Comme une myriade d'étoiles [Terminé - Intrigue III]

Comme une myriade d'étoiles

Je bougeai ma mâchoire lentement en faisant la grimace. Le gars avait un bon crochet. Bien fait pour moi, ça m’apprendrait à ne pas être assez rapide. Pour chaque coup qu’il m’avait donné - et j’en avais pris quelques-uns puisque j’y étais allée de face et sans arme - je lui en avais rendu le triple. Le type avait fini par terre à sangloter. Je l’avais démoli, ce sale fils de chien.

J’étais énervé.
C’était ancré au plus profond de moi, les faibles méritaient leur sort. On était tous responsables de ce qui nous arrivait. Si on était pas assez fort, il fallait se bouger les doigts du cul et trouver une solution ou continuer à subir, voilà tout. Je n’aurais jamais dû me mêler de cette histoire, elle aurait du se débrouiller seule. J’avais changé… Les années m’avaient adoucies.

Je soupirai.

Il y avait cette fille à Gotham, que j’aimais bien. Elle vivait dans mon quartier, un coin un peu craignos mais pas trop, comparé à d’autres de la ville. Son gars la tabassait. Ça avait duré un moment, jusqu’à ce qu’elle trouve le courage de le quitter et de porter plainte. Mais le type était revenu, la main courante ne l’avait pas intimidé. La flicaille avait autre chose à foutre que de s’occuper d’une pauvre fille sans avenir alors que la super criminalité pullulait partout… Ils avaient laissé courir.

Une fois.
Deux fois.
Trois fois. L’hospitalisation de trop m’avait faite vrillé.

La rage m’avait pris au ventre. J’avais noté l’adresse de ce connard qui vivait à Métropolis et j’y étais allé pour l’éclater.

Il ne porterait pas plainte. J’en étais certaine, il était allé trop loin dans son harcèlement et sa violence physique, il savait qu’il ressortirait plus perdant que gagnant d’une bataille juridique qui mettrait en avant son histoire. Il savait aussi que j’avais son numéro de téléphone, son portrait et son adresse, et que je reviendrai armée la prochaine fois. Il avait compris le genre de personne que j’étais et jusqu’où je pouvais aller. Jeter un corps dans le fleuve ne m’empêcherait pas de dormir.

Les bleus commençaient à sortir sur le menton et sur la pommette. C’était l’avantage et le souci d’avoir un organisme qui régénérait plus vite, tout apparaissait et disparaissait plus rapidement. Ce qui mettait des jours à guérir chez un autre prenait quelques heures chez moi. Ce soit j’aurais mal, demain matin, je mangerai mes pancakes avec une peau parfaite.

Métropolis.

Cette ville était tellement plus calme que Gotham City, pourtant juste à côté. C’était comme confronter deux univers différents, à quelques pas l’un de l’autre…

Je freinai et m’arrêtai, les yeux rivés sur les clôtures du parc. Je connaissais cet endroit, j’y étais allé une fois… C’était immense, calme, personne pour venir m’emmerder… Parfait pour décompresser et relâcher la tension. Je garais mon véhicule, jetai un coup d’oeil à droite puis à gauche. Pas de caméra, pas de témoin. Il était tard… En deux gestes, j’escaladai la barrière et sautai de l’autre côté.

Je me mis à marcher d’un pas vif pour m’éloigner de la civilisation, me guidant à la lueur de la lune. Au bout de quelques minutes, j’eus l’impression d’être coupée du monde tant les bruits de la ville se faisaient moins nombreux. Je me laissai guider jusqu’à un banc et m’affalai dessus.

-Et ben mon vieux…

La pollution lumineuse était trop présente, je ne voyais pratiquement aucune étoile dans le ciel. Quel massacre ! Et paradoxalement, qu’est-ce que j’aimais vivre en ville ! Me fondre dans la masse, disparaître, évoluer dans un environnement grouillant de vie… Je trompais mon extrême solitude en me berçant dans l’illusion d’être constamment entourée.

Je sortis mon téléphone de ma poche, activait la lumière et extirpai mon carnet de dessin ainsi qu’un crayon, tout en chantonnant “The calling” de The Rigs.

“I see the clouds they're rolling in

They hide the sun but not my sin

The Judas kiss still on my lips

Can't walk away from where I've been

Hear the calling”

J’avais besoin de me détendre et quoi de mieux que le dessin pour ça ? Mon seul et véritable ami, le seul qui me comprenait vraiment… On aurait pu croire que le dessin m’aurait dégouté quand j’avais tourné le dos au Centre, après toutes les expérimentations endurées, tout ce qu’on m’avait forcé à faire avec… Mais non. Le dessin était tout ce que j’avais, tout ce que j’étais. Il m’avait gardé en vie, me divertissait, me tenait compagnie et, me réconfortait me rassurait.

“Walkin' on the water

Darkness under my feet

Gonna make the devil holler

Hallelujah!”

Je tournai les pages en chantonnant à la recherche d’une feuille vierge, en trouvai une, me figeai et revint en arrière sur un vieux dessin. Oh…

Un sourire s’épanouit sur mes lèvres en observant la représentation d’une nuée de lueurs, telle des petites lucioles qui ne manquerait pas d’apporter de la féerie dans mon environnement si sombre…

Je regardai un instant mon dessin pour le graver dans ma mémoire, m’imprégnant de l’essence et des couleurs, avant d’éteindre mon téléphone.. Mon esprit imagina toutes ses lueurs comme si elle m’entouraient réellement… Elles formèrent une esquisse dans la réalité, je pouvais presque les toucher du bout des doigts tant je les devinais dans la pénombre… Il ne manquait qu’à leur donner la dernière impulsion pour les faire basculer.

J’attendis une seconde, ouvrant grand mon cahier pour y concentrer l’essence de mon pouvoir. Oui, la mise en scène serait parfaite, ce serait magnifique à voir. J’aimais les spectacles, et plus encore : j’aimais la beauté.

Les lueurs se formèrent des pages du papier et s’élevèrent autour de moi comme si elles sortaient de mon carnet de croquis pour embraser l’environnement. J’observai la scène avec un sourire ravi, sentant mon pouvoir se répandre. J’étais liée à chacune de ces petites billes de lumière, elles n’existaient qu’à travers moi…

J’avais oublié l’autre abruti et même la douleur des coups que j’avais reçue, mon humeur revenait au beau fixe tout doucement. J’avais eu raison de faire une halte ici pour me détendre. J’allais dessiner, créer, recharger mes batteries, puis je repartirai à Gotham l’esprit serein.

Codage par Libella sur Graphiorum

Plus je fixe cet horizon fourmillant de vie, plus il se confond avec celui que mon alter-ego et moi-même avons condamné. Aussitôt, la mécanique du désespoir s’enclenche. La peur s’éveille et nourrit mille idées noires, le doute prend le pas et rend mes gestes incertains et saccadés et la culpabilité reprend son travail et ronge davantage de terrain sur ma conscience. Les fantômes du passé et les ombres de l’avenir entament une terrible danse aérienne, me faisant miroiter le pire. Les divers scénarios se terminent par une même conclusion. Qu’importe que le clash des titans soit avec un superman tyrannique ou avec le général Zod, tous les deux ont en commun la folie, la génétique kryptonienne et l’expérience. Le fou est le marteau, l’idiot que je suis est l’enclume et la Terre est prise en otage entre nous deux. Elle sera battue au fer rouge …

A l’inverse, Wonder Woman ou Green Arrow sont animés de davantage d’espoir et de combattivité vis-à-vis de l’avenir et la survie de cette humanité. Ils n’ont pas été davantage épargnés que moi, que ce soit par le destin ou par la crise du multivers. Cependant, ils se sont accrochés que plus solidement à leurs idéaux. Ces derniers semblent encore intacts dans le cœur et l’esprit de ces deux compagnons. A moins que tout n’est que façade et qu’à la prochaine bourrasque, les fondements de leur être vont s’effondrer comme un château de cartes …. Je ne sais pas qui a raison, qui a tort. Soit ils ne saisissent pas l’ampleur du désastre à venir, soit je suis devenu timoré et incapable.

Qu’importe.

Les temps ont changé dans ce monde-ci. Nous devons également changer. La dernière moquerie d’Enchantress a été la goutte d’eau en trop, celle qui a fait déborder un vase déjà trop plein. Mais cette récente bravade l’a également trahi. Elle ne s’est pas entourée simplement de mages, sorciers, mais de méta-humains et de criminels humains. Je ne peux pas la battre sur un terrain magique, ou sur celui de la pègre ou criminalité humaine. Par contre, il y a d’autres qui en sont largement capable. Je n’ai pas tardé. J’ai lancé des appels ici et là, prêt à envisager des alliances contre nature.

Jusqu’à avoir mes réponses, je dois patienter.

J’abandonne ce ciel solitaire, m’enfonçant davantage parmi les grattes ciels imposant de Metropolis. J’essaye d’aider à nettoyer les rues de ma ville, mais la tache me semble vain. Que faire des méta-humains capturés ? Est-ce véritablement une bonne idée de les enfermer dans une cellule exiguë ? Est-il envisageable de considérer les gadgets neurologiques de mon alter-égo, pour mieux les intégrer à la société et pour les débarrasser de leur penchant criminel ? Cette simple perspective me donne des frissons. Si je commence à considérer de telle piste … Qu’est-ce que ça veut dire de moi ?

Désespéré, je le suis.

Je vois de petites lumières s’élever subitement, j’entends de la musique et je vois une forme féminine. Je soupire. Encore une méta-humaine. Encore un pouvoir inconnu. A qui ai-je affaire ? Une criminelle qui va commettre, ou qui a commis, son larcin ? Une fanfaronne qui pense que son pouvoir est la solution à tous les problèmes ? Une simple fille, inconsciente du danger, s’amusant à une heure diurne dans un parc ? J’aurais pu passer mon chemin, n’identifiant rien sur elle de dangereux, de précieux ou que sais-je. J’aurais pu, si je ne l’avais pas reconnu. Je crois peu aux coïncidences. La revoir, pour la seconde fois et en si peu de temps, est perturbant.

Toujours en l’air, je l’alpague.

- Comme on se retrouve, jeune fille. Vous avez des talents cachés, apparemment.

Je reste à une bonne distance de ces lumières.

- Qu’est-ce que c’est, exactement ? Comment as-tu fait ?

Je suis curieux, oui.

Que représente le S ?

Comme une myriade d'étoiles

Je n’avais pas le réflexe de surveiller les cieux. J’avais l’habitude des prédateurs terrestres, mes oreilles étaient toujours aux aguets, mes yeux surveillaient constamment… J’étais méfiante même quand j’avais l’air détendue, parée à me défendre à tout instant. Mais le ciel ? Ca c’était nouveau. Les gens ne volaient pas d’habitude, les hélicoptères ou les appareils de propulsion faisaient du bruit. Superman, lui, était terriblement silencieux.

Et, lorsqu’il se présenta à moi sans même toucher le sol, je poussai un cri de surprise, bondis sur mes pieds et me fit en posture de garde défensive par pur réflexe. Mains ouvertes, dressées entre la potentielle menace qui venait de m’alpaguer et moi, corps légèrement tourné pour dissimuler les points vitaux…

Et puis je levai les yeux, avisai la silhouette en cape qui se détachait à travers les rayons de lune et mes lueurs et compris. L’agacement me prit soudain. Ce n’était pas possible d’avoir une poisse pareille ! fallait-il que je dévoile accidentellement mon pouvoir à l’une des entités les plus puissantes de cette planète ! Pas moyen de le tuer, celui-là ! Il allait m’écraser avec son petit doigt… J’étais coincée comme une idiote, prise en flagrant délit.

-Nom d’un chien ! M’exclamai-je en baissant mes bras. Faites comme les gens normaux, faites craquer des feuilles mortes ou jouez du tam-tam pour vous prévenir de votre arrivée !

J’eus une moue boudeuse. Mon carnet de dessin et mes crayons étaient tombés au sol quand je m’étais relevée, les lueurs étaient restées en suspension dans les airs, comme figées dès l’instant où j’avais relâché ma concentration pour cesser de les manipuler. Certaines se trouvaient toujours à hauteur du banc, là où je m’étais tenue un instant plus tôt et continuaient à scintiller.

Bon… On se tutoyait maintenant ? Pourquoi pas, je me foutais royalement des conventions. Elles étaient complètement changeantes d’un pays à l’autre, je ne faisais que m’adapter à elles pour passer inaperçue.

-C’est… juste de la lumière, soufflai-je en glissant une main à travers les lueurs pour lui montrer. Intangible, inoffensive, précisai-je, des fois qu’il s’imagine que je préparais un sale coup… Il n’y avait personne et l’endroit manquait… d’éclairage ?

