Une lueur dans les ténèbres [Clark] [Intrigue II - Terminé]

La culpabilité pesait lourd sur mes épaules depuis des années déjà… Lorsqu’après des décennies d’errance, la technologie de portail avait fini par céder et que j’étais arrivée sur Una, j’avais été très vite confrontée aux indigènes… Et à leurs prédateurs. Pour survivre et protéger les autochtones, j’avais dû montrer mes facultés… Et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, j’étais devenue leur déesse. Imshaël, “l’étoile tombée des cieux”. Pour eux qui voyaient les astres comme autant de dieux, j’étais une déité qui marchait parmi les Hommes. Je n’avais pourtant pu me résoudre à me séparer d’eux pour les empêcher de me vouer un culte… Je savais que cette planète était la fin de mon errance, j’avais abandonné tout espoir de rentrer chez moi… J’avais désespérément besoin de créer un lien avec l’humanité d’Una, tout comme, je le sentais, ils avaient besoin de moi pour survivre aux Kiméras, les supers-prédateurs qui les chassaient et les massacraient. En toute humilité, j’avais fait en sorte de ne pas menacer la place du chef du clan qui m’avait recueillie, me cantonnant à un rôle de guide militaire. Pendant six mois, j’avais formé des chasseurs de plusieurs tribus unagrs dans l’idée de former une élite de guerriers capables de rivaliser, pour la première fois, avec les kiméras.

Et puis j’avais retrouvé Bruce. Une rencontre fortuite belle à en pleurer, à la fois porteuse d’espoir et de sinistres présages… Le chevalier noir avait eu deux ans et demi pour observer l’ennemi, et il était convaincu que les kiméras, les chimères, étaient des armes biologiques. Une avant-garde destinée à rayer de la carte les habitants de la planète en vue d’une colonisation future par leurs maîtres… J’avais déchanté. Nous avions déjà affronté des invasions, avec des forces armées et modernes, des immortels ou des dieux… Mais faire face avec des clans divisés, composés de mortels qui se battaient à l’épée, à l’arc et à la hache ?

Alors j’étais redevenue ce que j’avais détesté être dans le monde où j’avais passé les seize dernières années de ma vie. J’avais usé de mon influence pour fédérer tous les clans du territoire. En un an et demi ils avaient enterré la hache de guerre au nom de leur déesse… Je m’étais détesté pour ça, jamais je ne les aurai autant influencé en temps normal… Mais c’était un mal que je jugeais nécessaire à leur survie. Sous mon impulsion et avec l’aide de Bruce, les unagrs avaient fondé une ville, l’Elysée. Le premier bastion rassemblant l’armée la plus importante du monde connu… Je voulais croire qu’unie, l’humanité aurait une chance de repousser l’envahisseur… Et pendant deux ans, ce fol espoir s’était changé en croyance sérieuse.

Les kiméras, jusque-là indépendantes et montrant peu de signes d’une intelligence supérieure, se rassemblèrent en une armée qui déferla sur l’Elysée. Nous n’étions pas prêts à faire face. Mon peuple, mes proches, ceux que je considérais comme ma nouvelle famille, furent anéantis en quelques heures. L'orgueil m’avait poussé à les rassembler, l’adversaire n’avait plus eu qu’à tendre la main pour les attraper. Peut-être auraient-ils survécu plus longtemps dans leur division, cachés… J’avais précipité leur chute.

Il n’y avait plus eu que Bruce et moi. Pendant quatre ans, nous nous étions lancés à la recherche des origines des chimères tout en sachant que cette quête était suicidaire. Mais nous étions de toute façon destinés à mourir sur cette planète… Au fond de moi, je m’étais faite la promesse de m’éteindre aux côtés de mon ami plutôt que de passer le reste de mon éternité à évoluer seule sur cette planète condamnée.

Et puis Flash était arrivé et nous avait sorti du cauchemar… Une partie de mon âme était restée là-bas, cependant. Una avait brisé mon coeur…

Et à peine arrivé, on nous demandait déjà de retourner au front… Pas le temps de saluer mes compagnons d’arme, pas le temps d’échanger sur ce que nous avions vécu, de nous soutenir dans nos drames, de nous laisser le temps de remonter la pente… Plusieurs d’entre eux affrontaient le deuil de leurs proches dès leur retour sans avoir eu le temps d’encaisser ce qu’ils venaient de traverser… L’horreur à l’état pur.

La Justice League n’avait jamais été aussi divisée. Ceux qui avaient jadis été des amis se tenaient à distance comme s’ils étaient devenus des étrangers… Nous étions tous choqués, meurtris… Chacun avait suivi son propre chemin.

Pendant un mois, j’avais fait de mon mieux pour enterrer la douleur, cacher mes traumatismes, tous ces conditionnements de survivante qui rythmaient ma vie sur Una et qui m’avaient suivi sur Terre… J’avais fait mon possible pour faire ce qui était attendu de moi, chercher des pistes pour affronter le démon qui arpentait notre planète et en menaçait l’existence… Et puis mes pas m’avaient ramené vers mon île natale, mon foyer. Ma carapace avait fondu comme neige au soleil, je m’étais effondrée.

Un battement de cil et près de deux mois avaient passé. Un instant éphémère pour une immortelle, mais si long pour les humains et les justiciers qui avaient dû affronter leurs ténèbres seuls… J’avais fini par m’arracher à l’étreinte de Themyscira et du bien-être incommensurable qu’elle m’apportait pour retourner aux Etats-Unis avec le sentiment déchirant d’avoir failli à mes devoirs par pur égoïsme.

Il était temps de reprendre les armes.
Il était temps de soutenir mes proches.

Le lasso d’Hestia me permettait de localiser les personnes avec lesquelles je partageais un lien émotionnel fort. C’était réconfortant de me dire que je parvenais encore à ressentir la présence de Clark… De toute évidence, le multivers n’avait pas réussi à anéantir l’affection que nous nous portions… Quant à la confiance, en revanche… Nous allions devoir apprendre à nous réapprivoiser l’un et l’autre car j’avais le sentiment que notre voyage nous avait transformé en profondeur.

Je me présentai en civile à la porte de son appartement à Métropolis et frappai. J’espérais que ma présence ne serait pas une mauvaise surprise… J’aurais peut-être dû le prévenir… Je n’avais pas encore pris correctement le temps de mettre mes affaires en ordre et, pour être parfaitement honnête, je n’avais pas la moindre idée de ce que j’avais fait du téléphone que j’avais acheté dans la précipitation en revenant sur Terre.

Je soupirai. Depuis quand étais-je anxieuse à l’idée de revoir mes amis ?

La porte s’ouvrit et l’émotion me gagna en voyant le visage de Clark. Nous nous étions quittés sur une note infiniment triste… Ni lui ni moi n’étions réellement prêts à nous livrer alors, notre retour sur Terre était encore trop récent… Trop douloureux. Je n’avais aucune idée de ce que le kryptonien avait vécu, mais j’avais ressenti sa détresse. Je savais que quelque chose le rongeait… Et s’il n’était pas prêt à me parler, moi je parlerai… J’avais besoin de lui, j’avais désespérément besoin de mon ami. Nous devions renouer.

-Kal… murmurai-je dans un souffle en me rappelant sa demande.

Pourquoi ne voulait-il plus porter le nom de Clark ? Avait-il pris tant de recul avec son humanité ?

Je fixai son visage comme si je le revoyais pour la première fois depuis un siècle. Nos échanges s’étaient comptés sur les doigts de la main depuis notre retour… Combien de temps s’était-il écoulé pour lui, dans le multivers ? Une dizaine d’années, comme Bruce ? Deux millénaires, comme Arthur ? Une centaine d’années, comme moi ?

Je baissai les yeux un instant. Les mots restaient coincés dans ma gorge… J’avais tellement de choses à lui partager pourtant.

-Salut… finis-je par dire, tout simplement.

Je lui souris avec cette expression tendre et sincère que j’offrais à ceux qui m’étaient chers et finis par lui tendre les bras en une invitation. Je ne voulais pas lui imposer ce contact, mais je voulais restaurer ce lien que nous partagions et abolir la distance qui s’était imposée entre nous depuis notre retour.

-Tu m’as manqué…

J’avais mis cette distance entre nous en disparaissant. Je ne pouvais que m’en prendre à moi-même.

-Si… tu as un peu de temps devant toi, que dirais-tu d’aller faire une promenade ? proposai-je. Je connais un endroit chaleureux, isolé… Nous pourrions discuter un peu. Toi et moi, comme à la belle époque.

Je pensais à une petite île déserte et boisée, au large de la côte est. Il faudrait voler un moment, mais c’était un cadre plaisant où j’aimais me rendre quand j’avais besoin de prendre un peu de distance avec le monde des humains. J’y avais aménagé un perchoir dans les arbres, une structure en bois depuis laquelle on avait une vue agréable sur l’océan… Il m’arrivait d’y dormir, parfois jadis, lorsque mon foyer me manquait. Le son des vagues et la nature me rappelaient Themyscira.

Together against monsters.
W'll survive

Ma décision est prise, pour le meilleur et pour le pire. Je refuse de continuer à me battre aux cotés de mes coéquipiers en leur cachant tous mes crimes et mes méfaits. Pour autant, qu’importe leur jugement, je n’abandonnerai pas ce rôle qu’est le mien avant d’avoir la garantis que la relève est assurée. Je recrute, ou tente de recruter, encore et toujours. J’ai Natasha, ou Steel, et récemment Morgan, dont le surnom doit être trouvé. Si la première a conçu ses propres armes, j’ai à aider le second.

Cette nouvelle génération n’a pas à être seule face à l’adversité, comme les membres de la Justice League l’avaient été à leur commencement. Elle doit être soutenue, et elle doit rebondir sur nos acquis, sur nos erreurs et sur nos réussites. Elle est notre chance de triompher de nos ennemis d’aujourd’hui et se préparer aux ennemis de demain.

Il n’est plus question d’une paix mondiale, d’une entente totale … L’idéal qui était mienne jadis s’est ébréchée. J’ai compris, durement, que le monde ne sera jamais en sécurité. Les catastrophes naturelles, la menace alien, les conflits entre pays – voire au cœur du pays –, les maladies et tant d’autres éléments chambouleront constamment cette Terre chérie. Nous n’avons qu’un rôle dans cette fatalité : résister aux injustices, surmonter les obstacles et espérer un lendemain meilleur qu’aujourd’hui.

Cependant, prendre une décision est une chose, l’appliquer est une tout autre affaire. Celle-ci se corse lorsque les principaux membres de la Justice League sont injoignables, ou introuvables. Oliver est le seul à répondre à tous mes appels. Bruce est difficilement joignable – ou très secret sur son emplacement, Barry court mais ne s’arrête pas, il est difficile à communiquer avec Cyborg récemment et Arthur semble être préoccupé par d’autres problèmes. Quant à Diana, son silence et son absence m’inquiètent. Elle a toujours été la plus engagée et la plus combattive d’entre nous. Que se passe-t-il ?

Une question qui tourne en boucle depuis ma confrontation avec Zod. Pourquoi est-ce que l’Amazone manquait à l’appel ? Ne s’était-elle pas engagée à poursuivre Enchantress avec moi ? N’a-t-elle pas entendu ou vu tout le chaos régnant autour du vaisseau kryptonienne capturé en plein cœur de Metropolis ? L’inquiétude se dispute à la déception. Nulle rancœur, par contre. Qui suis-je pour lui jeter une quelconque pierre ? Je lui dois la vie, m’ayant ramené d’entre les morts avec les autres. Je lui dois tout autant son amitié. Elle est l’unique et la seule à me comprendre réellement et avec laquelle je n’ai pas à constamment me contrôler et à me maitriser.

Alors, lorsque des pas familiers se font entendre dans le couloir de l’immeuble ou je loge avec Lois, et que je balade les yeux grâce à ma vision X, mes yeux s’écarquillent. L’improbable se confirme davantage lorsqu’on toque à la porte, et que cette voix tant attendue s’élève. Je ne la fais pas attendre, ouvrant bien grand cette porte. Malgré moi, et toutes ces questions qui tournent en boucle dans ma caboche, je lui offre un grand sourire.

Elle fait sa proposition. Elle semble honteuse, ou exténuée, ou incertaine. Je ne saurais pas le dire. Nous sommes presque étrangers l’un envers l’autre. Pourtant, le naturel revient vite au galop. Je la saisis par les épaules, l’amène à moi et l’enlace.

- Tu m’as manqué aussi, Diana. Je me suis inquiété pour toi, lui soufflais-je. Je ne la quitte pas immédiatement. Pourtant, je ne la garde pas au point ou le contacte serait gênant ou désagréable. Il y a un équilibre que je respecte. Alors, je plante un regard sérieux dans le sien. Allons-y. Je te suis. J’ai également beaucoup de choses à te dire.

Je m’empare rapidement d’une veste et je verrouille l’appartement aussitôt. Je n’ai besoin ni de l’un, ni de l’autre, mais le geste est automatique, apprise après des années à prétendre être un simple humain. Je ne parle pas davantage, la suivant tranquillement et silencieusement jusqu’au lieu qu’elle a en tête. Je me prépare autant à aller à pied, qu’en volant. Il y a là quelques avantages à partager des caractéristiques communes – enfin, presque.

-Diana, ou étais-tu ? Que s’est-il passé ?

Voilà ma toute première question.

- Je t’ai cherché presque partout. Je ne t’ai pas trouvé, avouais-je.

