Broken People [Terminé - Intrigue I]

Forcé à cacher ma véritable nature dès mon plus jeune âge, mais animé d’un fort désir d’user de mes pouvoirs pour le bien, j’avais vite appris à jongler entre deux rôles, celui du gamin de Kansas timide et invisible – malgré une solide et haute carrure – et celui de justicier éclatant et bruyant qui apporte son aide à l’Humanité dans son combat contre les méta-humains. Dès lors, lorsque Bruce avait invité chacun à faire profil bas durant deux jours, je n’avais guère eu des difficultés. Ma tenue de voyage – décontractée, large et sans marque -, mes fausses lunettes, mes cheveux en pagaille ou mes chaussures confortables offraient la bonne illusion du mec qui quittent un temps sa petite ville pour apprécier un verre avec quelques amis.

Les boissons arrivent. Chacun se sert, avec plus ou moins d’empressements. Tranquillement, je prends une simple bière que je me promets de ne pas boire. J’avais juste envie de faire vivre l’illusion d’une soirée entre de bons vieux amis à la serveuse ou aux clients qui voudraient nous observer quelques minutes, par ennui ou par curiosité. Je n’avais pas la prétention de mentir à mes propres coéquipiers. Ils étaient plus ou moins perspicaces et, surtout, il serait hypocrite de prétendre que tout va bien alors que tout va mal. Il me suffit de repenser à cette avalanche de mauvaises nouvelles, depuis mon retour, pour que mon appétit en soit coupé.

Comme toujours, Bruce préfère laisser les autres parler et déballer leurs informations. Si une personne était une fine observatrice, elle était aussi souvent avare de mots. Le Chevalier Noir ne faisait pas exception à cette règle universelle. Certains hésitent, d’autres se lancent presqu’aussitôt dans le débat.
Malgré moi, je suis bien vite replongé dans mes propres pensées, repensant encore à toutes les similitudes et les différences entre les différents mondes. Je reviens sur terre – celle-ci – que lorsque je sens un ou deux regards appuyés sur moi. Quittant mon silence, contre gré, je me décide à faire part de mes propres observations.

- Les crimes les plus anodins tournent vite aux désastres, à Metropolis, en raison du nombre de méta-humains. Lex a été libéré, en annulant son procès pour vice de forme. Zod, aussi, est en liberté, mais je ne sais pas encore comment, par quel moyen et avec l’aide de quels complices.

Si Lex avait été jugé par ses pairs, Zod avait été enfermé dans la zone fantôme par mes soins. Et pourtant, malgré deux méthodes différentes, ils étaient libres aujourd’hui. Le Terrier avait profité de la faiblesse des siens, pour glisser entre les mailles du filet. Le complice du Kryptonien avait profité de mon départ pour le sauver. Je soupire. Existait-il un quelconque moyen, sûr et durable, pour tenir des meurtriers en marge de la société ou – mieux – pour qu’ils recherchent le repentir ?

- Les laboratoires de Starlab et Lexcorp ont été pillé, la nuit de notre départ, et malgré qu'ils soient protégés par des forces de la Garde Nationale. Toutes, ou presque, tuées. Il y avait beaucoup de matériels, et d’informations. On ne sait toujours pas qui en est l'auteur.  

Je me tais, ne sachant pas comment annoncer la dernière nouvelle.

- Supergirl a été tuée, avec des balles faites de kryptonite , conclus-je. Il y avait également d’autres informations, mais elles me semblaient bien moins importantes que celles que je venais de dire ou de révéler.

Si nous avions combattu des criminels, par le passé, ils étaient souvent isolés ou désorganisés – ou nous connaissions parfaitement leurs atouts et failles. Or, là, toutes les cartes semblent avoir été redistribuées. A l’heure actuelle, que détenait Lex ? Qui avait fourni la kryptonite pour tuer Supergirl ? Qui avait commandité cet assassinat ? Malgré moi, je sers mon poing.  

Elle était morte. Bordel.

Et je ne bois toujours pas ma bière, trempant simplement mes lèvres pour l'illusion - encore et toujours.

Un héros doit faire face à des tragédies pour pouvoir s'élever à un autre niveau et prétendre avoir acquis l'expérience jusqu'à en devenir un vétéran, un homme ou une femme qui a su évoluer et appris des erreurs commises. Mais certains stades peuvent affecter un esprit aussi jeune et de nature positive que celui de Barry Allen, jeune scientifique au CCPD et héros de Central City. Cette ville l'a accueillit assez rapidement comme un héros malgré quelques retenues concernant la présence d'un méta-humain et il lui en sera à jamais reconnaissant. Ces derniers temps ont été très compliqué pour le jeune homme qui malgré l'expérience acquise reste proie aux doutes quant aux derniers évènements. Membre fondateur de la Justice League,  il a connu bien des menaces et la dernière en date n'était autre que l'anti-monitor dont ils sont sortit vainqueur avant de revenir sur Terre grâce à ses connaissances et ses pouvoirs de Speedster. Bonne ou mauvaise chose ? Si la réalité alternative dans laquelle il a été envoyé fut une rude épreuve, le retour à sa propre réalité l'était tout autant. Ayant perdu sa mère et vu son père envoyé en prison -à tords- alors qu'il n'était qu'un enfant eut un sérieux impact sur sa psychologie malgré qu'il ait réussi à remonter la pente, mais apprendre le décès de son père d'adoption ainsi que la situation critique de son père en prison a été comme un coup de massue sur la tête. Joe West était comme son père pour lui, un homme honorable qui n'a pas hésité à toujours prendre sa défense et pour qui il éprouve un profond respect. Henry Allen est son père, son modèle et celui qui mérite le moins de finir derrière les barreaux, son innocence n'a pas été prise en compte et continue de partager à Barry le fardeau que c'est d'être un héros. Il ne peut rien faire pour le libérer, personne ne veut l'entendre. Alors que lui restait-il ?

