Double vision divine ! ♦ feat Diana [Intrigue II - Terminé]

Je venais de quitter l'île et je remettais enfin les pieds aux Etats-Unis après environ deux mois d’absence. Après plusieurs semaines à enquêter sur Enchanteresse et à chercher des alliés, mes pas m'avaient conduite à Themyscira. Zatanna n’y avait pas été bien accueillie, les amazones lui avaient demandé de quitter les lieux après quelques heures… J’étais donc restée pour continuer à chercher dans nos archives, une mention à la déesse maléfique et à un éventuel point faible. J’en avais également profité pour faire réparer mon équipement qui avait été sévèrement malmené par un siècle de lutte, dont vingt quatre années particulièrement rudes. J’avais affronté des dieux et des monstres redoutables, sans aucun moyen de prendre correctement soin de mes armes et pièces d’armure au cours de la dernière décennie. Et j’avais profité de quelques semaines de repos pour renouer avec un foyer que j’avais quitté il y a bien trop longtemps et dont j’avais fait le deuil il y a des années, croyant ne jamais pouvoir revenir sur Terre… Ces retrouvailles avec mon lieu de naissance et mes proches avaient été salvateurs pour moi.

Je savais cependant que le mal ne dormait jamais. Enchanteresse rôdait, mes amis avaient souffert de leur voyage dans le multivers, et la Justice League était plus désunie que jamais… J’avais fondé cette organisation, je savais à quel point elle était utile et il fallait la sauver à tout prix. J’avais donc quitté mon havre de paix pour me confronter à nouveau au monde des humains et à tout ce que cela impliquait…

Et j’avais déchanté. Le général Dru-zod s’était échappé de la zone fantôme et avait tenté de s’introduire dans son ancien vaisseau, tandis que The Darkness attaquait le même soir au même endroit… Zatanna avait été sévèrement blessée. Clark était en pleine dépression, Gotham était dans un état déplorable et je redoutais les retrouvailles avec Bruce… Nous n’avions plus un, mais au minima deux adversaires aux pouvoirs colossaux, si ce n’est plus…

Je m’étais attendu à un retour difficile, à des épreuves… Mais la situation était largement pire que tout ce que j’avais pu imaginer.

Et dans tout ce merdier, des articles de presse attirèrent mon regard. Signés Vicki Vale, une journaliste sérieuse que j’avais déjà rencontrée, ils annonçaient le retour de Wonder Woman que des témoins auraient aperçu à Gotham.

Qu’est-ce que c’était encore que ces conneries ? The Darkness me tendait-elle un piège ? Je pris contact avec la journaliste pour démentir l’information et lui demander de ne plus répandre de rumeur, et acceptai finalement son aide pour remonter la piste de la mystérieuse imitatrice… J’étais partie trop longtemps, la jeune femme connaissait bien mieux Gotham et son réseau criminel que moi.

Mon sosie semblait traquer de gros poissons de Gotham et les poussait à se rendre à la police en profitant de mon image pour dissuader ses adversaires de lui opposer une résistance. Sur le papier, la finalité semblait louable. Dans les faits, je n’appréciais guère que l’on usurpe mon identité… Si l’objectif de mon sosie était de m’attirer à lui, le piège avait fonctionné. Vicky Vale m’avait aidé à dresser une liste des principaux acteurs de la criminalité de Gotham City à avoir eu de récents déboires avec la justice… Le nombre m’avait alarmé. Je m’étais focalisée sur les plus gros, le genre susceptible d’attirer l’attention de Batman… Ceux qui opéraient un peu trop ouvertement, que la justice corrompue couvraient… La liste avait un peu diminué.

Puis j’avais passé des jours à errer en ville, surveillant les résidences des protagonistes en question. Cela finit par payer lorsque j'aperçus depuis la toiture sur laquelle je m’étais perchée, une réplique très convaincante de moi escalader le mur d’enceinte, évoluer dans les ombres du jardin, pour ensuite grimper par la fenêtre…

Je l’observai dans sa progression, sans parvenir à retenir un sourire amusé par l’audace dont faisait preuve l’individu. Qui que soit cette personne, elle ne possédait pas la faculté de voler ou de se téléporter… Si elle se faufilait discrètement de la sorte, c’est qu’elle craignait pour sa vie ou qu’elle avait peur que sa cible s’enfuit. On pouvait donc décocher l’invulnérabilité physique ou la super-vitesse de ses capacités. Quant au piège… L’idée me semblait de moins en moins convaincante. Quelqu’un qui aurait voulu m’attirer ici aurait provoqué un maximum de tapage…

Je soupirai, me relevai de ma cachette et m’envolai sans un bruit pour suivre mon sosie. Voyons donc ce que cette petite souris avait dans le ventre et comment elle allait se comporter…

Drapée dans mon manteau sombre et le visage dissimulé par une capuche, je me faufilai à mon tour dans la pièce sans poser les pieds au sol…
Je n’eus finalement guère de temps à attendre car, se relevant brusquement de derrière les canapés où ils se cachaient, des hommes brandirent des armes lourdes.

C’était bel et bien un piège… Mais pas pour moi. Enfin si, mais pas la vraie moi. Oh et puis flûte !

Je bondis pour m’interposer alors que je voyais les premières balles filer très lentement vers mon sosie. Mon gantelet les dévia et sans attendre, j’arrachai leurs armes des mains des hommes postés du côté droit de la pièce tandis que mon pied se glissait sous le canapé derrière lequel ils s’étaient cachés. Je donnai un grand coup et le meuble vola à travers la pièce pour aller percuter le groupe qui se trouvait du côté gauche. J’observai le sursaut des malfrats à côté de qui je me tenais et qui ne m’avait pas vu arriver, j’étais bien trop rapide pour eux…

Les assommer ne fut guère une épreuve, ils étaient on ne peut plus normaux… C’était avec ce genre de force de frappe qu’ils avaient escompté me piéger ? me demandai-je dubitative. Enfin mon sosie… Enfin… Bref !

Je me tournai vers celle qui était responsable de ma présence ici afin de l’observer plus en détail. Le combat avait duré quelques secondes à peine.

-Je dois admettre que c’est un déguisement convainquant… soufflai-je en l’étudiant avec curiosité.

Une parfaite réplique de ce que j'avais été avant mon départ de la Terre...
Je tirai sur ma capuche pour dégager mon visage et dévoiler mon identité, des fois que mon interlocutrice ne l’ait pas encore deviné.

-A un ou deux détails près…

Je n’avais guère changé en un siècle d’errance dans le multivers. Mes cicatrices avaient toutes disparu avec le temps, je n’avais pas vieilli… Mes cheveux en revanche avaient poussé, ils m’arrivaient en bas des reins.

Mon ouïe m’averti que des personnes approchaient. Je marchai jusqu’à la porte et cassai la poignée d’un coup net, sans forcer.

-Nous allons avoir à parler vous et moi…


Ma voix n’était guère chaleureuse, j’étais prudente, ne sachant pas à qui ou à quoi j’avais affaire. Si ma voisine n’opposait pas de résistance, je comptais bien la traîner hors de cette maison et lui faire passer un interrogatoire par le biais du lasso d’Hestia. Je ne tolèrerai pas le mensonge, il y avait trop en jeu.

J’entrouvris légèrement la bouche, stupéfaite par l’aplomb dont faisait preuve celle que je venais de prendre la main dans le sac. L’aplomb… Et le culot. Elle continuait sa besogne alors que j’étais là, juste à côté ? Pire, elle me demandait de l’aider alors qu’elle continuait à se trémousser avec mon apparence ? Elle était bien bonne celle là !

-Vous comptez garder mon visage encore longtemps ?

Pas gênée pour un sous, la fille. Ou l’homme. Qui se cachait donc sous mon apparence ?

-Quelles preuves cherchez-vous ?

On ne pouvait pas dire que je savais grand chose sur cet homme. Je n’avais pas eu le temps d’étudier en détail le dossier de tous les mafieux de Gotham, pas en quelques jours. Pour être parfaitement honnête, j’avais autre chose à faire. Je venais de reposer le pied sur le continent. La justice league s’était à moitié effondrée, Clark était au bord de la dépression, j’imaginais Bruce et les autres non loin de cet état, Enchanteresse et son groupuscule venait d’attaquer Métropolis et avait gravement blessé Zatanna, Zod s’était échappé de la zone fantôme et complotait probablement pour détruire l’humanité… C’était un foutu beau merdier et je laissai bien volontiers Batman gérer sa ville. C’était triste à dire, mais j’avais d’autres chats à fouetter, je devais prioriser… Les criminels humains étaient de vrais plaies, mais ils n’en restaient pas moins humains et pouvaient être gérés par des humains.