Putain de merde… Comment j’allais justifier ça maintenant ? De tous les témoins oculaires, il fallait que ce soit lui ! Sachant qu’on s’était déjà rencontré et au vu du sang-froid dont j’avais fait preuve précédemment, quel genre de lien allait-il tirer ?

Je ramassais mon carnet, les crayons que je distinguais dans la semi pénombre, et fourrai le tout à la hâte dans mon sac.

-Nuit agréable pour voler, hein ? lui dis-je en le gratifiant d’un grand sourire innocent, l’air de rien. La lune brille bien fort…

Lalala… chantonnai-je mentalement.

-Température douce, météo agréable… Pas mal pour se promener ou se couper de la ville, un moment. Que puis-je faire pour toi ?

Si je priais assez fort, il n’allait peut-être pas m’interroger davantage en s’imaginant que je préméditais un plan foireux dans sa cité chérie… Il n’allait peut-être pas se demander non plus pourquoi la moitié de ma peau visible était couverte de bleus ou de marques ? A ce propos, était-il nyctalope ? Peut-être que si je restais suffisamment dans l’ombre il ne remarque absolument rien. En voilà une idée ! Je fis un pas ni vu ni connu pour m’éloigner de mes lueurs.

Codage par Libella sur Graphiorum

La posture défensive n’échappe pas à mon attention. Si je suis loin d’être un expert en art martiaux, mes nombreuses confrontations avec mes ennemis ou mes collaborations avec mes alliés m’ont permis de distinguer un expert d’un débutant. Les réflexes rapides de la brunette trahissent clairement ses passions, compétences ou occupations. Qu’importe la raison – ou les raisons –, elle sait se battre et se défendre. Je fais mine de ne pas remarquer, me contentant de lui offrir un sourire chaleureux.

- J’aimerai être comme tout le monde, mais je ne le suis pas malheureusement, répondis-je calmement. Par contre, mon départ fait du bruit.

Si je peux me gérer mon vol – rapidité, silence etc … -, le bond est un élément incontournable. L’intensité sonore est dépendant de mon empressement à me rendre à un lieu. Si j’opte pour la douceur et la paresse, mon départ peut s’apparenter à un subit courant d’air dans un couloir – les cheveux vols, un léger sifflement s’entend. Si je suis pressé et a besoin de puissance, je ne me retiens pas et use de toutes mes forces pour ce saut titanesque – et là, sol fracassé et petite déflagration.

Lorsque la petite demoiselle m’assure qu’elle n’a généré que des boules de lumières, je vérifie ses dires grâce à ma vision. Je dois admettre qu’importe les couches de rayon X que j’use, je ne vois rien d’autre qu’une douce source de chaleurs et de lumières. Je profite des propos incohérents et décalés de l’artiste pour frôler l’une des ses créations. Décidément, il y a bien des talents parmi les méta-humains ! Pourquoi en usent-ils pour commettre des larcins ? Pourquoi ne le mettent-ils pas massivement au service du monde ?

Ils peuvent être tellement plus.

Du coin de l’œil, je remarque ses bleus et ses rougeurs. A nouveau, je prétends ne rien voir. Je ne tourne pas du regard, par couardise ou par lâcheté. Je ne souhaite simplement pas envahir l’espace privé de la demoiselle davantage que je ne l’ai déjà fait. En prime, au vu de ses affinités, je doute sincèrement qu’elle soit une copine ou fiancée battue par un copain ou fiancé.

- En tout temps, en tout lieu, il est agréable de voler.

Depuis mon premier vol, revenir sur la terre ferme est toujours une forme de souffrance. Là-haut, je suis libre et en paix, je n’ai pas à prétendre à être un terrien lambda et j’ai un espace infini pour mon usage quasi exclusif. Pluie, tonnerre, vent … Rien ne m’empêche de percer ces nuages ou encore m’enfoncer au-delà de la couche d’ozone. Ici-bas, les réalités me rattrapent, les faux-semblants s’imposent, les jeux de dupes sont légions et je dois me cloisonner à mille contraintes. Foule, transport …. L’attention doit être constante pour ne pas se griller ou pour ne pas briser un homme en deux suite à une malencontreuse chute.

- Je patrouillais, tout en réfléchissant à comment endiguer la criminalité méta-humain au sein de Metropolis. J’ai vu tes lumières, me demandant si tu es une criminelle ou une inconsciente.

La franchise est de mise.

- C’est naïf de poser la question, surement, mais je le fais malgré tout. Qui es-tu, et qu’es-tu ?

Que représente le S ?

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Il répondit à mon interpellation avec un sourire capable de faire fondre un iceberg et je me retrouvai décontenancé face à une telle réaction. C’était rassurant en un sens, il me donnait l’impression d’être ici en ami plutôt qu’en figure de force.

“Un peu comme un aigle qui se fait passer pour un agneau avant de t’agripper dans ses serres”, songeai-je.

Ce n’était pas parce qu’il avait une bouille d’ange et qu’il était sexy comme un diable que je devais perdre de vue le super-prédateur qu’il incarnait réellement. Je n’avais aucun moyen de me protéger de lui s’il se retournait contre moi, il était tout puissant.

-L’onde de choc ? l’interrogeai-je avec curiosité, mon esprit scientifique prenant le dessus pour interpréter ses mots, l'espace d’un instant, calculant ce qui pouvait générer le fameux bruit avec les éléments dont je disposais.

Il répondait si sérieusement alors que je lui avais lancé une pique absurde ! Il avait un côté amusant à tout prendre au pied de la lettre sans saisir l’ironie.

Je levai brièvement les yeux au ciel.

-J’imagine oui… On doit se sentir libre quand on est là-haut.

J’aimais cette sensation d’être loin de la terre. J’en avais fait, des sauts en parachute ou des tours en planeur… C’était grisant. Je me sentais plus en sécurité quand je me trouvais en hauteur, j’aimais traîner sur les toits ou me percher dans les arbres.

-Une inconsciente ?

Je fis la moue.

-Oui, j’ai manqué de discrétion. J’avais oublié qu’une super sentinelle silencieuse avec des yeux derrière la tête rôdait dans cette ville, conclut je en lui adressant un sourire en coin, taquin.

Chassez le naturel… La phase de surprise étant passée, je reprenais doucement contenance… Encore que ses questions indiscrètes me mettaient sérieusement mal à l’aise. Comment allais-je réussir à le baratiner ? Pouvait-il entendre mes battements de coeur ? Je devais garder le contrôle de mon rythme cardiaque si je voulais éviter de passer au détecteur de mensonge sensoriel… Nom d’un chien ! Je m’étais foutue dans un sacré pétrin !

-”L’appel de Superman” a été largement relayé dans les médias. Des types se battent pour attirer ton attention. Est-ce que se sont des criminels… ou des inconscients ? Le charriai-je en reprenant son vocabulaire.

N'était-ce pas un peu facile de s’interroger sur comment ramener les choses au calme quand on avait soi-même mis le feu aux poudres ? Enfin… Non pas que Métropolis eut été un paradis de paix avant le retour de Superman dans cet univers… C’était le merdier ici aussi. Ça l'était encore plus depuis peu. Ça ne me dérangeait pas, personnellement. J’étais un caméléon, je savais m’adapter et survivre en milieu hostile, ce dont était incapable une grande partie de la population. Je devais peut-être au moins remercier le Centre pour m’avoir enseigné ça.

-Je pense que la criminalité est un symptôme, pas une cause. Il faut s’interroger sur ce qui provoque la maladie pour arrêter l’infection, répondis je pensive.

Enfin, je n’avais pas l'orgueil pour prétendre saisir ce vaste problème. J’avais lu un peu tout ce qui me tombait sous la main, fut un temps, pour essayer de comprendre ce nouveau monde dans lequel je venais de mettre les pieds en fuyant le Centre. De là, j’avais tiré mes conclusions, avec ma vision décalée des choses. J’avais conscience que je ne raisonnais pas vraiment comme les autres.

-Je…

Et voilà mon rythme cardiaque qui s’emballait à nouveau. Je m’intimai le calme, agacée par mon propre corps qui me trahissait.

“Paix XXVI”. Tu n’as rien fait de contraire à la loi, il ne peut pas te faire de mal. Ce ne serait pas cohérent avec le Superman que je connais”.

Je soupirai, levant la main pour jouer distraitement avec mes lueurs qui s’animèrent à mon contact, se déplaçant légèrement dans les airs au gré de mes mouvements.

-Je ne suis qu’une simple fille qui a des capacités et qui fait de son mieux pour s’en sortir dans ce monde de dingues, sans faire de vagues. Je me suis posée dans le parc pour échapper un moment à la ville et me détendre un peu.

je levai un bref instant les yeux vers les rares étoiles que je parvenais à distinguer à travers la pollution lumineuse de la lune et de la ville.

-Je ne suis que de passage à Métropolis, je repars cette nuit.

C’était mon manque de prudence qui m’avait conduite à cette conversation. Je notai dans un coin de mon cerveau de ne plus faire apparaître de lucioles à Métropolis, même dans les trous paumés supposément sans témoins. Ce type avait des yeux partout, visiblement.

Ça allait lui suffire ? Ce n’était pas un crime d’être un mutant et il avait probablement autre chose à foutre que d’enquêter sur moi… Pourvu que j’arrive à le rassurer. Sauf que j’avais conscience que mon attitude avait été plus que suspecte, et que mon état global devait le pousser à s’interroger d’autant plus.

-Bon d’accord, je confesse.

Je levai la main en mimant le signe de salut des vulcains et regardai Superman sans me démonter.

-Pardonnez mon père, car j’ai pêché. Je suis venue à Métropolis pour démolir un type.

Un peu de vérité pour noyer le poisson…

-Tu vois ce genre de fille faiblarde, trop gentille, un peu paumée, qui attirent les salopards comme le sucre attire les fourmis ? Il y en a une à Gotham, elle a laissé entrer un homme dans sa vie et ça lui a coûté pas mal de bleus. Elle a finalement trouvé le courage de le quitter, mais la main courante n’a pas fait peur à son ex qui a continué à la harceler et à venir… Et il a fini par la renvoyer à l'hôpital. La police n’a absolument rien fait pour la protéger. Les autorités ont mieux à faire à Gotham, elles ne se déplacent pas pour si peu. Pas pour des gens des quartiers en tout cas.

Je haussai les épaules. Je ne ressentais pas de gêne pour ce que j’avais fait, j’assumais complètement mon geste. Je ne serai pas intervenu pour n’importe qui, je n’étais pas du genre à faire des kilomètres pour régler les soucis des autres. Mais je m’étais prise de sympathie pour la demoiselle, ce qui se révélait regrettable pour le chien qui l’avait frappé car j’étais nettement plus dangereuse que lui.
Je misais sur le fait qu’un justicier qui combattait l’injustice comprenne, le cas échéant j’aurais tout gagné. Dans le cas inverse je risquais de me retrouver au commissariat, ce qui serait probablement dramatique en sachant que je devais ma vie à ma capacité de discrétion. J’aviserai en temps venu.

-Donc j’ai fais le job de la police. Je suis allée trouver l’ex de mon amie et je l’ai un peu secoué pour qu’il prenne peur et qu’il ne revienne plus. Il s’en remettra, me justifiai-je en anticipant d’éventuelles protestations de mon voisin. Ces types là c’est comme la moisissure, ça repousse et ça finit par récidiver avec quelqu’un d’autre… maugréai-je.

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Elle ne manque pas de matières grises. Son ton, ses paroles, son regard, ses réactions ne sont pas communes. Pourtant, qu’importe à quel point la demoiselle peut être méfiante ou brillante, elle est bien naïve. La criminalité n’est pas un symptôme ou une cause : elle est propre à l’Homme – et à tout vivant. Jadis, j’ai nourri ce rêve incessant que je saurais apporter une alternative à cette terre. Le multivers m’a prouvé tout le contraire. Il existera toujours des hommes, des femmes et d’autres créatures dangereuses, à raison ou à tort. C’est gravé dans l’ADN de chacun.

Qu’en est-il des Kryptoniens ? L’affaire est autre. Mon peuple natal a vite compris qu’il est au sommet de multiples chaines alimentaires imaginaires ou réelles. D’un poing, une zone peut être décimée. D’un combat, un univers entier peut disparaitre. Là où les Terriens ont eu à conquérir, à lutter et à écraser le danger pour se construire un environnement sain et viable, les Kryptoniens ont dû se maitriser et préserver au mieux l’équilibre dudit environnement. Les philosophies diffèrent donc considérablement : une preuve supplémentaire que je suis un grain dans ce rouage.

Evidemment, je ne dis rien. Je dois maintenir, aussi longtemps possible, d’un Superman pétrit d’espoir. C’est nécessaire pour ceux qui ont besoin de moi, pour les collègues de la Justice League et pour moi-même.

- Je suis Superman. Mes talents me permettent d’endiguer la criminalité, et non la prévenir malheureusement. Ce rôle-ci est dévolu à bien d’autres personnes. Un parent. Un professeur. Un ami.