Possédait une super-vitesse et ne jamais être en avance a toujours été la caractéristique première de Barry qui comme à son habitude arriva le dernier sur le lieu du rendez-vous fixé par Bruce. Les recommandations de ce dernier ont été de faire profil bas pendant au moins 48H jusqu'à ce qu'ils se retrouvent pour parler de tout ce qui s'est passé depuis le retour. Difficile, très difficile pour Allen qui dû se cacher même de ses proches, d'Iris. Tout le monde était arrivé, Barry pouvait apercevoir au fond du restaurant la silhouette de ses collègues qu'il rejoignit aussitôt afin de prendre place juste à côté de Bruce.

Saluant silencieusement ses camarades, il préférait se terrer dans le silence ne sachant pas par où commencer. Bruce semblait prêt à recueillir toutes les informations sur la vie de chacun et à en juger par le calme qui régnait et le visage fermé de chacun on peut aisément dire qu'un drame a dû frapper chacun d'entre eux. Etant l'un des meilleurs amis d'Oliver, il sait de quoi en retourne la situation de ce dernier contrairement aux autres. Inquiet pour Clark qu'il considère comme un mentor, c'est ce dernier qui prit la parole en premier surement réticent à l'idée de dévoiler les choses. Zod en liberté. Lex libéré et Supergirl morte.... Choqué, Barry haussa les sourcils tout en fixant l'homme d'acier. Alors lui aussi a été frappé par un drame se résultant par la mort d'un proche. Qu'en est-il des autres ? Inquiétant.

Sachant pertinemment qu'il allait devoir passer par là, Barry tenta de fuir le regard des autres membres de la ligue et opterait bien pour une fuite en super-vitesse afin de se cacher dans son labo et ne plus voir personne. Enfin, jusqu'à ce qu'il croise celui de Bruce.

- Moi ?! Euh....

Déglutissant, Barry prit une des bières dont il bu plus de la moitié cul-sec avant de déposer la bouteille sur la table sans manquer d'attirer l'attention de ses camarades.

- Mon système immunitaire m'empêche de...

D'être bourrée. Mais ça n'a pas d'importance comme en témoigne le fait qu'il n'ait pas fini sa phrase. Il n'échappera définitivement pas à la règle de cette réunion. Baissant légèrement le regard, il expliqua à son tour tout en faisant part de sa tristesse dans le ton de sa voix.

- Mon père a subit de nombreuses violences au sein de la prison dans laquelle il a été enfermé à tords et personne ne semble savoir qui est responsable des agressions. Le tueur court toujours en liberté et peut s'en prendre à lui n'importe quand....

Que se passerait-il à la prochaine agression ? Un méta-humain ? Un simple criminel ? Il opterait pour un méta-humain, mais impossible d'en savoir plus. La simple perspective que son père meurt de ses blessures le torture au plus haut point.

- Mais ce n'est pas tout, quelqu'un a décidé de s'en prendre à ma famille et compte bien en finir une bonne fois pour toute. Killer Frost a tué Joe en mon absence. Je n'ai pas pu être là pour empêcher tout ça et voilà que maintenant il ne me reste plus grande monde. Ma famille meurt petit-à-petit et je ne peux rien faire pour eux. Mon père continue de croupir en prison à cause d'un criminel venu du futur; mon père adoptif est mort tué par Frost et la prochaine sera surement Iris.

Iris. Non. Il ne peut pas imaginer ce scénario même si ça semble le plus probable si il ne retrouve pas le coupable.

- Ca fait 48H qu'on est revenu et je n'ai pas réussi à dire à mes proches que je suis de retour, ils sont tous en danger et aucune piste pour le moment.

Il ne réussit pas à relever le regard et finit par se morfondre de plus en plus dans le drame récent, il se sent coupable. Mais où est passé le héros joyeux de la bande ? Entre ce qui s'est passé dans la réalité alternative et sur Terre, on peut dire que pour le moment il a décidé de mettre son humour au placard. On pouvait y sentir la tristesse dans son regard ainsi que le doute dans sa voix.

  Bien que faisant partie des héros de la Justice League à pouvoir voler, c'est en voiture que Diana finit par arriver sur le lieu de rendez-vous fixé par Bruce. Soucieuse de son anonymat, l'amazone avait vite abandonné son armure, après leur retour, pour des vêtements beaucoup plus classiques et passe-partout. Ce soir, elle porte un simple jean, un simple chemisier et une toute aussi simple veste de costume. Ses longs cheveux d'ébène cascadent librement sur ses épaules. A la voir arriver ainsi, au volant d'un 4x4, on dirait qu'elle a plus que rapidement repris ses marques sur ce monde. Ou se donnait du mal pour en donner l'impression, en tous cas. Cependant, son expression sérieuse, qu'on ne pourrait décrire comme sévère, puisque c'est de Diana dont il s'agit... Donc, plutôt sérieuse, préoccupée, l'inquiétude derrière un masque de fermeté, la détermination pour cacher un abîme d'angoisses... Le masque qu'elle a porté pendant dix ans, ce masque qui a volé en éclats 48 heures plus tôt, quand ils ont remis le pied chez eux, sitôt de retour... Comme un masque de fer.

A son arrivée, Diana a un regard, un sourire, et échange une poigne ferme avec Arthur, Victor et Clark. A Barry, elle caresse amicalement, maternellement, même, l'épaule. Quant à Bruce, connaissant sa propension à détester les intrusions de son espace vital, elle se contente d'un sourire en espérant y faire passer tout du soutien qu'elle peut lui apporter. Cela étant, elle le ressent différemment. Différemment de la dernière fois qu'elle avait pu avoir ce genre de regard pour lui, dans des circonstances équivalentes... L'espace d'un instant, Diana prend conscience du caractère abyssal du fossé qu'ont pu creuser les dix dernières années dans son fonctionnement... Et prends peur avant même d'en sonder la fin. Il va lui falloir du temps pour trouver comment faire équipe avec un autre que Bruce, et se poser la question, aussi, de savoir si elle est prête à refaire équipe avec qui que ce soit? D'un côté, bien sûr que oui. Diana ne conçoit pas de protéger le monde sans un effort groupé de tous ceux qui voudraient y apporter leur force. De l'autre... 48 heures. C'est tout ce qui la sépare d'une planète en ruine, peuplée de démons, une planète d'enfer et de feu...

