In this colorful world, people are the grey ones (Superman & Vixen)

Je cherche encore et toujours les sbires d’Enchantress et Black Adam, les preuves de l’hypocrisie de Lex Luthor ou encore les traces de Dru-Zod. Mes ennemis se cachent habilement. Que font-ils donc dans leur cachette ? Est-ce qu’ils bossent comme de petites fourmis pour m’abattre et soumettre la Terre à leur tyrannie ? Est-ce qu’ils guettent mon faux-pas pour bondir sur moi, comme des animaux sauvages ? Est-ce qu’ils tissent des alliances dangereuses entre elles ? Pour ce dernier point, j’ose espérer que Batman est au courant grâce à la Ligue des Ombres et pourra prévenir la Justice League en temps et en heure. Enfin, ai-je encore le droit d’employer ce mot espoir ?

Je survole le port en cette heure tardive. Hell’s Kitchen et Bakerline sont les lieux favoris des criminels pour commettre des méfaits, pour se dissimuler des forces de l’ordre ou encore pour recruter. Là, dans le labyrinthe des conteneurs, des trafics cachés et des ombres mouvantes, est-ce qu’il y a un indice qui me dirige vers un de mes ennemis ? Si j’échoue en tant que Superman à remonter la trace du crime, est-ce que je serais plus efficace en tant que Clark Kent, en suivant la trace de l’argent – toujours la trace de l’argent ! Les monnaies vertes et les bijoux brillants restent les plus grands moteurs de ceux qui jouent dans cette cour maudite.

Je surveille les lieux, par-delà les nuages, grâce à ma vision.

Tout est calme – trop calme – jusqu’à ce que je repère du mouvement. Je concentre ma vue et constate un spectacle aussi étonnant que surprenant : Vixen. Je ne file pas à toute allure pour lui apporter mon coup de main. D’une part, elle s’en sort très bien sans moi. D’autre part, j’ai une liste bien longue de justiciers agacés de mes interventions – et m’ayant interdit d’intervenir à l’avenir ! Je ne peux pas m’empêcher d’esquisser un fin sourire à ce dernier détail, sourire qui se fane un tantinet aux premières attaques verbales de la chasseresse. Elle a toujours la verve tranchante.

- Je ne savais pas que j’étais attendu.

Mon ton se veut léger, presque moqueur.

- Est-ce que tu souhaites que j’intervienne ?  

Il est surement étrange que je demande une autorisation, mais tout mon existence – et les relations que je tisse – est empreint de cette bizarrerie perpétuelle. Cependant, demander l’autorisation est une chose, la prise d’initiative est autre. Un homme veut profiter que la demoiselle est déjà en prise avec deux de ses collègues pour la frapper. Le vicelard n’a pas vraiment le temps, car je le chope, le dépose contre un poteau bien solide et trouve des barres de fer que j’utilise comme ceintures autour de lui. Deux autres tentent l’impossible, répondant à l’instinct le plus primitif : se défendre en tirant. Les balles rebondissent, ricochent, tapent ailleurs.

- Quand je parle, on s’agace. Quand je ne parle pas, on s’agace aussi. Le monde n’est jamais content.  

Je le dis à portée de l’ouïe de la belle combattante. Je soupire lorsque les armes sont sans munition, que les types les abandonnent et prennent leurs jambes à leur cou. Là aussi, je les saisis. Cette fois-ci, je les assomme en cognant la tête de l’un contre l’autre.

- Je cherche Dru-Zod, mais aussi des membres de l’organisation Darkness, notamment Enchantress et Black Adam. Les aurais-tu apercu ? Je crève d'envie de papoter avec eux.

Le ton est presque ailleurs.
Oui, quelque part, Superman est devenu un brin sarcastique.

- Si j’éternue, j’ai plus tendance à m’envoler dans les airs que de déclencher des ouragans.

