La Tête de Démon et moi avons négocié la répartition des villes. Starcity et Metropolis sont sous ma juridiction, Gotham City est sous la sienne. Cependant, le Batman n'a pas totalement disparu et ce reliquat de justicier persiste et se raccroche à des idéaux et scrupules. Je ne dois pas toucher à sa tendre et chère Catwoman, je ne peux pas tuer cet embêtant et agaçant Archer Vert et encore bien des restrictions. Alors, comment puis-je purger une ville dont le super-héros rejette, en bloc, toutes mes méthodes traditionnelles  ? A cette question, je n'ai absolument aucune réponse.

Une terrible idée me traverse l'esprit, une idée que je sais que je vais regretter dès qu'elle sera mise en marche. J'ai à le rencontrer. J'ai à faire face à Oliver Queen, le type que j'ai aimé, qui m'a abandonné et, surtout, qui m'a planté trois flèches et laissé pour morte ! Je me souviens encore de la douleur de ces tiges métalliques qui traversent mon abdomen, des eaux froides et putrides de Lazare, de l'horreur de ma renaissance, de la mort de ma sanité et de ma raison ... Ces bribes d'images ou de sensations fantômes suffisent à monter la moutarde au nez. Je pourrais le tuer, si je le rencontre. Non, pire, j'ai envie de le tuer !

Il me faut plusieurs jours pour que la simple idée d'une rencontre ne déclenche pas de furieuses envies de meurtre. Alors, je saisis l'occasion de cette soirée, celle où je suis d'une humeur étrangement guillerette, voire nostalgique. Dans cet état, il y a une chance, quoiqu'infime, que la situation ne dégénère pas immédiatement en une déclaration de guerre mutuelle entre deux forces - voire deux parties. A-t-il encore ses alliés de jadis, ou est-il désorienté et isolé ? Je le découvrirai bien assez tôt.

Je convoque un assassin.

- Retrouvez l'Archer Vert et transmettez-lui ce message. J'a besoin de le rencontrer.

Là, au clair de lune, j'attends patiemment que cette silhouette familière se présente. Je suis ravie de constater qu'il n'a pas été long à trouver - il semble toujours été aussi actif sur les scènes criminelles - et surtout qu'il a répondu favorablement à l'invitation. Le vrombissement d'une moto s'entend, suivi du timbre de voix fort agaçant de l'ex. Je ne me dévoile pas immédiatement, l'observant calmement de mes ombres. Je suis tentée de l'attaquer, là et maintenant,  et d'essayer de lui trancher la veine jugulaire. Une subite envie me saisit les tripes, aussi dangereuse que folle.

J'y succombe.

Je me saisis de deux shurikens, des étoiles ninja pour être plus précises, et je les lance vers l'homme. Alors, je m'extrais de ma planque et je le nargue d'un sourire narquois.

- Tu as disparu deux ans, l'Archer Vert. Est-ce que tes réflexes sont toujours aussi bons ? Est-ce que ton esprit est toujours aussi brillant ? Que dirais-tu d'un combat amical, pour savoir si nous nous méritons toujours et, plus important, si nous nous valons toujours  ?

Jadis, j'étais le défi ultime de la Ligue, le Saint Graal à défaire afin d'obtenir la grande approbation de la Tête de Démon. Alors, j'ai combattu encore et encore, tantôt amicalement, tantôt à mort. Ils ont été très rares à me surpasser, je dirais même qu'ils peuvent presque se compter sur les doigts d'une main : Oliver Queen et Bruce Wayne. Ils peuvent deviner quand je suis sérieusement une menace ou quand je joue, telle une chatte ennuyée.

- Où étais-tu passés durant deux ans, l'Archer ? Pourquoi es-tu revenu ? Enfin, quel est le goût de l'échec, celui de savoir que tous tes efforts passés ont été vain, qu'il a suffi d'une petite absence pour que tes ennemis prennent tout, absolument tout ?  

Je le provoque volontairement, mais je doute que cela fonctionne. Il a un grand sang froid. Mais, qui sait ! Le multivers l'a peut-être changé.

Codage par Magma.

En dépit de toute ma force et ma volonté, un frisson me parcourt l’échine dès que l’homme pointe sa flèche en ma direction. Fichu arc qui m’a planté de trois flèches, stupide archer qui m’a laissé pour morte, salaud de père qui m’a plongé dans les eaux maudites ! Lazare est là, Lazare se glisse. Il nourrit ma colère de souvenirs aussi doux qu’atroces – Oliver qui m’aime, qui m’abandonne, qui refuse de m’achever. Les flammes embrasent mon âme, consument mon sang froid, enfument ma raison.

- Oh, il vaut mieux être mon ami que mon ennemi, l’Archer. Quant aux personnes, je ne me déplace jamais pour eux.