En silence, elle vient prendre une limonade, limonade qu'elle ne parvient pas à boire à l'entente des nouvelles données par Clark. Son regard se durcit, mais se lève aussi vers l'homme d'acier, cherchant à l'assurer de son soutien dans le deuil. Barry enchaîne et, malgré une attitude décontractée, appuyée contre son dossier, une jambe croisée sur l'autre, respirant la nonchalance, le visage de Diana ne se déride pas. "Il vaut peut-être mieux pour eux, et pour toi, que tu ne l'ébruites pas trop tôt..." Sortant finalement de son mutisme, Diana s'adresse à Barry, échangeant avec lui un regard désolé, désolé de tout ce qu'il endure. Au moment où elle parle, l'amazone cherche déjà comment déjouer les menaces pesant sur les proches de Barry, mais aussi sur Metropolis. Qui de mieux placé qu'elle pour aller aider Superman à affronter les métahumains? "En ce qui me concerne, je n'ai pas retrouvé la trace de qui que ce soit... Ni de mes sœurs exilées, ce qui est plutôt bon signe..." Les amazones auraient fait des trophées de choix pour les criminels de Gotham ou de Metropolis... Force est donc de constater qu'ils ne les ont pas eues. " Ni de Cassandra, d'Etta ou de Steve." 48 heures, c'est beaucoup trop court pour tenter de retrouver des personnes douées pour disparaître, avec les moyens de le faire, quand, en plus, il y a de quoi faire en matière de distractions sur la route... Ce n'est pas comme si l'amazone avait chômé, que du contraire... Si, en cette période troublée, sauver un chat d'un arbre peut sembler plus qu'anodin et indigne de l'amazone, dans les yeux de celle-ci, le bonheur d'une petite fille n'a pas de prix. Ainsi va la générosité et l'abnégation de Diana, interrompue plusieurs fois dans ses pistes par des interventions de type voleurs à la petite semaine, voyous en tous genres, ou accidents. N'ayant rien de plus à partager avec les siens, elle se tourne vers Arthur et Victor, dans l'attente de leurs retours.

Mon poing se serre davantage, lorsque je prends connaissance de la situation de Barry. Lui, aussi, avait perdu un père ! Et il était sur le point de perdre d’autres personnes auxquelles il tenait. Avant, j’aurais sûrement pris immédiatement la parole, en promettant mon soutien et mon aide dans cette sombre affaire. Aujourd’hui, la culpabilité m’avait rendu hésitant, me clouant le bec par la même occasion.

« Tu ne peux pas être partout, Superman. Faut accepter de prendre des risques, et déléguer » me narguait cette voix grave et agaçante. Les propos d’un allié des plus atypiques et tortueux dans cet autre univers m’avaient assez travaillé sur ces derniers mois. Mon assurance n’était plus ce qu’elle était, incapable d’envisager que je puisse être sur plusieurs fronts à la fois. Si j’aidais Metropolis, je pourrais manquer à la promesse faite à Barry, et vice-versa. Et je ne pouvais plus ajouter de nouveaux morts et échecs à ma conscience.

Je suis aussitôt distrait, repensant à ces gigantesques cimetières. Tant d’hommes et de femmes que j’avais enterré. Tant de mères et de pères dont j’avais privé de leur chair, et de leur sang. Tant d’orphelins pleurant sur la tombe de parents qui avaient tout donné pour ma cause. Tant de pertes. Tant de morts. Perdu dans mes pensées, je suis surpris – encore – par la voix de mes alliés. Ils étaient vivants, bordel.

Ma surprise était assurément « bête » et, pourtant, je ne pouvais pas m’en empêcher. Je m’étais tant fait à l’idée que je ne quitterai plus ce monde désolé, où tous les alter-égos de mes proches, de mes amis et de mes alliés étaient morts – soit en combattant aux côtés de mon propre alter-égo, soit en résistant à ce dernier –, que la situation actuelle tenait plus de l’irréel que du réel.

Et Bruce fait ses premières propositions.
Et je réfléchis aux miennes.

- Et si le Monde était en danger à cause de nous, de gens qui ne sont pas d’ici, comme Diana ou moi. Si en voulant l’aider, nous le rendons plus vulnérable dans les faits, commençais-je, baladant mon regard sur chacun. La mâchoire serrée, je me force à reprendre la parole pour étayer le fond de ma pensée. Nous avons tous œuvrés pour un monde plus paisible, ou plus juste. Nous en avions bâti les fondations. Nous les pensions solides. Mais aujourd’hui, tous ceux que nous avons combattu sont en liberté. Et tous ceux que nous avons protégé sont en grand danger. Ne vous méprenez pas : il n’est pas question de défaitisme, ou de déception. S’il y a à refaire tout ce travail, je le ferais. Encore, et encore, affirmais-je, le ton sûr. Pourtant, il faut accepter une réalité : il faut faire différemment. Il faut penser autrement. J’ai été … dans un univers où je n’existais pas. L’Humanité a développé ses propres défenses, et armes, parce qu’Elle était obligée. Parce qu’Elle n’était pas protégée par des … étrangers ou des divinités. Ici, dans ce monde, Bruce aurait pu gagner, contre moi, lors de notre affrontement. Parce qu’il devait réussir. Cette aveu me coûtait cher. D’une part, elle allait à l’encontre de tout ce que je croyais – encore aujourd’hui, malgré tout. D’autre part, je me replongeais dans un puit de souvenirs aussi désagréables que délirants et flous. L’Humanité surpasse, en nombre, en moyen et en esprits brillants, des gens comme Diana et moi. Ce que j’essaie de dire est qu’il faut … peut-être … envisager un monde sans Superman. Un monde où l'Humanité se défend d'Elle-même.

Je ne fais pas référence à Wonder Woman. Je ne peux pas parler en son nom. Elle avait ses propres décisions à prendre.