Des aveux à lui faire écrire ? Elle comptait l'attraper en force, le menacer avec mon apparence et l’obliger à signer des confessions ? Je soupirai intérieurement. Elle n’avait pas l’air choqué par la rafale de balles qui avait failli la tuer à l’instant… J’avais affaire à quelqu’un qui était habituée à la violence. Quelqu’un, peut-être qui savait se défendre. Méta-humain ou magicien ? La métamorphie n’était peut-être pas son unique atout. Le fait qu’elle ne paraisse pas vindicative à mon égard ne signifiait pas qu’elle ne représentait pas une menace pour moi. Cependant, la seule chose qui semblait l’obséder pour l’heure était l’homme chez qui elle était entrée par effraction.

Non mais je nageais en plein délire ! Elle poussait la provocation à faire pousser ses cheveux pour reproduire mon apparence actuelle ?!

Elle savait pour les pouvoirs de mon lasso ? Bien informée,  la demoiselle… S’amusait-elle aussi à reproduire les apparences des autres justiciers, à tour de rôle ? mais qui était-elle, au juste ?

“Vous reprenez du service ?”

-Je n’ai jamais arrêté… dis-je, lasse.

Je me penchai pour saisir l’un des canapés et le redresser contre la porte pour la barricader dans l’espoir d’absorber un peu les tirs qui n'allaient pas manquer de venir. Je les entendais derrière, leurs discussions, le tintement des armes qui se chargeaient...

-Quoi que vous cherchiez, trouvez-le rapidement. Il y a du monde là derrière et ils vont démolir la porte. Et je vous confirme que nous allons discuter vous et moi.

Avec le lasso, qu’il le veuille ou non. Je n’avais aucune confiance en la parole d’une inconnue qui pouvait altérer ses traits, qu’elle donne l’impression d’avoir de bonnes intentions ou non. J’avais besoin d’éclaircir ce mystère rapidement, sans bénéfice du doute. Elle faisait beaucoup trop de bruit… Moi qui avait veillé à me tenir loin des projecteurs, c’était bien ma veine.

Je m’observais en train de m’activer alors que je retenais le canapé contre la porte, perplexe. C’était extrêmement perturbant de faire face à son reflet…

Des bruits sourds raisonnèrent contre la porte. Puis des coups de feu… J’attendis jusqu’à la dernière seconde, et quand je sus que ma barricade de fortune allait lâcher et que nous serions exposés, je bondis pour rejoindre mon reflet, la saisir en poids et l’entrainer par la fenêtre. J’aurais peut-être pu neutraliser toute la maisonnée. Probablement. Je ne ferai pas. Je n’étais pas venue pour ça, je n’étais pas sûre des motivations réelles de la cambrioleuse, il y avait trop d’inconnus en jeu pour prendre parti en faveur de la voleuse. En outre, je recherchais la discrétion et cette situation m’exposait beaucoup trop. The Darkness avait frappé Métropolis pour porter un coup contre Superman et Zatanna, ses principaux détracteurs. Je n’avais pas été là et je me le reprochais… Mon retour, fait discrètement, aurait pu être un atout stratégique dans cette guerre. Cette carte était grillée, tant pis. En revanche, je craignais qu’Enchanteresse et Black Adam ne se décident à visiter Gotham si je me faisais un peu trop voir sur la durée dans les environs… La ville de Bruce n’avait définitivement pas besoin qu’une déité des temps anciens porte son regard sur elle, il y avait déjà bien assez de problèmes ici.

Je volais jusqu’au toit d’un haut bâtiment, proche, et y libérai mon chargement avant de poser à mon tour le pied au sol. Ma main glissa sur mon lasso…

-Qui êtes-vous ?

Un fabriquant de drogue, ici à Gotham ? Ça n'aurait pas dû m'étonner plus que ça… Cette ville abritait de drôle d’énergumènes… Pour rester politiquement correct.

-Vous n’avez pas compris. Le fait que la presse ne parle pas de moi ne signifie pas que j’ai cessé mes activités, dis-je d’une voix calme.

J’étais concentrée, attentive à chaque son que je percevais autour de moi : les individus que j’avais neutralisés, ceux derrière la porte, la fenêtre…

-La discrétion était un choix stratégique. Pour plusieurs d’entre nous.

Je ne précisais pas ce qui avait pu me pousser à ce choix, ne sachant pas si je pouvais faire confiance à mon interlocuteur. Nous étions plusieurs à avoir adopté ce parti pris. Superman avait annoncé notre retour lors d’une conférence de presse sans donner plus de détails… Nos ennemis avaient profité de notre absence pour asseoir leur pouvoir, tuer plusieurs de nos proches… Nous étions revenus en pensant trouver enfin la paix et nous nous confrontions à la guerre et au deuil. Supergirl, Alfred, Jason, le père de Barry en grande difficulté, l’Atlantide en proie aux troubles… Nos ennemis avaient profité de notre absence pour développer leurs pouvoir, envahir de nouveaux territoires, gagner des fidèles et se renforcer. L’attaque frontale en riposte était trop risquée. Nous avions trop d’adversaires à gérer, la Justice League était désunie, chacun débordé par ses propres problèmes… Nous avions nous aussi besoin de panser nos plaies, reprendre en main nos identités civiles, réactiver nos réseaux, renouer des alliances… Et agir.

Et en parlant d’action, voilà que les occupants de la maisonnée s’activaient… Je fis le nécessaire pour nous extraire, ma nouvelle amie et moi-même avant qu’ils ne parviennent à se frayer un chemin de force dans la pièce. Et voilà que nous débarquions sur ce toit où j’allais enfin pouvoir mener mon interrogatoire…

C’était donc un homme. Un lieutenant. J’arquai un sourcil. Voilà une réponse inattendue…

-Est-il commun pour les lieutenant de police de Gotham d’usurper l’identité d’un tiers pour mener leurs enquêtes ? demandai-je en marquant un sourcil après qu’il m’eut reconfirmé son identité sous l’influence du lasso.

Au moins n’avais-je pas affaire à un alter-égo de Catwoman ou autre individu naviguant en eaux troubles… Un bon point, la personne qui se trouvait en face de moi semblait être guidée par son sens du devoir et non par l’égoïsme.

Et il trouvait encore à pester ? Je le regardai, partagée entre l’amusement et l’envie de soupirer. Quel énergumène !

-Un magicien hein…

J’en étais sûre maintenant que je l’avais vu se transformer et que mon attention se portait exclusivement sur lui. L’air frétillait de ce petit quelque chose typique du mystique… Je le sentais d’autant plus fort que le lasso, au contact, y réagissait. magicien… Ou sorcier ? Le pouvoir émanait-il de lui ou d’un artefact ? Je ne l’avais pas entendu formuler de sort, mais ils n’étaient pas toujours nécessaires pour utiliser la force d’un objet enchanté. Certains desdits objets étaient profondément néfastes pour leurs utilisateurs… J’en avais trouvé et détruit un certain nombre par le passé. De vieux reliquats de l’ère divine, maléfiques…

-Avez-vous volé l’identité d’autres personnes ? Des justiciers ? demandai-je d’une voix tranquille sans relever l’allusion au fait qu’il aurait pu utiliser mon corps pour réaliser un fantasme quelconque.

Sa capacité à reproduire les matières en plus des morphologies était stupéfiante. Les matériaux possédaient-ils les mêmes propriétés que les originaux ? Le métal divin n’était pas quelque chose de très courant sur Terre… Fort heureusement. Il était puissant et redoutablement dangereux.

-Pourquoi avez-vous pris mon apparence, Lieutenant ?


Je voulais sa réponse, maintenant qu’il était sous l’influence du Golden Perfect, afin d’écarter définitivement toute théorie à propos d’une intention malveillante. Je croyais de moins en moins à cette théorie, mais je préférais m’en assurer.

Un léger rire m’échappa en l’entendant vivement protester à cause du lasso et des informations qu’il regrettait de me livrer sous la contrainte.

-Vous pouvez garder votre numéro de banque, ça ne m’intéresse pas. Mais je veux bien votre adresse, que je sache où aller vous saluer s’il vous reprenait l’envie de jouer l’amazone.

