Above Suspicion [Terminé - Intrigue I]

« On tourne la scène une dernière fois et ça devrait être bon pour aujourd’hui !, s’égosilla le metteur en scène pour que sa voix puisse se poser au-dessus du brouhaha ambiant. Entre maquilleurs, assistants et acteurs, il était difficile de se faire entendre sans s’époumoner – sauf lorsque les caméras étaient allumées. Laura, c’était parfait. Jack, bande plus tes muscles pour rendre la scène davantage érotique, reprit-il maintenant qu’il avait l’attention de son équipe. Il faut que toutes les minettes et les mères au foyer qui regardent le film crèvent d’envie de remplacer mon actrice principale. Tout le monde rêve déjà d’être à ta place, il faut rendre la monnaie de la pièce. »

Rouge pouffa de rire en se mettant en appui sur ses coudes, ses cheveux bruns et ondulés éparpillés autour d’elle sur le lit. La scène était sexy et l’actrice éprouvait une plaisir sans nom à vivre l’instant plus qu’à le jouer. Elle prétendait, après coup, que plus les comportements étaient réalistes plus le public y croyait. C’était vrai mais elle omettait volontairement d’évoquer son ivresse. Pourquoi préciser que tout cela l’excitait quand le principal concerné pouvait s’en rendre compte ? Aucun doute ne faisait que Jack était conscient de l’état de sa partenaire – qui en jouait avec un sadisme bien à elle. Le pauvre en ratait la scène depuis une demi-heure. Il était de notoriété publique qu’il en pinçait pour elle, ce film était une aubaine pour lui, mais il était incapable de conserver ses moyens lorsque la femme de ses rêves le désarmait de la sorte.

Autour d’eux, l’équipe masquait sa gêne. Il y avait ceux qui détournaient les yeux par embarras et excitation refoulée et, les plus nombreux, ceux qui ne parvenaient pas à les détourner par enfièvrement. Rouge était au centre de l’attention, presque entièrement nue, plus belle que jamais et  outrageusement désinvolte. Le claquement déclenché, la métamorphe écarta les cuisses pour permettre à son partenaire d’y reprendre la place qu’il avait quittée quelques minutes auparavant. Ses bras blancs s’enroulèrent derechef autour de son cou comme si elle se raccrochait à lui uniquement pour ne pas succomber au désespoir de l’amour. Ses yeux tirant vers le bleu s’enfoncèrent en lui avec une force qui plut énormément à la caméra et elle entrouvrit les lèvres pour laisser s’échapper des soupirs qui faisaient office de mots : bande davantage, Jack.

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Rouge poussa la porte de sa loge et y entra avec une lenteur qui trahissait une réflexion intense. Sa démarche était féline, presque aérienne, et ses mains relevèrent sa chevelure au-dessus de sa nuque pour lui permettre de se rafraîchir. Tourner des scènes érotiques depuis deux semaines lui rendaient la vie délicieusement difficile et sa libido commençait à s’en plaindre. Ses orbes azurées se posèrent sur le miroir de la coiffeuse qui lui faisait face et elle scruta sa poitrine alourdie par le désir de se voir toucher.

« Jack, Jack, Jack, souffla-t-elle en faisant claquer sa langue contre son palais. Vais-je devoir le faire à ta place ? »

Elle relâcha ses cheveux qui tombèrent en cascade dans son dos nu, et posa ses paumes sur ses seins pour les presser sans réelle contenance, charitable. Elle avait un peu de temps devant elle. Elle frissonna de la tête aux pieds, ses paupières se refermant un court instant sous le coup électrique qui se déclencha dans son bas-ventre (…) avant de s’ouvrir sur un regard refroidi. Elle n’était pas seule. Frustrée mais surtout surprise, elle décocha un sourire à son invité à travers le miroir.

« Le Batman, dans ma loge, lâcha-t-elle avec une admiration feinte, je ne suis pas étonnée que la chauve-souris soit attirée par l’obscurité des lieux mais vous, Monsieur, vous pourriez attendre mon invitation avant d’entrer. »

Elle fit volte-face, les joues colorées de carmin, et posa ses mains sur ses hanches.