Que représente le S ?

Le sourire de Clark était comme un soleil pour mon coeur, sa chaleur m’apaisait. Notre dernier échange avait été tellement plus distant, à l’instar de Bruce qui semblait avoir dressé un bouclier entre nous aussitôt revenus… Une petite part de moi craignait que le héros de Métropolis ne continue à s’éloigner. Peut-être étaient-ils tous deux le reflet de mon propre comportement… J’avais été comme eux, perdue, noyée dans mes cauchemars, peinant à croire à cette nouvelle réalité… Aujourd’hui encore il m’arrivait de sursauter à un bruit et de me préparer à être attaquée. Mais cette Terre était un sanctuaire, un lieu de paix magnifique, au regard de ce que j’avais pu observer dans de nombreux autres mondes… Il n’y avait pas lieu de s’angoisser de chaque ombre, de dormir une arme à la main et d’être sur ses gardes à chaque instant. J’avais commencé à le comprendre à Themyscira… Ma mère et mes soeurs avaient tenté de me ramener dans le présent en réalisant que mon esprit était resté piégé très loin de cet univers. Je commençais à en revenir, doucement…

Mais cette étreinte, elle, m’ancrait dans l’instant. Je n’étais plus seule à présent, à trembler de peur à l’idée de ce qui arriverait après la disparition de Bruce. J’avais un avenir ici, des gens qui tenaient à moi et une planète à protéger. On m’avait offert une nouvelle chance. Et Clark ne me rejetait pas.

Soulagement immense. Réconfort.

Il était bon de pouvoir serrer quelqu’un sans risquer de lui broyer les os. Je n’avais jamais eu à retenir ma force avec Clark. Nous nous séparâmes et je me sentais un peu plus légère. Mes émotions jouaient au yoyo en ce moment, elles m’épuisaient.

Nous nous mîmes en route et ce vol, le temps qu’il dura, me plongea dans des souvenirs nostalgiques. Devais-je me réhabituer à marcher ainsi aux côtés de mes anciens compagnons d’armes ? Nous avions tous changé, pour le meilleur et pour le pire, et j’ignorais les attentes des uns et des autres. A dire vrai, je peinais parfois à me comprendre moi-même.

Le ciel était dégagé lorsque nous posâmes le pied sur l'île. Les lieux étaient toujours aussi sauvages et abritaient leur propre écosystème. Le chant des oiseaux m’arracha un sourire. Ils comptaient parmi nos alliés sur Una. Lorsqu’ils se taisaient, c’était généralement le signe annonciateur d’une catastrophe imminente…

Je pris mon envol et m’installai sur mon perchoir préféré, satisfaite que le bois ait résisté à l’usure. Et très vite, la voix de Clark retentit, brisant ma petite bulle de douceur pour me ramener à ma culpabilité.

-Je suis désolée de t’avoir inquiétée, Kal…

Je fixai quelques instants les vagues, notant les nuances de couleurs avec celles de mon île natale.

-J’ai accompagné Zatanna à Themyscira pour chercher des informations sur Enchanteresse… Et je n’ai pas eu la force de repartir.

Ma main repoussa doucement la tresse que j’avais faite dans la matinée pour la renvoyer dans mon dos. Mes cheveux avaient beaucoup poussé ces dernières années, ils me tombaient en bas des reins. J'hésitais à les couper… Mais peut-être que j’avais intérêt à les conserver ainsi. Ils me rappelaient que j’étais une nouvelle personne, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

-Je vous ai tous abandonné, j’ai été lâche…

J’en avais conscience et je l’assumais. Mais j’étais fin prête à aller de l’avant. Je devais avancer, vivre dans le présent et construire mon futur.

-J’avais besoin d’une pause, d’un moment pour me recentrer. Ma mère et mes sœurs étaient là… Elles m’ont aidé à y voir un peu plus clair.

Je levai les yeux vers mon ami, accrochant son regard pour y lire son expression.

-J’ai passé près d’un siècle dans le multivers à errer d’un monde à l’autre avant de me retrouver piégée dans l’univers où Bruce vivait depuis deux ans. Il n’y avait pas d’espoir pour nous là-bas, nous étions résolus à mourir… Et Barry est finalement venu. Je…

Je soupirai.

-Je peine à retrouver mes repères. C’est comme… Revoir un endroit que l’on connaît et chérie depuis toujours… Et réaliser brusquement que l’on se sent étranger à lui. Il ne s’est écoulé que deux ans ici… Personne ne comprend à quel point nous avons changé. Ils ne peuvent pas. Clark, je…

Je pris une profonde inspiration, réalisant que j’avais serré le poing sous le coup de l’émotion. Je me forçai à déplier les doigts, doucement.

-Je m’en veux de ne pas avoir été là pour toi. J’aurais dû faire front contre nos nouveaux adversaires, et j’aurais surtout dû être à tes côtés en tant qu’amie. Cela fait trois mois déjà et j’ignore tout des épreuves que tu as dû affronter dans le multivers… Je sens qu’elles te rongent… Je ne te forcerai pas à me partager ton fardeau si tu n’en as pas le coeur, mais sache que je suis prête à camper ici ou ailleurs le temps qu’il faudra si tu as envie de parler. C’est là au moins l’avantage d’être immortelle, j’ai tout le temps du monde devant moi… plaisantai-je.

Je posai une main sur mon coeur et lui sourit.

-Toi et moi, sans aucun jugements. Je te le promets. Je peux tout entendre.

Together against monsters.
W'll survive

Avant de voler, je me débarrasse de cette tenue civile. Le gouvernement est toujours à l’affût de la moindre information à mon sujet, guettant et surveillant tous mes faits et gestes. Je ne doute pas un seul instant que Diana subit une pression similaire, aussi divine et aussi invincible que je ne le suis. Autant dire, je refuse d’offrir le moindre petit indice à quiconque. Je profite du silence durant notre trajet pour être à l’affût de drones, d’un mouvement satellite étrange et j’en passe … Je ne retrouve un semblant de calme et de paix que lorsque nous arrivons à destination sans pépin.

Je mets pied dans le havre de paix de l’Amazone qu’avec grande attention et délicatesse. Là où la Forteresse se démarque par sa solitude, son froid, son silence et, surtout, son immensité, ce lieu jure par sa chaleur, sa vie et son intimité. A nouveau, je sens comme un terrible fossé entre Diana et moi, et malgré nos conditions similaires. Si nous avons tous les deux étaient aimés par nos parents – ou ce qui se rapprochent de parents –, nos enfances respectives sont à l’opposé. Elle a grandi, accepté de tous et déployant toute sa force et ses compétences. Pour ma part, j’ai grandi caché aux yeux de tous et de toutes, privé de mille et une activités sociales pour ne pas faire du mal, pour ne pas attirer l’attention ou pour ne pas effrayer.

Diana commence à parler, ou plutôt à se confier. Je ne l’interromps pas.

Je peux comprendre son désir de se retirer du grabuge de ce monde et de refaire le point sur ces dernières années, décennies ou siècles. La notion de temps a été plus cruelle avec l’Amazone, me chagrinant sincèrement à son égard. Je ne peux pas m’empêcher de réfléchir à ma propre temporalité et, bizarrement, je suis incapable de m’en souvenir. J’ai cette terrible sensation que plus les secondes s’égrènent, et plus ma mémoire se floue.

Le silence s’installe.

- Le soleil de ce système solaire fausse les données disponibles dans la base kryptonienne du vaisseau de ma famille natale. Par conséquent, je ne connais rien à mon sujet, à ma croissance future, à l’évolution ou au déclin de mes pouvoirs, commençais-je. Du moins, je ne le savais pas jusqu’à avoir visité une planète Krypton encore intacte, vivante. J’ai pu croiser mes parents … ou plutôt leurs alter-egos. J’ai pu échanger avec eux, comprendre ce que je suis véritablement et comment je serais dans de très longues années. Les infrastructures, les objets … tout était adapté à ma condition de kryptonien. J’étais chez moi, Diana. J’ai voulu y rester, heureux d’être enfin à ma place et d’appartenir à quelque chose, avouais-je. Je n’ai jamais dit à quiconque, incluant Loïs. Puis, je me suis souvenu de la Terre, ma terre d’adoption. De Loïs, celle que j’aime, qu’importe les univers, qu’importe les époques. De vous, mes amis qui m’avaient soutenu quoi qu’il arrive. J’ai compris mon erreur. Ma place est ici, sur cette terre-ci. Du moins, elle l’était, jusqu’à mon dernier voyage.

Je m’interromps, me crispant. Si me confier est plus aisé depuis que j’ai pu parler à cœur ouvert avec Loïs, la tâche reste toujours aussi tendue. La honte, la culpabilité et les milles souvenirs me submergent comme un raz de marée. Pour quelques précieuses secondes, je perds contrôle de mes sens, voire de ma force. Le monde devient subitement trop bruyant, ou trop clair. Je cligne des yeux à plusieurs reprises, je grogne de douleurs. Après quelques minutes, j’ai retrouvé mes esprits.

Plus ou moins.

- Avant que je ne continue, Diana … Est-ce qu’une action est un crime lorsqu’elle est acclamée dans un univers, mais condamnée dans le nôtre ?

Une question que je pose à chacun, avant d’oser dire la vérité.

Que représente le S ?

Je n’avais jamais été du genre à fuir les problèmes. J’étais une frontale, je détestais les non-dits et les secrets qui empoisonnaient à petit feu les relations. Je disais les choses quand je sentais que ça dérapait, je cherchais toujours la résolution par la franchise. L'honnêteté était une vertu que je cultivais précieusement autour de moi dans mon cercle proche. Ma vie parmi les humains m’avait forcé à enterrer cette partie entière de ma personnalité, j’avais compris qu’ils n’étaient pas prêts à m’accepter pleinement dans leur existence. J’avais dû enfiler un masque, vivre une double vie… Mais avec du recul je me disais que c’était mieux ainsi. Pendant vingt ans j’avais côtoyé des humains dans le multivers, sans masque, sans barrière. Pendant vingt ans, ils avaient ployé le genoux devant moi, m’avaient mise sur un piédestal ou traité en démon… Jamais ou presque nous n’avions été sur un pied d’égalité. Je m’étais bien rapprochée d’une femme sur Una, une guerrière… J’avais cru trouver une famille avec elle et sa fille, peut-être l’opportunité de construire un nouveau foyer et de reprendre le cours de ma vie… Et je les avais vu mourir toutes les deux, massacrées par les chimères qui avaient rayées l’Elysée de la carte.

Les choses étaient différentes avec mon cercle d’amis, sur Terre. Il y avait bien quelques personnes qui me regardaient franchement dans les yeux sans crainte ni envie. Bruce avait été l’un des premiers humains du XXVI ème siècle à me tenir tête de la sorte et il avait gagné mon respect pour ça. Steve aussi avait su s'affranchir de ce que j’étais et m’avait accepté… Penser à lui m’arracha un pincement au cœur. Cette relation mort-née aurait-elle jamais une chance de renaître de ses cendres ? J’étais incapable de faire du tri dans mes sentiments… Je ne pouvais tout simplement pas reprendre le cours normal de ma vie comme si rien n’était arrivé. Le multivers m’avait changé en profondeur, Steve ne connaissait plus qu’un fantôme du passé, une image résiduelle qui ne cadrait plus avec la réalité. Lui aussi avait dû changer… Deux ans, c’était à la fois ridicule pour quelqu’un comme moi et énorme pour un mortel. Nous nous connaissions, et nous étions pourtant des étrangers l’un pour l’autre.

Clark, de par son histoire, était à la fois humain et étranger à ce monde. De tous les justiciers il était celui qui pouvait le mieux me comprendre. Il portait lui aussi ce poids, ces responsabilités. Il savait ce que ça faisait, d’avoir le pouvoir en un mot ou un geste, de bouleverser complètement l’équilibre géopolitique d’une planète. Il savait ce que ça faisait d’inspirer par sa simple existence l’adoration et la terreur. Nous étions un soleil pour les mortels, nous pouvions autant les inspirer que leur brûler les ailes.

J’hochai doucement la tête alors qu’il m’expliquait qu’il avait atterri sur une krypton vivante qui l’avait accueilli sans réserve, qu’il y avait retrouvé ses parents, son peuple natal… Peut-être… Un double de lui ? Mes pensées m’amenèrent brièvement vers l’invasion kryptonienne, les ravages causés par le général Dru-Zod et ses compagnons d’arme, puis vers la Terre alternative terraformée que j’avais rencontré dans le multivers… Je ne pouvais dire que les kryptoniens m’avaient laissé un souvenir très positif jusqu’à présent. Pour autant, je comprenais parfaitement le ressenti de Clark, le soulagement qu’il avait dû ressentir là-bas.

Un sourire s’épanouit sur mes lèvres alors qu’il m’expliquait que son coeur l’avait rappelé vers la Terre, en dépit de tout ce qu’il avait trouvé sur Krypton.

-Ca a dû être un déchirement pour toi de choisir entre rester ou partir, dis-je avec douceur, en essayant de formuler les émotions de mon ami. Tu as appris beaucoup de choses sur toi, là-bas ? As-tu rencontré ton alter égo ?

Je réfléchis quelques instants.

-Tu t’es retrouvé dans la même situation que moi, avec un bracelet défectueux qui te permettait d’ouvrir des portails, sans choisir la destination ?