Je le charriais… Plus ou moins.
Il n’avait pas forcément envie que je débarque au poste de police en demandant après lui, c’était donc une manière de procéder plus discrète pour lui… Et une sécurité pour moi. Il m’avait fait perdre assez de temps comme ça, ces derniers jours de traque m’avaient coûté alors que j’avais bien plus urgent à faire, sans parler de la journaliste qui m’avait harcelé de questions et avec laquelle j’avais du passer un marché en échange de son aide… J’attendais les protestations de l’homme qui n’allaient pas manquer d’arriver, vu l'énergumène que j’avais en face.

-Un homo magi… dis-je pensive.

Bien, pourquoi pas ? Ça devait lui faciliter ses enquêtes, même si ce genre de tour n’étaient pas légaux.

Et à nouveau, je ris.

-Un “emprunt”.

Il n’en ratait pas une, celui-là ! Et le pire c’était qu’il était fermement convaincue de ses dires puisqu’il parlait sous l’emprise du Golden Perfect.

-Vu comme ça, dis-je en acquiesçant, partagée entre l’amusement et l’agacement.

L’amusement l’emporta. Ça n'avait pas l’air d’être un mauvais bougre. Il était certes culotté, peut-être un peu de mauvaise-foi, mais ses intentions étaient honorables au fond. Il y avait trop de vice à Gotham City pour se mettre à punir les individus qui cherchaient à faire le bien autour d’eux.

-Disons que les… “tarés” qui sont après moi ne sont pas regroupés à Gotham, c’est vrai, concédai-je en hochant la tête. Je suis plus mobile que Batman qui a fait de cette ville son fer de lance.

J’avais mon lot d’adversaires mais j’avais longtemps évolué dans la discrétion et sur la planète entière, contrairement à Batman qui s’était révélé il y a plus de vingt ans, ou même de Clark qui s’était fait mondialement connaître pendant l’invasion kryptonienne, mais qui œuvrait essentiellement aux Etats-Unis. Pas si surprenant que le lieutenant ne sache que peu de chose sur ma vie… Il était pourtant au courant des effets du lasso.

Je penchai la tête, intriguée.

-Pourquoi cela ?

Pourquoi nourrissait-il de l’amertume pour le reste de la Ligue ?

Je m’approchai d’un pas tranquille et entreprit de libérer sa main du lasso. J’avais obtenue assez d’informations pour me sécuriser, m’assurer que je n’avais pas affaire à un assassin et qu’il était du bon côté de la balance. Si la discussion pouvait se poursuivre, je n’avais plus aucune raison de lui imposer la vérité du Golden Perfect et de violer son intimité. J’accrochai le lasso à ma taille et relevai les yeux vers lui, sans comprendre pourquoi il mentionnait mon armure tout à coup.

-Pourquoi cette question ?

Et je fronçai les sourcils de manière marquée, stupéfaite, lorsqu’il évoqua Enchanteresse.

-Comment le savez-vous ?

Et voilà que j’en venais à regretter d’avoir repris le lasso… Mais non, il serait inutile. L’agent Lockwood ne mentionnerait pas l’entité antédiluvienne s’il avait le moindre lien direct avec elle. Je pouvais baisser mon bouclier et parler plus librement à présent.

-Sur les traces d’Enchanteresse, oui, et plus globalement de son groupe, The Darkness. Et du général Dru-Zod… Pour citer les plus dangereux, soupirai-je. Vous comprenez pourquoi j’essaie de rester discrète, n’est-ce pas ? The Darkness a frappé Métropolis récemment, la ville de Superman, par provocation, le soir-même où Zod se manifestait. Si je montre publiquement trop d’intérêt pour un endroit…

Je secouai doucement la tête, dépitée et las.

-Nous venons à peine de retrouver notre monde, tout est sens dessus dessous. Honnêtement, je ne sais pas si je ferai plus de bien ou de mal en réapparaissant publiquement. Peut-être que ça inciterait les petites frappes à se calmer. Mais ce ne sont pas les barons de la drogue qui me font peur… Ces gens là, aussi nuisibles soient-ils, peuvent être gérées par d’autres humains… Nous affrontons des puissances supérieures amorales et terriblement dangereuses pour les habitants de cette planète alors que nous sommes plus affaiblis que jamais. Nous sommes débordés.

Je soupirai.

-Votre gouvernement a visiblement fait le choix de garder caché la réapparition de Zod, probablement pour éviter un mouvement de panique. Gardez cette information pour vous, s'il vous plait. J'étais à Themyscira quand c'est arrivé, mais d'après mes informations il était seul, ce qui est plutôt une bonne nouvelle...

-Waw… C’est terrifiant, répondis-je avec un sourire en coin.

Un colocataire fan ? Le lieutenant s’était engagé à n’avoir rien fait d’obscène avec mon corps, mais les limites de ce concept pouvait varier d’une personne à l’autre… J’espérais qu’il ne s’amusait pas à faire des strip tease pour faire plaisir à son ami…

Ah. Autant pour moi, un strip tease pour faire plaisir à ses DEUX colocataires…
Cette idée était quelque peu malaisante.

-Bien… C’est noté.

J’aquieçai, alors que nous échangions à propos des raisons qui l'avaient poussé à me choisir moi, plutôt que mes homologues.

-Pas besoin d’être médiatisé. Vu votre travail, je paris que vous avez aussi votre lot de fans…

Je l’écoutai se confier sous l’impulsion du Golden Perfect, me raconter qu’un justicier était lié au décès de sa mère, me parler de ses griefs… Attentive, réfléchissant aux implications de ce qu’il me racontait, je me demandais si cet avis était partagé par l’ensemble du corps policier à Gotham City.

-Je ne saisis pas… dis-je en fronçant les sourcils, réellement intriguée. Si vous condamnez l'ingérence des justiciers, pourquoi revêtir l’apparence de l’une d’entre eux pour faire votre travail ?

N'était-ce pas paradoxal ?

-Je n’ai pas de contrôle sur ce que font les autres “super-héros” (je n’aimais pas ce terme)… A fortiori au cours des deux dernières années terriennes où j’évoluais dans un autre espace-temps… Mais la Ligue des Justiciers a toujours eu à cœur de créer un lien et de collaborer avec le gouvernement et les autorités locales.

Il avait raison et il avait tort.

Vrai, sortir une arme de gros calibre poussait des individus à se doter d’armes encore plus puissantes. C’était une loi qui fonctionnait avec des humains. Mais qu’en était-il quand l’ennemi n’en était pas un ? Quand il débarquait d’une autre dimension, d’une autre planète, déjà tout puissant ? Divin, extraterrestre, magicien, création de scientifique zélé comme Doomsday… Les membres de la Ligue des Justiciers s’étaient tous révélés, non pas par satisfaction personnelle, mais parce que la situation l’exigeait.  

Je le libérais du lasso, j’en savais bien assez désormais pour ne plus avoir à lui forcer la main.

Le sujet dériva ensuite sur la récente évasion de Zod et de the Darkness.

-Je penche pour une alliance de circonstance. Je doute que leur collaboration dure dans le temps, leurs objectifs diffèrent trop. Mais ensemble, ils font de terribles adversaires. Bien plus dangereux qu’isolés…

Toucher mon lasso ? Il devenait bien coopératif tout à coup. Je secouai la tête.

-C’est votre gouvernement qui risquerait de prendre la mouche, pas moi.

Ce serait sûrement fâcheux pour un lieutenant de police… Tenir le retour de Zod au secret n’était pas ma décision, je comprenais le choix de la présidence cependant.

-Themyscira ? C’est mon foyer, répondis-je d’une voix tranquille en parcourant les environs du regard.

J’entendais des sirènes de police, loin d’ici… Le son parvenait vaguement à mes oreilles. J’avais l’impression qu’elles raisonnaient souvent à Gotham. Bruce devait se mordre les doigts, lui qui s’était battu pendant vingt ans pour ramener l’ordre et qui avait réussi… jusqu’à notre départ.

-Vous voulez… m’offrir un verre ?

Je me mordis la lèvre, tentée de rire de l’incongruité de la situation. Je chassais un sosie pendant une semaine, le prenais en flagrant délit, l’interrogeais sous la contrainte… Et je finissais chez lui à siroter une bière ?