« Que me vaut l’honneur ? »

Il s’était mis à la vouvoyer, elle, la criminelle, sans même se douter qu’il ne s’adressait pas à Laura de Mille. Un air satisfait plaqué sur le visage, Rouge le suivait du regard avec une confiance inégalée. Après tout, il était dans sa loge et, même s’il le cachait plutôt bien, il était évident qu’il était gêné d’une façon ou d’une autre. Il n’avait probablement pas le loisir d’assister à des scènes aussi érotiques tous les jours – encore moins avec une célébrité. Si cette dernière ne se montrait pas surprise par la survie du héros, elle était en réalité soufflée et furieusement excitée. Il était plus résistant qu’elle ne l’aurait imaginé. Est-ce que les autres étaient aussi revenus ? Fière de le voir apparaître dans ses quartiers, à elle, l’unique Laura de Mille, elle se sentit gonfler d’orgueil. Il venait de l’allumer comme la mèche d’une dynamite, à ses risques et périls. Elle avait l’impression de s’être réincarnée dans le corps d’une panthère affamée. Entre bouffée toxique de désir sexuel et nuage de colère à l’idée de devoir l’affronter un jour ou l’autre s’il se mettait sur son chemin, la brune était aux anges. Tout ce qui était contradictoire la nourrissait.

« Attendre que je jouisse pour vous rincer l’œil jusqu’au bout ?, demanda-t-elle sans attendre de réponse, plus amusée qu’outragée. J’aurais pu feindre de ne pas vous avoir vu. Vous devriez prendre certaines habitudes à l’avenir, ajouta-t-elle avec un petit rictus coquin aux lèvres comme pour l’avertir de la peine applicable en cas de récidive. J’écoute. »

Elle aurait détecté sa présence à coup sûr s’il était resté stoïque et immobile dans l’ombre – comme maintenant. C’était elle qui avait décidé de mettre fin à ses petites fantaisies pour l’interroger sur la raison de sa présence entre ces quatre murs. Finir ce qu’elle avait commencé ne l’aurait pas dérangée plus que ça. Bien au contraire ! Elle aurait indéniablement pris quantité de plaisir en se sachant matée par une chauve-souris trop noble pour intervenir – ou trop hypnotisée pour se priver d’un aussi charmant spectacle. Elle avait été trop curieuse. Elle se remit à l’écouter lorsqu’il parla de justice. Ce mot manqua de lui soulever le cœur. Qui croyait encore à ces choses-là ? La justice selon la définition de qui, exactement ? Celle de la Justice League ou celle des criminels ? Mains toujours sur les hanches, elle recula de quelques pas pour s’asseoir directement sur sa coiffeuse. La chaise ne servit qu’à lui permettre de poser ses pieds encore enfermés dans des talons noirs. Qu’est-ce qui lui faisait croire qu’elle souhaitait se ranger de son côté ? Elle posa ses paumes sur la surface en verre, soutenant le regard de la chauve-souris avec audace. Jack était tombé aux oubliettes. L'entièreté de son attention était maintenant portée sur Batman et son légendaire costume noir. La voilà qui était attirée par l'obscurité une fois de plus, par la noirceur de sa propre âme.

« Mes capacités, lesquelles ?, l’interrogea-t-elle avec une once d’étonnement dans la voix. »

Savait-il pour son don de métamorphose ? Parlait-il de ses talents d’actrice ? Ses sourcils froncés trahissant son intérêt pour sa réponse à venir, et également pour sa source, elle se mit un peu plus à l’aise. Ses jambes s’écartèrent suffisamment pour qu’elle puisse reprendre là où elle s’était arrêtée, les joues encore teintées de rouge, poussée par l’envie de déstabiliser ce revenant. Elle n'était pas suffisamment inquiète pour noyer sa concupiscence. Celle-ci était inexorablement attisée par la présence du Batman - qu'elle ignorait être Bruce Wayne, celui qui avait été témoin de sa nature de métamorphe lors d'une soirée au manoir familial. Et maintenant, comment allait-il l'arrêter ?