Elle contrattaque, me rappelant la bêtise de l’appel et des fâcheuses conséquences.

- J’ai manqué de discernement avec un tel appel. Je maintiens ma position, mais j’aurais dû faire différemment.

Malheureusement, nous ne pouvons pas revenir en arrière, sauf si nous nous appelons Flash. Malgré son pouvoir, ce dernier évite scrupuleusement de jouer avec la courbe du temps. Chaque micro-changement peut entrainer une conséquence conséquente. Toutes nos existences sont menacées. Nous pouvons exister comme ne jamais exister, être exactement les mêmes ou carrément une nouvelle version … Si je connaissais déjà toutes les théories prouvées ou non sur les dangers de tels voyages, Barry l’a tout bonnement prouvé. Le multivers a apporté le clou final, illustrant horriblement ou splendidement toutes ces alternatives et possibilités.

J’arque les sourcils lorsqu’elle feint d’être une croyante se confessant à un homme de foi. Je la laisse me raconter ses péripéties, ne l’interrompant pas tout au long. Lorsqu’elle termine, je maintiens mon silence.

- Tu es la seconde personne à me peindre un tableau bien noir et dévalorisant de la police. Pourtant, c’est un tort de généraliser. Il doit y avoir encore espoir.

Les flics non corrompus ne sont ni invincibles, ni hyper fort, et pourtant ils vont sur le terrain ou sur les scènes de crime constamment. Tous les jours, malgré qu’ils soient surchargés, ils continuent encore et encore et résistent au mieux à cette vague de corruption. Cependant, au lieu de leur tendre la main, on les critique. C’est incompréhensible, à nouveau. Il semble que c’est à mon tour d’être naïf.

- Je n’ai jamais aimé la violence. Mais elle est nécessaire lorsque la contrepartie est sourde aux arguments, aveugle à la main tendue et sans une conscience.

Gotham a toujours été un monde violent. Son protecteur est à son image même, marquant ceux qu’il juge. Le retour de Bruce surprend considérablement, semant un grand vent de confusion dans les cœurs et les têtes de chacun.

- Je suis un peu jaloux, quelque part. J'aimerais pouvoir me lacher, avec mes poings et mes pieds, contre ces criminels aussi.

Sauf que je ne peux pas.

- Et maintenant, que comptes-tu faire ?

Il est fou de croire qu’on ne défend la veuve et l’orpheline qu’à quelques rares reprises. Une telle action nécessite un grand courage, d’une part, et sème et nourrit les premières graines d’un sens profond de la justice, d’autre part. Il est inconcevable qu’elle s’arrête là et continue son existence d’artiste en ignorant royalement et totalement la souffrance d’autrui.

Que représente le S ?

Comme une myriade d'étoiles

-Pourquoi ? Tu as lancé ta pierre et levé le gibier, tu n’as plus qu’à tendre la main pour attraper tes proies. Ce n’est pas ce que tu voulais ?

L’Appel de Superman avait retentit et un peu partout des gens se manifestaient pour attirer son attention, en bien ou en mal. Ils étaient là, en tout cas… Et cet homme, doté d’une ouïe hors du commun, devait percevoir leur présence à des dizaines de kilomètres.

-C’est quoi la suite ? Tu leur demandes un CV pour connaître leur passif super-héroïque et tu leur fais passer un entretien ?

J’étais curieuse de connaître les critères de recrutement d’une entité toute puissante comme Superman. Des individus du niveau de ceux de la Ligue des Justiciers, probablement. A quoi bon s’encombrer de plus faible ?

Je haussai les épaules, n’ayant aucune envie de débattre avec le tout puissant kryptonien en lui expliquant ce que je pensais de ladite police. Je pensais peu de bien de cette dernière, ce qui réglait passablement le problème. Elle me mettait des batons dans les roues pour évoluer librement sur cette planète sans contrainte, tout en étant parfaitement incapable de résoudre le problème de ceux qui me talonaient de près. Je n’avais confiance en aucun système judiciaire, persuadée que le Centre n’aurait jamais pu exister si des puissants n’avaient pas accepté des pots de vin… Ce qui, par logique, me poussait à suspecter chaque personne portant l’insigne de complicité avec mes tortionnaires.

Je levai des yeux vers surpris vers l’homme à la cape flamboyante. Je l’aurai imaginé en pacifiste chevronné, le genre à déclamer des vers sur les bienfaits de la fraternité… Pas vraiment à encourager la baston ni à exprimer son envie de fracasser des gueules. J’avais misé sur le fait que mon histoire l’aurait touchée, non pas au travers de ma violence mais parce que j’avais protégé une victime. J’avais visiblement eu raison sur ce point, il ne semblait pas décidé à me traîner auprès des autorités pour avoir tabassé un homme…

Bien. J’avais adopté la bonne démarche alors, il allait arrêter de se méfier de moi maintenant qu’il savait où j’avais passé la soirée.

-C’est le problème quand on possède la force d’un titan… On est toujours dans la retenue, hein ?

Supposition. Cela dit, je savais ce que c’était de se cacher. Je pouvais réaliser des miracles et j’avais les compétences de combat pour faire plier un paquet de monde… Mais je me dissimulais en permanence de peur d’attirer à moi ceux que je voulais absolument éviter. Cruel paradoxe de détenir un immense pouvoir et de ne pouvoir réellement s’en servir.

-Dans la vie intime aussi, ça doit être handicapant… songeai-je à voix haute avec une petite moue.

Etais-je en train d’évoquer la sexualité de Superman ? Peut-être oui, j’étais relativement sans tabou de ce côté-ci. Je ne comprenais pas vraiment les gens qui faisaient de ce sujet quelque chose de malaisant. J’avais une vision plus pragmatique du sexe.

-Mais bref, oui. Je reconnais que ça fait du bien de mettre son poing dans la figure de certains, de temps en temps. Ça défoule.

Personnellement, il y avait plutôt du sang et des larmes, quand je me lachais. Et des cadavres. Mais j’allais éviter de dire à Superman que j’étais capable d’exploser le crâne d’un type avec une balle ou à coup de batte de baseball sans ressentir de remords, ça ferait mauvais genre.

Je me laissai tomber sur le banc avec une discrète grimace de douleur. J’ouvris la main pour matérialiser une nouvelle lueur un peu plus grosse que les autres pour jouer avec, la faisant machinalement sauter d’une main à l’autre à la manière d’une balle.

-Maintenant ?

J’esquissai un sourire en coin, feignant de ne pas vraiment comprendre le véritable sens de sa question.

-Maintenant je vais aller me trouver quelque chose à manger quelque part, rouler jusqu’à Gotham et m’offrir une bonne nuit de sommeil.

Dans ma main, la lueur se dédoubla tandis que je continuais à jouer avec entre mes doigts.

-Tu as mangé ?

J’étais en train d’inviter Superman à manger ?
Sérieusement ?
Il fallait vraiment que je perde cette manie de jouer avec le feu. J’étais accro à l’adrénaline, mais de là à faire ami ami avec le justicier le plus dangereux de cette planète…

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Comme une myriade d'étoiles

Clark Kent & Sia Anderson « UN PARC, DE NUIT, A METROPOLIS, 04 OCTOBRE 2022»

- Je désire un monde apte à se défendre avec ou sans moi. Je souhaite une Justice League composée d’hommes et de femmes avec divers talents, humains comme méta-humains, animés d’un même besoin : protéger les plus faibles, faire face aux menaces. Certains inspireront de nobles idéaux, d’autres useront de la peur. Il n’est pas question, uniquement, des pouvoirs, de la force ou de l’expérience, mais également de la volonté. Tous les membres de la Justice League ne sont pas nés avec des pouvoirs ou, s’ils sont nés, ne les ont pas maitrisés dès le premier jour. Il a fallu un long travail. Et surtout, beaucoup de détermination. Tu dois le deviner. Je le sens. Je le vois à ta posture, à tes compétences, à ton regard.

Je me tais et je l’observe longuement.

- Mais tu soulèves un bon point. Suite à une telle démonstration, j’ai laissé un trop gros flou sur mes critères, sur mes objectifs, sur mes attentes et, surtout, sur le recrutement.

Elle ne sait pas, comme d’autres. Ces inconscients essaient donc d’attirer mon attention de divers moyens : les combats clandestins, les appels répétés « Superman », des actes héroïques réussis ou non réussis et bien d’autres subterfuges …. Il peut être intéressant que j’en parle avec Diana et que nous décidons d’une ligne de conduite.

- Gamin, j’étais obligé de laisser les petites frappes me tabasser. Je n’avais pas la maîtrise que j’avais aujourd’hui. Je risquais de leur briser les os à vie, voire pire. Pourtant, même sans répliquer, ils s’en sortaient avec de sacrés bleus et une sacrée peur et confusion. Un jour, l’un s’est même brisé deux doigts à cause d’un poing mal fermé.

Je ne peux pas m’empêcher de sourire à ce souvenir-ci. Les parents sont venus jusqu’à la ferme et se sont plein à mes propres parents. La soirée a été tendue avec mon père. Lui, qui est divisé entre l’envie de foutre son propre poing dans la gueule du petit bourreau et celui de protéger mon secret – et donc me cacher aux yeux du gouvernement. Moi, qui est frustré d’avoir à paraître si faible, alors que je suis si fort.

Un nouveau rire, plus gêné, s’échappe lorsque ma vie intime est soulevée. Je ne réponds pas, tant par respect pour Loïs, que par pudeur et par gêne. Là, encore, j’ai un vif souvenir avec mon père et ma mère. A nouveau, mes parents ont eu droit à une tâche assez exclusive et unique avec moi vis-à-vis de la question de la sexualité. S’ils étaient épargnés de m’expliquer la mécanique, ils avaient à aborder la question de la délicatesse d’un corps humain. Jonathan Kent aimait parler de femme de papier, tentant de m’expliquer que le moindre dérapage de ma part pourrait tout bonnement détruire une femme sur beaucoup, beaucoup, beaucoup d’aspects. Tout ce que je peux dire est que j’ai perdu mon pucelage assez tardivement, en comparaison des autres garçons du Kansas. Et, franchement, je n’en garde pas non plus un super souvenir. Beaucoup de retenu, de galère, d’inquiétude et littéralement peu de plaisirs.

- Oui, j’ai déjà mangé.

Je mens, évidemment. Ma faim ou mon sommeil sont assez dérisoires en comparaison des besoins d’un être humain. Ils se nourrissent d’aliments ; alors qu’il me suffit de quelques rayons UVs. Evidemment, je ne le dis pas à haute voix. Il est déjà bizarre que je sois très fort, que je vole et que je balance des rayons lasers. Si je rajoute que mon organisme peut se contenter de rayon UVs et se passer de pain et d’eau et de sommeil durant de longues semaines, voire mois, j’effraierai plus que j’impressionne.

- Tu ne peux pas extraire un banquet, avec tes pouvoirs ? Si non, c’est bien dommage.

Je lui pose la question, le ton guilleret, quoique sincèrement curieux. Elle n’est pas non plus si innocente. Je glisse un regard discret dans son carnet de croquis, profitant de mes pouvoirs pour en éplucher chaque page tranquillement. Il y a de tout. Par contre, mon regard glisse sur le renforcement dans les poches. J'étudie le contenu avec attention et m'étonne du contenu : arme, véhicule, faux papier et vêtements costauds ... Est-ce que cela veut dire qu’elle ne peut pas donner vie à des organismes vivants et complexes ? Enfin, et surtout, que fait-elle de sa vie ?

- As-tu eu ce pouvoir dès la naissance ?

Je pense que c’est ma toute première question indiscrète. Voyons voir si elle réagit bien ou mal.

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-Tu veux monter une armée indépendante ? demandai-je avec curiosité. Les “casques bleus” nord-américains ?

Chouette… Je ne savais pas si je devais me réjouir ou pleurer de la vision de Superman. Batman s’était salement radicalisé, s’ils étaient plusieurs à être dans cette dynamique, tous ceux qui opéraient en souterrain comme moi allaient avoir de sérieux problèmes. Cela dit… A trop provoquer et remuer la merde, ils risquaient de se retrouver face à des oppositions de plus en plus virulentes. Les grands criminels et méta-humains aussi savaient mettre leur rivalité de côté, s’organiser et se réunir quand ils se sentaient en danger. Un tel avenir ne me réjouissait guère… Je me savais capable de m’en sortir et de m’adapter bien mieux que la plupart des gens, j’avais été formée pour ça, mais je n’avais pas envie de finir en dommage collatéral dans un attentat ou un combat entre deux métas-humains aux pouvoirs dévastateurs.

-Susciter la peur, comme Batman ? lui demandai-je. Débarquer en force et marquer les déviants au fer rouge ?