- Je souhaite le meilleur pour ce Monde. Je veux le protéger, contre toutes les menaces, celles qui sont visibles comme celles qui sont invisibles. Que tous ces rires, toutes ces joies … ne cessent jamais. Et je sais que vous partagez ce même sentiment, continuais-je, inspirant profondément. Je me fie à votre jugement, pour décider si j’apporte vraiment quelque chose de bien à ce monde, ou s’il est temps que je me retire , conclus-je, lançant un regard désolé à Diana, à Barry et à Bruce. Cependant, quelle que soit votre décision, ou la mienne, vous n'en restez pas moins des amis. Et je vous aiderai, pour vos propres problématiques. Comme protéger ta famille, Barry, à Smallville ou ailleurs, le temps que la menace soit neutralisée.

Spoiler:

Les confessions de Bruce concernant la mort des siens brisent le cœur de Diana. Pendant les dix années d'enfer qu'ils ont partagé, les bons souvenirs de l'un et de l'autre étaient tout ce qui leur avait permis de ne pas totalement sombrer dans la folie, et oublier d'où ils venaient, oublier qu'il y avait autre chose en dehors des flammes et des démons, qu'ils avaient eu une vie avant toute cette désolation... Bruce avait évoqué avec une tendresse presque indétectable tout ce qu'avait pu être Alfred pour lui, et avec non moins de fierté les accomplissements de ses enfants adoptifs. De son côté, l'amazone avait évoqué la vie sur Themyscira, plus longuement qu'avec n'importe qui. Elle s'était étendue sur les jeux annuels entre amazones, les reliefs verdoyants parsemés de cascades de l'île, le bleu de la mer, sa mère, la reine Hyppolite... Diana se figure sans mal la peine qui a dû étreindre le coeur de Bruce, et ce n'est que par respect pour sa pudeur légendaire que l'amazone retient un élan vers le chevalier noir. Est-ce qu'elle l'aurait étreint? Est-ce qu'elle aurait plus sobrement posé sa main sur son épaule? N'importe. Elle lui aurait simplement fait sentir qu'elle partageait son chagrin.

Le regard de Diana est sombre. Plein de peine. Mais l'amazone demeure silencieuse. Malgré la peine qui lui étreint le coeur, elle ne peut s'empêcher de se montrer pragmatique quand Bruce l'est, un réflexe dont les bases ont été posées par leurs coopérations au sein de la Ligue, mais forcément exacerbé, pour des raisons de survie, les dix dernières années. Plus de gadgets? Peut-être que Steve pourrait les dépanner... Ce qu'il leur donnera ne sera jamais aussi performant que ce que contenait l'arsenal de Batman, mais il pourrait tout de même être utile.

Et puis vient le tour de Clark de reprendre la parole. Diana voit la peine et la torture dans le fond de ses yeux, et, avant même qu'il n'ouvre la bouche, l'amazone sait que ce que l'homme d'acier va leur dire sera porteur d'une grande souffrance interne... Et c'est le cas. Les mots appuient tous sur la dualité qui sévit en ce moment même dans l'âme de Superman. Sage, Diana comprend que, si pour Bruce et elle le voyage avait été traumatisant, il en allait de même pour Clark. Elle ignore, pour l'instant, ce qu'il a vu là-bas, mais elle sent que, quoi que ça ait été, ça ait réveillé toutes les incertitudes et les peurs de son ami. En effet, le kryptonien et elle partageant beaucoup de points communs, ils avaient déjà évoqué la crainte de leurs potentiels de destruction... Cette inquiétude, notamment, d'être un remède pire que le mal ne lui était pas nouvelle... Mais jamais, jusqu'à maintenant, elle ne l'avait entendu évoquer la chose avec assez de sérieux pour lui faire physiquement mal...

Elle sent, peut-être à tort, que c'est à elle de prendre les choses en main. Bruce, Clark et Barry sont abattus. La tâche qui les attend, tous, semble colossale. Ils donnent à Diana le sentiment d'avoir perdu leur focus. C'est à elle de faire quelque chose, si elle le peut. Avec lenteur, elle se lève et vient s'appuyer, des deux mains sur la table. Elle ne regarde aucun de ses compagnons, ses yeux demeurant fixés sur le sol. "Je crois..." commence-t-elle, doucement. "Je crois que nous devons commencer par accepter que le voyage duquel nous rentrons a été une très rude épreuve..." Elle relève finalement les yeux, et les ancre tour à tour dans ceux de ses compagnons, cherchant à leur faire comprendre, à tous, qu'elle n'a pas besoin de connaître dans le détail ce qu'ils avaient vécu pour savoir que ça avait été attroce... Leur faire sentir qu'elle comprenait, et que, quoiqu'il arrive, elle les soutiendrait. "Ces épreuves nous ont changés, avec plus ou moins de profondeur. Nous ne sommes plus les mêmes que lorsque nous sommes partis. Moi, je me sens différente... Sur tellement de niveaux que j'en ai le tourni." Elle tente un sourire, pour accompagner ce frêle élan de légèreté, et tenter de dédramatiser un peu la situation. "Est-ce que c'est une bonne ou une mauvaise chose? Je crois qu'il est trop tôt pour le dire... Par contre, ce que je sais, c'est que ça m'a aussi rendue plus forte..." Avec lenteur, les iris sombres de l'amazone glissent vers Bruce, et s'attardent sur lui. Son regard est chaud, tendre... Mais la détermination est maîtresse dans le ton de Diana lorsqu'elle reprend. "Clark, la question n'est pas de savoir si le monde serait mieux ou pas sans nous... Nous sommes là, c'est une réalité. La question à nous poser, c'est celle de l'empreinte que nous souhaitons laisser... Tu connais ta valeur, Clark. Nous connaissons tous la nôtre." Tour à tour, elle les dévisage, les défiant de jouer la carte de la fausse humilité. "Honorons-les." Ses mots tombent comme du plomb, lourds de conséquences. "Dis-moi, Clark, quel bien pourrait ressortir du crash d'un avion dans une zone urbaine? Des centaines de morts et de blessés, des débris, des maisons calcinées... Un drame que tu peux éviter. Tu laisserais tout ceci se produire pour apprendre aux hommes... Quoi, d'ailleurs?" L'indépendance face aux mutants? L'humilité? Allez savoir...