« Vous pouvez me répondre pendant ou après, continuez de faire à votre aise. »

Rouge ne s’encombrait plus de médicaments, ou disons plutôt que Laura ne pouvait plus s’assommer avec dans l’espoir de museler sa camarade. Son alter-égo au pouvoir, incapable de lui tenir tête, elle désespérait d'un jour pouvoir retrouver la lumière – mais elle demeurerait isolée dans les tréfonds de son esprit encore un bon moment. Rouge ne la faisait remonter à la surface que lorsque cela l’arrangeait ou lui était nécessaire, peu friande des situations compliquées voire humiliantes qui la forçaient à courber l’échine. En général, ces situations lui imposaient un public. Or, Batman était seul avec elle dans sa loge et personne encore, du moins c’est ce qu’elle présumait, n’était au courant de son retour. Peut-être qu’après une si longue absence il serait réduit au nom d'imposteur. Par ailleurs, n’était-il pas venu lui demander de l’aide ? Cela n’était-il pas la preuve de sa décrédibilisation ?

Rien ne l’incitait à arrêter sa provocation, à bâillonner sa gourmandise, à étouffer la naissance du plaisir entre ses cuisses – encore moins un homme qui se terrait dans l’obscurité depuis un retour qu’elle n’aurait su dater. Avait-il vraiment disparu toutes ces années ou avait-il plutôt filé à l’anglaise ? Elle se retint de répondre au tac-o-tac à son interlocuteur lorsqu’il lui livra sa cultissime réplique. Non, en effet, il n’était pas venu ici pour assister à une telle scène. Il avait la chance inestimable d’en être spectateur, cependant.

« Je suis Batman, l’imita-t-il avec un air des plus sérieux sur le visage, je me bats pour la justice en ce bas monde. Mon devoir l’emporte sur mon plaisir et sur mes propres émotions. Je suis infaillible ou, en tout cas, c’est ce dont je me convaincs. »

Ses jambes s’étirèrent tout à coup, s’allongeant jusqu’à atteindre sa victime toute de noir vêtue. Elles s’enroulèrent autour d’elle, l’étreignirent et la ramenèrent jusqu’à leur maîtresse. Rouge ne disposait pas d’une force surhumaine mais elle lui suffisait amplement pour transporter un homme. Batman était maintenant coincé contre elle, comme une souris prise au piège par un serpent. L’actrice, venimeuse, ne cacha pas sa satisfaction, relevant le menton et le nez avec complaisance. La bretelle de sa nuisette glissa sur son épaule. Ses orbes azurées, extraordinaire mélange de vert et de bleu, se plantèrent dans celles cernées de noir du Batman. Elles le charmèrent, voilées de concupiscence, pendant que le boa se mettait à onduler contre lui.

Comment savait-il pour son don de métamorphose ? Personne n’était au courant. Son extensibilité n’impliquait pas nécessairement le pouvoir de changer d’apparence, de s’approprier le physique de quelqu’un. En outre, il était venu la voir sans se douter qu’elle était capable de s’étirer à l’infini. Qui se cachait derrière ce foutu masque de chauve-souris ? Cela ne pouvait être Alex, son ancien manager ou Selina, les seuls témoins de l’existence de Rouge. L’actrice ignorait si c’était cette révélation soudaine, ou le combat acharné de cet homme contre sa fierté à elle, qui mirent fin à ses tentatives répétées de le voir céder à ses charmes. Pire encore ! Il avait évoqué Laura, l’avait valorisée, l’avait mise au-dessus d’elle – quel salopard. Le dos maintenu contre le miroir, ses yeux plongés dans ceux du Batman avec une férocité qui n’avait plus rien de sensuel, elle relâcha sa prise. Ses membres se déroulèrent avec lenteur, abandonnant leur proie qui avait annihilé l’incroyable montée d’excitation qu’elle avait souhaité satisfaire. Elle était maintenant brûlante d’autre chose : de colère.