Question sérieuse. Si tous les membres de la Justice League se radicalisaient ainsi j’allais sérieusement devoir reconsidérer mes plans d’avenir. Jouer en solo ne serait peut-être plus une option viable.

Ma posture, mes compétences, mon regard ?

J’ouvris la bouche pour nier en bloc et me figeai dans un soupir. A quoi bon ? Il avait dû rencontrer des tas de militaires, peut-être collaborer avec eux. J’avais beau adopter une attitude nonchalente en public et me cacher sous un masque de jeune femme mignonne et innocente, des yeux habitués pouvaient remarquer les détails. J’étais aux aguets, j’observai et je me positionnai toujours pour avoir le champ de vision le plus large comme si je risquais ma vie à chaque instant… Il avait été témoin de mon sang-froid, et j’avais des réflexes, comme il venait de le voir en me surprenant.

Je l’avais cherché, d’une certaine manière. Je n’avais jamais joué la comédie devant cet homme. Pas vraiment. J’étais détendue lors de notre première rencontre parce que les petites frappes avec leur mitraillette ne m’avaient pas inquiété le moins du monde… Je crois même que j’avais ri de bon cœur sur ce pont sans penser un seul instant que quelqu’un comme l’extraterrestre écoutait. La situation m’avait amusé. Il m’avait peut-être vu pousser cet homme dans le fossé pour le protéger, aussi. Une réactivité et des réflexes que les gens normaux n'avaient généralement pas.

Et maintenant ? Je lui confessai sciemment que j’avais quitté Gotham pour tabasser un malfrat et je lui faisais une démonstration accidentelle de mes pouvoirs.

Je ne répondis pas. Je ne voulais pas me justifier, je devinais qu’il avait déjà assimilé bien trop d'informations à mon propos. Ce n’était pas de la détermination, dans mon cas, c’était de la contrainte. On m’avait tordue, broyée, et rassemblée, physiquement et mentalement. J’avais plus souvent connu le bâton que la carotte, la terreur que l’espoir. Ceux qui n’étaient pas assez bons finissaient par disparaître, alors j’avais dû être la meilleure. J’avais vu trop de mes frères et soeurs dégénérer et “partir”, j’avais deviné ce qui leur était arrivé. J’avais travaillé d’arrache pied pour répondre aux attentes du Centre, ce n’était jamais assez. Enfant, j’avais fais tout ce que je pouvais pour mériter l'attention de Père et de ses scientifiques (ce que j'assimilais à de l'amour, jadis), pour obtenir un semblant de reconnaissance... Mais j’avais fini par comprendre, que je n’étais pas humaine. Pas pour eux. J’avais une valeur monétaire, un objet précieux sur lequel on avait investi. Nous étions des sous-hommes, destinés à servir. Les objets se réparaient, ils pouvaient être brisés.
Et puis ils avaient tenté de nous séparer, avec XIII. Pour moi, il avait renoncé à tout, renié sa loyauté et ses valeurs, tenté de me protéger et de fuir… Et il était mort.

Superman n’avait pas répondu à ma question, pas vraiment.

-Donc tu acceptes aussi les débutants motivés, supposai-je.

Ma foi. Ce n’étaient pas comme ça que démarraient certains livres de jeunesse ? “L'académie des créatures, ou des super-héros”. J’imaginai une bande de mioches en mini cape rouge courir autour de l'alien et l’image me fit sourire. Pas étonnant que les badauds se pressent au portillon, n’importe qui se sentirait pousser des ailes en s’imaginant soudain devenir un super-héros aux côtés de Superman, à commencer par tous les adolescents et jeunes adultes en recherche d’identité.

J’hochai la tête en me retenant de rire. C’était drôle de voir un type comme Superman qu’on imaginait infaillible et tout puissant s’interroger sur sa technique de recrutement. Comme quoi, on ne s’improvisait pas RH.

-Tu devrais faire une nouvelle allocution en disant que tu recruteras ceux qui se promènent en ville avec des costumes de poulet. Ça ne servira à rien, mais Métropolis deviendra beaucoup plus amusante, pouffai-je.

J’écoutai l’homme me raconter un peu de son enfance, surprise qu’il se livre ainsi. Nous nous connaissions pratiquement pas, mais le dialogue était facile avec lui… Qui l’aurait cru ? Le monstre et l’extraterrestre, une association plus qu’improbable… Et pourtant nous étions là à discuter tranquillement. La situation ne manquait pas d’ironie.

Je souris avec lui à la mention du gosse aux doigts brisés. C’était assez dingue d’imaginer qu’un extraterrestre ait pu grandir ici sans que personne n’en sache rien… Quel âge avait-il ? Il ne semblait pas beaucoup plus vieux que moi en apparence, je lui donnais trente-cinq, quarante ans peut-être ? Guère plus. Mais il ne vieillissait peut-être pas à la même vitesse que nous. Imaginer Superman victime de harcèlement c’était… vraiment étrange.

-Bien fait pour lui ! Tu avais une sacré retenue, pour un gamin… Ça devait te démanger de riposter. Moi on m’encourageait à cogner plus fort pour dissuader l’autre de revenir… répondis-je songeuse. Mais j’étais petite et chétive, je me faisais souvent déboiter, avouai-je.

Deux fois. Par mes frères et soeurs, et par mes éducateurs, si je ne faisais pas l’effort de me relever pour retourner au combat.

-J’ai appris à encaisser.

A oublier la souffrance, à me relever et continuer encore et encore, jusqu’à tomber KO. Un conditionnement utile qui m’avait sauvé à de nombreuses reprises depuis mon évasion.

Je lui lançai un regard perplexe. Un banquet ?

-Non…

Pas sans déclencher une énorme indigestion. Oui, j’avais bien entendu essayé. Je pouvais imiter la matière organique, voir même solliciter les sens comme l’odorat avec beaucoup de travail, mais ce ne serait jamais que de la matière inerte impossible à assimiler pour le corps.

Ce ne me plaisait pas beaucoup que Superman ait fait le lien entre le carnet de dessin et l’apparition des lumières. Je ne l’avais pas dissimulé assez vite, visiblement… Je me demandais combien de temps il m’avait observé avant de manifester sa présence et quelles conclusions il avait tiré de ses observations. L’anonymat était ma sécurité. Je ne parlais jamais de mes pouvoirs parce que je savais qu’ils pouvaient mener droit à moi ceux que je fuyaient depuis toutes ces années. Sans compter qu'il était bien plus facile de neutraliser un adversaire quand on connaissait ses atouts et ses faiblesses.

Et bien sûr, il était curieux.
Sous ses airs sympathiques, je me demandai s’il était en train d’évaluer mon niveau de dangerosité.

-De faire ça ? lui demandai-je en lançant ma petite boule de lumière dans les airs

Elle se suspendit dans les airs et continua à scintiller comme les autres.

-Ca a toujours été là du plus loin que je me souvienne.

Ce n’était pas un mensonge en soi. De fait, je n’avais guère ou peu de souvenirs de ma petite enfance… Essentiellement des impressions, des émotions profondément malaisantes voire terrifiantes quand je me concentrais pour y penser. Des gens en blouse, des chambres blanches aseptisées, de la souffrance et de l'incompréhension... Et aujourd'hui, je ne pouvais plus regarder une seringue sans paniquer, tout environnement médicalisé me donnait des sueurs froides...

Un petit changement de sujet s’imposait.

-Et toi, tu voles depuis toujours ? Ça devait être quelque chose pour changer les couches, plaisantai-je.

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- Nous avons une définition propre de la justice et de son accomplissement. Je n’approuve pas ses méthodes, mais je peux les comprendre. A ton avis, pourquoi agit-il ainsi ? Par exemple, s’il avait marqué l’homme que tu as tabassé, qu’en aurais-tu pensé ?

Je le connais suffisamment pour savoir qu’il n’a pas vrillé. Il trame quelque chose, mais je ne saurais pas dire quoi. Je pourrais y mettre mon nez, le confronter à mes risques et périls et essayer de le forcer à avouer son plan secret. Je m’y abstiens. Bruce a besoin de déployer son énergie contre les criminels et les fauteurs de trouble, et non contre des amis ou des collègues trop curieux. Pour autant, je ne lui laisse pas carte blanche totale. Je surveille, de loin, prêt à intervenir si je le juge nécessaire.

- Je pensais que porter un slip par-dessus le pantalon est déjà le comble du ridicule.

La mode kryptonienne n’est pas au goût de tous, incluant moi-même. Cependant, cette matière est définitivement la seule à s’adapter à ma physionomie et à mes besoins. Elle ne se désagrège pas à haute vitesse, ou lorsque je fais des va et vient à la couche d’ozone. La fibre est aussi solide que ma propre peau, ne cédant que sous une arme divine ou face à des créatures de nature divine. En somme, si les couleurs ou le style sont particuliers, je n’ai tout bonnement aucune solution. La sécurité et l’utilitaire priment sur la mode et la vanité.

- A nouveau, tu peux te permettre de frapper toujours plus fort. Si j’avais été un humain, comme toi, j’aurais peut-être été poussé à me défendre.

Aussi agaçant soit certains hommes ou femmes, aussi criminels soient-ils, ils ne méritent pas instantanément mon poing mortel dans leur figure. Par contre, je comprends la surprise de la demoiselle vis-à-vis de mon contrôle. J’ai toujours assumé que mon attitude est rationnelle et normale. Le général Dru-Zod ou mon alter-ego m’ont prouvé le contraire. Des êtres comme moi peuvent se lâcher impunément et commettre les pires désastres …

Par contre, est-ce que Jonathan Kent m’aurait poussé à me défendre, voire à attaquer mes bourreaux du lycée. Malgré qu’il ait été un grand footballeur du lycée puis un paysan bourru, j’ai un grand mal à l’imaginer dans ce rôle-ci. Dès lors, comment aurait-il pu réagir ? Une ombre passe. Il me manque tant. Les années ont seulement atténué la douleur de son absence. La tristesse, la mélancolie, une forme de solitude … ces sentiments persistent et restent.

- Je ne peux pas t’en dire davantage à mon sujet. Il se peut même que j’en ai trop dit. Je risque de te mettre en danger.

Tout le monde veut connaître l’identité publique de Superman. Et tout le monde va être déçu de découvrir que celle-ci est morte il y a deux ans. Certes, ma mère, Loïs et certains proches persistent à m’appeler ainsi, et j’envisage potentiellement de revenir au Daily Planet mais j’ai un grand mal à l’accepter. J’ai la terrible sensation d’avoir trahi tous les préceptes et les nobles idées des Kent, que je n’ai plus le droit de porter le nom ou de le perpétuer d’une façon ou d’une autre.

- Tu sais te battre. Tu as des pouvoirs exceptionnels. Et pourtant, tu te caches. Pourquoi ?

Elle ne peut pas avoir peur de sa propre nature : elle est humaine. Elle ne peut pas craindre que son pouvoir parte en vrille également : il est plutôt sous contrôle. Au contraire, elle peut vite se retrouver sans la capacité de l’utiliser. Est-ce qu’elle veut une vie simple ? C’est difficile à déterminer. Elle s’est dévouée à frapper un homme, malgré tous les risques qu’une telle confrontation peut lui causer. Dès lors, pourquoi est-ce qu’elle se dissimule ?

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-Qu’il aurait mieux fait de le tuer si son but était de l’empêcher de recommencer, répondis-je. Ou de l’enfermer quelque part.

La marque pouvait prévenir les autres que le Batman était intervenu contre cette personne, peut-être les rendre plus méfiantes vis-à-vis d’elle… Cela empêcherait-il la personne de récidiver pour autant ? Le marqué au fer rouge passerait le reste de sa vie à contempler sa cicatrice et à ruminer sa haine et sa vengeance. Moi c’est ce que je ferai en tout cas… Mais j’étais terriblement rancunière.

-Mais je ne me serais pas interposée pour l’empêcher de défigurer ce type.

Je ne l’aurai pas fait non plus s’il avait voulu balancer son corps dans un fleuve. J’en aurais été capable, moi.
J’avais mon propre sens de la justice, moi aussi. La loi du plus fort : “si tu es capable de faire quelque chose sans en subir les conséquences alors fais le. Si tu essuies le contrecoup c’est que tu n’étais pas assez bon, bien fait pour toi”.

J’étais surprise en tout cas. J’avais imaginé le Superman comme un modèle de vertu, la personnification de la moralité juste et du respect des lois. Je m’étais fait une fausse idée du personnage, apparemment. Cette version me plaisait mieux, je crois. Il paraissait… Plus accessible que son image publique.

J’éclatai de rire. Franc, spontané.

Il cachait bien son humour celui-là !

-Tu parles de tes habits ? Pourquoi tu n’en changes pas s’ils ne te plaisent pas ?