C’est ce que sous-entendait son discours. Dans combien de mondes avait-il erré entre l’explosion de l’étoile qui nous avait séparés et nos retrouvailles ?

-Kal… soufflai-je inquiète en voyant l’homme se crisper soudain. Est-ce que ça va ?

Que se passait-il ? Je regardais autour de nous. Pas d’ennemis, pas de pierre verte qui pourrait justifier une telle réaction… Cela se passait-il dans sa tête ? Je pris délicatement la main de l’homme et la serrai en espérant lui communiquer mon soutien, dans l’attente qu’il m’explique ce qui était en train de se produire.

Lorsqu’il reprit finalement la parole, sa question me désarçonna.

-Le concept de moralité est complètement subjectif, influencé par une culture, une éducation, une géographie et une expérience personnelle. Deux personnes dans une même ville peuvent avoir des avis sensiblement divergents, alors comparer ce qui est "bien" ou "mal" à l’échelle de deux mondes ?

Je secouai doucement la tête.

-Si c’est mon sens moral à moi que tu interroges et si tu veux mon avis personnel, il va falloir me donner un contexte et un être un peu plus spécifique. Je ne peux juger une situation avec une question aussi vague.

J’aurais pu disserter sans aucun problème sur la question de Clark. Jadis, je pouvais passer des jours à débattre sur ce genre de thème avec mes sœurs, construire une argumentation par la logique. Mais je savais que Clark avait une idée en tête. Ce n’était pas un concours de rhétorique ou un débat philosophique qu’il cherchait, il s’interrogeait sur quelque chose… Une expérience personnelle à priori. Peut-être la chose qui le plongeait dans cet état depuis son retour, ce qui le poussait à vouloir ranger son costume et à prendre sa retraite. Raison de plus pour prendre des pincettes…

Together against monsters.
W'll survive

Elle parle, elle pose des questions. Les souvenirs refont surface avec une violence inouïe. Je revois le sourire lumineux de ma mère ou le regard fier de mon père. Je me reconnais dans l’un et dans l’autre. C’est étrange, et rassurant à la fois. Si la famille Kent n’a jamais manqué de me prodiguer leur amour inconditionnel et malgré ma condition ou ma nature, il y a toujours eu cette différence. Ils sont bruns châtains avec des yeux marrons, j’ai une crinière bien sombre avec des yeux bleu ciel. Ils sont calmes, je bouillonne d’émotions et de colère et d’impatiences. Et, tout simplement, ils sont humains et simples, je suis étrange et d’ailleurs.

Le mot alter-ego accélère ce flux d’information que j’ai contenu, compartimenté et mis sous verrou au mieux. Ma respiration se fait plus haletante au fur et à mesure que cette mémoire déborde de chaque fissure de mon être. Cette torture mentale devient physique. Une main invisible s’amuse à nouer et à tordre mes entrailles, à presser violemment et impitoyablement mon cœur et à me marteler le crâne encore et encore. Bien, Mal, les concepts se mêlent et se brouillent. Une action est un crime quand des gens meurent, Superman. Et qui pardonne au crime devient complice, les paroles de Bruce m’obnubilent, m’interrogeant à nouveau sur le véritable criminel de cette tragédie qui s’est jouée ailleurs.

- Je …, commençais-je, incapable de poursuivre.

Je n’ai jamais hésité de toute mon existence, ou éprouvé la moindre honte vis-à-vis de mes choix passés. J’ai toujours été certain de chaque décision et de chaque chemin emprunté. Puis, j’ai piétiné toutes ces promesses faites, toutes ces idéaux défendus à la sueur de mon front – et au prix de nombreuses vies.

- J’ai failli à notre tâche. J’ai failli à la promesse faite à mes parents, à vous. Je refuse de me battre en vous cachant tout.

Ma bouche s’assèche, mon rythme cardiaque accélère furieusement. Ironiquement, le poids qui pèse sur mes épaules s’allège également. A croire qu’à chaque battement et aveux, un morceau de cette culpabilité tombe et se brise. Le pue qui n’est autre que le malaise sort et dégouline, apportant enfin la guérison nécessaire pour entamer un nouveau chemin : celui de la rédemption. Je ne serais pas un tyran, ni de près, ni de loin. Je ne soumettrai pas un monde entier à mes caprices, à mes douleurs, à mon deuil et à mon désespoir. Enfin, et plus important, je ne serais plus cet espoir venu d’ailleurs.

Ce monde sera meilleur.
Il doit l’être.

- J’ai essayé de réparer le bracelet à chaque étape, à chaque nouveau saut raté. J’ai vu et j’ai visité tant et tant d’univers, Diana. Un univers où les super-héros n’existent pas et où l’Humanité se débrouille par ses propres moyens. Un univers où j’ai été recueilli par une tout autre famille. Et puis, il y a eu ce dernier voyage, commençais-je, sur le ton d’un aveu. J’ai découvert ce monde où Superman a été trompé, où Loïs a été tué alors qu’elle portait leur enfant. Il a vrillé, Diana. Il a vrillé comme j’aurais vrillé si j’avais été à sa place, soufflais-je. J’occulte toutes les circonstances entourant cette désastreuse mort. Il a tué les responsables de cette mort. Il s’est imposé comme Protecteur de la Terre, imposant sa loi, sa vision, sa philosophie. Il a combattu Batman, il l’a abattu. Il a été soutenu par ton alter-égo, mais elle a fini par se rebeller et par tomber aussi. Et il s’est entouré des pires conseillers et criminels. Tout criminel ou dissident subit un lavage de cerveau, la police ou l’équivalent sillonne chaque rue pour trouver des rebelles. Tout pays se contente de rations et j’en passe. C’est … C’est … Je n’ai pas pu ne rien faire. Je n’ai pas pu être aveugle à cette folie, sourd à ces appels à l’aide, dis-je, le ton de plus en plus rapide. La suite a été un cauchemar, Diana. Un cauchemar. Les Hommes ont pris parti pour lui, ou pour moi et ont déclaré des guerres. J’ai tenté de les priver d’armes, ils se sont battus à coup de cailloux, de poings et de dents. Et les alliés de mon alter-égo ont tout bonnement tout rasé, racontais-je. Le rire nerveux se dispute au soubresaut d’incompréhension. La guerre était totale. Je n’arrivais plus à tout suivre, à tout protéger, à tout préserver. Et je n’avais rien pour arrêter mon alter-égo. Aucune kryptonite, zone fantôme scellée solidement, impossible de le maintenir dans l’espace assez longtemps … , expliquais-je. Je me tais, perdu dans mes pensées. Je revois ces bombardements, ces corps inertes et démembrés, ces immeubles rasés, ces cris, ces pleurs, ces nombreux cimetières … Des milliards sont morts. Ecrasés par les immeubles qu’on détruisait à chaque combat, noyés par toutes ces vagues qu’on soulevait ou pulvérisés par les bombes d’un camp ou l’autre. Toutes ces horreurs pour ce symbole. Pour ce que je suis. Pour ce qu’il était, cet alter-égo. Il ne restait plus qu’une poignée de survivants. Un million. Ou un peu plus. Peut-être. Je ne sais plus. Mon alter-égo était devenu fou. Et je n’en pouvais plus. Nous avons combattu. A mort, soufflais-je.

Je ne dis plus rien. Je laisse le silence planer, laissant deviner largement l’heureux ou le malheureux gagnant de cette histoire.

- En quoi suis-je différent de lui, dorénavant ? demandais-je. En quoi est-ce que je ne suis pas un criminel ? susurrais-je, le ton amer, la tête baissée par la honte.

Que représente le S ?

Je n’étais visiblement pas la seule à vivre dans les remords et la culpabilité… Et cela se répercutait si fort sur Clark qu’il le manifesta physiquement par une crise de douleur intense. Je ne pouvais rien faire pour lui s’il ne se confiait pas à moi… Mais il semblait enfin décidé à parler. Je n’avais plus qu’à me taire et à le laisser sortir tout ce qu’il gardait en lui depuis trois mois…

J’entrouvris les lèvres un instant sous le coup de la surprise, cherchant à imaginer le tableau qu’il me dressait. Un Superman despotique, qui avait vrillé au point de tuer Bruce, puis mon alter-égo… Avaient-ils été amis dans cette version de l’histoire ? Mon esprit me ramena de lointaines années en arrière, alors que nous venions de ressusciter Clark. Son réveil avait été violent, chaotique, je m’étais demandée alors si nous n’avions pas créé un monstre… Lois semblait être une récurrence… La seule femme capable de l’apaiser… Ou de le détruire en quittant ce monde.

J’hochai la tête doucement, concentrée pour suivre le fil de l’histoire. Évidemment qu’il n’avait pu rester de marbre en contemplant son propre reflet aller à l’encontre de tout ce qu’il était et ce pour quoi il se battait…

-Clark… soufflai-je en oubliant, l’espace d’un instant, sa volonté de ne plus être appelé de la sorte.

Il avait vécu l’enfer et il en était revenu… Le multivers était si vaste, comment était-il possible que nous soyons tombés à chaque fois sur des lieux plus sombres les uns que les autres ? Peut-être parce que nous étions incapables de tourner le dos au mal, que nous ne pouvions passer notre chemin et poursuivre sans nous soucier de la souffrance que nous contemplions.

-Le fait que tu te poses cette question est précisément ce qui te différencie de cet homme.

Je comprenais sa douleur, je comprenais la culpabilité qui pesait lourd sur ses épaules. La même pèserait certainement sur les miennes si j’avais traversé vécut la même situation. Mais rien dans ce qu’il me disait ne me donnait l’impression qu’il avait mal agi…

-Je côtoie les humains depuis le début du siècle dernier. J’ai vu de nombreuses guerres se faire et se défaire, j’ai assisté à l'ascension d’un monstre en Europe… Il a tenté de créer un monde à son image, de hiérarchiser l’humain et de tuer tout ceux qui n’étaient pas à son image… Mais derrière ces ténèbres, sais-tu ce que j’ai vu ? L’espoir. Les hommes qui parvenaient à fuir les camps de concentration retournaient se battre. Et pourquoi ? Pour la liberté. L’humain est doué pour s’asservir, mais ceux qui se font piétiner finissent toujours par se relever et par regagner leur indépendance. A toute heure de l’histoire, les hommes et les femmes ont toujours fini par se dresser contre leur oppresseur. Toujours. La liberté semble être un besoin viscéral de l’Homme au point qu’il mette en péril sa propre vie pour l’obtenir.

Mes doigts s’enroulèrent autour d’une longue mèche de cheveux bruns pendant que je pesais soigneusement mes mots.

-Les humains peuvent affronter des humains et les défaire… Mais ton alter égo rendait toute insurrection impossible. Tu as rééquilibré le jeu en intervenant. Je comprends pourquoi tu l’as fait, Kal, j’en aurais fait surement autant. Ils avaient besoin de toi… Personne ne pouvait prévoir les conséquences de cette guerre. Ce qui est arrivé est dramatique, c’est horrible… Mais ton choix d’intervenir me semble moralement juste. Tu as tenté de leur donner une chance de redevenir maîtres de leur futur.

Je poussai un soupir et forcai sur mes mains pour décaler mes fesses afin de m’asseoir tout contre mon ami. Je tendis alors les bras pour les enrouler autour de lui et le serrer sans retenue contre moi. Il était l’une des rares personnes que je pouvais toucher ainsi sans risquer de le briser, c’était assez agréable.

-Ecoute moi bien… Tu sais ce qui distingue un monstre d’un homme bien ? C’est l’empathie… Clark, tu as un coeur magnifique, il rayonne d’amour et veut faire le bien autour de lui. Tu as envisagé toutes les alternatives, tu as tout essayé pour arrêter le despote… Et tu as dû faire un choix terrible entre lui laisser la vie sauve, ou protéger les habitants de cette planète. D’après ce que tu me racontes, il n’y avait pas de compromis possible. Tuer n’est jamais anodin, c’est un acte qui nous marque. Et c’est sûrement pire encore quand l’ennemi a notre visage… Tu n’es pas lui, Clark, dis-je en détachant mes mots. Tu n’es pas lui, répétai-je. Tu accordes de l’importance à la vie et à la liberté des autres. Tu as tué un homme pour en sauver un million d’autres. Ton geste n’était pas dicté par l’égoïsme.

Together against monsters.
W'll survive

J’écoute attentivement chaque mot prononcé par l’Amazone. S’ils me réconfortent, ils m’effraient presqu’autant. Elle fait preuve d’empathie, elle pèse ses mots, elle se montre réconfortante. J’apprécie autant que je suis gêné. J’ai le sentiment que je ne mérite pas ni son pardon, ni son attention, ni son amitié. Malgré moi, son image se superpose à cette photo ou son alter-égo et le mien combattent ensemble vers un monde plus juste, un monde qui va être perverti par d’autres sans qu’ils ne le sachent encore. Une vision qui se fane et qui se remplace par ce monument érigé en son honneur, après une mort terrible … Est-ce que je mérite d’être son ami ? Est-ce que je ne la condamne pas inconsciemment, en étant proche d’elle, en l’influençant – ou en la laissant m’influencer ?

Ses mots n’apportent pas le baume nécessaire à cette âme rongée par la culpabilité. Plus je me confie, plus je me rends compte que rien, ni personne, n’apportera la paix dont j’ai besoin dans cet univers. Les mots sonnent vides, la logique semble désuète ... Quoi que je dise, ce n’est qu’une facette – ou aspect – de la vérité. Comment peut-on juger quiconque en ayant qu’une version, biaisée en prime par bien des éléments ? Oui, ma mémoire vacille. Est-ce que j’ai tout fait ? Est-ce que j’ai vraiment manqué d’options ? Ma morale et mes idéaux sont compromises. Est-ce qu’il faut tuer immédiatement, pour épargner des millions de vie ? Cette simple pensée m’effraie. Me pétrifie. Me fait trembler.