Ses prunelles similaires à deux smithsonites continuaient de soutenir les siennes, imperturbables. Qui croyait-il berner ? Elle pouvait le sentir dur entre ses cuisses, sous son armure qu'il portait avec tant de suffisance. Elle hésitait. Quel affront devrait-elle lui faire payer en premier ? Elle était capable de se transformer en véritable serpent si elle le désirait. Que ferait-il face à un tel prédateur ? Que ferait-il si elle le mordait et lui administrait son venin ? Nombreux seraient les criminels à lui en être redevables. Peut-être même que grâce à cette initiative son CV se retrouverait en haut de la liste des candidatures de Black Adam. De plus, un combat contre le Batman valoriserait grandement son amour-propre. Elle cligna des yeux, pesant silencieusement le pour et le contre. Ses mains étaient revenues se percher sur la coiffeuse, comme deux oiseaux ayant abandonné l’idée de nourrir leurs petits. L’heure n’était plus au plaisir, seulement à la frustration ; et l’écouter parler la rendait nauséeuse. Avec un calme olympien qu’elle s’étonna de posséder, elle appuya son talon noir contre la cuirasse du justicier et fit pression dessus, l’invitant à prendre ses distances.

« Vous rentrez dans ma loge sans mon autorisation et maintenant vous m’insultez ?, siffla-t-elle. Vous êtes ennuyeux mais ce n’est pas une surprise, ajouta-t-elle en se redressant pour contempler son reflet dans le miroir et retirer ce qui lui restait de tissu. Parlez de votre plan. J’ignore encore si je souhaite vous aider ou vous émasculer alors faites vite. »

Elle arrangea sa chevelure brune, tapota ses joues puis fit volte face.

« Bane et le Joker, rien que ça ? Oui, le rôle de ma vie. Celui qui me foutra six pieds sous terre si j’échoue, ironisa-t-elle en arborant un sourire faussement enchanté. Parlez, je vous écouterai depuis la douche. »

Elle ouvrit la porte en bois de mauvaise qualité qui séparait sa loge d’une salle de bain de fortune, pressée de se débarrasser de l’humiliation qu’il venait de lui faire subir. Refuser ses avances ? Pas de problème. Parler de Laura comme s’il s’agissait d’une femme admirable et désirable ? Quel odieux personnage. Comment pouvait-il préférer cette femme insipide à ce qu’elle était, elle ? Cette misérable n’était rien sans son alter-égo. C’était Rouge qui l’avait sortie du pétrin. C’était Rouge qui avait pris les devants, et les risques, pour les débarrasser de celui qui avait mis le doigt sur leur secret quand Laura, elle, s’était montrée impuissante et larmoyante. Elle attrapa le savon et commença à se laver, une odeur d’amande douce se diffusant dans la pièce.

« Alors, ce plan ?, s’impatienta-t-elle. »

L’eau brûlante de la douche retraçait ses courbes, dévalait son corps et le lavait de ses péchés. Le liquide, que l’on aurait pu croire bénit, avait fait disparaître Rouge. L’actrice, aux effluves d’amande, ne bougeait plus. Elle se tenait derrière le panneau de douche transparent, tel un spectre en pleine transe. Il avait fallu de la résistance de la part de Batman, un coup à son amour-propre et quelques minutes sous l’eau pour enfin retrouver ses esprits, comme on dit, même si pour elle il s’agissait de sa personnalité première. Laura prenait maintenant pleinement conscience de la situation, de ses mots, de ses actes et de la folie dans laquelle elle s’était retrouvée à cause de son alter-égo. Ses paupières se fermèrent, et la lumière de ses yeux s’éteignit. Comment allait-elle rattraper ça ? Chaque intervention de Rouge était plus téméraire que la précédente. Elle n’avait apparemment aucune peur, ou tout du moins aucune conscience des dangers qui l’entouraient. Ceci dit, elle était généralement la personne à craindre. Laura repoussa le panneau jusqu’à pouvoir sortir sa tête de la douche et offrir à Batman un regard qui n’avait plus rien à voir avec les précédents. Celui-ci était doux et emprunt d’embarras.