-Vos colocataires ne vont pas faire une syncope si je débarque ? demandai-je sans parvenir à retenir mon sourire cette fois-ci.

J’avais l’habitude de susciter l’admiration. Je préférais encore ça à l’adoration fanatique et religieuse des humains rencontrés dans les deux derniers mondes explorés du multivers. Je n’aimais pas avoir autant de pouvoir sur autrui… Et pourtant, je m’en étais servie sans compter sur Una.

-Va pour le repas, dis-je en me rapprochant.

Mes yeux se posèrent sur les documents qu’il avait emporté un peu plus tôt et qu’il n’avait pas lâché depuis.

-Vous avez réussi à mettre la main sur quelque chose d’intéressant ?

J’eus une moue, pensive, réfléchissant brièvement à mon expérience de la vie et à toutes les hypothèses que j’avais pu en tirer.

-Gardez espoir… lui dis-je avec douceur. La lumière brille toujours plus fort là où se trouvent les ténèbres.

C’était un éternel équilibre, j’avais fini par le comprendre à force de l’observer. Il ne pouvait y avoir de lumière sans ombre et d’obscurité sans lumière, les deux habitaient le cœur des Hommes et c’était eux qui choisissaient de laisser plutôt l’une ou l’autre s’exprimer. La guerre apportait son lot de sauveurs et de personnalités bienveillantes, et la malveillance finissait toujours par s’inviter dans les lieux les plus purs au fil du temps et des générations… Mais je voyais l’histoire en siècles, voire en millénaires… Aleck se projettait à l’échelle d’une vie humaine… Et elles étaient si courtes. Sa perception des choses en était forcément impactée.

-A moins de le menacer, le juge n’aurait peut-être pas plié non plus devant moi, lui expliquai-je. Être Wonder Woman a aussi ses limites…

Et j’espérais en l'occurrence que le désespoir du lieutenant ne l’aurait pas poussé à brandir les poings ou à menacer sérieusement un représentant de la loi avec mon apparence… C’était une chose de secouer des criminels, s’en était un autre de s’attaquer frontalement à un agent du gouvernement. M’aurait-il attiré des problèmes sur le long terme si je n’avais pas interrompu ses initiatives ?

-La corruption est un vrai fléau.

sur ce point, je ne pouvais qu’être d’accord avec le policier. Pouvait-on parler de justice quand ladite justice se révélait inéquitable et protégeait ceux qui l’enfreignaient ?

-Nous allons trouver, répondis-je lorsque la conversation vira sur le lien entre Enchanteresse et Zod.

Je n’avais aucun doute à ce sujet. Nous étions plusieurs à vouloir des réponses, et nous étions très déterminés à les trouver.

Je baissai les yeux sur mon armure que l'on pouvait deviner sous mon manteau.

-C'est un présent de mes sœurs lorsque j'ai quitté Themyscira pour la première fois pour aller au front. Elle est plus solide que vos gilets pare-balles et n'entrave pas mes mouvements. 

Et combattre Arès, qui convoitait la destruction du monde des Hommes pour raviver leur foi par la force brute.

-Porterai-je atteinte à votre pudeur avec mon armure d'amazone, lieutenant ? lui demandai-je sans parvenir à retenir un air narquois.

Les américains et leur bienséance !

Quant au colocataire fanatiques…

-Ne le chassez pas de chez lui pour moi, dis-je avec un sourire doux. Je suis certaine que je peux survivre à la confrontation.

J’avais l’habitude des fans depuis que la presse m’avait affublé du surnom de Wonder Woman. Et tout cet enthousiasme était monté d’un cran les vingt-cinq dernières années dans le multivers, où l’humanité me voyait comme une déesse et m’avait vénérée en tant que telle. Revenir sur cette planète et retrouver les simples admirateurs se révélait assez reposant en fin de compte. Cependant, le lieutenant souhaitait peut-être aborder avec moi des sujets qu’il jugeait confidentiels.

Mon ouïe, plus fine que celle des humains, me permis de saisir la teneur de la conversation. Je me détournai pour laisser un peu d’intimité à Aleck, sourire aux lèvres. Le colocataire ne manquait pas de personnalité et je semblais avoir tapé juste : le mage faisait cavalier seul, ce que l’autre lui reprochait.

-C’est un début… soufflai-je en songeant qu’il avait tout de même su réunir pas mal de choses en peu de temps.

Le criminel qu’il avait pris pour cible avait manqué de prudence en laissant traîner ses papiers. J’allais donc faire le reste du trajet avec lui, dans sa voiture. J’aurais pu y aller en volant, cela dit j’avais des questions à lui poser donc autant profiter de l’intimité qu’allait nous offrir le trajet pour le confronter.

Je le regardais métamorphoser des ailes dans son dos avec une réelle curiosité. J’étais habituée à la magie, mais c’était toujours quelque chose de plaisant à observer lorsqu’elle n’était pas dirigée contre moi. Je me laissai planer à ses côtés.

-Objectivement, lançai-je dans les airs. Vous vous en seriez sorti sans moi tout à l’heure, quand ces hommes vous ont tendu leur piège ?

J’étais curieuse de savoir si je lui avais sauvé la vie ou s’il estimait qu’il aurait pu survivre à la fusillade. Après tout, je n’avais eu qu’un très bref aperçu de ses pouvoirs.

Nous arrivâmes finalement dans le parking désert.

-Vous aimez les couleurs vives, fis-je remarquer en découvrant sa voiture jaune.

Je m’installai sur le siège avant, bouclai ma ceinture par principe et attendit que le chauffeur s’installe à son tour et referme la portière.


-Je mange de tout, je ne suis pas difficile.


Les banalités étant dites...


-J’ai bien ma petite idée sur la question, mais j’aimerais vous l’entendre dire… Comment avez-vous su que je marchais sur les traces d’Enchanteresse ? Qui êtes-vous, Aleck ? Vous êtes vous engagé dans ce combat vous aussi ?

-Le monde serait tel qu’il devrait être, le corrigeai-je en douceur.

Tel que les olympiens le voulaient, du moins. C’était pour s’approcher un peu plus près de ce but qu’ils avaient donné la vie aux amazones. Nous incarnions l’espoir des dieux de pacifier cette planète et de montrer aux mortels la voie de l’amour et de la fraternité.

-Il suffit de ne pas se faire toucher.

Mes lèvres se retroussèrent pour esquisser un sourire alors que l’homme se noyait sous les explications. Le sujet semblait l’avoir fait grandement cogiter, aussi pris-je le parti de lui répondre sérieusement. C’était peut-être un amateur d’armures, comme Bruce, qui sait ?

-Il m’arrive de porter des armures plus lourdes et plus épaisses, expliquai-je. Ou de me couvrir, pas par gêne mais tout simplement parce que je suis sensible au froid, moi aussi. Mais j’apprécie la légèreté de cette tenue, elle me garantit une grande liberté de mouvement. Mes adversaires arrivent rarement à s’aligner sur ma vitesse… Quant à la magie, elle est de toute façon trop diverse de par sa nature pour espérer pouvoir s’en protéger efficacement avec du simple métal.

Mes gantelets étaient là pour combler cette lacune, d’ailleurs. Le métal divin absorbait l’énergie, la décuplait et pouvait la renvoyer. Mais inutile de lui faire l’inventaire de mes forces et faiblesses.

Et mes lèvres se retroussèrent un peu plus alors que le lieutenant prétendait tout à coup se moquer de la manière dont j’étais vêtue. N'était-ce pas lui pourtant qui avait abordé le sujet et qui me faisait un laïus ?

J’arquai légèrement les sourcils. Son colocataire était un si grand fan ? Je me demandai un instant si Aleck n’en rajoutait pas un peu pour la plaisanterie ou s’il était sérieux.

Nous nous envolâmes finalement et je l’interrogeai pour mieux appréhender ses capacités et la confiance qu’il avait en lui pour se sortir du mauvais pas dans lequel il s’était fourré un peu plus tôt.

-Je suis heureuse d’être arrivée à temps alors, lui dis-je sincèrement en comprenant que je lui avais bel et bien sauvé la vie.

Ce lieutenant de police non corrompu et engagé dans la lutte contre le mal aurait manqué à Gotham pendant tout le temps de sa convalescence… Ou s’il avait été tué. La vie était une chose infiniment précieuse.