L’étreinte de Wonder Woman m’apporte, quelque part, un semblant de bonheur. Il me rend tout autant nostalgique. Je retourne à cette époque ou je ne suis que Superman, combattant et m’entrainant avec Wonder Woman – sans retenue, sans hésitation. Je suis aussi propulsé sur ce Krypton, là ou une mère, une cousine, et tant d’autres membres d’une famille que je n’ai jamais connu ici m’ont étreint avec autant d’amour et de compassion. Si proche. Si loin. Je me contente de baisser la tête, et profiter de cet instant autant que possible. Avant que je ne le brise avec mes réalités et mon propre jugement.

Mes sens s’étendent à l’autre bout du monde, pour aussitôt revenir et se concentrer sur l’Amazone. Ce yoyo sensoriel m’apaise, me calme, m’aide. Je ne parle qu’après de très longues minutes, et lorsque je redeviens maitre de mes cinq sens. Cinq minutes ? Dix minutes ? A moins que ce ne soit quinze minutes. J’ai perdu la notion de temps. Et je ne désire pas y revenir si vite.

- Ce n’est pas aussi simple, Diana.

J’inspire. J’expire.

- Tu as raison. Toi, ou moi, ne pouvons pas juger indépendamment sur la justesse ou non de mon acte. Tu n’as que les éléments que j’accepte de te donner, ou que je me souviens encore. Un événement doit être envisagé dans son intégralité, soufflais-je. Es-tu certaine que j’ai tout essayé ? Tu n’as qu’une version des faits, tu n’as pas exploré d’autres alternatives. Tu ne peux pas. Personne ne le peut. Moi non plus. Si je te dis que cette Humanité m’a acclamé, tu seras confortée dans l’idée d’avoir raison. Si je rajoute que cette même Humanité a exigé que je me retire, et m’exile, la méfiance et la peur dans le regard, que diras-tu alors ? Cette même Humanité qui a combattu avec moi, elle était effrayée par moi, et uniquement moi, et non mon alter ego. Elle a, peut-être, vu un reflet, Diana.

Je me souviens, encore, de ces regards. De ces tons.

- Une vie pour sauver des millions … Non. Le monde n’est pas aussi simple. Rien n’est plus aussi simple. Lorsque j’ai croisé Zod, j’ai eu peur, Diana. Peur de moi. Peur de réfléchir. Peur de me souvenir.

Et malgré cette peur, ce désagréable sentiment de déjà-vu s’est imposé à moi.

- Que faire, me suis-je dit. Me battre encore, et rajouter de nouvelles victimes ? Battre en retraite, mais au risque qu’il condamne la Terre ? Le tuer, là et maintenant, arbitrairement … et comme un tyran ? , dis-je d’un ton fébrile. Plus important, Diana. Qui peut juger mes actions ? Qui peut me punir si je n’agis pas convenablement ? Bruce est brillant, il a de la kryptonite certes, mais est-ce suffisant ? Toi, tu es comme moi. Tu n’es pas née ici, tu n’es pas d’ici, tu n’y as pas vécu toute ton enfance. Qui t’écouteras quand des millions mourront à cause de moi ? Si je confie quoi que ce soit, comme informations à mon sujet et mes faiblesses, au Gouvernement, quelles sont mes garanties pour ne pas finir comme Enchantress dans une Suicide Squad ? Est-ce que tu comprends ou je veux en venir ? Il n’existe nulle Cour de Justice, ou prison, pour des gens comme toi, Zod ou moi. Tant qu’il n’en existe pas, nous sommes des dangers, qu’importe que nous ayons de bonnes ou mauvaises intentions.

Je me tais, je ne dis plus rien.

Que représente le S ?

J’eus le sentiment que Clark se relachai dans mes bras. Les étreintes ne réglaient jamais les problèmes, mais elles avaient le mérite d’apaiser un peu les âmes… Si je pouvais offrir ne serais-ce qu’un peu de réconfort à cet ami que j’avais perdu de vue voilà bien trop longtemps, pourquoi le lui refuserai-je ? J’avais eu Bruce, à mes côtés, huit années durant, pour encaisser les chocs et m’aider à me relever alors même que je pensais m’effondrer pour toujours. J’avais toujours le coeur lourd aujourd’hui mais je m’efforçais de prendre du recul, petit à petit. “Le temps guérit l’âme”, disait ma mère. J’espérais qu’elle disait vrai. Jamais encore en quatre-mille ans je n’avais vécut une telle expérience… Je n’avais pas de comparaison, j’ignorais comment sortir la tête de l’eau. Mon nouveau combat, aujourd’hui, était de faire un pas après l’autre et de continuer à avancer. Un jour peut-être, j’arriverai à remarcher comme avant.

Je lui laissai le temps dont il avait besoin, sans bouger, sans compter les minutes. Je le lui avais dit, je lui offrirai tout le temps qu’il fallait.

Et enfin il reprit la parole.

-C’est vrai, je ne juge que les éléments que tu m’a donné. Tu m’a demandé mon opinion, Kal. Je ne cherche pas à t’être agréable… Tu m’as expliqué qu’il y avait des dissidents sur cette planète bien avant ton intervention. Cette civilisation était-elle heureuse, dépossédée de sa liberté de penser et de construire son propre avenir ? S’épanouissait-elle dans le contrôle total et l’Etat sécuritaire ? Si c’est le cas, tu as peut-être fait une erreur en intervenant. Dans le cas contraire et à moins que les humains de cette planète ne soient pas faits du même moule que les nôtres, je peux t’assurer qu’ils auraient fini par se rebeller. Les despotes qui règnent par la peur ne sont jamais restés au pouvoir très longtemps, dans notre monde. Enchanteresse était une déesse pour son peuple, avant qu’il ne se retourne contre elle. Tu as peut-être précipité une chose qui serait de toute façon arrivée… Ou peut-être pas. On ne le saura jamais. Tu vas devoir te faire à cette idée que tu ne peux réécrire ce qui a été fait.

Je soupirai. S’il réalisait à quel point je comprenais ses interrogations. Elles étaient si légitimes… Je m’étais posée les mêmes ces vingt-quatre dernières années.

-C’est vrai aussi, personne ne peut s’opposer à nous. Tu peux devenir un dieu et dire aux humains comment penser. Tu peux leur imposer ta voix, tu peux régner par la terreur et la destruction. Tu seras toujours une figure influente parce que les humains ont besoin de croire en quelque chose qui les dépasse et parce que tu t’es révélé à eux.

Je me mord la lèvre en sentant la frustration me gagner.

-Les humains ont aussi ployé le genoux devant moi sur Una et je les ai mené à leur ruine. Je croyais faire pour le mieux, je croyais les sauver d’une invasion extraterrestre qui les aurait tous décimés. Et j’ai précipité leur chute… Et il ne se passe pas un jour sans que je ne regrette certaines de mes décisions. Mais c’est ainsi. Je ne suis pas parfaite et je fais des erreurs. Tu en fais aussi. Nous apprenons, nous allons de l’avant, nous évitons de recommencer. C’est ainsi que les enfants grandissent, Kal. J’ai plus de quatre-mille ans et je continue d’apprendre. Je me remets en question, j’avance… J’écoute les autres. Vous tous, vos avis comptent, je ne cesserai jamais d’écouter. Un despote n’écoute que lui-même, Kal. Lui-même, et son égo. Il ne cherche pas à être aimé, il veut se faire obéir.

Je m’interrompis un instant, fermant les yeux pour refouler l’émotion qui me gagnait. Parler de moi n’avait pas été une bonne idée. Clark se remettait en question, il n’avait pas besoin que je vienne ajouter mes propres doutes sur la table… Mais il m’avait inclus dans sa tirade. Et il avait raison, il avait ô combien raison ! Nous étions puissants, influents, et donc dangereux. Et mon cœur saignait tout autant que le sien à l’idée de ce que j’avais fait et de ce que je pourrai être amenée à faire si les terriens m’érigeaient à nouveau en figure supérieure… Si j’abusais à nouveau de mon pouvoir…

-Tu t’en veux d’avoir tué… C’est bien, Kal. N’oublie jamais ce que ça fait. Ta culpabilité te rend humain, ton empathie te poussera à douter et à te remettre en question. Tuer ne doit jamais être le premier choix, jamais. Mais parfois, il n’y en a pas d’autres. Parfois, il faut être le bourreau. Une vie pour un million. Le monde n’est pas aussi simple, non. La vie que tu souffleras manquera à d’autres, tu prendras peut-être un père, une épouse, un fils… Mais si cette personne menace notre monde, s’il faut choisir entre elle et les habitants de ma planète, s’il n’y a aucun autre moyen, alors j’abattrai mon épée. Parce que je préfère passer le reste de ma vie à me détester plutôt que de voir tous ceux qui me sont chers disparaître.

Après un siècle d’errance et un été de remise en question, il me restait au moins une certitude… J’avais cru ne jamais revenir sur cette planète. Maintenant que j’y étais, je ferai tout pour protéger mes proches.

-Les terriens n’ont pas besoin de nous pour les diriger, ils n’ont pas besoin d’être contrôlés. S’il leur faut de l'espoir, nous pouvons leur inspirer l’amour. S’il ont besoin d'un idéal, nous pouvons leur donner envie de se dépasser. Voilà le seul rôle que je désire avoir ici… Mais parfois, parfois il y a des menaces qui les dépassent. Parfois des extraterrestres ou des anciens dieux font surface, parfois ils ont besoin de nous parce qu’ils n’ont pas le pouvoir de les combattre. J’ai quitté Themyscira pour m’opposer à Arès qui poussait le monde à sa destruction, j’ai fais mon possible pour arrêter la première guerre mondiale, puis je me suis retirée du jeu et j’ai continué à opérer dans l’ombre. Aujourd’hui ils savent qui nous sommes, mais rien ne change. La Justice League existe pour protéger la planète des menaces que les Hommes ne sauraient repousser. Nous sommes le bouclier de l’humanité, Clark.

Je baissai les yeux, soudain las, et tournai mon regard vers l’océan. Cette vision m’apaisait d’ordinaire… Mais pas cette fois. Cette conversation faisait émerger de désagréables émotions que j’avais cherché à enfouir. Elle était nécessaire pourtant… Verbaliser la souffrance, les traumatismes, était le premier pas vers la guérison. Mais ça faisait mal.

-Le multivers a emporté une partie de notre âme… murmurai-je, le regard douloureux.

Je levai les yeux un bref instant vers mon ami, avant de détourner le regard. Dans un soupir, je finis par poser ma tête sur l’épaule de Clark. Je me sentais tellement fatiguée…

-Je suis là… Tu le sais, n’est-ce pas ? Tu n’es pas seul…

J’avais besoin de l’entendre, moi aussi. J’avais besoin de savoir que mes proches étaient toujours là, que notre départ ne nous avait pas éloignés d’une manière irréparable.

Together against monsters.
W'll survive

- Je ne sais pas, Diana. Cet univers était étrange et malaisant. Il n’y avait pas de guerres entre les pays et les chiffres montraient que la famine était au plus bas. Pourtant, j’avais cette certitude que les richesses étaient mal réparties par les conseillers de mon alter-égo, que les chiffres mentaient. Je n’ai pas pu vérifier ces sources, j’ai eu bien vite à faire ailleurs … Est-ce moi qui me trompais, incapable d’envisager le scénario d’un monde meilleur au prix de sa liberté d’expression ?

Je me souviens encore de ces fichus chiffres et graphiques.
Colossaux.
Incroyables.
Impossibles.

- Il n’y avait plus de criminels comme toi et moi l’entendons. Ils vivaient parmi les citoyens, accomplissant des travaux d’intérêt général. Etaient-ils volontaires ou étaient-ils obligés ? Comment savoir ? Ils étaient sous la menace, ou le contrôle, ou l’influence d’une nouvelle technologie inspirée de la technologie kryptonienne. A la moindre pulsion meurtrière ou violente, ils ont droit à une forme d’électrochoc discret. Je crois. C’est flou.

Qu’est-ce qui est préférable ? Enfermer des meurtriers et autres types du meme acabit dans des prisons pour une durée plus ou moins déterminée, puis les libérer sans la certitude qu’ils ne vont pas recommencer ? Equiper d’une puce ou équivalente, les obliger à payer leurs dettes à la société et enfin les libérer de cette servitude avec la quasi-assurance qu’ils n’agiront plus d’une mauvaise façon ?

- Comme ici, dans cet univers, il y a ceux qui se complaisaient, d’autres qui étaient mécontents mais qui ne pouvaient pas élever leur voix. Est-ce que ce Batman était comme le nôtre ? Était-il aussi perverti, aussi fou et aussi criminel que mon propre alter-ego ? Est-ce que sa mort était justifiée ? Au final, qu’est-ce que le bonheur ou la justice, Diana ? , lui demandais-je.

Mes convictions sont ébranlées. Perdu dans mes pensées, je ne dis plus rien, me contentant d’écouter Diana. Elle me parle de ses propres expériences. Plus son récit se déroule, et plus la surprise est grande. Je ne l’interromps pas, l’écoutant religieusement jusqu’à bout. Je ne la repousse pas lorsqu’elle pose sa tête sur mon épaule. Au contraire, je pose la mienne, et fixe ce même horizon durant de longues minutes avant de prendre la parole.