Diana ferme les yeux et inspire profondément. "Clark, tu ne peux pas douter d'être une force positive sur le monde..." Elle rouvre les yeux, et regarde à nouveau ses compagnons tour à tour. "Le bien et le mal ne sont pas des traits intrinsèques à notre personnalité... Ce sont des choix. Les choix que nous faisons tous les jours, les uns après les autres... Le bien et le mal, c'est une balance faite entre vos choix... Clark, depuis que je te connais, je ne parviens pas à me souvenir d'une seule fois où tu aies fait des choix que je n'aurai pas faits moi-même... Même si le voyage t'a fait du mal, je peux voir que ton cœur est toujours à la bonne place... Tu as toujours le souci de prendre la bonne décision. Pour moi, Clark, tu es plus humble maintenant, mais ton humilité ne doit pas t'empêcher d'avoir confiance en toi... C'est ta responsabilité... Si tu ne te fais pas confiance, comment le pourrions-nous? Or, moi j'ai confiance en toi..." Douce et amicale, Diana vient serrer l'épaule de Clark, puis relève son regard vers Bruce et Barry. "Comme en chacun de vous."

Resté silencieux un long moment, Arthur était resté les bras croisés pendant tout ce temps, sans toucher à sa boisson. C'était la première fois qu'il entendait les récits de ses camarades, de ses alliés, et il grimaçait, intérieurement. Aucun d'entre eux n'avait vécu une expérience similaire à la sienne, et il pressentait qu'il y avait bien plus derrière tout ça que les mots de Batman. Devait-il parler de lui ?

Sans doute.

Peut-être.

Peut-être pas ? Les autres ne pouvaient rien pour l'aider, et ils ne pouvaient pas non plus comprendre ce qu'il avait traversé. Pendant presque trois siècles, il avait régné sur une Atlantide puissante, dominatrice, il avait mis à genoux les humains et englouti l'intégralité de leur monde. Il avait tué et aimé, connu la gloire et la colère, et il avait réussi à y survivre, et même à y exceller. Il revenait sans rien.

Enfin, pas rien. Avec des idées, des vœux, des souhaits, des rêves.

 « Des problèmes... des problèmes, des ennemis, encore et toujours. A croire que ça n'en finira jamais. »

Il avait pris la parole, pour la première fois. Il prit un verre, se servit, et le savoura lentement avant de reprendre la parole. Ses yeux jaunes se tournèrent vers ses camarades, l'un après l'autre. Ses alliés. Pas ses amis.

 « De nouveaux ennemis dans ce trou qu'est Gotham, à Metropolis, à Star City... partout. Sauf chez moi. Nan, j'ai beau être parti trois siècles, les choses sont toujours les mêmes ici. Les Atlantes veulent tuer les Surfaciens, les Surfaciens veulent polluer les océans et s'emparer des richesses des Profondeurs... c'est du pareil au même. »

Il mesura ses prochaines paroles, s'attardant particulièrement sur Bruce. Batman. Le leader, celui qui se voulait chef car il avait eu l'idée, et car il avait le savoir. Le plus dangereux de tous. Plus mortel que Diana. Plus résistant que Clark. Pire que tout le monde.

 « Mais si jamais l'un d'entre vous veut m'aider à éviter une guerre entre deux mondes que tout oppose, libre à vous. Moi, j'ai l'intention d'empêcher que les deux camps s'entre-déchirent, d'une manière ou d'une autre. Je tiens juste à vous prévenir, ne parlez pas de la pollution, ils connaissent le sujet mieux que des écolos. »

Il attendit une réponse, un geste, de ses camarades. Il se demandait si, à leur contact, il pouvait changer, s'il pouvait s'assurer de ne pas tomber dans de sombres chemins qui ne feraient que précipiter le souhait d'Orm. Car Orm, même si Arthur ne l'avait jamais rencontré, était un homme retors et dangereux. Rusé. Il fallait s'en méfier au maximum.

Les paroles de Diana et de Bruce sont davantage des coups de poignards.

Si la Déesse se voulait réconfortante, elle ne décrivait là qu’un homme qui n’existait plus ! Elle parlait d’empreinte, sans savoir que l’Humanité pouvait se passer de la mienne dans quelques alternatives ! Et elle parlait de choix, moraux, à un assassin, à un criminel, à un tueur ! Mais comment lui en vouloir ? Elle ne pouvait pas savoir si je ne disais rien. Elle ne pouvait pas non plus deviner, vivant toujours dans cette illusion que j’étais bon. Ah, la justice ! Je l’aimais. Je la chérissais ! Mais comment l’incarner alors que j’avais les mains couvertes du sang des innocents ? Comment la défendre alors que je n’avais pas été puni pour mes propres crimes – pire, j’avais été remercié et adulé – ?

Bruce ne m’achève pas, mais apporte davantage de confusion et de brouillard sur mon propre jugement. Il parle d’une autre alternative, où la Terre est offerte aux Démons, où seuls ceux qui ont quelques capacités extraordinaires pourraient survivre, où l’Humanité était asservie ou détruite. Comment faire pour la protéger lorsque j’étais à la fois sa bénédiction, et sa malédiction ? J’avais l’impression de ne voir que le blanc et le noir, mais sans une zone grise où je pourrais m’y complaire, ou m’y réfugier. Il n’en existait pas, pour les gens comme moi, pour ceux qui n’appartenaient pas à ce monde.

Aucune route claire ne se dessinait.

Arthur parle, mettant en lumière un nouveau problème : la mésentente grandissante entre les Atlantes et les Terriens. Je l’enviais, tant ! Il appartenait légitimement à deux mondes, et il pouvait parler en leurs noms. Je respectais donc son point de vue, et sa volonté. Il avait deux mondes à protéger, et ce n’était pas une mince affaire. Et pourtant, son discours me gêne. Le ton était amer et doux, à la fois. S’il critiquait ceux de la Surface, il prônait une paix. Ne se contredisait-il pas ? Je me tais, pourtant.