« Je suis désolée, je, balbutia-t-elle, bouffée par la gêne, je ne sais pas ce qui me prend en ce moment. »

Ses joues étaient devenues aussi rouges que deux pivoines. Ses cheveux étaient plaqués à son visage, à sa poitrine et à son dos. Son cœur, lui, battait à une allure si folle qu’il lui était devenu difficile de respirer correctement. Elle ne pouvait livrer son secret au Batman. Être métamorphe et posséder un don d’extensibilité était une chose, mais avoir deux personnalités en était une autre. Elle finirait à l’asile d’Arkham s’il le savait, s’il en obtenait la preuve, et Rouge lui ferait payer le prix de la trahison. Qu’il était terrible de partager son corps avec une femme aussi démoniaque. Si cette dernière s’était esquivée et ne fulminait plus, elle était toujours là, dans l’ombre. Les apparitions de Laura se faisaient rares, voire mensuelles, et elles pouvaient être avortées en un claquement de doigts. Laura reprit place sous la douche et n’osa plus la quitter. Elle préférait y rester recluse de peur d’une nouvelle intervention de celle qu’elle estimait être la grande gagnante de leurs batailles internes. Celle-ci disposait d’armes fatales qui pouvaient la réduire au silence en quelques secondes – notamment des souvenirs de l’accident. Plutôt mourir de gêne que de peine.

Il ne la jugeait pas. Rassurée par sa réponse, quoi que toujours morte d’embarras, Laura s’était barricadée dans la baignoire. Simple marionnette entre les mains de Rouge, elle obéissait au doigt et à l’œil – elle n’était guère plus que le chien d’une maîtresse aux ambitions violentes, superficielles, primaires. Incapable d’éteindre le bouton que son alter-égo avait allumé, elle gémissait d’impuissance dans le fond d’eau brûlante. Elle hésita un instant à s’y noyer lorsque Batman aborda le sujet de son fiancé. Elle n’avait pas besoin de son empathie ; juste d’être délivrée. Les sourcils froncés, les muscles en feu, elle se muselait pour ne pas lui hurler de partir. Sa présence excitait Rouge qui faisait preuve d’un sadisme hors pair. Laura se retrouvait dans une situation cornélienne : demander de l’aide au Batman, tant elle était frustrée de ne pouvoir régler le problème toute seule,  ou lui faire comprendre qu’il n’était pas le bienvenu ici – au risque d’être elle-même torturée pendant des heures par la criminelle qui l’habitait. Son corps était un royaume et elle n’en était plus la reine.

« Vous ignorez tout, riposta-t-elle avec difficulté. Peu importe les informations que vous possédez, elles sont certainement incomplètes et très loin de la réalité. »  

Elle l’observa avec hésitation. Croyait-il réellement qu’elle allait gentiment le suivre ? Rouge, obéir au doigt et à l’œil ? Il avait parlé de domination puis il s’était imposé entre ses cuisses, attisant le feu qu’elle avait allumé un peu plus tôt. S’il avait espéré la calmer, il avait tout faux. Contre toutes attentes, du moins celles qu’il avait, elle fut parcourue d’un intense frisson qui la poussa à violemment resserrer ses bras autour de sa propre taille, compressant sa poitrine contre ses avant-bras. Ses joues rougirent vivement et ses cheveux, encore bruns quelques secondes auparavant, tournèrent au blanc. Cette nouvelle couleur accentua la beauté de ses traits, l’exquis de son regard et elle entrouvrit la bouche pour s’exclamer :

« C’est un ordre ? » 

Elle exultait. Sa réaction était si théâtrale qu’il n’y avait plus l’ombre d’un doute quant au plaisir qu’elle tirait de son petit jeu avec le justicier. Elle n’avait pas peur de lui ou, en tout cas, elle le craignait moins que les médicaments visant à la faire taire – ils avaient tenté de la faire disparaître mais n’y étaient jamais parvenu. Qu’allait-il lui faire ? La tirer par le bras, la gifler ou, dans un accès de colère face à tant d’arrogance, lui fracasser la tête contre la vasque ? Pas convaincue pour un sou, beaucoup trop heureuse dans sa nudité et très peu concernée par la tenue qu’il venait de lui balancer comme un os à un chien ou un sandwich à une femme vivant dans la rue, elle avançait lentement vers lui. Elle s’amusait des excuses des hommes. Elles étaient toujours plus originales, plus ridicules. Batman avait cédé. Même si cela n’avait duré que quelques secondes, elle avait obtenu une réponse très convaincante à son interrogation : elle ne le laissait pas indifférent mais quelque chose le retenait de succomber aux pulsions primaires de la race humaine. La culpabilité, une femme, un homme ou même plusieurs ? Des enfants, peut-être ? Est-ce que passer autant de temps dans un trou sans nom l’avait rendu plus dépressif qu’à l’accoutumée ? La chauve-souris avait un costume d’un noir aussi démoralisant que l’âme qui l’habitait. Que voulez-vous, certains héros ne pouvaient s’empêcher d’agoniser sous le poids d’un devoir imposé !