Je me retins de justesse de lui proposer de lui concevoir quelque chose de plus à son goût puisqu’il semblait avoir compris la source de mon pouvoir… Ce serait peut-être prétentieux de ma part de penser pouvoir créer quelque chose d’aussi solide qu’une armure de cette finesse capable de résister aux combats de titan auxquels il participait régulièrement… Il me faudrait longuement étudier la matière de sa tenue, travailler, travailler, et encore travailler jusqu’à obtenir un dessin parfait… Je n’en serai peut-être jamais capable. Ou peut-être que si. C’était un défi étonnamment stimulant…

Ça n'arriverait pas.

Je n’avais pas de raison de revoir cet homme, nous allions nous quitter et chacun reprendrait le cours normal de sa vie.

Frapper toujours plus fort ? Oui certe. Je n’allais peut-être pas lui révéler qu’on m’avait appris à cogner efficacement plutôt que fort, à cibler les points vitaux rapidement pour économiser mes mouvements et mettre à terre l’adversaire avec un minimum d’efforts.

-Oui, le FBI, la NSA et les pires criminels de Metropolis sont en train de nous écouter, répondis-je du tac-o-tac.

Un sourire de canaille vint éclairer mon visage. Je le charriais. Apparemment, savoir s’il volait en couche était susceptible de me coûter cher. Motus et bouche cousue alors !

Des pouvoirs exceptionnels hein…
Il avait compris que mes talents ne se limitaient pas aux lueurs autour de nous. Si j’avais eu un doute, il était maintenant éclipsé. Il était malin, ce type. Malin, et doux dans son approche… Le genre à soutirer des informations discrètement sans qu’on s’en aperçoive.

Avait-il des arrières pensées ? Des intentions cachées ?

-Le pouvoir attire la convoitise. L’anonymat me protège.

“Des monstres ont fait de moi une machine optimisée pour donner le meilleur de moi-même, de mes pouvoirs et de mes capacités physiques. J’ai tué pour briser mes chaines et gagner ma liberté. Aujourd’hui je préfère la mort à l’esclavage”.

-Si tu as une idée de ce dont je suis capable, tu peux facilement imaginer la manière dont je pourrai être utilisée si la mauvaise personne mettait la main sur moi.

Je me levai de mon banc pour me rapprocher de Superman et plissai des yeux, intriguée.

-Pourquoi cette question ?

Je me mordis la lèvre brièvement. Puis :

-Tu essaies d’évaluer si je représente une menace ?

Autant que je sache ce qu’il avait derrière la tête.

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Clark Kent & Sia Anderson « UN PARC, DE NUIT, A METROPOLIS, 04 OCTOBRE 2022»

- Les lois existent pour qu’une société puisse vivre paisiblement et harmonieusement. Elles ne sont pas parfaites, mais elles ne sont pas spécialement injustes. Elles sont à l’image des hommes et des femmes, tentant de faire au mieux avec les éléments entre leurs mains.

Malgré la corruption et la criminalité, je n’aime pas minimiser l’impact ou l’importance des forces de l’ordre. Il y’a forcément des chics types, s’accrochant à de nobles idéaux, mettant leur vie en jeu, aveugles à une paie questionnable. Chaque membre de la Justice League pourrait obtenir des richesses considérables – les fan, les gouvernements, les sociétés privées – mais nous ne faisons pas ces actions dans un but monétaire. Si Oliver et Bruce n’ont pas à s’inquiéter des lendemains, j’ai bien expérimenté quelques rudes mois et a failli perdre la ferme sans l’intervention de la Chauve-Souris.

- Je pense que, quelque part, nous tentons de palier aux imperfections du système.

Peut-être que oui, peut-être que non.

- Ce textile répond à mes besoins.

Je ne dis pas plus. Régulièrement, j’ai droit aux coups de feu, aux produits toxiques, inflammables ou acides et aux coups de lames. En prime, mon moyen de transport favori est le vol, que ce soit dans le ciel, voire dans l’espace. Si mon corps ne se brise pas facilement, l’habit est une autre affaire. Une tenue terrienne se retrouve en lambeau en quelques minutes, voire se désintègre rapidement entre un voyage Terre-Espace. La combinaison kryptonienne est faite d’une matière plus résistante et est facilement réparer avec les engins du vaisseau.

- Tu n’es pas loin de la réalité avec le FBI, la CIA et la NASA…

Je le dis d’un murmure, le ton aussi las qu’agacé. Les satellites, les drones et les différents traqueurs ne manquent pas, cherchant à déterminer qui je suis, où est ma Forteresse – et mon propre navire –, quelles sont mes forces ou mes faiblesses … J’ai déjà eu à détruire ces investissements de plusieurs milliers, voire millions, de dollars des contribuables. Je ne suis pas spécialement fier, mais je ne suis pas plus heureux d’être épié comme un fichu rat de laboratoire.

- Si tu es seule et isolée, tu es vulnérable. Dans ces cas-là, si tu attires l’attention des mauvaises personnes, tu n’as que peu d’options : fuir jusqu’à ce que l’un des deux parties s’épuise ou tuer avant de l’être. Est-ce véritablement une vie, que de garder un œil constant par-dessus l’épaule, se cacher et feindre pendant de longues années ?

J’essaie de comprendre sa propre logique. Est-elle véritablement satisfaite de vivre constamment dans l’ombre, à dévoiler ses pouvoirs qu’à l’abri des regards, à se contenter de quelques petites actions alors qu’elle peut faire davantage ? Est-elle une personnalité extrêmement égoïste et oisive ? Si tel est le cas, elle ne se serait même pas mêlée d’une telle affaire et aurait délégué à des autorités compétentes. Quelque part, il y a une petite graine de justicière. Il faut la nourrir et la faire grandir.

- Une menace ? Est-ce que tu te considères ainsi, à moins que je n’ai dit ou fait quelque chose qui te donne cette impression ?

Je lui offre un regard interrogateur.

- J’essaie de comprendre.

Je la fixe longuement.

- Une personne mauvaise ne peut pas illuminer si joliment un parc et ne se préoccuperait absolument de personne. Je vois un potentiel, je vois je femme forte et fabuleuse mais qui se bride par ses peurs et ses méfiances.

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C’était une réponse d’une affligeante prudence. Alors qu’il venait de me demander ce que j’aurais pensé de Batman s’il était intervenu pour marquer ma proie et que je lui avais offert une réponse honnête…

“Il ne se mouille pas le saligaud”, songeai-je.

Il fallait obéir aux lois mais pas trop, quoi. Prendre le relais quand les forces de l’ordre étaient dépassées, pallier aux carences du système… Un discours quelque peu hypocrite quand on prétendait comprendre les exactions d’un homme qui n’avait pas hésité à attaquer une mairie en y envoyant un lot de ninjas pour poignarder et cogner sans répit toute personne présente jusqu’à capturer un conseiller municipal, mutilé à son tour et suspendu à la vue de tous toute la nuit.

“Vous, les gens du peuple, vous vous soumettez à la juridiction. Nous on fait ce qu’on veut, on a notre propre sens de la “justice” et on pallie aux “imperfections du système””.

Enfin, je n’étais pas spécialement choquée par tout ça, ce serait l'hôpital qui se foutait de la charité de condamner des personnes qui utilisaient leur pouvoir pour faire ce qu’elles voulaient… Mais je découvrais une facette de Superman peu connue… Plus complexe et nuancée, peut-être, que son image publique.

-Ca en fait du monde !

Ca faisait un moment que j’aurais mis les voiles s’il y avait eu le moindre risque sérieux que le FBI, la CIA ou la NSA soient en train d’épier notre conversation. La perspective d’être fichée par le gouvernement américain me faisait presque aussi peur que d’être retrouvée par le Centre. Je n’avais aucune confiance en les instances gouvernementales pour me protéger ou veiller à mon insertion sociale… Il y avait sûrement des types corrompus jusqu’à la moelle là-dedans qui seraient trop ravis de faire disparaître une apatride solitaire comme moi pour l’utiliser à des fins militaires… En outre, je ne correspondais pas vraiment au critère de la “gentille” fifille méta-humaine sans problèmes. Mes déboires ne plairaient pas aux autorités.

Je notai en tout cas que tout ça avait l’air de sérieusement casser les pieds à mon voisin. La rançon de la gloire… Quand on avait le pouvoir de pulvériser chaque être vivant sur une planète, les habitants de ladite planète s’inquiétaient. Je trouvais cela assez logique comme réaction. Je comprenais aussi pourquoi Kal-El était fatigué par tout ça, je ne l’enviais pas.

J’haussai les épaules.

-Et ça changerait quoi que j’ébruite mes pouvoirs aux quatre vents ? Je serai toujours vulnérable, il y aura encore plus de gens pour me courir après et je n’aurai toujours pas d’autres choix que de fuir jusqu’à ce que l’un des deux parties s’épuisent ou de tuer avant de l’être. C’est facile de pouvoir faire confiance au premier venu quand on est soi-même invulnérable, qu’on peut entendre les ennemis venir à des kilomètres... Je n’ai pas ce luxe, Kal-El.

J’avais trop à perdre, pas assez à gagner. Au mieux, je mettais quelqu’un en danger de mort en me liant trop intimement à lui, au pire je risquais qu’il me trahisse - volontairement ou non - en parlant de moi aux mauvaises personnes. Il y avait beaucoup trop en jeu…
Mais il ne pouvait pas comprendre mon point de vue. Pour lui, j’étais une mutante comme une autre, sûrement beaucoup trop timorée.

Nous ne venions pas du même monde, lui et moi. Si j'avais bien compris son parcours, il avait grandi ici, avec des parents humains qui lui avaient donné amour et sécurité. Je l’enviais un peu… J’étais un produit de ce monde, et pourtant je me sentais souvent aussi étrangère aux humains que cet extraterrestre à côté de moi…

-Ce n’est pas pour ça que tu m’as dit être venu jeter un œil au parc ? Parce que tu te demandais si j’étais une criminelle ou une inconsciente ?

Il feignait de s’étonner maintenant parce que je l’interrogeais sur la vision qu’il avait de moi ?

Je ne pus retenir une expression de stupéfaction alors qu’il se mit soudain à me noyer sous les compliments. Ainsi seules les bonnes personnes aimaient s’entourer de beauté et étaient créatives ? Les gens mauvais se désintéressaient tant des autres qu’ils ne protégeaient personne d’autre qu’eux-même ? C’était un discours manichéen et d’une incroyable naïveté. S’ils savaient qu’il avait devant lui une tueuse… Cependant, c’était aussi extrêmement flatteur venant d’un dieu vivant. Qu'un être comme lui parle de moi en ces termes... Difficile de ne pas être touchée, il m'avait désarçonnée.

L'enthousiasme ne dura pas, cependant.

Flatteur, oui… C’était le bon mot.
Mon instinct me mit en alarme. Il ne me connaissait pas et ce qu’il me disait ne reposait sur rien d’autre qu’une poignée d’observations superficielles, pourquoi me complimentait-il de la sorte ? Que voulait-il obtenir de moi ?

-Du potentiel pour quoi ? lui demandai-je d’une voix égale, sans lui montrer les troubles qui m’habitaient.

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J’ai frappé dans le vif.

Elle a perdu de sa verve malicieuse et a abandonné ces expressions mêlant malice et joie. Elle a tronqué ces adorables mimiques pour la méfiance, le cynisme et un soupçon d’indifférence – ou du moins, elle se donne cet air. Je ne suis pas particulièrement heureux de cette tournure, appréciant davantage l’échange bon enfant, mais j’ai l’intime conviction qu’il est nécessaire. Je ne saurais pas dire à qui un tel revirement de situation pourra profiter ou non. Peut-être que nous serons gagnants, peut-être perdants. A moins que l’un de nous retire quelque chose et l’autre repart bredouille.

- Je suis invulnérable, effectivement, mais mes proches et mes amis ne le sont pas.

Je susurre, le ton lugubre et sombre. Loïs vivante, Loïs morte … les images se superposent, parasitent autant mon jugement que mon humeur.

- Le pouvoir attire la convoitise. L’anonymat me protège. C’est ce que tu as dit. Si je comprends bien, tu te fonds dans l’anonymat pour te protéger de personnes mal intentionnées ou opportunistes. Tu crains que ton pouvoir soit utilisé à une mauvaise fin. A tes yeux, il est impossible de concilier public et anonymat. C’est soit l’un, soit l’autre. Ai-je raison ?

J’essaye sincèrement de la comprendre. Quitte à reprendre des sujets déjà discutés, tant pis ! On est mauvais reporter si on retranscrit les intentions d’une façon faussée. L’information doit être juste. Ma compréhension doit être totale.

- Si j’ai raison, alors qu’en est-il des membres de la Justice League ? Est-ce que nous sommes toujours Superman, Batman, Wonder Woman, Green Arrow, Cyborg et Flash avec nos proches et nos amis ?