- Diana … Je te remercie, pour ce partage et pour ta compréhension. Je sais que ce n’est pas facile. J’aimerais te dire des phrases réconfortantes, mais je n’en trouve aucune. Je ne veux pas que mes propres incertitudes t’ébranlent. Ces mondes étaient différents et similaires à la fois, obéissant à des règles autres que celles que nous connaissions. Tu as fait au mieux, j’en suis persuadé, comme tu l’es avec moi. Si tu veux en parler encore, je serais là. Toujours là, soufflais-je. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai inspiré l’Humanité car j’ai su apporter une réponse différente autre qu’un droit de vie et de mort à toutes les situations. Ce n’est plus le cas, ça n’a jamais été véritablement le cas. Comprends-tu ce que cela signifie ? Tôt ou tard, cette illusion va également voler en éclat ici. Alors, le monde va être chamboulé à nouveau et nos ennemis vont en profiter pour reprendre le pouvoir et le contrôle. Je dois trouver une relève, une relève composée des meilleurs hommes et femmes que cette Humanité peut offrir, une relève avec ses propres victoires et défaites, joies et cicatrices, une relève plus humaine.

J’inspire et expire profondément, reprenant la parole.

- J’ai grandi dans une ferme, élevé par des parents simples. Je suis né au sein d’une famille qui prime la science à la guerre. Je ne suis ni comme toi, ni comme Batman ou Green Arrow. Je n’ai pas grandi comme un soldat, avec cette idée d’une vie pour un millions ou avec ce devoir de maintenir la paix universelle, confessais-je d’une voix tranquille. Tes paroles m’apaisent autant qu’elles m’effraient. Je suis redevenu ce gosse qui a peur de faire du mal avec ses pouvoirs, qui cherche à tout prix à tout contrôler pour ne faire de la peine à personne. C’est … épuisant. C’est … effrayant, finis-je par dire. Je ne m’ouvre qu’à elle avec autant de facilité. Elle comprend, parce qu’elle sait. Ce que tu glorifies ou admires en moi, cette empathie ou humanité, est ma véritable faiblesse. Elle a déjà causé la destruction d’un monde. Je refuse qu’elle soit encore la cause d’une seconde destruction.

Ou est-ce que je veux en venir ?

- J’ai une espérance prolongée, mais je suis loin d’être immortel comme toi. Le danger que je représente n’en est que plus grand. Qu’est-ce que les Hommes vont voir lorsque je défierais les âges et les siècles, changeant que très peu ? Comment peut-on être sûr que je saurais toujours me contrôler, qu’un accès de rage ou de désespoir n’auront pas raison de moi ? .

La question est plus théorique.

- Tôt ou tard, pour le bien de cette Humanité que toi et moi chérissons, je dois abandonner le rôle de Superman au profit d’une nouvelle génération ou d’un nouveau rôle. Je dois être un bouclier que lorsque nécessité fait loi, Diana, ou alors m’adonner à ce même objectif mais très différemment. Je ne compte pas partir maintenant avec autant de dangers en liberté et aucune réelle force en face. Mais je ne peux plus me battre comme avant. Tu as raison. Ce multiver a emporté une partie de nous, et remplacé par un autre morceau … Il n’est pas meilleur. Il n’est pas pire. Il est différent. Et nous devons combattre ce nouveau monde tout autant différemment.

Je me sépare un peu d’elle et plante mon regard dans le sien et je pose cette dernière question.

- Je vais te poser la question que je vais poser à chaque membre de la Justice League. M’acceptes-tu ainsi et m’aideras-tu à apporter un souffle nouveau à ce monde et à ces justiciers ? Es-tu prête à me conseiller, comme à t’opposer à moi si c’est nécessaire ?

Elle est libre de refuser. Je l’apprécierai et la respecterai toujours autant. Quant à moi, l’idée est bien établie et je compte aller jusqu’au bout. Je n’aurais pas la paix autrement qu’avec la certitude d’avoir aidé l’Humanité à faire face à des puissances de tout horizon et de toute nature. Le projet est fou, mais je m’y engage. Et s’il est impossible, alors que me reste-t-il exactement ?

Que représente le S ?

Je secouai doucement la tête. Comment pourrais-je apporter une réponse à ses interrogations ? Je n’avais pas vu ce monde de mes propres yeux, j’étais bien incapable d’offrir un jugement objectif et je n’allais pas chercher à le rassurer coûte que coûte, ce n’était pas ce qu’il attendait de moi. J’avais plutôt l’intuition qu’il avait besoin de verbaliser ses pensées, de mettre des mots sur ses propres questionnements.

-Je ne sais pas… C’est difficile de te répondre sans avoir été témoin de la chose.

Son instinct lui avait soufflé une réponse et il avait réagi en conséquence. Même les plus puissants d’entre nous étaient imparfaits, et pour cause, le concept de moralité n’admettait pas de réponse universelle. Il était intrinsèquement liés à de très nombreux paramètres sociaux et culturels… Quelque soit nos choix, il y avait toujours quelqu’un pour critiquer… Nous ne pouvions faire l’unanimité.

-Tu veux une définition ? demandai-je avec un léger sourire. Je dirai que le bonheur est en un état de pleine satisfaction durable, une forme d’équilibre entre le bien-être physique et psychique… Ce qui génère cet état de satisfaction, en revanche, est différent pour chaque individu. Des personnes passent leur vie à chercher leur bonheur sans le trouver… Et d’autres s’épanouissent en mangeant une pizza chaque soir en caressant leur chat. Quant à la justice…

Je soupirai. Un concept nettement plus difficile et complexe à représenter.

-Elle se définit par consensus, généralement par une majorité d'individus composant un peuple. Quand elle n’est plus adaptée à une société, ses membres la font évoluer d’une manière ou d’une autre au fil des générations. Par un bain de sang, par la voie diplomatique, ou politique… Ce qui nous paraît juste ne l’est pas toujours pour une autre personne. Les lois, cependant, posent des cadres. Quand j’ai posé les pieds pour la première fois aux Etats-Unis, les femmes n’avaient pas le droit de vote dans de nombreux Etats, elles étaient considérées comme le sexe faible, écartées du pouvoir, baffouées. Pour moi, amazone et étrangère, ce n’était pas juste.

Je lui souris, alors qu’il tentait à son tour de m’apporter un peu de réconfort. Nous faisions peine à voir, nous, les êtres tout puissants de ce monde… Rongés par leurs inquiétudes et leurs doutes.

Je fronçai les sourcils.

-Tu as tué une fois, Clark. Ce n’est pas ce que j’appelle une “réponse systématique”. Cet acte ne t’a pas privé de tout bon sens ou de morale. Tu as largement les pouvoirs nécessaires pour empêcher des humains de nuire sans les tuer comme tu le faisais jusqu’à présent.

Je me tue pour écouter la suite de son raisonnement. Il voulait une “relève” ? Il est vrai qu’il avait déjà évoqué la possibilité de retirer son costume à peine rentré du multivers… Cette révélation n’en était pas vraiment une.

-Les humains verront ce qu’ils voient déjà… Une forme de vie supérieure, une sorte de déité, répondis-je sans m’émouvoir.

Cela faisait un moment déjà que l’humanité avait admis nos existences, j’avais appris à vivre avec les projecteurs braqués sur moi dès que je sortais mon armure… Diana Prince m’offrait un semblant de tranquillité à côté de Wonder Woman et du zèle qu’elle suscitait.

-Le plus dur sera pour toi… Tu vas devoir apprendre à accepter le cycle de la vie et de la mort et te faire à l’idée de ne pouvoir vieillir avec les personnes que tu chéris. Elles s’éteindront avant toi, ce sera bouleversant… Ca l’a été pour moi, quand j’ai commencé à fréquenter les mortels. Mais… Avec le temps, j’ai finis par comprendre que l’essentiel n’était pas tant le temps compté que la manière dont nous le passions avec ceux qui nous étaient chers. Les souvenirs que l’on forge continuent à nous accompagner, et à travers eux l’âme de nos proches reste immortelle.

Je souris tristement. Je me sentais si vieille, soudainement…

-Tu mûriras, tu apprendras à accepter ta nature… Tu as été élevé comme un humain mais tu n’en es pas un… Tu trouveras un moyen d’évacuer ta rage, ton ressentiment, le trop plein d’émotions, sans nuire autour de toi. Et si le désespoir te frappe, si tu te sens seul et abandonné, cherche les autres. Cherche les atypiques comme toi, comme moi, qui vivent ici et ailleurs. Entoure toi de personnes qui sauront comprendre ce que tu vis et qui pourront te soutenir.

Il ne voulait peut-être pas de mon expérience, il n’attendait peut-être que d’exprimer ses propres conclusions. Je voulais néanmoins lui faire comprendre qu’il n’était pas le seul à vivre une telle situation. Il y en avait d’autres, des individus qui disposaient d’une longévité particulière ou qui se retrouvaient en marge à cause de leurs pouvoirs… Ils n’avaient certes pas la même force de frappe…

Je soutins son regard et le gratifia d’un sourire.

-Je comprends que tu aspires à prendre ta retraite, c’est ton droit le plus légitime. Dans tous les cas, je pense que c’est une bonne idée de recruter des alliés… La Justice League a besoin de sang neuf, mais… Il faudra veiller à ce que notre organisation, si elle se développe, ne devienne jamais un instrument politique et ne se substitue pas à la justice humaine. Imagine un regroupement comme Batman ou Green Arrow… Soupirai-je.

Je tenais à Bruce, sincèrement, de tout mon coeur de déesse. Notre expérience dans le multivers nous avait rapproché au-delà de l'imaginable… Nous avions vécu l’enfer ensemble et en étions revenus. Mais j’avais parfois du mal avec sa notion de justice et son sens moral inflexible, voir obtu. Et que dire d’Arrow qui torturait ou tuait sans sourciller ?

-En tout cas… Est-ce que tu es bien sûr de toi ? Kal-El fait partie de toi, c’est l’expression de ta vraie nature. Si tu l’enterre, tu redeviendras Clark Kent, l’homme sans pouvoir ? Superman est un exutoire aujourd’hui… Fais attention à ce que le fait de vivre dans un mensonge permanent ne te fasse pas plus vriller que le fait de jongler entre deux costumes.

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W'll survive

Qu’est-ce que le bonheur ? Qu’est-ce que la justice ? Deux notions aussi abstraites que fantasmées que l’Humanité tente de définir par des codes sociaux et textes de loi et d’achever par des révolutions, des guerres ou des bonds technologiques. Conscient de toutes les nuances propres à chaque société, je m’étais tenu loin de toutes les problématiques – ou du moins, autant que j’ai pu – des différents univers visités. Dès lors, pourquoi est-ce que je me suis impliqué dans les affaires de ce dernier monde ? Pourquoi est-ce que je n’ai pas pu rester aveugle et sourd à la situation, comme ailleurs ? Enfin, ai-je eu raison de m’immiscer ? Je n’aurais jamais véritablement la réponse à ces questions, et qu’importe que j’en discute de long en large durant de longues années avec l’Amazone. Elle a raison : nous ne pouvons pas réécrire l’Histoire.

Le portrait qu’elle dresse de mes longues années à venir m’apporte autant d’espoir que de désespoir. J’ai la certitude que je ne serais entièrement et totalement seul, pouvant compter sur des êtres immortels comme les Amazones et d’autres êtres similaires. Par contre, je ne pourrais pas vieillir et mourir paisiblement avec Lois. Elle partira bien, bien, bien avant moi. Je vais donc vieillir sans Lois à mes côtés. Est-ce que ça sera également le cas avec nos futurs enfants, si jamais nous en avons ? Est-ce que je vais également être le spectateur impuissant de leur vieillesse et de leur mort ? La peur me tord les tripes douloureusement, et mon souffle se fait plus lourd.

Pour autant, je ne suis pas rancunier ou en colère à l’encontre de Diana et de cette vision réaliste, quoique considérablement pessimiste. Elle apporte enfin des réponses adéquates à ma propre condition et me prépare aux difficultés à venir. Mes parents adoptifs n’avaient pas pu faire de même durant mon enfance, non pas par volonté mais par ignorance. Ils ne connaissaient rien sur ma nature ou mes capacités et ils ont fait au mieux de leur propre capacité pour assurer mon éducation. Or, il est impossible d’élever un alien comme un terrien …

- Si je ne suis plus Superman, et si je ne suis plus Clark Kent, je ne sais pas qui je serais Diana. Est-ce véritablement important ? Toute ma vie, je n’ai voulu qu’aider et je veux toujours aider. Je ne veux pas être un Dieu, un chef des armées, ou un politicien … Je ne suis rien de tout ça, soufflais-je. Il n’est pas question d’aspirer à une retraite pour service rendu. J’ai envie de continuer jusqu’à mon dernier souffle. Non. Il est question d’une retraite, pour protéger l’Humanité de ce que je peux devenir au fil des âges. La retraite ne sera pas définitive, juste le temps que je trouve un moyen plus efficace de ne plus être un danger pour quiconque. Est-ce la nécessité d’une prison faite de kryptonite ou des armes de défense en kryptonite, développée par Batman ou Green Arrow ? A moins que ce ne soit une nouvelle zone fantôme plus efficace. Je ne sais pas. Je dois chercher. Réfléchir. Trouver. Je dois offrir une chance à l’Humanité face à des êtres comme moi. Toi, moi, nous ne pouvons pas être les seules alternatives. Le multivers nous l’a prouvé, et le chaos actuel est la seconde preuve, lui rappelais-je. Je ne sais pas encore, tout est trop flou. Je n’arrive à souffler que depuis récemment.