« Il n’y a pas de caméra prête à te dénoncer à ta petite femme ou à ton mari, Batman,   ricana-t-elle en plissant adorablement les yeux. J’admire ta détermination à me résister mais, entre nous, ça aurait été plus crédible si tu n’avais pas répondu à mon baiser. Un baiser ce n’est pas tromper, c’est ça ? » 

Elle leva les yeux au ciel comme si elle attendait la bonne parole de Dieu. Le blanc immaculé de ses cheveux et l’azur de ses yeux étaient troublants, donnant l’illusion d’un ange. Après un temps pendant lequel aucun poing ne vint s’écraser sur sa figure en porcelaine, elle passa de nouveau à l’attaque. Sur la pointe des pieds, elle pressa encore sa bouche contre la sienne tandis que ses quatre membres s’enroulaient autour de lui. Son bassin revint contre le sien, comme inlassablement aimanté par ce dernier, et ses mains et ses jambes se nouèrent autour de son corps herculéen. Sa langue s’aventura sur le contour des lèvres de sa victime, comme si elle y déposait un poison, le retraçant avec lenteur sous la vigilance de ses propres prunelles. Elle n’avait pas besoin de fermer les yeux, il n’y avait nulle romance ici. Pour ne pas se montrer clémente puisque cela ne lui ressemblait pas, vorace qu’elle était, elle souffla d’une voix chaude :

Ses vêtements ? Plutôt ceux de Laura qui n’étaient pas du tout à son goût. Trop de tissu, pas assez de rouge. Elle jeta un regard écœuré aux vêtements avant de se concentrer sur son petit manège aux pieds de sa cible comme si ce qu’elle avait dit n’avait absolument aucun intérêt. Ce qui était d’ailleurs le cas. Rouge n’avait pas la tête à débattre ; elle se contenterait de brûler toutes les fringues de Laura pour les remplacer par des nouvelles pièces onéreuses et excentriques. Oui, ça rendrait très bien une fois qu’elle aurait intégré l’équipe infernale de Black Adam – qu’elle comptait rejoindre d’ici 24h, le temps de mettre en marche le plan qui visait à se faire accepter par le colosse et l’Enchanteresse.

Peur de rien ? Elle arbora un sourire caustique. Elle n’avait pas envie de le croire. Il était tout bonnement impossible de n’avoir peur de rien. Cependant, il tentait de s’en convaincre et cela pouvait être une force. Ou pas. Être borné, voire aveugle, ne l’aiderait pas toujours. Relevée de force, elle l’observait avec une soudaine mollesse dans l’attente de voir ce qu’il comptait faire – en dehors de lui balancer de courtes phrases moralisatrices et blessantes. Rouge fit une petite moue quand il lui précisa une nouvelle fois que Laura était au-dessus d’elle. C’était sa vision, pas la sienne, et il aurait un mal de chien à sauver sa jolie camarade. Elle la garderait jalousement entre ses griffes. Plus il insisterait, plus elle lui ferait du mal. Il n’avait pas la moindre idée du jeu pour lequel il venait de signer.

Son front fusa dans sa direction, droit vers le sien. Quoi que surprise par le coup de tête soudain de Batman, pas si soudain que cela puisqu’il rongeait son frein depuis le début de leur entrevue, Rouge eut le temps d’esquiver. Elle remercie intérieurement ses réflexes surhumains, souriant victorieusement en croisant le regard qu’elle s’imaginait éberlué du justicier. Surprise souffla-t-elle sans prononcer un mot. La liste de ses pouvoirs commençait à être longue : métamorphose, extensibilité, agilité. En cachait-elle d’autres ? Elle aurait juré lire cette phrase sur les prunelles du Batman. Amusée comme jamais, malgré la vive frustration née des refus consécutifs de s’accoupler, elle accepta de se battre. Sa chance de jouir venait de lui passer sous le nez, il aurait celle de souffrir. Bien que Rouge n’était pas une experte du combat, elle allongea son bras pour l’enrouler autour du cou de la chauve-souris et commencer à l’étrangler. Elle ne comptait pas la tuer mais elle lui ferait perdre connaissance si elle ne résistait pas. Puis, qui sait, peut-être qu’elle pourrait aussi parvenir à ses fins de la sorte. Découvrir qui était Batman, et ce qu’il avait sous la ceinture.