Lorsqu’Arthur invite à venir à son aide dans ce projet de paix, je garde le silence. Ni Terrien, ni Atlante, quel droit avais-je à parler au nom de l’un ou de l’autre ? J’étais l’alien dont la planète était morte. Un court instant, je repense à cette réalité alternative où ma « maison » était encore intacte, vivante et pleine de vie ! J’avais tant vu, j’avais tant expérimenté ! J’avais fait partie d’un « tout », enfin. Et puis, j’avais aussi assisté à tous ces crimes qui, sur Terre, ont des allures d’Apocalypse. Et je tremble, malgré moi. Je me rends compte, à nouveau, que je pouvais signer la fin d’une Humanité que j’admirais et d’un monde que j’aimais.

Cette pensée me donne des nausées. Je ne pouvais pas traverser, encore, cet enfer. Je ne pouvais pas vivre, à nouveau, ces horreurs. Et, plus important, je ne voulais plus avoir à choisir entre la Vie et la Mort.

Les ordres, ou plutôt les propositions tombent. Enchantress. Zatanna. Renfort.

Silencieux, je réfléchis. Et je prends une décision. Je ne pouvais pas me jeter dans cette bataille, sans donner un choix à l’Humanité, ou à la Justice League d’accepter ou non celui que je suis vraiment, ou la menace que je peux réellement représenter. Mais, avant cela, je dois obtenir des réponses – et explorer des possibilités.

- Je peux aider pour Enchantress, commençais-je. Je vais aussi me mettre à la poursuite de Zod. Je dois savoir comment il s’est échappé de la zone fantôme, et pour quelle raison. Et je veux aussi retrouver celui ou celle qui a tué Supergirl, et savoir comment il a mis la main sur la kryptonite. Seul, insistais-je.

Je m’attaquais à un véritable chantier de Titans, seul de surcroît, mais je n’étais pas Aquaman, Green Arrow, Batman, Wonder Woman ou Cyborg. Je ne fatiguais pas aisément. Enfin, je devais faire vite, avant que les frontières ne se brouillent à nouveau pour moi, ou que je ne devienne lui. Le Superman qui tue.

Que ça soit sa force, les épreuves qu’elle a pu endurer, ou même sa longévité… Tout cela n’est pas parvenu à dépouiller Diana de son extrême candeur. Alors, quand Bruce, bien que décrivant des choses tragiques, assure à la table des plus grands héros que porte la terre qu’il lui doit la vie… Ca ébranle l’amazone, qui rougit discrètement, en baissant les yeux. Elle n’est absolument pas certaine de mériter cet éloge, mais, faute de trouver quelque chose d’intelligent à dire, elle préfère se taire.

Elle se tait aussi, quand Bruce annonce la venue prochaine de leurs ennemis à leurs portes. Pour elle, cette remarque est encore en deçà de la vérité. L’amazone vit depuis plus de trois milles ans, et dans le monde moderne depuis un peu plus d’une centaine d’années. S’il y a bien une chose qu’elle ait apprise, c’est que le mal engendre le mal, et qu’il trouve toujours de nouvelles formes sous lesquelles s’incarner. Que les héros mettent leurs capacités au service de leur prochain ou non, les maux continueront à se répandre sur la terre. Autant, donc, se battre quand on le peut, comme on le peut. Qui sait ? Par effet domino, peut-être que la tendance finira par s’inverser ? C’est ce qu’espère Diana en tous cas. En silence, elle sirote son verre de jus de fruits.

Toujours plus de silence quand vient l’alerte concernant Enchantress. La tâche de la neutraliser s’annoncer ardue… En temps normal, le démon est déjà extrêmement puissant, mais dopé par la magie d’autres métas… ? Mentalement, Diana fait la liste des tâches qui ne cessent de s’additionner. « Je viendrai avec toi. » Annonce finalement l’amazone, émergeant de son mutisme pour assurer Arthur de son soutien. S’il y a bien des créatures dont la situation s’approche de celle des Atlantes, c’est bien celle des amazones ! Elle en revient ensuite à Bruce. « La personne la plus à même d’avoir des informations concernant Enchantress reste Zatanna. A-t-elle indiqué par quoi nous devrions commencer pour chercher le démon ? » Avec des pouvoirs et un intellect comme les siens, impossible de compter sur la chance ou la maladresse. Clark et elle allaient avoir besoin d’indices, de pistes solides.

Clark aurait besoin de la même chose, pour poursuivre Zod. Qu’il veuille traquer l’assassin de Kara, seul, par contre, contrarie fortement l’amazone. La ligue venait d’être séparée pendant des durées très variables. Pour elle, dix ans. Ici, quelques mois seulement. La déesse est toujours emmêlée, comme une mouche dans une toile d’araignée, dans la prise en main des écarts de dates, mais, aussi fort qu’elle tente de le rationnaliser, ses sentiments sont là. Dix ans, et dix ans qui n’avaient rien d’idyllique. Et si, certes, recommencer à travailler avec eux va s’avérer compliqué, réapprendre les mécaniques de chacun, la synchronisation, le travail en équipe, il n’empêche qu’elle se refuse d’imaginer qu’ils puissent encore mener leurs combats chacun de leur côté. De ces dix ans, la conviction de l’amazone que l’union faisait la force s’était grandement amplifiée. Le problème, c’est que les hommes qui lui font face… Sont des hommes, et plus des enfants. Des hommes avec de sacrés caractères, et le syndrome du sauveur, couplés à un besoin viscéral d’indépendance… Il y a des jours où Diana en vient à réaliser l’ampleur du miracle qu’a été la création, et la survie !, de la Justice Ligue. Heureusement que Barry et Oliver avaient tendance à arrondir les angles…

« J’aimerai que nous restions en contact permanent. » Elle tente d’imposer, l’amazone, le ton particulièrement ferme. « Il va nous falloir un peu de temps pour nous réhabituer à travailler ensemble, mais j’aimerai que nous gardions tous en tête que ce n’est pas parce que nous pouvons faire les choses seuls que nous devons les faire, seuls… » Elle regarde Clark, bien sûr, mais sans trop appesantir son regard. « Ce qui fait de nous une équipe, c’est que nous servons le même idéal. Il ne faut pas perdre cet idéal de vue. Et moi, je ne veux plus vous perdre de vue, vous, non plus. » Dix ans…

Arthur fixa son regard jaune sur l'homme qui était le Batman, sans rien dire, dans un premier temps. Leurs caractères se ressemblaient pas mal, et ils avaient en commun la capacité de commander facilement et d'être concis et précis.