Le choc passé, les confessions faites, mon esprit est plus libre et serein. Les idées se multiplient timidement mais sérieusement vis-à-vis de toutes ces problématiques qui sont les miennes.

- Nous ne pouvons pas contrôler ce que la Justice League va devenir, Diana. Elle peut disparaitre, au profit d’une nouvelle organisation faite d’un sang neuf comme les Titans. Elle peut évoluer avec nos futurs recrus, optant pour une tout autre direction. Le monde a toujours été ainsi. L’ancienne génération lègue ses réussites et échecs, la nouvelle génération en hérite. Elle compose avec et selon ses besoins, exposais-je. Je ne suis même pas sûr que nous aurons une Justice League à léguer. Est-ce que les autres membres accepteront mes propres interrogations et hésitations comme toi ? Et puis, ma retraite, ta propre absence, les tribulations solitaires de Batman, la discrétion de Flash, Aquaman ou Cyborg ont causé bien des dégâts au sein de nos rangs. Green Arrow est fidèle à lui-même, une âme assez solitaire.

Je pousse un profond soupire.

- Quoi qu’il arrive, c’est toi et moi pour les longues années à venir, Diana. Je compte sur toi, pour m’aider ou pour m’arrêter quand c’est nécessaire, lui dis-je, la fixant droit dans les yeux. Puis, je m’en détache et me tourne à nouveau l’horizon. Restons encore un peu là. Puis, nous retournerons au milieu de la tempête. Ensemble.

Il y a tant à faire et si peu de temps.

Que représente le S ?

-Tout ce qui compte, c’est que tu t’épanouisse dans ta décision, dis-je en le gratifiant d’un sourire. Tu seras qui tu as envie d’être. Mais Clark… Ça me chagrine, cette vision que tu as de toi-même. Le multivers nous a plongés dans les ténèbres. J’espère que tu trouveras à nouveau ta lumière…

Il n’avait pas tort en soi… les humains n’avaient pas d’armes absolue pour lutter contre des êtres dits supérieurs. Mais j’étais bien plus sur la réserve que mon voisin quant au fait de la nécessité de leur fournir un arsenal.

-Si tu trouves une arme absolue, fais très attention à qui tu la donne… Tu te penses dangereux, mais tu es honnête et altruiste. Les humains sont pour certains infiniment corrompus. Assure d’avoir une bonne police d’assurance, d’être sûr qu’ils n’utiliseront pas cette arme contre nous par orgueil et soif de pouvoir. Tu n’étais pas là jadis, mais moi j’ai vu ce qu’ils ont fait de leur arme atomique. A peine développée, aussitôt testée sur des populations civiles… J’ai observé chacune de leur guerre et il y en a eu beaucoup depuis que je marche parmi les mortels. Toutes étaient motivées par l’égoïsme ou la cupidité. Nous ne faisons pas l’unanimité auprès des humains. Beaucoup, influencés par leur peur ou leur religion, voudraient nous voir disparaître. Mais nous avons le droit d’exister, nous faisons partie de cet univers au même titre qu’eux.

C’était un peu paradoxal de vouloir offrir aux humains le droit de tout décider par eux-même et de leur mâcher le travail en leur offrant une technologie qui les dépassait. Un jour peut-être, les humains atteindraient l’âge d’or technologique et magique et se lèveraient contre les immortels. L’Atlantide avait côtoyé les dieux, jadis, avant de sombrer.

-Ma mère me racontait des histoires, quand j’étais enfant, dis-je avec un sourire nostalgique.

Et, au bout de quelques secondes de silence, j’entamai mon récit :

-Il fut un âge d’Or où les hommes marchaient et rêvaient. Leur coeur était rempli de lumière et de bonté, le mal n’existait pas. Zeus leur fit un présent afin de combler un peu plus leur vie de bonheur et de félicité : des femmes, magnifiques, immortelles et talentueuses marchèrent alors à leurs côtés et égayèrent leur quotidien. Mais le feu de la jalousie et de la haine consumait Arès. Il contamina le coeur des hommes et y insuffla la possessivité, l'orgueil et la soif de pouvoir qui jamais plus ne les quitta. Les femmes furent soumises et dominées… Elles finirent par se rebeller et regagner leur liberté par la force et le sang. Zeus leur offrit une île magiquement protégée afin que plus jamais un tel scénario ne puisse se reproduire. Les amazones n’oublièrent jamais cependant, elles se forgèrent dans la dureté de leur expérience passée et devinrent de farouches guerrières dont on conte encore la légende.

Je m’interrompis un instant, levai les yeux vers Clark et lui adressai un sourire triste.

-J’étais terriblement naïve en quittant Themyscira. En soumettant Arès, je croyais libérer le coeur des mortels et les sauver du mal qui les habitait… Mais j’ai finalement compris que le dieu de la guerre ne faisait en réalité qu’attiser des braises déjà existantes. C’est dans leur nature, les humains sont habités par la lumière et les ténèbres. Cette dualité les oppose toute leur vie… C’est un combat incessant qu’ils se livrent contre eux-même.

C’était la deuxième fois que je racontais cette histoire… La première s’était faite devant un petit public sur Una, près d’un feu de camp, lors de la célébration de la réunification de tous les clans unagrs. J’étais pleine d’espoir à cette époque, croyant œuvrer pour la survie de tous ces peuples auxquels je m’étais attachée. Ce jour-là, Bruce avait eu la réponse à sa question à propos de la photo qu’il avait trouvé chez Luthor, celle où je figurais aux côtés de soldats de la première guerre mondiale.

Et finalement, le sujet dériva sur la nouvelle génération, l’avenir de la Justice League…. Je soupirai.

-J’ai fondé la Justice League pour que nous n’ayons jamais plus à revivre des drames comme celui ta propre mort… Nous aurions pu l’éviter jadis, si nous avions été unis. Aujourd’hui plus que jamais, avec tous nos adversaires et les guerres qui se profilent, nous avons besoin de nous serrer les coudes. J’entends bien reconstruire cette alliance, je composerai avec les ressources dont nous disposons et ceux qui sont prêts à continuer. Je recruterai autant qu’il faudra, toutes les âmes volontaires et talentueuses. “Nous” recruterons, Clark, si tu partages toujours ma philosophie. La Justice League n’a jamais eu vocation à être composée uniquement de six individus.

Comme c’était curieux… Moi qui, il y a encore quelques heures à peine, me sentais éreintée et las… Cette conversation me recentrait sur le présent, m’aidait à réaffirmer mes convictions et ce dont j’avais vraiment envie. Je sentais ma combativité revenir peu à peu. Aider mon ami m’avait aidé aussi, de toute évidence.

-Mais je ne veux pas t’enfermer dans ma vision, tu aspires peut-être à autre chose pour tes recrues. Rien ne les empêche de rallier la Justice League pour intervenir dans les moments les plus désespérés, tout en menant leur barque de leur côté avec leur propre bande le reste du temps. Regarde Green Arrow et Batman…

Je haussai les épaules.

-Je suis prête à reprendre les armes.

Oui, résolument… Je l’étais.

-Et à ce propos… Tu as dis quelque chose tout à l’heure qui m’interpelle. Dru-Zod est de retour ?

Je n’avais pas relevé sur l’instant car Clark était en pleine confession, mais l’information m’avait alarmé.

-Raconte-moi, Clark. On dirait que j’ai loupé beaucoup de choses…

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J’écoute attentivement chaque parole de Diana. Je comprends ses doutes, et j’acquiesce à ses arguments. Je ne suis pas naïf au point de croire que l’Humanité n’a que des cœurs honnêtes et bons : il y a des égoïstes et des opportunistes dans chaque culture et groupuscule. Ils sont la raison même pour laquelle je n’ai pas partagé la technologie kryptonienne avec quiconque, incluant avec la Justice League.

Si j’ai une grande confiance en mes coéquipiers, cette crainte d’offrir trop persiste. Diana, Bruce et Oliver sont des combattants avant tout, pensant et fonctionnant d’une façon quasi militaire. Quelles sont mes garanties qu’ils ne vont pas transformer une belle chose en une terrible arme ? Cyborg et Barry sont encore jeunes, et donc influençables de facto. Comment être sûrs qu’ils ne vont pas confier ces précieuses données et connaissances aux mauvaises personnes ?

Pour autant, je n’ai pas été un gardien avare. J’ai offert un aperçu des possibilités de cette technologie, tantôt en obtenant des réponses rapides à des sujets scientifiques très complexes, tantôt en offrant des alternatives – l’emplacement de matériaux rares, l’utilisation de ces derniers autrement etc.

- Themyscira semble une belle île, Diana. Tu l’as quitté, la tête pleine de rêves et le cœur plein d’espoirs. Malgré les événements et les coups durs, tu restes fidèle à toi-même. Je n’ai pas ta force, avouais-je. En revenant, j’ai promis que j’aiderai contre Enchantress ou des ennemis de forces équivalentes. Je ne trahirais pas cette parole donnée, rappelais-je. J’ai peur de ce que je suis devenu, ou que je pourrais devenir. Il me semble nécessaire de recruter une nouvelle génération, apte à reprendre notre flambeau, à continuer à porter les valeurs les plus nobles de l’Humanité … Je t’aiderai dans cette tâche, conclus-je.

Les confessions ont un effet bien étrange. Le cœur est plus léger, l’esprit est plus clair. Pour autant, les gros nuages noirs des doutes et des craintes persistent. J’ai la terrible sensation que l’essentiel échappe à Wonder Woman, ou à Loïs. Elles associent trop aisément la notion de violence à « Superman » - ou du moins, j’ai l’impression. Or, aucune n’a vu ce que j’ai vu. Aucune ne fait preuve de la méfiance ou de la prudence de feu mon père Jonathan, ou de ce vieil ami qui divague, Bruce.

Ma mâchoire se crispe à l’évocation de Zod.

- Il y a eu du grabuge près du vaisseau, des explosions pour être plus précis. Je m’y suis rendu, naturellement. J’ai croisé Zod. Il est plus que jamais déterminé à continuer son œuvre. Mais, il semblait chercher quelque chose dans le vaisseau. Et il a dit que la Zone Fantôme n’est pas ce que l’on pense que c’est. Enchantress était là aussi. Est-ce une simple coïncidence, ou est-elle une alliée de Dru-Zod ? Je ne sais pas, rapportais-je. Zod s’est échappé de la Zone Fantôme. Soit elle n’est pas une prison, comme je le pensais. Soit il a obtenu le soutien d’une personne extérieur, suffisamment brillant pour connaitre et déchiffrer la technologie kryptonienne. Star Lab et Lex Corp ont accès au vaisseau échoué en plein cœur de Metropolis, et ce même vaisseau a été pillé durant notre absence. La liste des suspects va de Lex, aux scientifiques inclus dans ces analyses, aux mystérieux voleurs … , soupirais-je. J’ai essayé de le raisonner, Diana. J’ai échoué, évidemment. Dis-moi, après tous ces discours, que suis-je censé faire ? Me battre au risque de détruire un nouvel univers jusqu’à ce que l’on retrouve une prison adéquate pour lui ? Le laisser accomplir ces desseins ? Ou sombrer avec lui ?

Je pose la question, mais la réponse semble évidente. S’il n’y a aucune façon de la restreindre, et s’il est un danger mortel pour toute la planète, ai-je véritablement un choix ? A nouveau, mes traits se tordent de douleurs, de colères et de frustrations.

Que représente le S ?

-Je sais… lui soufflai-je avec un sourire doux en posant ma main sur la sienne.

Oui, je savais qu’il avait peur de lui-même, je l’avais bien compris. Seul le temps lui redonnerait confiance. Il avait besoin de se reconstruire, brique par brique.

Du temps. Oui c’est ce dont nous avions tous besoin. Et paradoxalement, c’était ce que l’on nous refusait le plus actuellement. Tant pis… Il nous faudrait composer avec les événements. Pour ma part, je me savais capable du meilleur dans les pires moments. La pression et mon esprit de compétition me poussaient à me dépasser. J’espérais que Clark saurait faire face à l’adversité, lui aussi.

J’écoutais attentivement ce qu’il me racontait à propos du retour du général Dru-Zod, sourcils froncés. C’était alarmant. Et que dire de Luthor qui avait été relâché pour vice de forme pendant notre absence ? J’avais été prise de colère en découvrant la vérité. Cet homme avait créé une entité monstrueuse qui avait failli ravager Métropolis et qui aurait pu faire bien plus de dégâts si nous ne l’avions pas arrêté. Sans parler du meurtre de Superman… Et il courrait à nouveau librement…

-Je ne crois pas aux coïncidences…

Je secouai doucement la tête.

-Ce serait beaucoup trop gros. Une alliance de circonstances entre The Darkness et Zod, peut-être ? C’est inquiétant de les imaginer collaborer, mais comment expliquer leur attaque simultanée autrement ? Sait-on ce que cherchait Enchanteresse ?

Était-elle venue ici pour la technologie kryptonienne, elle aussi ? Ou bien par provocation, afin de montrer à Superman qu’elle n’avait pas peur de lui et qu’elle pouvait marcher sur son territoire sans craindre de représailles ?