Je suis une femme de calculs, une femme de pouvoir. Chaque geste, acte ou parole répond à un objectif plus ou moins précis. Du moins, étais-je ainsi, jadis ! Aujourd’hui, les failles sont nombreuses tant dans mon esprit que mon caractère. Il suffit que Lazare fasse des caprices et impose sa volonté propre. Alors, j’oublie toute prudence, j’enterre la raison et j’embrasse pleinement et totalement une folie sans mesure, une démence dangereuse. Est-ce qu’il le sait ?

- La crise du multivers a changé tout le monde. Le Batman est revenu sur la parole donnée. Superman est à peine présent. Wonder Woman doit faire une déclaration publique que la Justice League est là. Quant au Flash, à Aquaman, à Cyborg ou à toi …  

Un petit ricanement s’échappe d’entre mes lèvres. Qu’il fanfaronne, qu’il se cache. Où que la vérité soit, je la trouverais et je l’utiliserais contre lui. Quoi qu’il dise, quoi que je dise, lui et moi ne pourrons jamais être véritablement alliés – j’exclus de facto la notion d’amitié. Notre passif est trop lourd pour que j’envisage le pardon ou une alliance de longue durée, comme avec Bruce. La rancune persistera tant que je ne vois pas l’Archer Vert souffrir le martyr, voire être trainé aux portes de la mort à son tour et en revenir aussi maudit que je le suis – en ayant sacrifié une partie de lui.

- Ta mémoire te joue-t-elle des tours, l’Archer ? La Ligue a toujours répondu aux lois patriarcales. Sous le règne de mon père, il n’a jamais été question que j’hérite. Mais, sous le règne de ton ami, il va y avoir des changements. Il veut des réformes.

Vouloir est une chose, pouvoir est autre. Je ne suis pas stupide et naïve au point de croire que la Ligue survivra, grandira et se renforcera sous le règne de Bruce. Quoi qu’il dise, quoi qu’il promette, je devine qu’il est été question d’en retirer l’essence et, surtout, d’en garder un contrôle propre et insidieux. Jamais, ô grand jamais, il ne laissera une organisation comme la nôtre pérenne et libre. Quelque part, il est un peu un control freak.

Evidemment, je ne dis pas plus sur cet arrangement ou de tous les accords passés avec Bruce, que ce soit face-à-face ou corps-à-corps. L’Archer est assez intelligent pour deviner les failles de mon alliance avec le Chevalier Noir : je ne vais pas lui fournir d’avantage d’éléments et d’arguments.  Tout ce que je peux faire est de montrer un front uni avec la nouvelle Tête de Démon, du moins tant que chacun se cantonne bien aux promesses faites.

- Nous nous gênons mutuellement, à Starcity. Qu’allons-nous faire, hein ? Nous entre-tuer comme la dernière fois ? Cela risque d’être bien difficile, cette fois. Tu n’as plus grands alliés à faire tomber et je n’ai plus de QG à détruire.

Je fais référence aux raisons même de l’escalade de violence entre nos factions. J’ai osé tuer l’un des siens, il a cherché vengeance et réparation au cœur de la Ligue. Or, aujourd’hui, ce cœur est divisé en deux. D’une part, il y a ma sœur qui croit encore à la survie de notre père. D’autre part, il y a Bruce et moi qui avons jugé que vivant ou mort, notre père a perdu son titre et ses pouvoirs selon nos lois ancestrales – lois qu’il a implémentées lui-même.

- A moins que nous nous entendons, sur un compromis, sur une trêve.

Je suis imprévisible, je suis dingue, mais je suis une femme de parole. Que ce soit Bruce ou Oliver, aucun ne peut se plaindre que les ententes passées ont été brisées gratuitement. Oh, la Ligue a profité de leur absence certes ! Mais telle est le principe des trêves. Elle octroie une pause aux deux camps, le temps de rassembler des forces. Ladite trêve prend souvent fin lorsqu’une partie est impatient, qu’un événement exceptionnel arrive ou tout autre élément significatif et particulier. La disparition subite de la Ligue fait partie de cette exception, exception qui rend tout contrat caduque.

Je tente de m’approcher pour l’attaquer au corps à corps.

Codage par Magma.

J'ai toujours détesté ce sourire narquois, que ce soit à l'époque où nous étions des amants qu'à cet instant ci où nous croisons nos armes. Je l'ai toujours perçu comme un défi, ou une forme de moquerie condescendante. Ni l'île où il a fait pénitence de bien de ses fatuités passées, ni la crise du multivers qui l'a privé de son univers chéri durant deux ans, ni les malheurs qui se sont abattus sur son univers n'ont pu venir à bout de ce qu'il est véritablement : un Golden Boy agaçant, un Golden Boy insupportable. Et cette âme insolente se révèle avec cette expression insolente.

- Ce sourire ne te va pas, l'Archer. Comme minimiser ton rôle au sein de ton groupe. Quel manque d'hargne et d'ambitions.

A nouveau, un soupire s'échappe d'entre mes lèvres.