Et il ne pouvait pas lui en vouloir de ne pas prioriser Atlantis. Les raisons étaient nombreuses, mais une seule suffirait : ils ne connaissaient rien de son monde. Pour eux tous, y compris pour Diana, les Atlantes étaient un peuple à moitié mythique, enfouis dans les Profondeurs des océans, sans réelle présence auprès d'eux. Mais on oubliait bien vite que ce peuple était belliqueux, sournois, rancunier comme aucun humain ne peut l'être, et qu'ils avaient un sens de l'honneur bien particulier. Et on oubliait encore plus qu'avec les bons outils, les Atlantes pouvaient engloutir la planète entière en quelques jours.

 « Il est difficile de dire si c'est imminent ou non. Orm règne par la force et la peur, et au moindre contre-coup, la paranoïa s'emparera de lui. Il lui manque le trident d'Atlan pour gouverner sans que personne ne conteste sa légitimité. Mais... »

Il jeta un coup d'oeil autour de lui, baissant la voix.

 « Celui de ce monde est toujours caché, et seul moi sait où. Je possède celui de là où... j'ai été. »

Il se redressa, s'éclaircissant la gorge.

 « Quoi qu'il en soit, Atlantis n'est pas encore prête à la guerre. Mais il suffirait d'une provocation de trop, d'un geste mal interprété ou d'une personne un peu plus colérique que les autres, pour que ça parte. Et j'aime autant vous le dire, à moins d'un miracle, vous n'avez aucune chance contre mon peuple. Ils peuvent gagner en quelques jours. »

Arthur se mure à nouveau dans le silence, attendant la suite. Il se doutait bien que ni Superman ni Wonder Woman ne prioriserait son problème, car pour eux, l'Enchantress représentait une menace plus importante. Mais il espérait avoir au moins atteint l'esprit calculateur et retors de Batman, qui savait imaginer cinquante plans en même temps, avec d'infimes variations qui pouvaient tout changer du résultat.

Puis vint la grande question : révéler leur retour.

Il s'en fichait pas mal, personnellement. Ça ne changerait pas beaucoup sa vie, et ça pouvait même lui être plus bénéfique que préjudiciable. Mais il s'efforça de la jouer esprit d'équipe, et il intervint alors à nouveau. Dans un souci de mettre en avant le groupe, et non pas l'individu :

 « Moi, je m'en fiche. Ça me changera rien. Mais si on réfléchit un peu, tôt ou tard, ils sauront. Nos alliés le sauront, alors nos ennemis aussi. Impossible d'empêcher Superman ou Wonder Woman de ne pas faire la une des journaux, à la seconde où vous allez réapparaître. Alors autant le révéler nous-même, et le contrôler. Le message sera plus fort : « nous sommes de retour ». Pas « ils sont de retour ». Voilà ce qui sèmera le doute chez l'ennemi : ne pas savoir depuis quand nous sommes là. »

Les idées fusent, les arguments et les contre-arguments s’enchainent et les cicatrices des uns et des autres se révèlent petit à petit tantôt par des mots, tantôt par des gestes, tantôt par des silences. Je balade, à nouveau, mon regard sur cette scène surréaliste. Combien de fois avais-je rêvé de leurs arrivées miraculeuses, et de leur soutien inestimable, dans ce dernier monde ? Combien de fois avais-je craint de me retrouver à cette même table, lorsque l’irréparable avait été commis ? Car voilà ce que chacun m’inspirait à cet instant : espoir, et crainte.

L’Amazone parle.

Contact permant, disait-elle. Je ne comprends pas cette suggestion, tant elle coulait de source pour moi. Pourquoi serions-nous récalcitrants d’échanger une quelconque information à toute heure de la journée, et de la nuit ? Un vieux souvenir, lointain, m’assaille, me ramenant à cette époque avant ce saut temporel, où il était encore question de vie privée, ou de propriété privée. Deux notions inexistantes dans un univers en guerre, deux notions que j’avais écrabouillé à de trop nombreuses reprises.

Travailler ensemble et équipe, rajoute-t-elle. Etais-je encore légitime de travailler à leur côté, de représenter la Justice League et de défendre des valeurs humaines ? Pouvais-je encore être leur ami, et leur collège, alors que j’avais trahi notre cause, et notre idéal ? Accepterais-je de leur faire confiance alors que leurs alter-égos avaient échoué à la tâche d’arrêter mon propre alter-égo ? Oh, je veux travailler avec mais la vérité est que je ne peux plus, tant que j’ai tous ces secrets et cette conscience coupable. Je devais être honnête, pour avoir un quelconque droit aujourd’hui et dans le futur, et surtout leur offrir un choix – des moyens pour avoir ce choix. Et il fallait rassembler ces ressources au plus vite.

L’Atlante parle.

Un règne par la Force et par la Peur, décrit-il. Il faisait écho à cet univers où j’avais échoué, où mon propre alter-égo régnait ainsi. L’idée qu’un autre despote, commandant à la majorité de la surface terrienne, soit de la même engeance me perturbait autant qu’elle m’inquiétait. Devions-nous agir, au risque d’exacerber un conflit et de forcer des peuples entiers à choisir un camp ? Au contraire, est-ce qu’il fallait faire preuve d’un brin de clémence ? A chacune de ces questions, je n’avais qu’une seule et unique réponse : « non ».