Nous, ceux qui ont une identité secrète, avons tous une raison. Elles sont rarement les mêmes d’une personne à l’autre. Bruce Wayne est davantage le masque de Batman : la Chauve-souris a révélé la nature profonde de l’Homme – ou de l’Enfant. Green Arrow est l’alias nécessaire pour protéger les intérêts de Queens Consolidated. Superman est une nécessité, pour protéger tant les miens qu’inspirer un peuple à un lendemain bien meilleur qu’aujourd’hui. Flash a déjà trop perdu : il ne peut plus se permettre d’offrir sa famille restante sur un plateau d’argent au monde entier. Mercenaires et assassins usent de masques, de maquillages et de déguisements pour se distinguer, voire pour inspirer la peur. Le Joker et son rire. Le Sphynx et ses points d’interrogations. La Ligue des Ombres et le noir.

- Est-ce que cet anonymat te convient parfaitement ? Es-tu contente de déployer ton talent uniquement à l’abri des regards ?

Je fixe les lumières. Pour une gamine qui veut être anonyme, elle peut être assez démonstrative.

- Je ne sais pas quoi penser à ton sujet, exactement. Plus nous échangeons, plus j’ai l’intime conviction de me faire balader dans une salle des miroirs par tes soins. Je crois saisir un reflet et il disparaît dès que je m’approche.

Une artiste stoïque en plein fusillade.
Une méta-humaine qui punit mais qui refuse de sauver.
Une jeune fille avec un grand potentiel, mais qui craint le pire.
Qui est-elle, exactement ?

- Le potentiel d’accomplir exactement ce que tu veux, quel qu’il soit, en bien ou en mal. Qu’as-tu cherché à accomplir en punissant cet homme ? Qu’as-tu voulu accomplir en faisant apparaître ces lumières ? Nous sommes des êtres doués de raison : nous n’agissons pas sans raison. L’instinct, l’intelligence, l’émotion … nous avons tous un moteur.

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Que représente le S ?

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Je fronce les sourcils pour essayer de comprendre où il veut en venir. J’écoute, attentive, ses arguments. Ça a l’air de le tracasser cette philosophie de vie dont je lui ai fait part. Je me demande pourquoi il a l’air aussi concerné par mon sort, ma manière de penser ou d’agir. Ce n’est que notre deuxième rencontre, la première a été courte. Il côtoie les géants de ce monde, surement des tas de mutants comme moi ou bien plus puissants et prestigieux. Nous allons nous séparer bientôt et il aura vite fait de m’oublier. Alors pourquoi ces questions ? Cherche t-il à savoir si je peux lui être utile ? Si je suis appelée à devenir l’un de ses adversaires, un jour, peut-être ?

Qu’en est-il des membres de la Justice League ? Je penche légèrement la tête, perplexe.

-Vous portez tous des masques ou des pseudonymes pour le grand public. Exceptée la princesse amazone, vous êtes anonymes.

Exactement comme je le suis, à plus petite échelle. “Nox” quand je fais des affaires de manière illégale et avec des individus peu recommandables. “Icare” quand je communique sous pseudonyme avec des personnes plus morales ou communes que je suis amenée à fréquenter. J’étais plus Nox avant mais j’ai calmé le jeu quand Batman est revenu, sabotant mon organisation criminelle pour ne plus faire affaire qu’à un tout petit portefeuilles de clients. Le pseudo “Icare” ressort plus souvent en ce moment. Avec Superman, avec mon ami Barry qui est revenu de je ne sais où après une paire d’années de disparition, avec la ville de Métropolis qui m’a engagé comme artiste, avec Parvati que j’ai décidé de prendre comme élève et à qui j’enseigne les bases de la survie...

-Je ne sais pas comment vous vous comportez avec vos proches.

Je hausse les épaules.

-Ils sont au courant ?

Grand bien leur fasse. Nous n’avons pas le même passé, la même vie. Je n’ai pas de famille biologique, d’ami qui me connaît réellement et qui m’accepte telle que je suis avec mon passé, mes tendances sociopathe et ma personnalité instable. Il n’y a jamais eu qu’une seule personne sur cette planète en qui j’avais une confiance aveugle et elle est morte.

Je suis son regard alors qu’il observe mes œuvres partout autour de nous. Qu’est-ce que ça peut bien faire que je sois satisfaite de ma situation ou non ? Je flirte constamment avec les limites. Pourquoi me limiter à des lueurs quand je sais matérialiser des feux d’artifices ? Bien sûr que je suis frustrée. Je sais de quoi je suis capable, j’ai largement exploré mon pouvoir au Centre, j’ai continué à le développer depuis que je m’en suis échappée. Je peux faire tellement plus ! Mais rien ne vaut que je risque ma liberté. Vivre la nuit me convient. Mieux vaut une demi-vie que pas de vie du tout. Pour le moment, du moins. Je remonte doucement la piste de mon passé, je creuse… Un jour, l’empire de Père sombrera et je serai au première loge pour applaudir. Un jour, je gagnerai enfin la lumière sans craindre qu’une ombre ne surgisse. Je prends d’énormes risques en réalité pour en savoir plus sur la Ligue des Ombres, mais je les mesure, j’avance avec une extrême prudence et à l'affût.

-Tu essaies de me convaincre de quelque chose ?

C’était quoi la suite, il allait me glisser une carte de visite pour que je candidate à la Superman Company et que rejoigne son nouveau groupe de supers ?

Un rire m’échappe. Des miroirs ? Jolie métaphore, je l’aime beaucoup.

-C’est très poétique. Tu cherches à me cerner ?

C’est paradoxal, non ? Je suis étonnamment authentique avec lui. Je me cache avec les autres, je mens, je dissimule ma personnalité, mon histoire, mes pouvoirs. Il en sait beaucoup, et ça ne lui suffit pas.

Encore et toujours, je me demande pourquoi. Qu’est-ce qu’il veut ?

Je le regarde avec des yeux rieurs. J’ai bien entendu ? Le potentiel de faire ce que je veux en “bien ou en mal” ?!

-C’est si important pour toi que j’exploite mes talents pour une cause que tu es prêt à me pousser vers la voie immorale ?

Elle est bien bonne celle-là ! C’est bien Superman que j'ai en face de moi ? L’homme qui sauve le monde et arrête les malfaiteurs ?

-Je pourrai surement passer les prochaines heures à te raconter tous les détails de ma triste vie, mais… Je ne peux pas t’en dire davantage à mon sujet. Il se peut même que j’en ai trop dit. Je risque de te mettre en danger, dis-je en répétant mot pour mot ce qu’il venait de me dire pour parler de lui-même afin de le parodier.

Nouvel éclat de rire.

Oui oui, je suis fière de ma connerie.

-Et toi, c’est quoi ton moteur ?

Moi, je répondais généralement à mes pulsions du moment. J’avais peu de limites, je faisais ce que me dictait mon instinct ou mes envies. J’avais peu de limites, j’étais assez maligne pour m’en sortir. Pour le moment du moins…

-Pourquoi tu cherches à recruter des gens subitement ?

C’est pour ça que tu me poses toutes ces questions ? Tu veux mon CV ?

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Clark Kent & Sia Anderson « UN PARC, DE NUIT, A METROPOLIS, 04 OCTOBRE 2022»

- Mes proches le savent.

Gros balourd, je manque de discrétion. Je ne compte pas le nombre de réveil alarme explosé, de poignées de portes malmenées ou de métaux recourbés. Il n’a pas fallu longtemps pour que mon meilleur, et colocataire universitaire, se doute de ma véritable nature. Gamin niais du Kansas, j’ai également cette terrible habitude de me lier à des personnes rusées et intelligentes. J’ai eu à déployer de sacrées ressources pour brouiller les pistes de Loïs. Et ces dites ressources ont été tout bonnement insuffisantes face à celles de Bruce Wayne – tant matérielles qu’intellectuelles. Mes proches le savent donc, même quand je veux me dissimuler.

Je reste stoïque lorsqu’elle éclate de rire. L’humour et la méfiance sont les principaux boucliers de ceux qui ont été blessés cruellement. Et je ne suis pas un homme à me moquer du malheur d’autrui, visible ou invisible à l’œil nu. Un célèbre conte pour enfant a une citation assez intéressante : l’essentiel est invisible à l’œil. A nouveau, elle contourne mes questions et me les rejette à la figure. Je pourrais pointer cette manœuvre déloyale, mais je ne suis pas d’humeur. J’ai entamé cette discussion aussi gênante qu’intime : je ne vais pas commencer à en dicter chaque règle.

- Je suis né sur une autre planète mais je n’ai pas eu la chance d’y grandir et de m’y épanouir. J’ai été envoyé sur Terre. J’ai été recueilli, élevé et aimé par une famille adoptive qui n’avait aucune idée de qui j’étais et d’où je venais. Chaque nouveau pouvoir était synonyme d’inquiétudes et de nouveaux secrets. Mais aussi d’opportunités.

Je me souviens encore des nombreuses complications auxquelles les Kent ont eu à faire face. Pourquoi est-ce qu’ils ne vaccinent par leur fils unique ? Pourquoi est-ce qu’ils s’opposent farouchement à sa participation au club de football alors qu’il a la carrure pour ? Pourquoi est-ce que cet enfant si adorable est si solitaire, s’isolant volontairement de ses camarades ? Est-il adopté ou est-il l’enfant d’un parent décédé ? Comment se fait-il que ni Martha, ni Jonathan n’ont jamais fait entendre de leur envie d’adopter ? Les questions ont été nombreuses.

- Se cacher à cause de ses pouvoirs, que ce soit pour protéger les autres ou se protéger soi-même, ou se brider alors qu’on a envie d’exploser, de se lâcher et de s’exprimer. Je connais tout ça. Mais, nous ne sommes pas les mêmes personnes. J’ai eu de la chance. Beaucoup de chance. J’ai été entouré et soutenu par des personnes qui m’ont fait permis d’être la personne que je suis aujourd’hui. Elles m’ont donné le choix.

Je repense aux paroles de mon père, à mes actes, à mes fantômes.

- J’ai choisi d’accomplir ce que personne ne peut accomplir. Sauver des gens par la force de mes poings, par un bond ou par des paroles. Apporter un peu de baume à ce monde que j’aime et admire sincèrement et profondément. Incarner ce que symbole représente : l’espoir. D’un monde meilleur.

C’est présomptueux. Je le sais. Mais n’est-ce pas même l’immensité de mes talents ? Wonder Woman est bien meilleure guerrière que je ne le suis et j’y trouve comme un écho à travers elle. Et puis, il y a des entités puissantes comme Zod ou Enchantress qui ont pris des chemins plus différents, et meurtriers.

- Mais, je ne suis pas éternel. Ni infaillible. Mais les idéaux défendus par la Justice League doivent survivre. Les méta-humains et les humains ne doivent plus se regarder en chiens de faïence. C’est un travail de longue haleine, qui demande la participation de tous et de toutes.

En dépit de toute ma bonne volonté de rester aussi neutre que possible, je m’embrase un brin. J’inspire et expire, pour retrouver le sang-froid.

- Je ne veux pas te cerner ou te pousser à une voie spécifique. Si j’ai eu le choix d’agir ou de ne pas agir, je le donnerai autant aux autres. Si tu es satisfaite et heureuse, alors je respecte ce style de vie. Si ce n’est pas le cas, je serais heureux d’aider. Et tant que je le peux.

Je la fixe avec toute la bienveillance que je peux.

- Sauver un monde commence par des actions simples, comme l’écoute et l’entraide.

Syndrome du sauveur, le retour !

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J’étais surprise de l’entendre me raconter son histoire. Je ne pensais pas qu’il se plierait au jeu des questions réponses, lui qui m’avait rabroué un peu plus tôt. Peut-être qu’il réalisait, au vu de ce que je lui avais dit, qu’il n’obtiendrait rien de moi sans faire le premier pas.

Mon étonnement grandissait à mesure qu’il se livrait. Il me dévoilait vraiment ce qui le motivait à agir alors que je m’étais attendu à ce qu’il abandonne la discussion. Ne venais-je pas de le faire ? Et son discours était d’un tel idéalisme que j’en venais à me demander s’il ne me narguais pas… Et puis je me rappelai soudain que cet individu anonyme s’était livré quand cette planète avait été attaquée, qu’il avait pris le parti des humains contre les derniers représentants de son espèce…

Et je soufflai à voix basse :

-C’est paradoxal.. Tu sembles plus humain et authentique que les humains eux-mêmes.

Je voyais le mal partout, derrière chaque regard ou geste. J’avais vu le pire des humains, j’avais grandi et vécut jusqu’à mes dix-neuf ans sous leur domination. J’avais voyagé et constaté que cette nature était intrinsèque à l’espèce, que les monstres étaient partout, dans toutes les cultures. Ce n’est pas que je ne voulais pas faire confiance, je n’en étais simplement pas capable. Les humains étaient corrompus et égoïstes, la gentillesse ou bienveillance cachait toujours une intention. Ce n’était pas un problème pour moi, je vivais avec cette vérité et je l’acceptais sans ciller. J’étais probablement pire qu’eux après tout.