Son bras continuait de se serrer autour de sa gorge, flirtant dangereusement avec le risque de nuque brisée. Il était atroce de ne pas céder à la tentation. De bons souvenirs lui venaient en mémoire, notamment la mort de son manager et tout ce qu’elle avait éprouvé en lui ôtant elle-même la vie. Un plaisir sans nom, sans égal. Sous une pulsion, Rouge gifla le justicier avec férocité comme si cela pouvait l’aider à abdiquer et à assouvir les besoins de sa nouvelle reine.

« Continue sur cette lancée et tu la feras souffrir encore plus,  le menaça-t-elle sans se départir de son sourire angélique qui offrait un contraste déstabilisant. Chaque coup que tu me portes est un coup que tu lui portes aussi. »




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Elle souriait, victorieuse : elle l’avait fait saigner alors qu’il n’était pas encore parvenu à lui faire mal. Il avait essayé, en vain, mais il s’était montré incapable de la toucher tant elle était aussi agile et rapide qu’une anguille. Ses yeux bleu électrique à l’affût, elle voyait venir chacun de ses coups et les esquivait à une vitesse folle. Depuis toute petite, Laura avait développé ses réflexes hors du commun. En toute logique, Rouge avait hérité de ce don. Et il lui était fortement utile ! C’était bien la première fois qu’on lui résistait autant au corps à corps. Son agent avait eu la nuque brisée et Mickaël, le mignon voisin de son duplex, avait succombé à une chute de plusieurs étages.

« Et aussi pleine de colère à défaut de l’être d’autre chose, répliqua-t-elle avec véhémence. »

Décidément, le Batman en voulait à son visage ! Elle était sans doute trop jolie pour qu’il puisse éternellement lui résister alors, désespéré, il s’efforçait de l’abîmer. Souple, elle leva la jambe jusqu’à son cou pour bétonner sa prise autour. Plus elle y mettrait de la force, plus vite il abandonnerait le combat. Il s’agissait certes d’un puissant justicier mais il demeurait humain. Il finirait par tourner de l’œil comme n’importe quel homme même si son armure l’avantageait.

« Nous ne sommes définitivement pas assez intimes pour que je te le donne, susurra-t-elle tout près de son faciès. »

Voulait-il aussi son dossier médical ou son journal intime ? Lovée contre lui, ses prunelles suivant la goutte de sang qui coulait de sa bouche esquintée, elle tentait de l’asphyxier. Il n’était plus qu’une vulgaire souris. Il avait refusé de céder à ses avances, fou qu’il était, et avait osé mettre Laura sur un piédestal pour ensuite l’attaquer. Comment un type qui enchaînait autant de fautes pouvait se prétendre sauveur de l’humanité ? Elle évita de justesse un crochet. Consternée par ce nouvel essai, qui avait ridiculement échoué au passage, elle lui donna une gifle supplémentaire. Ses ongles ripèrent sur son menton. Quand est-ce qu’il allait enfin tomber dans les pommes ? Si cela continuait, elle allait devoir lui briser la nuque. Plutôt le tuer que de se soumettre comme une insignifiante femme bonne qu'à être enfermée dans un hôpital psychiatrique.  

« Pas tant que ça, il semblerait que tu sois seulement mauvais. Qu’as-tu bien pu faire ces dernières années pour être aussi falot ?, miaula-t-elle. »

Ses cheveux blancs en cascade dans son dos, toujours nue comme une déesse grecque, elle pressa son nez contre le sien.

« Le Joker et Bane, est-ce bien raisonnable ?, s’enquit-elle comme si cela l’intéressait réellement. »

Encore quelques secondes et il lâcherait prise. Elle l’espérait. Elle avait envie de tout sauf de finir la nuit dans une camisole de force.




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