Nous touchâmes le sol et rejoignâmes la voiture jaune de l’inspecteur, la conversation se porta rapidement sur le gout des couleurs. Mes yeux glissèrent sur ma propre tenue, nettement moins tape à l’oeil que le jaune criard de la cupra.

-Ca dépend des jours, plaisantai-je. La raison la plus logique à quoi ? l’interrogeai-je en ayant du mal à saisir la tournure de sa phrase, alors que je lui demandais comment il avait pu faire lien entre Enchanteresse et moi.

Un vrai rapace, hein ? Il était beaucoup plus loquace sous l’influence du lasso… Je soupirai intérieurement. Il voulait jouer à ça ?

-J’imagine que nous avons des amis communs…

Des mages qui en avaient après Enchanteresse spécifiquement et qui étaient au courant de mon propre engagement, il n’y en avait pas cinquante.

La voiture finit par se garer et je quittai le véhicule pour passer devant une autre voiture plus ancienne.

-Une chevrolet corvette… Ça me rappelle des souvenirs, dis-je en songeant aux années 60.

L’appartement était sécurisé… Et étonnamment propre pour une garçonnière.

-C’est très jolie, lui dis-je en balayant l’environnement des yeux. C’est une terrasse là-haut ? Vous êtes sûr de vouloir prendre mon manteau ? Je ne voudrais surtout pas risquer de vous montrer mes fesses, le charriai-je avant de retirer l’habit pour le lui confier.

Original. L’endroit avait du cachet. J’acceptai volontiers le verre de bière tandis que mes yeux s’attardaient avec curiosité sur la combinaison… licorne étendue sur la table, le mot qui se trouvait juste à côté et la panoplie du parfait petit guérisseur pour enfant

Je levai la tête pour regarder Aleck qui prenait connaissance du message sans parvenir à retenir un sourire.

-Votre colocataire a l’air de beaucoup tenir à vous, dis-je avec bienveillance.

C’était une série de petites attentions certes loufoques, mais touchantes. Je ne pus me retenir d’ajouter, plus taquine :

-Voulez-vous enfiler la combinaison ? Ça lui ferait surement plaisir…

Un silence plus tard, je tournai la tête vers la cuisine.

-Des pâtes carbonara, c’est parfait. Je n’en ai pas mangé depuis une éternité. Vous avez besoin d’un coup de main ? lui demandai-je.

Mon sourire se figea de surprise et de contrariété lorsqu’il mentionna un éventuel retour dans le multivers. Je baissai les yeux un instant avant de me dérider rapidement.

-Il n’y a plus de danger, le rassurai-je. Nous n’irons nulle part.

Jusqu’à la prochaine nouvelle menace… Y en aurait il une suffisamment redoutable pour nous contraindre à l’exil une nouvelle fois ? J’en avais la nausée rien qu’à y penser…
Je bus une gorgée de bière et posai mon verre poule troquer contre une boite de pansement licorne. Que c’était mignon… Ce kit de survie, aussi chou soit-il, nous aurait grandement servi sur Una… A Bruce plus qu’à moi. Je retins un sourire en imaginant le batman affublé de l’un de ces mignons petit bandage. Je relevai les yeux vers Aleck.

-J’ai reçu l’aide d’une journaliste qui m’a briefée sur les grandes figures criminelles de Gotham et aidé à dresser une liste de suspects qui auraient pu compter parmi vos prochaines cibles. Après ça, je me suis postée en filature et j’ai guetté les résidences principales desdites cibles. Vous m’avez donné du fil à retordre pendant quelques jours, avouai-je.

Et fait perdre un temps précieux, mais ce qui était fait était fait… Inutile de revenir dessus.

Je me levai pour le rejoindre dans la cuisine et m’appuyai contre l’une des poutres.

-Ca sent bon, dis-je en regardant les oignons blanchir avec les lardons. La cuisine terrienne m’avait terriblement manqué, confessai-je.

-Oui ça m’est arrivée, dis-je en hochant la tête sans m’émouvoir outre mesure. Mais si votre stratégie est si finement pensée et si je suis à ce point immobilisée, il vaudrait mieux viser ma gorge et en finir franchement.

Je lui souris avec douceur.

-Vous savez Aleck, ce n’est pas tant la taille de votre armure qui compte que la qualité de ses composants, le fait qu’elle soit bien adaptée aux combats que vous allez mener et aux armes que vous affronterez. L’une des armées les plus puissantes de jadis a conquis la moitié du monde en portant des ptéryges. Vous savez, les jupettes romaines ?

La science de la forge et des différents équipements était une chose complexe qui ne cessait d’évoluer depuis des milliers d’années. Nous pourrions débattre des heures mais j’avais mieux à faire, présentement.

De fait, nous primes la route de la maison du lieutenant… Jamais je n’aurais cru que les choses finiraient ainsi lorsque je m’étais postée en guetteuse sur le toit de cette résidence.

-J’en ai eu une, oui, répondis-je en regardant sa voiture.

L’appartement ne manquait pas de charme et je le fis remarquer à mon hôte.

-Un atelier ? De magie ? lui demandai-je curieuse.

Je lui tendis mon manteau et écoutai la réponse du lieutenant à ma plaisanterie en secouant doucement la tête. Je l’interrogeai cependant un peu plus sérieusement sur une question qui me taraudait depuis un moment déjà :

-Reproduisez vous uniquement l’apparence des choses ou les matériaux que vous créez prennent également les propriétés de ce qui est reproduit ?

Pouvait-il fabriquer un acier aussi solide que celui des amazones ? Reproduire un artefact divin ? Ce serait à la fois très inquiétant mais réellement impressionnant.

Je pris place dans le salon, profitant du spectacle laissé à l’intention du lieutenant de police par son colocataire.

-Des amis d'enfance qui finissent partenaires d’enquêtes ? C’est une belle histoire.

Pas banale. Les deux hommes devaient être très attachés l’un à l’autre. La conversation téléphonique que j’avais surprise et tous ces petits mots en disaient long sur leur relation.

-N’est-ce pas trop difficile ? Vous prenez des risques dans votre métier, l’affecte ne doit pas être toujours simple à gérer.

Mes pensées m’amenèrent à Bruce et au nombre de fois où j’avais cru le perdre dans le multivers… Je balayai cette idée. Il n’y avait plus à s’inquiéter à présent, tout ça était derrière nous…

J’esquissai un sourire en regardant le lieutenant de police agiter la queue rose de la combinaison.

-J’aimerai beaucoup voir ça !

Ou pas.

-J’ai eu de la chance que ça ne dure que quelques jours… Ça aurait pu prendre des semaines, soupirai-je.

Il était fier que j’ai eu du mal à remonter sa trace ? Le monde réel n’était pas un film, il n’était pas si aisé de pister quelqu’un qui ne laissait pas, ou presque aucune trace derrière lui. Il n’y avait pas de scénarium pour vous donner soudain l’illumination avec la bonne réponse. Une chance que j’ai une bonne connaissance de cet univers souterrain et que Vicky m’ait donné la main. Sans elle, j’en serai certainement encore à tourner en rond.

Je m’approchai de la cuisine pour observer Aleck s'agiter et jetai un coup d'œil avec envie à la préparation. L’odeur était alléchante.

-Et bien… Il n’y a pas de fast-food à Themyscira, plaisantai-je. Nous cuisinons beaucoup à l’huile d’olive. Des produits frais essentiellement, de saison. C’est une cuisine plutôt méditerranéenne.

Sa petite démonstration avec les serviettes m’arracha une moue admirative.

-Pratique pour voyager léger. Vous n’êtes jamais pris au dépourvu… dis-je en avalant une gorgée de bière, avant de m’installer à table. Merci pour le repas, lieutenant.

Et je ne tardai pas à confirmer après avoir avalé ma première cuillère :

-C’est très bon.

Je sirotai une gorgée de bière, reposai le verre sur la table.

-Alors dites moi, que faites vous dans la vie lorsque vous n’endossez pas le costume ?

J’arquai un sourcil et répondit pragmatique :

-Ces ennemis sont des idiots, alors.

Quand on avait la chance de parvenir à immobiliser un adversaire d’un niveau supérieur au sien, on se dépêchait de le mettre à terre pour de bon. La vie n’était pas un film, il fallait être stupide pour perdre à une opportunité de gagner un duel où l’on risquait sa vie afin de flatter son égo, au risque que la situation ne se renverse juste après.

