqu’un qui allait se dégonfler au premier obstacle.

-Réfléchis bien. Si c’est du sport ponctuel de loisir que tu cherches, il y a des centaines de dojos dans la ville qui seront ravis de t'accueillir.


Il n’y avait que dans les films que les héros devenaient subitement fort par la magie du scénarium. La vie réelle demandait des efforts et des sacrifices. Je n’avais aucune envie d’investir du temps et des efforts sur un cheval boiteux. Mais si cette fille en avait vraiment dans le ventre, peut-être… Oui, peut-être que je ferai l’effort de lui tendre la main.