-Tu les as affronté seul ?

Je soupirai.

-Le gouvernement laisse la Lex Corp approcher le vaisseau avec tout ce qui s’est passé avec Luthor ? Il n’apprend donc pas ?

A nouveau, je sentais la colère poindre. Comment pouvait-on être à ce point aveuglé ? Aveuglé… Ou corrompu. Luthor avait-il des soutiens haut placés ?

-As-tu réussi à connaître les desseins de Zod, à comprendre ce qu’il venait chercher dans le vaisseau ? lui demandai-je. A t-il réussi à emporter quelque chose ?

Essayait-il de créer un nouvel appareil de terraformation, peut-être ?

-La presse a tûe une grande partie des événements. Le gouvernement a décidé de taire l’incident, je présume.

Et je le comprenais fort bien. Annoncer qu’un kryptonien était de retour risquerait d'entraîner une panique générale partout dans le monde. La dernière invasion était encore très fraîche dans la tête des gens.

-Zod est obsédé par l’idée de ressusciter son peuple… Je comprends très bien pourquoi. N’importe qui serait désespéré à sa place… Et son obsession le mène à désirer la mort de huit milliards d’être humains, de civilisations entières, d’un règne animal et végétal. Je comprends son désarroi, mais ses convictions sont inacceptables. Si tu n’as pas le courage de t’interposer et d’aller au bout, je le ferai. Tu n’es pas seul dans ce combat, cette fois. Qu’importe jusqu’où il faudra aller… J’ai perdu un monde à cause d’une invasion… Mais je compte bien protéger celui-là coûte que coûte.

Parfois, l’emprisonnement était pire que la mort… Je m’imaginais à la place de Zod, prisonnière de la zone fantôme dans un lieu hors du temps et de l’espace, ne pouvant rien faire d’autre que de repenser à tout ce que j’avais perdu alors que mon peuple avait péri et qu’il ne restait rien de mon monde… Je préfèrerai encore mourir.

-Nous essaierons de le raisonner. Je ne te dirai pas ce que tu dois faire ni comment tu dois penser, Clark. Moi je sais ce que je ferai si la discussion ne fonctionne pas et s’il n’y a aucun autre moyen de mettre un terme à sa folie.

Il n'y avait pas de haine dans mon discours, seule une froide détermination et une volonté sans faille.

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- Le Général Zod est trop pétri d’orgueil et Enchantress est trop assoiffée de pouvoir. Une collaboration entre les deux sous-entend des compromis. Avant notre départ, une telle idée aurait été une absurdité. Aujourd’hui, c’est une possibilité.

Le monde a drastiquement changé en l’espace de deux ans. Les révélations et confessions de Selina me reviennent en mémoire. Je me trompe, considérablement. Ces événements ne sont que la sinistre conclusion d’un plan lancé il y a une décennie maintenant ! La Justice League a simplement été incapable d’identifier les signes avant-coureurs et anticiper cette grande menace.

- Je ne sais pas ce que Zod recherchait et s’il l’a obtenu. Je compte explorer le vaisseau kryptonien, bientôt, avec ou sans l’accord du gouvernement. A moins que … A moins que j’endosse à nouveau le rôle de Clark Kent, journaliste au Daily Planet.

Je soupire. Je ne désire pas revenir à cette vie civile de sitôt. J’ai encore tant de choses à régler tant avec mes proches qu’avec moi-même. Ai-je la capacité à réendosser un rôle d’un faux Terrien, feindre les chutes et les douleurs, m’adapter à tout un code corporate ou de société ? La simple perspective d’une telle duperie m’épuise déjà et me semble si désuet d’intérêt. Et puis, il n’y aura plus Jimmy. Lui aussi, il est mort.

- Zatanna était avec moi. Je l’ai laissé seule face à Enchantress, pour aller sauver des soldats dans le vaisseau. Je pensais que je reviendrais vite, avant que la situation ne s’agrave. Je me suis trompé. Je suis tombé sur Zod, j’ai été retenu et Zatanna a fini à l’hopital, presque morte, expliquais-je. Je … Les gens meurent lorsque je me retiens, lorsque je veux faire les choses biens.

« A quoi bon ? », ai-je envie de dire. Je ne dis rien, préférant me taire et écouter les propos et questions de Diana. L’Amazone me confirme ce que je crains le plus. Un permis de tuer, à la James Bond. J’aurais surement ri à une telle comparaison, mais je n’ose pas. Je sens surtout le poids d’un monde entier peser, à nouveau, sur mes épaules. Ainsi donc, nous serons des juges, apportant la vie ou la mort.

- La civilisation kryptonienne est avant tout la recherche de la connaissance et le partage de cette dernière. Dru-Zod a été jugé criminel de guerre et traitre par son propre gouvernement et peuple. Il n’est pas un digne représentant de Krypton, Diana. Il n’a jamais été question de le plaindre ou de le comprendre, lui rappelais-je. J’ai essayé de le raisonner, à nouveau. Il n’a rien écouté. Il n’écoutera jamais.

A ces derniers mots, je comprends que les dés sont jetés et que la décision est déjà prise tant par la guerrière que par moi. Loin d’être réconforté, un frisson glacé me court l’échine. Là-bas, l’Alter Ego de Diana a été parmi les premiers soutiens de mon Alter Ego pour un monde meilleur, acceptant qu’il soumette l’Humanité à sa volonté soit par la force, soit par des outils technologiques avilissants. J’ai la terrible sensation que l’Histoire se répète.

La Justice League qui se dissout, Diana et moi qui sommes plus intransigeants, Morgan Mercer qui me rejoint comme apprenti, une terrible menace kryptonienne au-dessus de nos têtes … Je ne dis rien, sentant que la conversation sera stérile à ce stade-ci. Je préfère fixer l’horizon et me poser cette condition.

Sommes-nous condamnés ?

Que représente le S ?

-Je ne sais pas... Si Zod est seul, il est peut-être désespéré. The Darkness a pu voir en lui un pion pour te provoquer. Métropolis est sous ta protection, le monde entier le sait.

Je ne connaissais pas Dru-Zod personnellement, et n'avait pas vu Enchanteresse récemment... Difficile dans ces conditions d'évaluer correctement les forces en présence. Je ne pouvais qu'imaginer vaguement. Si j'étais à la place de Zod, je chercherai un moyen de faire venir à moi les derniers survivants de mon peuple et de le libérer de sa prison, et en cas d'impossibilité, je chercherai peut-être à accomplir ma mission pour repartir de zéro. The Darkness était plus imprévisible. Enchanteresse avait gouté au pouvoir, elle voulait l'obtenir à nouveau. Il y avait des tas de manières de parvenir à ses fins là où le général kryoptonien était plus limité dans ses options... Si seulement j'avais été là en aout pour me confronter à elle, j'aurais peut-être pu en apprendre d'avantage sur ses nouveaux objectifs.

-Tu as repris ton ancien poste de journaliste ? lui demandai-je.

Pour ma part, revenir à mon ancienne vie civile était la dernière de mes préoccupations. Je n'étais tout simplement pas prête à reprendre le cours normal de ma vie, à faire comme si rien ne s'était passé et à mentir à mon entourage... Je reprenais doucement contact avec mes proches, à droite et à gauche dans le monde, ceux qui connaissaient ma double identité et les autres.

-Tu penses que Clark Kent aurait un passe droit avec le gouvernement ? Je peux aussi demander à Steve... Nous devons absolument savoir si Zod s'est emparé de quelque chose.

Je lançai un regard alarmé à mon ami lorsqu'il m'expliqua ce qui était arrivé à Zatanna.

-Comment ça "faire les choses biens" ? Que s'est-il passé ?

Je faillis m'emparer de mon téléphone pour passer un coup de fil à la jeune femme afin de prendre de ses nouvelles, avant de me rappeler que le réseau ne passerait pas ici.

-Comment vas Zatanna ? Tu as des nouvelles ?

Avait-elle pu guérir ? Souffrait-elle de sesquelles ? Sa magie pouvait-elle l'aider à guérir comme les eaux thermales de l'ile de la guérison à côté de Themyscira pouvait le faire ?

Je gardai un moment le silence lorsque Clark évoqua sa tentative de raisonner Zod et son échec cuisant. Les dés étaient jetés... Nous comprenions tous les deux ce que cela impliquait. Qu'il se rassure cependant... S'il ne trouvait pas la force de mettre un terme à la folie de cet allien, je le ferai. Pas parce que je prenais plaisir à tuer - c'était diamétralement opposé à ma philosophie de vie et à ce que les dieux m'avaient enseignés - mais tout simplement parce que j'accordais trop d'importance à cette planète et à ses habitants. Parce que j'avais failli ne jamais rentrer chez moi, parce que c'était le monde dont j'étais originaire, parce que je devais protéger mon peuple et veiller sur l'oeuvre des dieux... Je serai le bouclier des Hommes... Et s'il le fallait, j'incarnerai aussi l'épée.

-Tu sais... repris-je après un long moment. Le lasso de vérité possède de nombreux pouvoirs. Il peut connecter l'âme et l'esprit de deux individus, les obliger à se confronter à leurs vérités profondes, celles qui sont inavouées ou inconscientes... Peut-être que Zod a besoin de faire face à son propre paradoxe pour arrêter son combat absurde. Mais... ça pourrait le détruire, tout le monde n'est pas capable de se relever d'un tel choc. Si tu trouves cela plus charitable que de lui ôter la vie, je suis prête à essayer.

Je lui proposais des solutions, à Clark qui estimait que la mort était la plus immorale des solutions... A lui de juger ce qui serait le mieux. Avec Kal, Zod était le dernier des kryptoniens présents sur Terre... Je comprenais que mon ami se sente responsable de lui.

-Il y a autre chose... Le lasso, peut, dans une certaine mesure, lever des envoutements... Ou des possessions. C'est un combat d'esprit qui s'engage... Enchanteresse est maitresse dans ce domaine. Je ne suis pas sûre d'être à la hauteur contre elle, pas si elle est en pleine possession de ses moyens. Je ne suis qu'une demi-déesse... Il est probable qu'elle m'écrase. Mais si c'est notre unique reccours, je suis prête à essayer, pour sauver June et emprisonner l'âme de cette déesse maléfique...

Je soupirai.

-Je... soufflai-je en déglutissant, l'air soudain anxieuse. Les dieux ne me répondent plus... Depuis mon retour, ils restent sourds à mes prières. J'ai peur qu'ils ne m'aient pas pardonné ma longue absence et tout ce que j'ai pu faire dans le multivers. Je ne sais pas si je mérite encore d'être leur héraut... Si je suis encore légitime à manier le Golden Perfect. J'attends désespérément un signe de leur part, pour me dire quoi faire. J'accepterai leur punition quelqu'elle soit, mais... J'ai peur qu'ils me rappellent à Themyscira. Si ça arrive, Clark, c'est à toi qu'incombera la charge de protéger cette planète. Aussi puissants soient les autres, je ne suis pas sûre qu'ils soient capables de rivaliser avec Zod.

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- Le monde entier sait que Metropolis et Smallville sont sous ma protection, ou que je suis sensible à la kryptonite. Mes alliés et mes ennemis les plus intimes savent que Lois et Martha sont mes véritables kryptonites. Qu’en est-il d’Enchantress, exactement ? Jusqu’à aujourd’hui, elle faisait partie du monde entier. Et si je me fourvoie et, qu’en fait, elle est devenue une ennemie intime ?

Je n’ai aucune connaissance magique et je perds de facto sur ce terrain-ci. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire si jamais Enchantress a l’idée de kidnapper l’un des deux femmes de ma vie ? Comment puis-je la battre si elle prend les êtres les plus chers à mon cœur en otage ? Cette simple perspective me remplit d’horreur, autant que de crainte. J’ai déjà la réponse à ces questions, l’ayant vu de mes propres yeux et l’ayant tué de mes propres mains. J’ai la sensation grandissante d’être dans un cycle vicieux et infini, que personne ne peut briser …

- Je ne sais pas si je suis capable de redevenir Clark Kent. Je le peux avec Lois. Avec ma mère. Et c’est tout.

Cette simple révélation veut tout dire. Je n’assume plus ce nom – Kent, ou El. La honte et la culpabilité persistent. J’ai transgressé tous les principes de mes pères. J’ai quasi détruit un monde entier – aucune motivation ne peut justifier une telle situation et autant de morts. J’ai fait un mauvais usage de mes dons. J’ai jeté l’opprobre à deux noms et à deux espoirs. Pourtant, j’ai grandi parmi une humanité avec ses forces et ses faiblesses.

Lois. Martha. Je cède à l’appellation Clark Kent.
Justice League. Zod. J’accepte d’être Kal-El.

Le poids d’un double héritage est lourd, mais aussi rassurant. On ne peut jamais véritable se débarrasser de l’un ou de l’autre, et on peut se réfugier constamment dans l’un ou dans l’autre. C’est un don à double tranchant, avant d’avantage que de désavantage. Certains renient ce type d’héritage, choisissant l’un ou l’autre. Une telle opération revient à s’amputer. L’opération est douloureuse, et laisse pantois, plein de regrets et d’amertumes. Je suis heureux de ne pas avoir fait une telle chose, dans mon enfance, et de m’être accroché à trouver le vaisseau mère.