Le discours de Superman me faisait réfléchir, cependant. Aurais-je pu avoir envie de m’investir pour autrui si des parents m’avaient chéris et appris à donner plutôt qu’à tuer ?

Je baissai les yeux. Son regard me troublait.

Je me sentais à nouveau sur la pente raide, comme lors de notre première rencontre. J’avais hésité si fort à implorer son aide… Et je m’étais abstenue, songeant aux risques inconsidérés que je prendrais. J’avais pensé qu’il me verrait comme l’un de ces monstres qu’il mettait habituellement derrière les barreaux. Je n’en étais plus si sûre à présent, je sentais que sa morale était moins tranchée que je l’avais imaginé de prime abord.

“Tu seras toujours seule dans la vie. Tu ne peux te permettre d’accorder ta confiance à qui que ce soit car des gens exploiteront cette faiblesse pour te nuire.”

Il me demandait de lui faire confiance.
Et je n’avais aucune garantie qu’il ne trahirait pas cette confiance sitôt la vérité révélée.
S’il savait à quel point ça me terrifiait ! Je n’aurais aucun moyen de m’opposer à lui pour me protéger. Cet homme était invulnérable en tout point, intouchable. Mon entraînement militaire ou mon pouvoir ne valaient rien contre lui.

“Je serais heureux d’aider. Et tant que je le peux.
L’écoute et l’entraide.”

-Tes parents t’ont appris à chérir la vie… Mon Père et ceux qui parlaient en Son nom m’ont enseigné comment l’anéantir.

Je venais de me jeter dans le vide. Un saut de l’ange, littéralement.
J’espérais ne pas m’écraser vingt étages plus bas.

-J’ai découvert l’existence de la Charte internationale des droits de l'Homme à dix-neuf ans. Je me suis échappée d’un lieu où on me disait comment penser, ressentir et me comporter. J’étais un objet destiné à servir. Les objets n’ont pas à avoir d’opinion, ils se soumettent et ils obéissent aveuglément.
Je voyage et je mens constamment pour que ces gens ne puissent pas remonter jusqu’à moi. Je ne suis pas quelqu’un de bien, Kal-El… Je ne suis pas quelqu’un de… mauvais non plus. J’essaie juste de survivre. Ta conception du bonheur et la mienne sont différentes. Les gens normaux sont heureux quand ils sont avec leurs proches, quand ils ont un bon travail ou une passion à laquelle se consacrer… Moi je suis heureuse chaque soir en me disant que j'ai vécu libre une journée de plus.

Je fis quelques pas dans la pénombre. Les lueurs me paraissaient bien trop belles tout à coup, j’eus envie de toutes les souffler.

- J’ai vu des dizaines de gamins disparaître pendant des années parce qu’ils ne survivaient pas à ce qui se passaient là-bas ou parce qu’ils devenaient tarés ; mes frères et soeurs… L’une d’elle s’est fait abattre juste là, devant moi, parce qu’elle a craqué. Elle s’est défendue contre un garde qui l’avait touchée… Et tu sais pourquoi le meurtrier a été puni ? Parce qu’il avait fait perdre de l’argent à Père. Et mon frère qui l’avait aidé et s’était rebellé contre les miliciens ? Amené loin du Centre, il avait vrillé pour de bon. Les fous sont un mauvais investissement, tu comprends.

Je serrai les poings de rage.
Je n’avais rien pu faire pour l’aider, XIII m’en avait empêché. Ça me rongeait de l'intérieur.

“Les émotions sont des parasites. Elles nous rendent irrationnelles et nous détournent de notre fonction.”

J’étais un produit défectueux, moi aussi.

-Je ne suis pas quelqu’un d’altruiste. La vérité c’est que je me fou pas mal que ce monde brûle si je lui survis. Personne n’est venue nous sauver, on a dû se débrouiller tout seuls pour s’en sortir. Le Centre n’aurait jamais pu exister sans le soutien du système. Et en évoluant dans ce monde, j’ai découvert l’existence d’autres histoires du genre. Il y a des politiciens véreux, des policiers corrompus partout dans le monde, qui soutiennent et protègent ces gens-là. Et tu me demande de faire confiance ?

Je secouai la tête en lui lançant un regard inquisiteur.

-Un mot à la mauvaise personne, une seule erreur, et je perds tout. C’est ça ma vie.

Et il était la première personne à qui j’en parlais.
Ca faisait du bien, étonnamment, de tomber le masque et de parler à cœur ouvert.

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Comme une myriade d'étoiles

Clark Kent & Sia Anderson « UN PARC, DE NUIT, A METROPOLIS, 04 OCTOBRE 2022»

C’est paradoxal.. Tu sembles plus humain et authentique que les humains eux-mêmes.

Ces paroles résonnent avec force dans mon esprit, déclenchant une tempête d’émotions. La culpabilité d’un monde détruit est forte mais bute violemment à la bonté et à la patience de mes proches. Aujourd’hui, cette parfaite inconnue assène le coup de grâce, martelant ce dernier fichu clou tordu avec force et férocité.

Il y a plus que quelques émotions. Les souvenirs gardés et refoulés sont déterrés des tréfonds de ma mémoire et fantômes et vivants s’entremêlent et se confondent. Il y a autant de bons Hommes que de Kryptoniens, et vice versa. Nous sommes humanoïdes, ayant une apparence similaire. Et pourtant, nous sommes aussi différents de tête que de corps. Là où l’Humanité craint l’inconnu et la différence et a besoin d’asseoir sa suprématie, le Kryptonien est curieux et veut découvrir et collaborer à la fois.

Alors, oui, j’ai toujours envié cette Humanité aussi brute que versatile, aussi authentique que passionnée, mais j’ai tout autant su que je ne peux pas m’y mêler ou en embrasser les préceptes. Je ne peux pas avoir peur et désirer asseoir une suprématie. Contrairement à l’Homme et ses machines, je le peux. Et durablement. Alors, je suis resté en retrait et j’ai servi cette terre anonymement.

Jusqu’à ce que Zod me force à sortir de mon terrier.

J’ai été plein d’assurance sur mes actions, sur le symbole que j’incarne auprès de la population. Je suis aussi critiqué qu’aimé, aussi détesté qu’adulé. Les avis m’importent peu, car mes valeurs et mes idéaux prônent sur tout le reste, incluant mes propres émotions et désirs. J’ai porté le symbole de la Maison El avec grande fierté, j’ai répété les leçons importantes de Jonathan Kent avec attention et souci du détail. J’étais fort. J’étais fier. J’étais sûr.

Jusqu’à ce que le saut du multivers bousille tout, jusqu’à ma certitude.

Mais je ne suis pas au bout de mes peines.

Elle se livre, finalement. Chaque révélation à demi-mot me fait jouer de l’accordéon avec mes yeux : tantôt grand et large, tantôt plissé et demi-clos. Centre. Père. Frères et sœurs. Miliciens. Charte Internationale des Droits de l’Homme. Objet. Survivre. . Les termes glissent de la bouche de l’asiatique mais sans être défini. Ai-je véritablement besoin de connaître chaque détail sordide ? Ai-je envie de la forcer à faire un voyage dans ce passé chaotique et terrifiant ? J’en connais largement le coût.

Et j’ai promis qu’elle est libre de fair ses choix.

Le silence s’installe, lourd et oppressant. Je n’ose pas m’avancer, de crainte qu’elle fuit. Je ne recule pas pour autant, car c’est davantage la honte que le dégoût qui m’anime. L’esclavage, la surexploitation, les expérimentations interdites … ces pratiques existent depuis la nuit des temps. Dès hommes bons tentent d‘enrayer de telles procédés ou débusquer les coupables. Les mauvais multiplient les prouesses d’ingéniosité pour échapper à la loi de ce monde.

J’inspire profondément et le brise. Advienne que pourra.

- Si je suis plus humain qu’un humain, alors je me permets de parler en leurs noms, aux noms de ceux qui se battent chaque jour, à leur niveau et avec leurs moyens, pour aider les plus faibles et les plus démunis, pour apporter justice et paix dans ce monde. Je te prie de nous excuser pour ne pas avoir empêché un tel drame, pour ne pas avoir été là à temps, pour ne pas avoir pu sauver tes frères, tes sœurs. Et toi.

Mon ton est doux et maitrisé. Pourtant, un œil averti peut voir ce tremblement léger, ces poings serrés, cette respiration un peu plus haletante. J’enrage profondément. Je repense, encore, à cet autre monde. Certes, l’alter-égo était un tyran mais ces histoires sordides n’existaient plus, ou étaient sur la voie de l’extinction. À nouveau, je m’interroge sur le coût de la liberté et le prix payé, principalement par la paix. Ai-je raison d’offrir du choix d’accomplir le meilleur, comme le pire ? Est-ce qu’il n’est pas plus sûr d’arrêter avant que le mal ne soit fait.

Je retiens un souffle. C’est de la folie pure. Morale et esprit empruntent une route trop dangereuse. Avec précaution, mais aussi difficulté, j’essaye de m’en détourner.

- Je comprends que tu ne veuilles pas sauver un monde qui ne t’a pas sauvé en premier lieu. Mais, tu ne le détruits pas pour autant. Pourquoi ?

Qu’est-ce qui l’empêche de se déchaîner ? Elle peut trouver des alliés et remonter la piste de ses bourreaux. Elle peut tout autant se créer sa propre organisation criminelle et s’attaquer à tous et à toutes comme une chienne enragée. Or, elle fuit pour vivre. Elle se cache pour profiter. Quelque part, elle a appris à chérir cette vie. Quelque part, une once de bonté a survécu et l’a amené là, à cet instant-ci.

- Es-tu véritablement libre et en paix ? Si non, que faut-il faire ?

Mon regard reste fixe sur le tien.

- Ce monde voudra se racheter pour toutes les souffrances que tes frères et sœurs et toi avaient enduré … si et si seulement tu l’acceptes.

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Est-ce que je l’ai choqué ?

Il ne dit plus rien, ne bouge plus. J’ai vu son expression se transformer à mesure que je parlais. J’ai l’intuition qu’il ne s’attendait pas à entendre tout ça, que ça l'a surpris et pas agréablement. Ca fait un moment qu’il me travaille au corps pour que je parle, et je l’ai finalement fait. Je me demande encore si j’ai bien fait, je m’interroge sur les répercussions que ça va avoir sur ma vie. Ce pavé que j’ai lâché dans la marre, il va faire des vagues et éclabousser du monde. Je ne fais pas confiance, ni au système, ni aux gens… mais cet extraterrestre a quelque chose de magnétique. Il a su jouer la corde sensible : j’ai désespérément besoin d’alliés, j’en ai conscience, et je ne suis pas douée pour créer des relations profondes. J’avais hésité à le supplier de m’aider lors de notre première rencontre, m’abstenant par angoisse de sa réaction. Ce soir, il a su trouver les mots. Avec son sens moral vacillant, j’ai le sentiment qu’il est bien plus en nuances de gris que de blanc… Et avec ce besoin viscéral d’aider et sa manière insistante de s’intéresser à moi, cela m’a suffit pour décider de lui laisser une chance. C’est peut-être une erreur… Mais il est trop tard pour reculer maintenant.

Et lorsqu’il reprend la parole, c’est moi écarquille les yeux. Surprise… Voire même gênée.

Je réalise qu’il l’a pris pour lui, personnellement. Il se sent mal de ne pas avoir été là, pour moi, pour ma fratrie. Ce type avait fait plus pour la planète que n’importe quel membre de n’importe quel gouvernement. Il comptait parmi les très rares personnes à avoir gagné mon estime et mon respect. Il est exceptionnel en tous points.

-Tu…

Sa question suivante me prend de cours. Je lui lance un regard ahuri, cligne des yeux.

-Je sais que ma vie a des airs de mauvaise série B, mais quand même ! lançai-je avec un bref rire jaune. Personne n’est aussi cliché, si ? Si… dis-je après un temps de réflexion. Y en a.

Ouais… Y en a. Des types en souffrance qui décident de se venger n’importe comment. Je ne suis pas psy, ça ne m’intéresse pas particulièrement de savoir comment ils en sont arrivés là. Le résultat est là, en tout cas. Je comprends la question et en même temps, est-ce qu’il s’attend à ce que je lui réponde franchement quelque chose comme “oh oui, j’aime bien faire brûler des bébés au petit déjeuner, juste après mon café et avant que j’avale mes tartines. Ca fait pleurer les parents, c’est coooool !”.

Pour un peu, je suis presque tentée de lui faire la blague.

-Y a un monde entre ne pas avoir un complexe du super-héros et se foutre du malheur des autres, et être un dégénéré psychotique qui veut tuer tout le monde. Ce monde est génial, Kal-El ! Je l’adore ! J’aime la vie, je me suis battue pour briser mes chaines et avoir le droit d’en profiter.