Et si quelqu’un ambitionnait vraiment de me torturer et qu’il me pliait à sa volonté, qu’est-ce qui l’empêcherait de me retirer mes pièces d’armure ?

-Comme vous l’avez dit, mes adversaires sont complexes… Et aux multiples natures et talents.

Et il ne connaissait pas la moitié de mes facultés. N’étais-ce pas un peu orgueilleux de sa part de vouloir me conseiller sur mon accoutrement sans maîtriser l’ensemble de ces données ? Il allait forcément taper à côté de mes besoins réels. Enfin… Je supposais que ça ne partait pas d’une mauvaise intention. Le lieutenant combattait probablement majoritairement des humains on ne peut plus normaux dont les armes principales résidaient en la technologie et la chimie. Une protection pare-balle intégrale protégeait sûrement efficacement ses collègues et lui-même pendant leurs interventions. Il projetait peut-être sa propre expérience sur moi sans penser que je ne partageais ni sa culture, ni sa nature mortelle.

Je ne cherchai pas d’avantage à rentrer dans le débat, ce n’était pas ce que j’étais venue chercher ce soir.

Nous finîmes par atterrir chez lui. Une opportunité d’en apprendre un peu plus sur ce personnage atypique qui pourrait peut-être devenir un allié à Gotham City. Mon réseau avait été mis à mal par deux ans d’absence civile. En outre, je n’avais jamais cherché à trop intervenir dans cette ville pour ne pas empiéter sur le territoire de Bruce… mais il aurait peut-être besoin d’aide pour reprendre sa cité.

-Il vous faut donc étudier l’alliage pour pouvoir reproduire un acier de même qualité, résumai-je.

Cela répondait à ma question. Son pouvoir n’en restait pas moins très pratique, mais il y avait un côté rassurant à le savoir limité dans ses usages. Bien qu’il se trouve présentement du bon côté de la limite morale, je savais à quel point il était facile de glisser et de franchir la ligne rouge.

J’hochai la tête alors qu’il me parlait de son coéquipier, mes pensées me ramenant naturellement vers Bruce. Nous avions formé un binôme solide pendant ces huit dernières années, je savais ce que c’était d'œuvrer avec quelqu’un et d’avoir plus confiance en lui qu’en n’importe qui d’autre.

Je levai alors ma bière pour trinquer :

-A ces gens qui égaient notre quotidien et sur qui l’on peut se reposer aveuglément.

La conversation se tourna naturellement sur la cuisine alors que la bonne odeur de lardons et d'oignons cuits se répandait dans la pièce.

-Mais si bien sûr, des fontaines à sucre ! Les américains sont vraiment les champions de la gastronomie et de la santé ! plaisantai-je.

Je décris à Aleck notre cuisine, quelques uns des plats que j'adorais tout particulièrement, allant jusqu’à lui offrir des recettes s’il le souhaitait et tiquant de temps à autre pour traduire du grec ancien les appellations ou ingrédients qui n’avaient pas vraiment d’équivalent ici.

Lorsque nous passâmes à table, je le félicitai de son petit tour improvisé avant de rire à sa proposition.

-Non merci, refusai-je poliment, peu adepte de toutes ces boissons très sucrées.

Je trempai ma fourchette dans mon assiette pour y enrouler des pâtes.

-Et sur quel genre de pièce travaillez-vous ? lui demandai-je avec une lueur intéressée dans le regard.

Le théâtre faisait partie intégrante de ma culture et était largement plébiscité à Themyscira.

-Qu’est-ce que c’est le “kitesurf” ? l’interrogeai-je avec une curiosité polie.

Je n’étais pas très au fait de certaines inventions modernes et mon passage dans le multivers m’avait tenue éloignée de toutes ces problématiques pendant une très longue période.

Je lui souris, alors que je sentais son envie d’en savoir plus à mon sujet tout en ayant peur d’aller trop loin dans ses interrogations.

-Diana, lui répondis-je. Je suis la princesse Diana de Themyscira, fille de la reine Hippolyte.

Sur ce point là je pouvais être totalement transparente au moins.

-Quant au reste, je dirai que je suis occupée à tenter de reprendre le contrôle de ma vie tout en devant composer avec une flopée de nouvelles menaces plus aberrantes les unes que les autres, confessai-je.

Et en parlant de ça…

-Vous avez de grands pouvoirs… Vous pourriez vous joindre à nous. Nous aurons besoin de toute l’aide possible contre Enchanteresse. L’aide de magiciens qui sauront faire face à sa propre sorcellerie.

-Triste ?

Je ne comprenais pas.
J’écarquillai brusquement les yeux. Si je tuais systématiquement ? Ma réputation aurait-elle été à ce point entachée pendant mon absence pour qu’un américain se pose ce genre de question ?!

-Non, seulement quand il n’y a aucune autre alternative.

Et ce genre de situation était extrêmement rare, j’arrivais la plupart du temps à arrêter mes adversaires sans recourir à ce genre d’extrême.

-Je ne cautionne pas la torture. Je me bats par nécessité, pas pour prendre du plaisir en infligeant de la souffrance à autrui.

“Triste”... Non vraiment, je ne comprenais pas le cheminement de pensée de l’inspecteur et comment il en était arrivé à un tel adjectif alors que nous parlions des individus qui cherchaient à faire souffrir à petit feu plutôt que de soumettre franchement leur adversaire en combat.

-Non, grand bien vous fasse si vous parvenez à reproduire l’acier Themysciran, il vous protégera plus sûrement qu’un gilet pare-balle, lui répondis-je sérieusement. En revanche, il est des choses qui doivent rester hors de portée des mortels… J’ai vu trop de personnes sombrer dans la folie ou se transformer en monstres en croyant être aptes à contrôler un artefact divin.

L’intérêt d’Aleck pour la cuisine Themyscirane fut une agréable surprise. J’appréciai que l’on s’intéresse à ma culture, j’en étais l’ambassadrice après tout, même si j’avais relégué ce rôle derrière la casquette de la guerrière bien trop souvent sollicitée depuis l’invasion kryptonienne… Le lieutenant de police était visiblement un amateur de cuisine étrangère et nous nous prîmes à rire quelque fois alors que nous tentions maladroitement de traduire le grec ancien avec des applications téléchargées sur un coup de tête.

Nous passâmes finalement à table et la discussion vira sur les centres d’intérêt de mon hôte...

-Bien sûr.

Qui connaissait la Grèce antique savait l’amour quasi universel de ses habitants pour les arts, et en particulier pour le théâtre. La catharsis par excellence, lieu de partage d’émotions où tous vibraient à l’unisson… Cette affection avait suivi les amazones jusqu’à leur nouvelle demeure et les traditions s’étaient perpétrées.

-Hmm… Je ne peux rien vous promettre, répondis-je honnêtement pour son spectacle. Le temps me fait défaut. Mais notez moi les informations sur un papier, si je suis dans les parages…

J'acquiesçai alors qu’il me décrivait son sport nautique. Les sensations devaient être plaisantes pour toute personne qui ne savaient pas voler.
Je me rappelai alors des ailes du lieutenant. Il volait.

-Cela doit être joli à observer, dis-je en me représentant mentalement la scène. Vous êtes bon à ça ? Virevolter dans les airs…

Et voilà que la conversation virait à la politique après que le lieutenant se soit interrogé sur mon patronyme.

-Si ma mère devait abdiquer un jour… Mon peuple se rassemblerait pour choisir sa nouvelle reine. Il y aurait certainement des épreuves de corps et d’esprit, une consultation des dieux… dis-je pensive. Ce n’est jamais arrivé.

Ma mère était respectée, son autorité également. Personne ne l’avait remise en question depuis le schisme et la migration du peuple sur l'île, bien avant ma naissance.

-Les dieux ont choisi Hyppolite pour gouverner, elle est la première amazone.

Et elle n’avait jamais exprimé la volonté de se retirer jusqu’à présent.
Mon assiette vide, je reposai ma fourchette.

J’eus une moue désabusée. Des hobbies ? Ma vie était sans dessus-dessous, je peinais à garder le cap et à ne pas sombrer.

-J’ai encore du mal à me faire à l’idée que j’ai retrouvé mon monde, et ce que je vois en regardant autour de moi... Le chaos, le sang versé, l’humanité toute entière menacée de mort… Je ne fais pas redescendre la pression, je ne peux pas… dis-je les yeux rivés sur ma bière.

