A new partnership - Clark

Respirer. Manger. Boire.

Je me récite ces trois mots comme un mantra. En raison de ma constitution kryptonienne, je peux retenir ma respiration bien longtemps – au point d’inquiéter ma mère ou Lois à quelques occasions –, et survivre tout autant sans nourriture ou eau – je suis davantage une batterie sur patte qui se nourrit de rayons UVs d’un jeune soleil jaune. Autant dire, j’ai à me rappeler de ces règles d’or que je m’imposais jadis, qui m’étais très naturel. Aujourd’hui, rien ne l’est. Tout est flou, tout est irréaliste. Mes humeurs changent au gré des jours. J’ai des hauts, ou tout est possible, tout est brillant. J’ai des bas, ou la culpabilité mène sa fronde et charge au maximum.

Aujourd’hui est mon premier jour au Daily Planet, mais aussi en tant que Clark Kent. A force de réflexion, et persuasion de mon entourage, le gamin de Kansas refait son grand retour. J’aurais aimé dire que la sensation est belle, celle de revoir de vieilles figures amicales, celle de me mêler au quotidien de ce monde que je chéris tant. Pourtant, je ne ressens rien de tel. Clark Kent sonne faux. Ce bon garçon élevé par une famille aimante et respectueuse est mort avec mon alter-égo, en commettant l’irréparable ailleurs. Et avec lui, bien des idéaux et espoirs sont tombés.

Je me sens faux parmi cette ligne de gens qui attendent leur café Starbuck, dans ces bureaux que je visite bien plus tôt que les heures bureaux traditionnelles et face à ces articles géniaux encadrés soigneusement. Mes doutes se confirment : j’ai trop changé pour que je puisse espérer un retour au passé. Qu’importe si nous réparons ce qui a été brisé ou restauré ce qui a été brulé, les fissures, éclats et brulures restent et s’impriment à notre chair, et à notre âme. Je commence à comprendre lorsque Bruce disait que le Batman est sa véritable identité, que Bruce Wayne est son costume.

Retour à la case départ, don. Si je ne suis plus le naïf Clark Kent ou l’idéaliste Kal-El, qui suis-je ?

Petit à petit, le bureau se remplit. On s’étonne de me voir arriver si tôt. On me salue chaudement. On s’enquit de ma santé. Je réponds, au mieux. Il a bien fallu expliquer ma disparation de deux années. Lois et moi sommes venus à la conclusion, la plus logique, que j’ai été victime d’un kidnapping par des seigneurs de guerre locaux lors de l’une de mes investigations tendues dans un coin reculé d’Amérique Latine. Heureusement, la lauréate de Pullitzer avait bien des idées et, surtout, histoires avec des fondements solides pour qu’un éditeur très pointilleux et tout une bande de journalistes adhèrent à cette version des faits.

D’ailleurs la co-pilote de ma vie se manifeste à son tour. Là aussi, il a fallu décider. Est-ce que nous maintenons le secret de notre relation, ou est-ce qu’il est temps de le révéler – car peu sont assez dupes ? En l’absence d’une décision, nous avons convenu de maintenir le statuquo. Si l’idée m’a semblait logique et bonne la veille, je la regrette aussitôt. J’aurais aimé lui prendre la main, profiter de cette paume chaleureuse et avoir un semblant de réconfort.

- Courte nuit, plutôt.

A quoi bon lui mentir ? Elle a bien dû constater mon absence assez tôt en matinée.

- C’est étrange de me retrouver ici, avec eux, avec toi.

Mon regard est évasif, ma voix est un susurre, mes traits sont tirés. Mille et une subtile indication que j’essaie de m’ajuster à ce nouvel environnement – ou plutôt à revenir à ce vieil environnement. Nous n’avons pas l’occasion de poursuivre cette discussion : les collègues s’enchainent, s’attroupent, s’enquièrent. Pendant une heure, presque, je réponds au mieux. Puis, la patience est épuisée, les nerfs sont à fleur de peau, je suis prêt à fuir sur ce fichu toit. C’est sans compter sur l’éditeur même. Il arrive, il me prend dans ses bras, il exprime sa joie de me revoir. Aussitôt, il annonce.

- Clark Kent est revenu parmi nous, après deux longues années ! Il faut souhaiter convenablement la bienvenue ! Tous à la salle de réunion.

La petite équipe s’y dirige, incluant moi, et découvre une table dressée de pâtisseries sucrées et salées, d’une bouteille de vin bon marché, des jus et surtout de sacrés thermos de cafés. Tout le monde s’extasie, je me contente d’un léger sourire. Là, le chef me glisse quelques mots.

- Vous êtes de retour, Kent. Vous êtes à nouveau libre. Oubliez-les, oubliez tout. Avancez.

Il me tapote le dos amicalement puis s’éloigne. Alors, je la cherche, je la trouve et je la rejoins.

- Tu étais au courant ?

Nulle accusation dans le ton, juste un petit son railleur et amusé.
Du moins, j’essaie de paraitre amusé.
Je me saisis d’une coupe et d’un donut.

Respirer. Manger. Boire.