- J’ai déjà pris contact avec une femme qui étudie de près les manifestations extra-terrestres. Je la croise régulièrement sur des zones de catastrophe. Je l’ai encore croisé lors de l’attaque de Zod. L’aide de Steve sera toujours la bienvenue, évidemment.

Je ne dis pas plus. Je ne souhaite pas encore tout dévoiler.

- Je ne savais pas que Zod était présent. Je savais simplement qu’il y avait un danger dans le vaisseau. J’ai abandonné Zatanna face à Enchantress, en pensant que le sauvetage ne sera pas long. Je me suis trompé. Elle se rétablit. Elle sera surement ravie de te revoir.

A nouveau, je ne m’étaye pas davantage sur ce nouvel échec.

Wonder Woman enchaine sur un long monologue vis-à-vis de son lasso, des possibilités ou encore d’un appel divin irrévocable. Je n’exprime aucune émotion, lessivé par cet échange. Il y a trop d’informations, mais c’est à l’image de la situation. La Justice League a tardé. Et elle en paie largement le prix.

- Si ton temps est compté, alors nous devons en faire un bon usage. Nous allons rassembler la Justice League, qu’importe que les membres y croient encore ou non. Nous allons décider qui continuera ce combat et, si oui, comment et sous quelles conditions. Tout le monde a changé. Tout le monde aura une nouvelle vision.

La première annonce est faite.

- Je ne connais rien au divin, à la mythologie ou encore à la magie. Toi et Zatanna êtes plus versés. Entendez-vous, trouvez un moyen de coincer Enchantress suffisamment longtemps pour que lasso fasse son effet. Je vais continuer à réfléchir à des possibilités pour atteindre un tel objectif. Et si nous ne trouvons aucune alternative …. Nous devons nous entendre, tous, sur une décision à prendre dans ce cas extrême.

La seconde annonce est faite.

- Je me chargerai personnellement de Zod. Il est ma responsabilité comme je suis la sienne, quelque part. Je vais recruter les bonnes personnes, les armer convenablement avec de la kryptonite si besoin, contacter Steve ou cette femme experte dans la question alien pour obtenir du soutien supplémentaire.

La troisième annonce est faite.

- Tu vas m’entrainer, Diana. Zod est un militaire expérimenté, qui connait de nombreuses techniques de combat. Pour ma part, j’ai grandi au sein d’une ferme, à retenir et à cacher mes talents, à être mis de coté de tous les cours de sport. A force égale, je suis perdant contre lui.

La quatrième annonce est faite.

- Si tu juges que tu seras appelée à tout instant, il est inenvisageable que ta place reste vacante. Tu dois, également, assurer ta propre succession dès maintenant. Est-il envisageable qu’une Amazone de Themyscira soit envoyé ici même et dès maintenant, pour entamer sa propre initiation et entrainement sous ta supervision ?

La cinquième annonce est faite.

- Enfin, la Justice League jugera mes actes dans le multivers et décidera si je suis coupable ou non et qu’elle sera ma sentence. Elle est la seule entité capable de pleinement saisir mes actes et donner un avis. Je m’y plierai lorsqu’Enchantress et Zod ne seront plus une menace.

La dernière annonce est faite.

- Avons-nous un accord, Diana ?

Que représente le S ?

Je hochai doucement la tête. Je ne pouvais pas répondre à cette peur qu’avait mon ami, celle que tout justicier avait de voir les êtres chers être pris en otage… C’était le risque quand on combattait des êtres immoraux. Un risque difficilement mesurable, qui pesait constamment sur nous comme une épée de Damoclès.

-Je comprends. Moi non plus, je ne me sens pas prête à reprendre mon identité civile, mon travail, à faire comme si rien n’était arrivé… Le temps nous dira qui nous sommes et ce que nous sommes appelés à devenir.

A la différence de Kal, cependant, Diana Prince était mensonge tandis que Clark Kent était son identité réelle… Cela m’attristait de savoir qu’il était perdu au point de renier jusqu’à propre existence… Je ne pouvais rien y faire cependant, c’était des réponses qu’il devait trouver par lui-même. Je serai là à lui tendre la main, s’il avait besoin de moi.

-D’accord. Qui est-elle ? Quel est son travail ? lui demandai-je curieuse alors qu’il me parlait d’une nouvelle correspondante du gouvernement.

Je me tue, à propos de Steve. Puisqu’il ne m’interrogeait pas à ce propos, je ne jugeais pas utile de lui expliquer que nous nous étions séparés, que notre relation était devenue… compliquée. Si je pouvais éviter de passer par lui pendant quelque temps, ce serait probablement plus simple pour nous deux.

Je me sentis soulagée en apprenant que Zatanna allait bien. Je l’appellerai sous peu, me promis-je. Grâce à Clark j’avais une meilleure vue sur les événements. La magicienne saurait peut-être m’apporter un éclairage différent et quelques détails supplémentaires.

-Oui… Je suis d’accord.

C’était de toute façon mon intention première. Faire le tour des justiciers, savoir qui voulait poursuivre ou non. La Justice League n’avait pas besoin de tous ses membres pour avancer, elle pouvait recruter… Mais nous avions l’habitude de travailler ensemble, nous faisions du bon travail. En outre, de manière plus personnelle, je voulais savoir comment chacun de mes amis ou alliés se portait.

-Bien, monsieur !

J’eus un léger rire ironique. Trouver un moyen de coincer une déesse de l’ancien temps dont personne ne connaissait l’origine et qui avait déjà su repousser la Ligue des Justiciers une fois… Facile ! Si seulement j’avais pu compter sur mes dieux… Ne voyaient ils pas la catastrophe arriver ? Pourquoi restaient-ils sourds à l’appel de leurs enfants ?

-Je contacte Zatanna ce soir, nous verrons ce qu’il est possible de faire avec les forces en présence.

Inutile de dire à Superman que les choses ne se passeraient pas si facilement qu’il les présentait, il le savait déjà.

-N’en fais pas une affaire personnelle, pour Zod. Je suis là, Clark. La dernière invasion kryptonienne a trop coûté à la planète…

Je n’avais jamais atteint la zone des combats tant j’avais été occupée à sauver les victimes. Une hécatombe. Enchanteresse voulait être vénérée, elle n’aspirait à priori pas à détruire le monde. Zod, lui, voulait tout anéantir. Je le voyais comme une menace prioritaire.

-J’ai visité une Terre, dans le multivers… dis-je en fronçant les sourcils, chagrinée. Néo-krypton. Il n’y avait plus d’humains, plus d’animaux tel que nous les connaissions… Tout avait été remplacé quand les kryptoniens ont réussi à s’emparer du codex et à terraformer. Une nouvelle civilisation s’était implantée sur les ruines de ce qui avait été jadis notre planète. C’était à la fois beau de voir un peuple et une faune oubliés renaître et… horrible.

Je ne permettrai pas que cela arrive ici. Pas sans me battre jusqu’à la fin. Ma Terre ne serait pas une Néo-Krypton. Jamais.

J’arquai un sourcil.

-Es-tu vraiment prêt à endurer l'entraînement d’une amazone ?

Les amazones étaient d’excellentes guerrières et, si leur immortalité les avaient rendu les meilleures dans de nombreux domaines, leur performance leur venait avant tout de leur volonté d’acier. Mes lèvres se retroussèrent et je le charriai :

-Je ne vais pas t’épargner parce que nous sommes amis. Si je te prends pour élève, tu découvriras tes limites physiques et mentales et tu les repousseras. Ça ne sera pas facile.

Étonnant comme cette perspective m’enthousiasmait. J’étais curieuse de savoir ce dont était réellement capable ce colosse. Il était jeune là où Zod était usé par le temps et son emprisonnement dans la zone fantôme. Avec un bon entraînement et un mental d’acier, il pourrait certainement tenir tête.

-Ma succession ? lui demandai-je étonnée. Tu souhaites qu’une amazone siège coute que coute à la Ligue ?

C’était flatteur en un sens, s’il reconnaissait à ce point la valeur de mon peuple.

-Je doute que les amazones quittent l'île sans l’accord des dieux, répondis-je honnêtement. Elles ont le devoir sacré de protéger Themyscira. Ça pourrait être vu comme une désertion et sévèrement réprimé.

Je réfléchi, balayant les possibilités les unes après les autres.

-Peut-être Cassandra… Ma nièce. C’est une américaine native qui s’est découvert récemment des talents particuliers du fait de sa filiation divine. Elle est la petite fille de Zeus. Elle a rejoint Themyscira par ses propres moyens et y a suivi un entraînement, avant de revenir sur le continent. Elle est jeune… dis-je à Clark avec une moue.

J’étais mitigée à l’idée de l’envoyer au front. Mais mes soeurs qui se trouvaient présentement sur le continent n’étaient pas si nombreuses. Barry n’était pas si âgé non plus lorsque nous l’avions recruté, mais… Je n’avais pas de lien affectif avec lui, jadis.

-Pourquoi veux-tu recruter une amazone ? Ce sont leurs connaissances mystiques qui t’intéressent ? lui demandai-je curieuse. Ou leurs facultés martiales ?

Je le regardai sérieusement lorsqu’il me fit sa dernière déclaration. Je pesai un moment l’idée, avant de hocher doucement la tête. S’il estimait devoir être jugé, alors je méritais le même sort. J’avais abusé la confiance de mon nouveau peuple en acceptant d’incarner la déesse qu’ils voyaient en moi, tenté de les mener à la victoire contre ceux qui les exterminaient, et les avait tous perdus. Mon coeur saignait et je ne me pardonnais pas les conséquences directes de mes mauvais choix, mais j’en assumai la responsabilité. Les dieux me jugeraient s’ils l’estimaient nécessaire… En attendant, je vivrai avec cette culpabilité et l’image des corps déchiquetés des unagrs que j’avais aimé de tout mon coeur.

Ma main se posa machinalement sur le collier que je n’avais jamais enlevé en cinq ans. Je l’avais quitté une seule fois pour faire renforcer les lanières de cuir et y ajoutant une chaîne en acier themysciran afin de ne pas risquer qu’il se rompt en combat. C’était l’un des rares souvenirs que j’avais ramené de Una. Il m’était infiniment précieux.

-Bien, nous avons un accord.

Together against monsters.
W'll survive

- L’identité de cette femme experte sur la question des vies extra-terrestres restera secrète tant qu’elle respectera sa part du contrat.

Christine a marqué un point vis-à-vis d’une méthode du gouvernement – similaire aux manières d’autres groupuscules : compartimenter les informations. Une ou plusieurs informations peut se permettre de circuler librement entre les différents d’une organisation, à condition que ladite organisation soit de taille restreinte. Dès qu’elle s’étend ou qu’elle tremblote, ces informations peuvent être compromises par des parties externes ou être mal interprétées par des esprits échauffés, paniqués ou paranoïaques.

- Nous ne pouvons pas nous battre sur tous les fronts, au risque de nous éparpiller et de perdre la vision globale des dangers. Plus que jamais, nous devons être disciplinés et nous répartir les tâches.

Sur cette question, je serais inflexible.

- Je vais traquer Zod, car je le peux. Je ferais appel à toi lorsqu’il sera nécessaire de se confronter à lui. Pendant ce temps, tu aideras Zatanna et les siens à trouver les sorts ou les méthodes nécessaires pour enfermer ou restreindre temporairement ou définitivement Enchantress. Si, entre temps, tu trouves des pistes ou des idées pour mettre la main sur Zod et, inversement, je tombe moi-même sur des pistes et idées pour régler la question d’Enchantress, nous nous tiendrons au courant. Disons que tu passeras plus de temps à courir derrière la divinité, que le kryptonien. Dans tous les cas, toi et moi serons souvent à Metropolis. Nous pourrons nous entraider assez rapidement.

Du moins, je l’espère. Si elle décide de repartir pour Themyscira, je ne peux pas l’empêcher.

- Toute civilisation s’implante sur les restes et les cendres de la précédente, Diana. Je sais que, quelque part, Zod a raison. La Terre peut devenir extrêmement belle avec la technologie kryptonienne. Mais … je ne peux pas. Je ne peux pas revivre la destruction d’un monde. Je ne peux pas accepter une telle horreur.

Si une civilisation tombe en ruine, qu’elle soit son propre bourreau. Je ne serais pas ce dernier.

- A l’instant où les divinités se baladent et menacent librement les humains, il n’y a plus de distinction entre terre et Themyscira. Il faut que les amazones acceptent cette vérité et assurent qu’une à deux amazones seront toujours présentes au sein de la Justice League. Elles doivent être le bouclier contre cette menace et l’épée qui y met fin. Je désire une véritable entente, et la fin d’un cloisonnement divin et humain.

Le projet est surement très ambitieux. Pourtant, mes arguments ne manquent pas de sens. A quoi bon s’entrainer sur une île, si c’est pour refuser de mettre à profit ledit entrainement lorsque ladite menace est bel et bien existante sur une planète ?

- Je vais également faire la même demande à Arthur, pour qu’il prêche une entente entre terre et océan. Flash et Cyborg peuvent trouver des apprentis. Les humains dotés d’une grande volonté et ruse ne sont pas légions mais ils ne sont pas inexistants. Dick ou Tim sont de parfaits exemples.

Je soupire. Il reste moi.

- Quant aux kryptoniens, à moins que Zod ou moi avons des enfants, nous serons les derniers kryptoniens.

Je me tais.

- La Justice League doit se renouveler.

Qu’importe que Green Arrow ne soit pas volontaire, c’est une nécessité.

- Je suis heureux que nous avons un accord.

Que représente le S ?

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