J’avais bien essayé quelques semaines, auprès des miens… Et ce que j’avais retrouvé en rentrant aux Etats-Unis était cent fois pire que ce que j’avais laissé en partant. Je ne pouvais pas me permettre de me relâcher et de prendre ce temps dont j’avais désespérément besoin pour me reconstruire.

-Peut-être… dis-je pensivement. Pourquoi pas, quand la Justice League sera apte à recruter.

Nous avions été d’accord sur ce point avec Clark, nous voulions du sang neuf. Restait à réunir les autres, vérifier s’ils étaient prêts à reprendre le combat et à accepter cette proposition.

Je tandis machinalement la main pour attraper le costume de licorne déposé sur une chaise non loin et jouai avec la capuche avec les doigts sans cesser de parler.

-Mais ce n’est pas de cela dont je parle. Comme je vous l’ai dis tout à l’heure, nous oeuvrons avec des profils variés. Des personnes versées dans les occultes, toute déterminées à arrêter The Darkness. Toute aide serait la bienvenue, y compris celle d’un lieutenant de police qui s’implique corps et âmes pour protéger les innocents. Si vous avez entendu parlé d’Enchanteresse, vous savez à quel point elle menace la vie et la liberté des habitants de cette planète. Il faut l'arrêter.

-Vous pensez être incapable de trouver votre place dans un monde en paix ? lui demandai-je étonnée.

La question ne m’était jamais venue à l’esprit. J’avais grandi dans un lieu que beaucoup appelleraient le “paradis”. Un endroit de paix et de prospérité sans pareille. J’y avais passé des milliers d’années. Pour moi c’était là un idéal vers lequel les mortels devaient marcher, un monde que je tentais de les aider à construire. Je me sentirai pleinement épanouie si un jour les Hommes atteignaient un tel niveau de maturité… Je n’aspirais qu’à ça.  

-Tout dépend de la résistance physique, de la discipline mentale du porteur et des pouvoirs dont il a hérité, je dirais ? De sa personnalité, également.

Il n’y avait pas vraiment de généralité à faire sur la question des artefacts divins et des semi-dieux ou Puissances. Chaque objet était unique et détenait des degré de nuisance différents, chaque porteur potentiel avait plus ou moins d’aptitude à manipuler l’artefact sans en subir les conséquences.

Je me figeai, complètement ahuri par le blasphème que je venais d’entendre. Les dieux, pas si différents des humains ?

-Je…

J’avais l’habitude de l'indélicatesse et de l’ignorance des américains, j’y avais été confrontée de très nombreuses fois depuis mes débuts. Bafouer un panthéon tout en se sachant en présence d’une demi-déesse, c’était assez culotté, cependant.

Mais il ne savait peut-être pas, songeai-je. Qui j’étais, qui je servais…

Ce dont j’étais sûre en tout cas, c’est que cet homme avait la langue plus affutée qu’un rasoir.

-Vous vous ferez votre propre idée de la question si vous avez l’honneur d’en rencontrer un un jour.

Et j’espérais pour lui qu’il saurait fermer sa bouche, le cas échéant. Les dieux n’appréciaient guère l’irrévérence et leurs punitions pouvaient être terribles.

Et le temps défila rapidement sous l’impulsion de diverses conversations. Le traducteur ne parvint pas à donner grand chose et qui aurait pu en être surpris ? Ma langue mère était un dialecte dérivé du grec ancien qui avait largement évolué depuis l’ère des légendes.

Je me levai pour glisser le papier qui contenait les dates des prochains spectacles d’Aleck dans la poche de mon manteau.

-C’est différent… dis-je après une courte réflexion. Nous avons connu notre propre évolution. Nos mondes n'ont rien en commun. Oui, ça a été un terrible choc. Pas seulement culturel… C’était aussi la première fois que je voyais les ravages de la guerre.

J'acquiesçai. Oh oui, je connaissais bien cette sensation enivrante d’être dans les airs.

-Pourquoi “condamnée” ? demandai-je surprise. C’est un grand honneur de diriger notre peuple, elle ne le voit pas comme un fardeau. Et si un jour la couronne devait trop lui peser, elle pourrait se retirer. Elle n’est pas piégée dans sa fonction.

Je ne comprenais pas bien la compassion que je percevais chez Aleck. La différence culturelle,  peut-être ? Les Etats-Unis était un pays où le bonheur individuel était valorisé et primait sur le collectif. C’était tout le contraire pour les amazones. Notre sens du devoir et les besoins du collectif primaient toujours sur ceux de la personne. Nous ne voyions pas cela comme un sacrifice, c’était simplement nos normes et nos valeurs.

-Je ne sais pas, Aleck. Cette situation que vous dépeignez ne s’est jamais produite, nous ne pouvons que spéculer.

Ses questions n’en finissaient décidément pas.
En cas d’abdication, je serai probablement l’une des favorites pour reprendre le flambeau. En tant que descendante directe de la reine, favorite des dieux, et au vu de mes capacités extraordinaires… Mais le voulai-je seulement ? Gouverner revenait à s’enfermer à nouveau sur notre île et renoncer aux Hommes. Je n’étais pas prête à leur tourner le dos, ils avaient encore besoin de moi.

Je pris le parti d’une réponse humoristique plutôt que sérieuse.

-Je suis la seule enfant à avoir jamais grandi à Themyscira, j’imagine que je serai toujours la petite princesse de l'île, dis-je en plissant les yeux d’amusement.

L’affection que me portaient mes soeurs n’auraient jamais d’égale que celle que je nourrissais pour elles en retour. Elles m’avaient vu grandir, déployer mes ailes… Aujourd’hui, elles contaient mes exploits et aimaient entendre les aventures que je leur racontais quand je retournais là-bas.

Et voilà qu’Aleck s’inquiétait subitement de l’état de ma santé mentale…

-Votre ami est un sage, dis-je simplement avec un sourire.

Il avait raison, je le savais bien. Mais sa notion d’un break n’était peut-être pas la même que la mienne… Ce n’était pas d’une soirée de repos dont j’avais besoin, mais de semaines, sinon de mois de retrait, sans avoir à trembler de peur qu’une entité malfaisante ne détruise tout sur son passage pendant ce laps de temps.

Quant à Enchanteresse…

-Pas seulement la magie. L’Entité peut aspirer l’énergie vitale des individus.

Je repensais aux informations collectées jadis sur elle, sur ses coups d’éclats passés. Nous l’avions déjà affronté jadis. Waller avait tenté de jouer avec une force qui dépassait l’entendement et l’avait laissé s’échapper dans la nature.

-C’est la vie elle-même qu’Enchanteresse menace. Elle peut aussi troubler les esprits et faire des plus vulnérables ses pions. Elle n’aspire pas à anéantir les populations, cependant. Contrairement à Zod qui fomente un génocide pur et dur, Enchanteresse veut retrouver sa suprématie passée. Elle se revendique telle une déesse et entend mettre l’humanité à genoux devant elle. Ce n’était pas chose aisée à l’ère antique où elle a vécu avant d’être libérée, mais imaginez aujourd’hui… Avec la mondialisation, l’unité des grandes puissances, et l’arme atomique…

Si une créature comme elle mettait la main sur un arme de destruction massive, elle n’aurait qu’à s’en servir et tendre la main aux survivants. Reconstruire le monde à son image serait facile pour elle. J’espérais être dans les extrêmes, mais à force de courir après les pires engeances je commençais à voir des schémas comportementaux se répéter…

-Je suis pourtant certaine que votre colocataire serait flatté de savoir que vous avez choisi la licorne pour emblème héroïque, le charriai-je.

J'acquiesçai. J’avais eu raison de penser que d’autres tentaient de lui faire rejoindre notre cause. Nous avions besoin d’alliés et de toutes les âmes volontaires pour faire plier The Darkness.

J’atrappai son bloc note et son stylo et griffonai une adresse mail dessus.

-Tenez moi informée lorsque vous aurez décidé, lui dis-je en poussant le bloc vers lui.

Il se faisait tard et j'avais de la route pour rejoindre Métropolis, je n'allais peut-être pas tarder à m'éclipser et laisser cet homme à son repos.

J’écoutai le fil des pensées du lieutenant qui prenait le temps de réfléchir sérieusement à la question et de m’offrir une réponse profonde.