Je réponds avec le même flegme, à peine touché par les propos agacés de la combattante. Depuis ma confrontation avec Zod, j’ai été une source constante de débats, tantôt l’alien immigrant, tantôt le bon soldat américain, tantôt le justicier simplet avec trop de pouvoirs. Jadis, j’aurais pu exactement me décrire, clamer haut et fort qui et ce que je suis ou encore assumer pleinement ma double identité. Aujourd’hui, l’affaire n’est plus aussi simple. Les capacités et faiblesses inhérentes à ma génétique m’ont largement prouvé que je ne suis pas comme les terriens et, surtout, que je ne serais jamais un terrien – pas même d’adoption.

- J’ai appris à me détacher. Ou plutôt, on m’a indiqué qu’il était nécessaire que je me détache. L’auto-dérision ou le sarcasme sont de bons outils pour cet exercice.

En dépit de toute ma bonne volonté, mon ton est un brin plus lugubre. Inconsciemment, elle remonte à la surface de vieux souvenirs. Enfin, peut-on les qualifier de vieux alors qu’ils me hantent jour et nuit, qu’ils me pèsent comme un boulet de kryptonite aux pieds, qu’ils m’empêchent de fixer mon propre reflet dans un miroir ? Ils distillent constamment un petit poison, me poussant à craindre ma propre ombre ou, plutôt, à faire preuve d’un pessimisme absolu.

- Parle donc, Vixen. Qu’est-ce qui est important ?

La réponse ne tarde pas à venir. Je réprime difficilement un soupire, autant d’agacement que d’impatience. J’essaie de comprendre en quoi le Batman est une priorité face à un kryptonien radical décidé à transformer la terre en une toute nouvelle planète. Pourtant, je peux comprendre autant sa peur que sa confusion. Oui, Bruce Wayne – ou le Chevalier Noir – est un esprit de génie, apte à mettre à genou bien des organisations ou criminels de ce monde. Il est un tacticien hors pair. Il peut être un atout, si sain d’esprit. Il est un danger public, voire international, s’il vrille.

Je ne réponds pas immédiatement.

La question a déjà divisé les membres de la Justice League. Malheureusement, elle ne s’arrêtera pas qu’aux membres de cette ligue. Elle va s’étendre à des sphères de plus en plus larges. Le peuple américain, d’abord. Les politiciens, après. Les ennemis, enfin. Officiellement, nous, la Justice League, n’avons aucune déclaration à faire – refusant de soutenir les agissements du Batman, mais n’indiquant rien vis-à-vis de notre ressenti ou nos relations avec ce dernier.

Oh, Vixen, j’aimerai te dire que nous avons trop perdu durant la crise du Multivers. Certains ont sacrificié des années de leur vie ou un bout de leur humanité pour un droit de passage. D’autres ont égaré leur confiance en soi ou leurs idéaux sur le chemin du retour. Nous n’avons disparu que deux ans, mais une éternité s’est écoulée pour nous. Nous ne sommes plus les mêmes.

Le silence s’éternise.

Les minutes s’égrènent, mes traits gardent leur inflexible sérieux. De temps à autre, je laisse échapper un soupire. Finalement, je tourne la tête vers le ciel et reporte toute mon attention sur chaque petite particule physique qui anime ce panorama aussi banal que splendide. Je n’ai pas les mots : je n’ai que le cœur. Or, comment puis-je le livrer à quiconque, sans m’ouvrir littéralement la poitrine ou dévoiler tout, absolument tout, de qui je suis ?

Ma conscience revient à cet instant présent. Mon regard se pose sur la demoiselle bouillonnante de rage.

- Comment t’es-tu sentie lorsque tu as perdu les personnes les plus chères à ton cœur, Vixen ?

La question est posée d’une voix calme et douce.

- Comment t’es-tu sentie lorsque tu as obtenu ta vengeance dans le sang et la mort ?

Là, encore, je ne change ni de ton, ni d’expression.

- Enfin, est-ce véritablement pertinent de reproduire les mêmes méthodes, ces mêmes méthodes qui ont construit une société qui s’est écroulée comme un château de cartes dès notre disparition ?

Là, la colère peut se ressentir.
Ma voix est d’acier. Mon regard est noir. Ma poitrine se gonfle et dégonfle avec difficulté.
Je me contiens.
Difficilement.