- Si la Tête de Démon ou moi-même venons à disparaitre, oses-tu prétendre que tu ne saisirais pas l'opportunité pour éradiquer entièrement et totalement notre influence sur ta ville, voire la ville de tes très chers collègues ? Oh, très cher assassin, nous ne sommes pas si différents toi et moi.  

Agile et vive, je m'écarte à temps pour me soustraire à son petit piège et m'éviter une immobilisation.

- Ton plan est très simplet, l'Archer. Il n'est pas à la hauteur de ton intellectuel. Et surtout, il sous-estime fortement la puissance de la Ligue et, dorénavant, son imprévisibilité. Jadis, Elle était dirigée par mon père et tu connaissais largement ses forces et ses faiblesses. Aujourd'hui, Elle est la propriété d'un homme qui était ton collègue, un homme dont les agissements étonnent et dérangent. Tout peut aller dans ton sens, comme à contre-sens.

A mon tour, je lui offre un sourire amusé, un sourire victorieux.

- J'ai tous les criminels de ta chère ville à ma botte, l'Archer. Les plus grandes organisations criminelles de la ville m'obéissent ou, à défaut, sont sous mon contrôle sans qu'elles ne le sachent. Elles ne vont plus agir séparément ou en concurrence, comme jadis. Elles vont agir comme une seule et unique entité ... sous mon ordre. Ou celle de ma sœur, Nyssa.

Je m'arrête, le fixant d'un regard aussi sévère que sérieux.

- Tôt ou tard, cette ville va se diviser entre les forces dirigées par Nyssa et celles dirigées par Batman et moi ... si nous n'agissons pas intelligemment. Soutiens-moi dans cette guerre, jusqu'au bout. Durant cette période, je promets que je retire toute influence de la Ligue au sein de ton entreprise et entreprises liées à la tienne et tu promets que tu ne toucheras pas à mes hommes ou du moins ceux que je stipule comme intouchables. A la sortie de la guerre, nous renégocierons nos termes, si nous maintenons le partage de la ville, c'est-à-dire le jour à toi et la nuit à moi. Ou si nous nous lançons dans une dernière croisade, toi et moi. Parce que, contrairement à tes petits camarades boyscout, tu n'es ni plus, ni moins, qu'un assassin. Tu as les mains plein de sangs et un placard qui déborde de squelettes d'innocents comme de coupables.

La première offre est mise sur la table.
Que vas-tu choisir, très cher Oliver ?
Entre Nyssa et moi, laquelle de nous est le moindre mal, laquelle est la choléra et laquelle est la peste ?

Codage par Magma.

Mon regard s’assombrit au fur et à mesure que l’Archer débine ses bêtises et tente de négocier piètrement un accord qui est des plus corrects au vu des circonstances et de nos positions respectives. Je ne l’interromps pas, je ne participe pas à ses moqueries. Je me contente de l’observer longuement, me demandant sincèrement ce que j’ai pu aimer chez lui. Alors, les souvenirs refont surface, me rappellent mes faiblesses et préférences, les échanges sincères et légers mais également ces cuisantes blessures ou encore cette quasi-mort. Si la rupture passée avec Bruce avait été douloureuse, celle avec Oliver a été tout bonnement insupportable : le premier a la décence de respecter nos liens passés, le second a tout effacé au profit d’une blondinette.

- Ne te moque pas de moi, l’Archer. La Ligue des Ombres n’est plus et ne sera plus ce qu’elle a été jadis. Ra’s Al Ghul a déjà proclamé que bien des ennemis de la veille ne le sont plus et ne doivent donc plus être abattu à vue. Tu en fais partie.

La preuve : nous parlons au lieu de nous étriper.

- Quant à la négociation, j’ai davantage à t’offrir que ma sœur, Nyssa. Je suis loyale à Ra’s Al Ghul car j’ai été éduquée et élevée ainsi : tu y trouveras donc ton compte. Nyssa suit les traces de mon père et veut rétablir son ordre : cet ordre que tu as rejeté, renié et combattu pendant des années.

Je suis du miel sauvage : délicieux en apparence, mais toxique en l’état. Certes, j’ai surement quelques projets mais qui n’en a pas ? Quant à toutes mes déclarations, je ne mens pas. Bruce reste un membre de la Justice League, quoi qu’il dise, fasse ou pense. Il se raccroche à des idéaux que je ne saisis pas, que je tente doucement mais surement à tarir et à pervertir.

- Un statut quo entre tes forces et les miennes. Tu ne te mêles pas à tout ce qui touche de près ou de loin aux de la Ligue des Ombres, mais est libre de rétablir ta justice sur tous les autres délits de la ville. Quant à moi, je retire mes influences de ton entreprise, ne l’utilise plus comme couvertures pour quelques opérations et, surtout, inclus tes compagnons dans ledit statut-quo. C’est plus qu’honorable. Et c’est ma dernière offre, nullement négociable.

En somme, la guerre ou la paix.
Cependant, il n’est pas question d’alliance : ne nous leurrons pas la face, c’est impossible.

Codage par Magma.