-J’imagine qu’il faudrait d’abord définir le concept de paix…  Est-ce le fait de ne pas être en guerre ? Ou bien de ne connaître aucun trouble interne et de criminalité au sein d’un pays ? Dans le premier cas, l’humanité a rarement été autant en “paix” que depuis quelques décennies. En revanche, les crises qu’elle traverse depuis peu n’ont pas eu d’égale depuis l’ère des dieux.

C’était une catastrophe. L’invasion kryptonienne, Doomsday, la vague de naissance méta-humaine et toutes les dérives qu’elle engendrait, le réveil d’entités antiques telles qu’Enchanteresse…

-L’ile du paradis n’a jamais abrité de conflits au sens où vous l’entendez. Ma patrie vit en paix depuis des millénaires.

Ma première confrontation avec la guerre s’était faite dans le monde des Hommes, bien loin de Themyscira.

Et après une longue conversation et une multitude de questions, le sujet revint à nouveau sur ces problématiques de guerre… Et de la nature présumée des amazones. Je lui lançai un regard perplexe. Les amazones, faites pour la guerre ? Vrai, mes soeurs avaient vaillamment combattu pour vaincre les créatures dangereuses aujourd’hui considérées comme mythologiques et les repousser dans les tréfonds du Tartare, mais c’était une époque lointaine…

-Vous dites cela au regard des légendes qui sont arrivées jusqu’à votre époque ? Ou… Vous avez déjà rencontré l’une de mes soeurs, peut-être ?

D’autres amazones avaient quitté Themyscira pour suivre ma voie. Elles étaient certes peu nombreuses, mais elles existaient. Et dans les cas atypiques, il y avait wonder girl, qui adolescente, était venu trouver notre peuple pour suivre son enseignement avant de regagner le monde des Hommes. Aux dernières nouvelles, Cassandra traînait à Gotham City.

Je le regardais sans parvenir à cacher mon sourire. mais comment parvenait-il à enchaîner si vite les questions et à passer du coq à l’âne ? A quelle guerre je faisais référence, nos technologies…

-La grande guerre, répondis-je.

Je repris pour préciser, voyant qu’il semblait avoir du mal à situer.

-La première guerre mondiale, c’est ainsi que vous la nommez aujourd’hui. Et pour les technologies… C’est un peu vague. Des technologies dans quel domaine ?

On en avait pour la nuit si je devais inventorier toutes les différences entre Themyscira et les Etats-Unis.

-Disons que… Hmm… Imaginez la Grèce antique et vous aurez une vague idée de nos infrastructures. Maintenant ajoutez y les mythes et la magie, ainsi que quelques milliers d’années d’évolution en totale autarcie avec ces derniers paramètres… Nous sommes plus avancés que vous dans certains domaines, plus en retard sur d’autres… Nous n’avons pas l’électricité mais nous avons l’eau chaude, par exemple. Il n’y a pas eu de contamination culturelle. Mon peuple est composé d’immortelles, d’érudites, de scientifiques, d’artistes, de guerrières et de philosophes… Nous ne sommes pas figées dans le temps, mais nous sommes attachées à nos traditions, nous évoluons avec elles.

Cela allait-il lui suffire ou soulever une nouvelle vague de questions ? La curiosité du lieutenant était insatiable… Il me rappelait celle que j’étais lorsque je faisais mes premiers pas dans le monde des Hommes.

-Peut-être… Je ne peux m'exprimer pour elle, répondis-je pragmatique. Il n’y a pas d’hommes à Themyscira. Les amazones n'enfantent pas, mais elles ont une vie sexuelle… répondis-je sans ressentir de malaise en abordant le sujet. Je tiquai cependant en réalisant soudain : J’espère ne pas vous choquer en parlant de cela ? Beaucoup d’américains ont une vision assez figée de ce que devrait être l’amour ou les rapports entre individus…

Un autre choc culturel…

-Assez parlé de moi. A votre tour, proposai-je. Parlez-vous de moi un peu de vous…

Je ne savais que peu de choses sur cet homme après tout.

Quant à Enchanteresse…

-Pourquoi le détruire ? Il suffit juste d’ébranler les grandes puissances, de réécrire l’ordre mondial. Vous raisonnez en mortel, mettez vous dans la tête d’un être qui peut vivre indéfiniment… Qu’est-ce que le sacrifice de quelques territoires pendant une période et quelques millions, voire milliards de vie si cela permet de prendre le contrôle du nouvel ordre mondial ? Les humains se multiplieront à nouveau, la nature reprendra sa place tôt ou tard, et l’histoire se réécrira avec les vainqueurs. Ce ne sont que des suppositions bien entendu… Mais je commence à avoir l’habitude des raisonnements des “libres-penseurs” mégalomaniaques. Ce sont des êtres sans empathie et foncièrement égoïstes.

Je secouai la tête.

-Vous prêtez trop de bonnes intentions au général Dru-Zod. Il n’est pas question d’esclavage avec lui, c’est un génocide pur et dur du règne animal et végétal qu’il prémédite. Il entend terraformer la Terre et recréer une nouvelle krypton ici.

Résister à la bombe H ?

-Je ne sais… répondis-je honnêtement. Enchanteresse est capable de posséder des corps… Quand bien même une bombe tuerait son enveloppe, je ne suis pas sûre qu’elle pourrait détruire son essence.

A moins que cette dernière ne finisse par disparaître si elle ne trouvait aucun corps à habiter dans un délais imparti ? Je l’ignorais.

Quant à moi… Je ne m’étais jamais frontalement confrontée au souffle d’une explosion nucléaire et je n’étais pas pressée d’essayer pour mesurer mon degré de résistance. Mon corps avait une bonne résistance aux radiations, mais encore fallait-il survivre à ce qui précédait.

J’entendis des bruits de pas dans le couloir avant même que la clé ne sincère dans la serrure. Quelqu’un entrait dans l’appartement… Le fameux colocataire probablement. Voilà qui mettait fin aux interrogations d’Aleck, vraisemblablement.

Il était jeune, l’adepte de licornes -peut-être plus que le lieutenant Lockwood. Et il me prenait visiblement pour son collègue. La vie avec lui ne devait pas être de tout repos, quel moulin à parole ! Puis je pensais à la personnalité du lieutenant… Ils formaient un duo assorti en fait, chacun dans son excentricité.

-Je ne bouge pas… confirmai-je avec un sourire mi figue mi raisin alors qu’il m’intimai de rester à ma place.

Je ne pus pourtant m’empêcher de reculer la tête alors qu’il tentait de me coller l’un de ses pansements enfantins sur le visage. Et il y parvint, sur la joue.

-Tout va bien, personne n’a été blessé… dis-je en douceur en saisissant ma bière pour boire une gorgée, à la recherche d’une distraction pour me détourner d’une situation qui devenait un peu gênante.

Je lui disais ou pas, que son collègue se trouvait à quelques pas de là dans son angle mort ? Mais ledit collègue avait choisi de ne pas intervenir et avait l’air de beaucoup s’amuser de la situation…

“OH mais oui MONSIEUR n’aime pas les moules boule en lycra !”

Je failli recracher ma gorgée et toussai.

-Les jupettes non plus, apparemment, dis-je en levant les yeux vers Lockwood.

Ah ça y est, il réagissait. C’est vrai que le colocataire ne lui avait pas laissé en placer une. Comment pouvait-il cacher autant d’air dans ces petits poumons ?

-Transformer un SD… ? Attendez, vous faites ce genre de choses ? lui demandai-je l’air inquisiteur.

Il avait le pouvoir de changer aussi les personnes ? Et il le faisait sur des inconnus pour s’en servir dans le cadre d'enquêtes ?

Je terminai le fond de ma bouteille et la reposai sur la table.
Bon… C’est bon, je pouvais décoller ce morceau de plastique de mon visage sans risquer de me retrouver avec deux autres en remplacement ? Je l’arrachai, délicatement et mes yeux se posèrent un bref instant dessus. C’était marrant quand même, cette passion pour les licornes…

-Il n’y a pas de chevaux à cornes chez moi… En revanche, certains ont des ailes. De belles bêtes, assurément… Sauvages et sacrées.

Je regardai Jake avec un sourire.

-Au vu de votre affection pour les licornes, je pense que vous les aimeriez. Vous devez être Jake ? lui demandai-je.

C’était bien le nom du fameux colocataire dont Aleck m’avait parlé ? J’espérais ne pas me tromper.

Je lui tendis la main pour le saluer, courtoise.

-Ravie de faire votre connaissance, je suis Diana.