- Ils ne peuvent pas gagner en quelques jours, Arthur, répondis-je, malgré moi. Le peuple atlante avait été maté par Superman et ses alliés belliqueux, dans cet univers que j’avais détruit. Mon ton n’était pas condescendant, ou moqueur. Au contraire ! Mon regard est fuyant, malgré moi. Ma mâchoire se crispe, encore. Et je me perds dans de vieux souvenirs, à nouveau. Si Orm est déjà un sujet de discussion, c’est qu’il est trop tard pour des pourparlers avec lui, Bruce. Nous gagnerons du temps, au mieux. Ce dont Atlantis a besoin est un Roi légitime, avec le Trident des Rois d’Atlantis. Orm perdra rapidement crédit, conclus-je, ayant bien entendu ce qu’Arthur avait dit. Pourquoi avait-il eu le Trident ? Je ne pose pas la question. Ce n’est pas mon droit.

Enfin, le Chevalier Noir parle.

Il cherche à me corriger, à souligner l’importance de la menace que représente Enchantress. Je m’apprête à répliquer, qu’il est obnubilé par un seul et unique prisme – celui d’un monde esclave de Démons – et que je suis plus que capable de mener deux fronts, mais est coupé dans mon élan lorsqu’il est question de Kryptonite. Il en avait, révèle-t-il. Et aussitôt, j’évalue la situation. Je repense à la situation. Est-ce que ses réserves étaient « suffisantes » ? Pourrait-il faire preuve de plus d’inventivité que son alter-égo quand il sera question de m’arrêter si je vrille ? Le doute m’assaille.

- As-tu cette kryptonite, ou est-elle aussi perdue, Bruce ? lui demandais-je, avec le plus grand sérieux, le dardant d’un regard d’acier et sérieux.

Et la Question est posée.
Et la réponse n’a jamais été aussi claire.

- Je ne me cacherai pas.

Que mes ennemis sachent où je suis, et où me trouver. Et surtout, que mes alliés retrouvent les ressources nécessaires à ce combat – et au choix que je leur donnerai.

Bras croisés sous sa poitrine et jambes croisées également, l'attitude de l'Amazone est fermée. Si elle est heureuse de revoir, enfin, ses partenaires de la ligue de justice, les circonstances sont loin d'être réjouissantes. Naïvement, Diana avait espéré que revenir à la maison se ferait de façon beaucoup plus douce, dans un monde qui n'aurait pas ou peu changé. Mais non. C'est un bain glacé, et des ice-bergs en série. La princesse est courroucée de ce déluge de menaces. Les dix ans passés à lutter contre les démons ont élimés sa patience, l'ont rendue beaucoup plus expéditive qu'elle ne l'était. Si elle n'est pas encore au point de pouvoir tuer sans distinction, elle sait qu'ils doivent être décisifs, frapper vite, et fort, assez fort pour que l'adversaire ne puisse pas se relever, et l'achever dès que l'occasion est donnée. Sur le caillou de flammes qu'était la planète où Bruce et elle sont restés prisonniers, hésiter, temporiser, était synonyme de mort. Ces réflexes, durs, sont ce qui a assuré sa survie pendant ce qui lui semble être une éternité. Impossible, pour elle, de les abandonner si vite. Les poings serrés, elle souhaite simplement mettre un terme à toutes ces menaces, avant qu'il ne soit trop tard.

Elle reste silencieuse sur la question des Atlantes, autant que sur la réaction de Clark, qui, pourtant, ne passe pas inaperçue à ses yeux. Plus l'entretien avance, plus Diana a l'impression de deviner ce qui lui est arrivé. De son regard fuyant à son ton... L'amazone comprend qu'il a honte, et peur. Mais qu'est-ce qui pourrait faire honte, et peur à Superman en même temps, sinon lui-même ? Les yeux de la princesse s'étrécissent légèrement quand, une fois n'est pas coutume, elle a l'impression d'être celle dotée d'yeux à rayons X. Si elle a raison, si c'est bien cela qui perturbe Clark, alors Diana se félicite qu'ils travaillent de nouveau bientôt ensemble. Elle pourra l'aider. Elle devra l'aider, et elle l'aidera, autant que faire se pourra.

S'en vient la question à un million... Annonce du retour, ou non ? « Je m'en moque éperdument. » Elle tranche, impitoyable, et parfaitement détachée. S'il y a bien une chose dont Diana n'a jamais eu que faire, c'est bien de sa notoriété. Tout comme Clark, elle ne se cachera pas. Elle ne l'a jamais fait. Ni en 1918, ni maintenant. Elle a déjà réapparu de toute façon, armure ébréchée, aux couleurs ternies par la poussière de la planète de mort. Si, auparavant, elle se serait souciée de l'opinion publique, ce n'est absolument plus le cas. Diana a bien d'autres priorités, et gérer l'image de la ligue de justice ne l'intéresse plus. Ferme dans sa décision, elle se lève. Elle n'a, pour finir, touché ni aux boissons ni à la nourriture. Elle n'a pas faim, pas soif, pas d'autre envie que celle de faire ce pour quoi elle est née, à savoir, se battre pour rendre ce monde meilleur, protéger les innocents. « Tenez-moi au courant de ce que vous décidez. Clark, je te propose que nous nous retrouvions ici demain matin pour nous lancer à la poursuite d'Enchanteress. » S'il refuse, il la tiendra sans doute au courant, de toute façon. Ayant fait le tour des questions, en tous cas en ce qui la concerne, elle laisse quelques dollars sur la table, sa part en fait, même si elle n'a touché à rien, et quitte l'endroit après un signe de tête à ses camarades, avec un certain soulagement, il faut le dire. Le vent encore frais qui lui fouette le visage, à sa sortie, est comme la première bouffée d'oxygène que prendrait un bébé. Douloureuse et salvatrice à la fois. Le fait est que la compagnie de ses camarades de la Ligue lui est aussi essentielle qu'insupportable, dans l'instant. L'amazone peine à retrouver ses marques sur terre, et ça n'est pas peu dire. Autant qu'aucun d'eux n'assiste au maelstrom que sont ses états d'âme...