Je balaye l’air de la main. Quelques lueurs s'agitent à mon contact. Cette discussion me paraît surréaliste, j’ignore si je suis en train de trembler de peur ou si je me sens soulagée de parler à coeur ouvert. Pour la première fois depuis douze ans, quelqu’un me regarde véritablement. J’en ai des frissons…

-Ce qu’il “faut” faire ?

Pourquoi cet impératif ? J’ai l’impression qu’il s’est inclut spontanément dans le plan, ça me trouble. Comme s’il se soucie vraiment du fait que je retrouve cette paix et ce bonheur dont il n’arrête pas de parler… Il ne réalise pas que je n’ai jamais connu ce sentiment, je ne sais même pas à quoi ça ressemble.

On ne se connait pas.
J’ai du mal à comprendre cet homme, ses questions désarmantes… Il me déstabilise avec ses réactions.

-Ce que je dois faire pour vivre sans avoir peur de mon ombre ?

Est-ce que je dois aller plus loin dans les confidences ? Cette conversation, c’est du délire. Je ne devrais pas l’avoir, c’est dangereux.
Pourtant je parle, parce que c’est la première fois que quelqu’un m’écoute. Et c’est étonnamment salvateur…

-Je suis en train d’enquêter pour identifier ceux qui sont derrière tout ça. Je dois les faire choir, d’une façon ou d’une autre. Je ne serai jamais en sécurité autrement. Et puis… Ces types, ils doivent payer pour ce qu’ils ont fait, et pour ce qu’ils continuent très certainement à faire. J’ai peut-être d’autres frères et sœurs quelque part, des gosses ou des adultes à qui on lave le cerveau et qu’on est en train de démolir. Ça doit s’arrêter. Personne n’a le droit de faire ça.

Soupir.

-Je vais surement me faire descendre avant d’avoir remonté à la tête de l’organisation. Mais c’est ça qu’il “faut” faire.

J’étais pragmatique, j’avais une idée raisonnable de l’ampleur de ce à quoi je m’attaquais et des probabilités que mon projet se termine bien pour moi. Elles étaient médiocres, mais j’avais pris ma décision il y a un moment déjà.

Je lui lançai un regard perplexe, un brin inquisiteur.

-Si j’accepte quoi ?

La planète n’allait certainement pas se mettre à genoux pour nous demander pardon. Je n’y croyait pas un seul instant. J’étais plutôt une de ces tâches que les politiciens préféraient faire disparaître. “Voilà, un coup de chiffon et hop… Ce n’est jamais arrivé”.

-Qui voudra se racheter ?

Je fronçai les sourcils.

-Et comment ?

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Je décèle ses forces mais, également ses fêlures. Si elle n’est pas un monstre, elle est loin d’être une sainte. Qu’est-ce que la valeur d’une vie à ses yeux ? Qu’est-ce que la justice dans son monde ? Si elle est animée par quelques nobles idéaux, comme condamner les bourreaux et sauver d’innocents enfants, je doute que ses méthodes soient acceptables. Elle peut faire mal et avoir envie de faire mal. Si Bruce n’a pas emprunté ce chemin glissant et dangereux qu’est la Ligue des Ombres, j’aurais assurément pu l’orienter vers lui. Il a autant les ressources intellectuelles, financières, techniques et humaines pour remonter la piste de ces dégénérés et les traîner en justice convenablement – avec une condamnation pour toute une vie. Malheureusement, ce n’est plus possible.

À cet instant, je constate à quel point l’absence d’un ami et, surtout, du plus grand détective du monde pèse. L’impuissance me gagne et le poids du monde alourdit davantage mes épaules. Pourquoi est-ce que je me sens responsable pour cette fille ? Je ne sais pas. Pourquoi est-ce que je veux l’aider, elle et tous ces inconnus ? Je ne sais pas davantage. Je suis attiré par le récit et par la personne, poussé à apporter une aide aussi minime soit-elle – écouter, guider par exemple. Là, à cet instant, j’aimerais l’emporter à la ferme familiale, l’entourer de proches, lui faire goûter à une journée simple et ensoleillée, où nos poumons respirent l’air frais, où nos tympans s’amusent de rires et de petites disputes.

Mais c’est impossible.

- Une organisation est comme une armée. Tu dois constituer ta propre armée pour avoir une chance d’être à arme égale. Il y a des mères et des pères qui ont perdu leurs enfants à cause de cette organisation. Il y a des femmes et des hommes engagés pour dénoncer ces agissements et ces crimes, par des voies officielles comme les forces de l’ordre ou les journalistes, ou par des voies officieuses comme les justiciers. Je connais des agents des forces de l’ordre, des journalistes et des justiciers aptes à t’aider dans ce combat et cette enquête.

Je la fixe de mon regard d’acier. La demoiselle a les traits délicats. Elle ne fait pas son âge car la génétique est assez généreuse avec les natifs d’Asie. Je lui donnerai la vingtaine, mais il vaut mieux ajouter entre 5 et 10 ans, c’est-à-dire la trentaine quasiment. En dépit de ce constat purement factuel et physique, je ne vois qu’une gamine qui n’a pas vécu son enfance, qui voit le monde en noir et en blanc.

- Accepter de l’aide.

Il est rarement aisé d’accepter le coup de main d’inconnus. La collaboration nécessite de l’adoption, des discussions, des compromis, des ententes et, surtout, une grande ouverture d’esprit à de nouvelles méthodes ou façon de faire. Ce n’est ni aisé, ni à la portée de tous.

- Donner une chance à ceux qui ont été impuissants.

Il est possible d’aimer et être rancunier à la fois. Elle peut aimer la vie et le monde, mais elle peut encore être amère de toutes ces années volées. L’aide et le partage sous-entendent le pardon. Est-elle assez mature pour une telle étape ?

- Faire confiance à une personne de ton choix, pour commencer.

Est-ce qu’elle est prête à partager son expérience avec d’autres, comme elle vient de le faire ce soir ?

Et j’ai répondu à ces trois dernières questions.

Codage par Magma.

Que représente le S ?

Comme une myriade d'étoiles

Ça avait l’air facile quand on l’écoutait. S’entourer d’alliés loyaux semblait être un jeu d’enfants pour lui. Je ne pouvais m’empêcher de penser, non sans ironie, qu’il était facile d'être honnête quand personne sur cette planète n’avait le pouvoir d’égratiner votre peau. La trahison était un risque modéré dans son cas. Il attirait toutes les convoitises mais personne n’avait le pouvoir de le soumettre.
Ce que je trouvais fort en revanche, c’est qu’un homme avec autant de pouvoir décide de se donner tout entier à autrui. Les parents de cet homme méritaient une médaille j’imagine, pour avoir réussi à faire de l’arme la plus puissante de cette planète un caniche qui préférait les câlins aux morsures. Entre les mains de Père, cet homme serait probablement devenu un monstre comme moi ou pire, comme ceux qui étaient restés loyaux. Le monde était bien fait, j’imagine.

-C’est fait, dis-je en haussant les épaules. On dirait bien qu’on est en train d’avoir cette conversation, non ?

Je marchai d’un pas tranquille pour me tenir face à lui et le darder du regard sans montrer à cet homme à quel point il m’intimidait. C’était comme se tenir face à un colosse, armée d’une petite brindille… Je me sentais toute petite, vulnérable.

-Je me suis jetée à l’eau avec toi, mon pote. Je n’ai parlé à personne de tout ça pendant douze ans… Et je viens littéralement de te donner le pouvoir de saborder ma barque.

Je ne savais pas trop quelle émotion dominait chez moi entre l’excitation d’avoir dépassé une nouvelle limite et les perspectives que cela m’offrait - moi qui aimait tant flirter avec le danger - et la peur que tout cela me revienne en pleine figure. Le risque que je prenais était considérable, pourtant… Pourtant une petite flamme en moi avait envie de croire que cet instant allait m’ouvrir de nouvelles perspectives. J’avais peut-être réellement trouvé un allié fiable. Et par n’importe lequel.

Je réfléchis quelques instants.

-Je n’aime pas me sentir redevable, alors je te propose un marché. Peu importe comment, aide moi à mettre hors d’état de nuire mes détracteurs afin qu’ils ne puissent plus jamais me faire de mal. En contrepartie, je prêterai mes pouvoirs à ta cause.

Je n’avais aucun problème avec l’idée de collaborer avec des justiciers. Je m’étais toujours vendue au plus offrant, tout en veillant à garder ma liberté de rompre mes contrats à tout instant. Ce que je proposais n’était en rien différent, je ne me dévouais pas à sa cause ni ne lui offrait mon soutien de manière inconditionnelle. J’avais déjà trop donné par le passé ; le Centre m’avait tout pris et demandé de tout sacrifier sans rien m’offrir en retour. J’en avais fini avec ça, je refusais de replonger dans ce schéma d’adoration malsaine dont j’avais réussi à m’extirper difficilement. J’avais bien trop peur de redevenir ce soldat formaté qui obéissait aveuglément. Les conditionnements avaient la vie dure…

-Avec le temps, la connaissance et le bon matériel, je peux donner vie à la plupart de mes œuvres. Je peux dessiner des armures à tes recrues, te couvrir d’or et de diamant pour financer tes projets, je peux produire des véhicules, du matériel, des faux papiers… Toutes ces choses, je peux te garantir qu’elles perdureront dans le temps tant que je demeurerai en sécurité. J’ignore ce qui arrivera à mes œuvres si je venais à mourir, mes créations sont une projection de mon esprit, le dessin lui-même n’est qu’un support.

“Alors garde moi en vie”

-Qu’est-ce que tu en dis ?

“Suis-je une ressource de valeur pour quelqu’un comme toi ?”

Beaucoup d’humains se damneraient pour m’avoir, mais Kal-El n’était pas comme les autres.

Codage par Libella sur Graphiorum

Comme une myriade d'étoiles

Clark Kent & Sia Anderson « UN PARC, DE NUIT, A METROPOLIS, 04 OCTOBRE 2022»

La glace est brisée, en partie. La renarde pointe le bout de son nez mais est prête à fuir au moindre geste brusque. Je prends garde à chaque parole, voire à tout changement de posture. Ce dernier point n’est pas difficile. Afin que les hommes et les femmes ne fassent pas immédiatement le rapprochement entre Clark Kent et Superman, je joue considérablement avec ma physionomie. L’homme d’acier est une armoire à glace, affichant que deux expressions – un air ravi ou sérieux – et parlant d’une voix très assurée et forte. Le gamin du Kansas est un gamin maladroit, à la tenue négligée, au débit de parole hésitant et surtout facile à lire – comme un livre ouvert.

La brindille s’approche, me toise du regard avec détermination. Pourtant, j’entends bien le rythme effréné de son cœur, perçois cette transpiration excessive et bien d’autres micro-détails qui prouvent qu’elle est effrayée, ou excitée. J’opte davantage pour la première option, au vu de tout ce qu’elle a raconté. Après avoir vécue tant d’horreurs, il n’est pas aisé de se confier à quiconque, et surtout à celui qui est censé incarner l’espoir et la justice. Censé est le mot adéquat. Plus les jours s’écoulent, plus j’échange avec les uns et les autres et plus je me sens en décalage considérable entre mes croyances, mes actes et mes espoirs. Quelque chose close en moi, mais quoi ?

Je ne peux pas t’aider, seul, ai-je envie de lui répondre.

- Oui, je t’aiderai. Je t’apporterai le soutien et la protection nécessaire.

Je peux trouver Green Arrow. Je peux avoir le soutien de Loïs. Mais elle n’a pas à le savoir immédiatement.

Je n’ai pas besoin de contrepartie pour ce que je fais, c’est-à-dire aider, ai-je envie de lui dire.

- J’ai besoin de telles compétences, effectivement. Ou plutôt, certains membres de la Justice League et mes nouvelles recrus seront intéressés.

Est-ce qu’elle peut reproduire une technologie alien après étude de la matière ? Est-ce qu’elle peut faire de même avec des mineraies, comme de la kryptonite ? Je suis bien curieux. Si elle en est capable, elle peut changer la face de ce monde durant son vivant, au sens littéral comme figuré. Cependant, je ne lui soumettrais pas maintenant. Il faut commencer par les requêtes basiques et simples et profiter de cet échange pour construire une véritable relation de confiance. Alors, seulement, nous pouvons envisager des schémas complexes, voire dangereuses.

- Si tu es à l’aise avec une entente claire entre nous deux, alors je me plie à tes conditions.

Je tends ma main. Et je souris.

L’accord est scellé.

Codage par Magma.

Que représente le S ?

» We are One [Terminé - Intrigue III]
» Bet on me [Terminé - Intrigue I]
» The Cat and the Bat [Terminé - Intrigue I]
» Something in the Way [Intrigue III - Terminé]
» The War Without End [Terminé - Intrigue II]